4. Pouvoirs et limites du nouvel acquéreur dans la
gestion du bien foncier collectif
4.1. Pouvoirs du concessionnaire 4.1.1. Pouvoir
discrétionnaire
Selon 90 % des enquêtés, le nouveau
concessionnaire des terres familiales dispose d'un pouvoir
discrétionnaire quant à la mise en valeur collective des terres,
au partage, à la mise en jachère ou en « zépa
». Autrement, c'est au nouveau concessionnaire que revient le pouvoir
de décision quant au mode d'utilisation des terres familiales.
En ce qui concerne la mise en valeur collective, le
concessionnaire peut user de sa notoriété dans la
hiérarchie familiale pour exiger que les terres soient cultivées
collectivement pour ainsi revêtir la dénomination «
plantation de la famille A. ». De ce fait, les produits issus de
cette plantation au fil des années sont cueillis collectivement, vendus
et partagés soit équitablement, soit par rapport à
l'âge ou encore selon le degré d'investissement physique de chaque
membre dans les travaux champêtres. Ce type de plantation est
fréquent dans les villages de la tribu Bindin et les villages de la
sous-préfecture de Bazré.
En ce qui concerne le partage des terres familiales à
des usages personnels, le nouvel héritier peut décider de
repartir les terres aux ayants droits pour permettre à chacun
d'effectuer les cultures de son choix (cultures vivrières ou de rente).
A ce niveau, il dispose d'un pouvoir discrétionnaire et peut ajouter
deux ou trois hectares supplémentaires sur sa portion dans le but
d'assurer la nourriture quotidienne durant
130
la période de « klata » ou encore
partager à part égale les terres et laisser le soin à
chacun de se prendre en charge pendant les périodes d'abondance et
d'indigence alimentaire. Il faut préciser qu'à ce stade, le
partage tient principalement compte des liens utérins avec le parent
donateur. Autrement, les fils directs sont davantage privilégiés
dans le partage des terres que les cousins ou neveux du donateur, selon la
portion générale disponible.
Concernant la mise en jachère, le nouvel
héritier peut demander ou exiger aux autres membres de la famille, que
certaines portions restent en jachère pour des raisons
d'infertilité ou de conflit avec d'autres autochtones se disant
propriétaires par legs. Ainsi, cette portion demeurera en jachère
durant toute la période d'investigations foncières afin de situer
le véritable propriétaire et simultanément de permettre
à la terre de se reconstituer en matières organiques.
Outre ces différents pouvoirs qui relèvent de la
compétence du nouveau concessionnaire, se greffe la possibilité
de mettre certaines portions sous le « zépa » s'il
constate un faible engagement des autres membres de la famille dans les
activités champêtres.
4.1.2. Droit de regard sur les
récoltes
Pour l'enquêté M. de Blontifla (60 ans, planteur,
entretien effectué en Mai, 2016) «le rôle de
l'héritier des terres familiales s'apparente à celui d'un
véritable chef de famille, il reçoit en permanence les
prémices des récoltes de ses frères et des gens qui
travaillent sous le zépa pour lui et sa famille. S'il ne reçoit
pas ce qu'on devait lui donner, il peut se plaindre ou prendre des mesures
sévères allant jusqu'à refuser la nourriture à ses
frères pendant le klata ou rompre le contrat de zépa ».
Ces propos de ce chef montrent que le nouvel héritier assume les
mêmes responsabilités et bénéficie des mêmes
privilèges que le père donateur, mais plus loin car il dispose de
pouvoirs pluriels caractérisant sa position hégémonique au
sein de l'institution familiale.
Le nouvel acquéreur aurait droit à une part des
récoltes des autres membres de la famille et du métayeur, mieux
ceux-ci seraient contraints de lui verser des prémices de leurs
récoltes sous peine de stigmatisation et de privation future de
nourriture pendant les moments de disette ou encore de rupture de contrat de
zépa.
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Ce pouvoir est d'autant plus affirmé dans certains
lignages « Djahanénin et Péhinénin » de
Kouêtinfla où le nouvel acquéreur peut même exclure
un membre de la famille des activités champêtres ou le rendre
dépendant des récoltes de ses frères pendant une
période relativement longue.
Schématiquement, les actions sociales du nouvel
acquéreur envers les autres membres de la famille pourraient donner
succinctement la figure suivante.
Funérailles et autres dépenses
Nouvel acquéreur
Autres membres de la famille
Nourriture durant le klata
Activités champêtres supplémentaire
Figure 3 : Actions du nouvel acquéreur en
faveur des membres de sa famille
SOURCE : Terrain
Il ressort de cette figure que le nouvel acquéreur a
une triple responsabilité vis-à-vis de ses parents (soutien en
temps de deuil, nourriture durant le moment de klata et activités
champêtres supplémentaires).
Au niveau du soutien en temps de deuil, il faut noter que la
crédibilité d'un époux en pays gouro s'évalue en
fonction de sa promptitude et de la nature de ses dons lorsque sa femme est en
deuil, faute de quoi, il pourrait l'objet de regards méprisants au sein
de la communauté villageoise. Ainsi, en cette période
délicate où le frère ou l'oncle en quête d'argent,
pourrait être tenté par des ventes clandestines d'espaces
familiaux, l'acquéreur des biens familiaux est implicitement contraint
de lui venir en aide. Cette aide peut provenir d'une mise en gage collective
d'une portion de terre familiale, d'un prêt ou de l'utilisation
d'économies familiales car, au-delà de l'individu, c'est la
réputation de la famille qui est mise à l'épreuve.
132
Outre cette responsabilité enverguée, le nouvel
acquéreur doit assurer la subsistance de la famille pendant la
période de famine villageoise (de Février à Juin) pour
éviter les propos dénigrants lors des réunions au sein de
la communauté villageoise. L'ensemble de ces activités sociales
effectuées pour le bien-être de la famille nécessite un
investissement régulier de celui-ci dans les activités
champêtres, seule source de revenu des kwênins.
Toutefois, ces actions nécessitent une contrepartie qui
concerne principalement le don de prémices des récoltes et une
assistance permanente du nouveau concessionnaire dans la gestion du bien
collectif. La figure ci-dessous nous en donne les détails.
Prémices des récoltes
Nouvel acquéreur
Assistance dans la gestion
Figure 4 : Actions des membres de famille en
faveur du nouvel acquéreur
SOURCE : Terrain
A partir de cette figure, il apparait que les membres de la
famille, eu égard aux efforts qu'effectue le nouveau chef de famille,
font preuve de reconnaissance, même si dans le fond, celle-ci parait
obligatoire. Cette reconnaissance « obligatoire » se
manifeste par des dons de prémices de récoltes et une assistance
permanente à ce nouveau chef de famille dans la gestion de la famille et
de ses terres. De ce fait, les décisions prises par celui-ci ne sont pas
exclusivement le résultat d'une réflexion personnelle, mais
plutôt le fruit d'une concertation générale pour
l'intérêt général.
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Cependant, le nouveau concessionnaire, même s'il dispose
de pouvoirs quant à la gestion des terres familiales, ceux-ci
connaissent quelques limites.
4.2. Limites du concessionnaire
4.2.1. Bradage des terres familiales
« Mon fils, quand un père désigne un de
ses fils pour le succéder, il ne doit jamais vendre les terres, il doit
les garder, les partager à ses frères (frères de sang et
cousins) et ses papas (oncles). Parce que s'il gère mal et vend les
terres à cause de problème qui ne finit jamais, nous, on va
encourager et aider ses parents à prendre leurs terres et il va
rembourser l'argent qu'il a pris avec eux ». Ces propos recueillis
auprès du sage de Djamandji (planteur, 72 ans), montrent que certes
celui qui hérite des terres familiales, a en charge la gestion des
terres, mais doit en faire bon usage (partage aux ayants droits, culture
d'ensemble ou jachère). Il ne doit en aucun cas les vendre, encore moins
les mettre en gage personnellement pour des besoins financiers. Ses actions
doivent se circonscrire dans la préservation de ce patrimoine familial
en vue d'un profit collectif.
Relativement au mode de gestion des terres familiales,
l'enquêté G. (38 ans, cultivateur à Béliata ;
entretien de Juillet, 2015) nous racontait que dans le village Digliblanfa, le
père Zouogouli, à sa mort n'avait qu'un seul fils Gooré,
mineur (10 ans). La gestion de ses terres a donc été
confiée à son oncle qui les brada les unes après les
autres et ce, au moindre problème financier.
A l'âge de vingt-un, âge supposé de la
stabilité psychologique chez les kwênins, l'oncle tardait à
montrer les terres au jeune Gooré qui errait de plus en plus dans le
village. Ainsi, de rencontres en rencontres, les sages demandèrent
à l'oncle de restituer quelques portions de terres à l'enfant
afin que celui-ci puisse se fonder une famille puisque la tradition recommande
d'avoir une terre à cultiver avant d'être apte à
concéder un mariage. Mais, la restitution paraissait quasi-impossible
puisque d'une part, ceux qui avaient acheté les terres y avaient
planté des cultures de rente et d'autre part, qu'il ne restait que les
trois hectares de forêts que l'oncle avait réservées
à son usage personnel.
Le jeune Gooré intenta une série de
procédures coutumière, administrative et pénale contre son
oncle qui s'avéraient longues et exposant le jeune à des
récupérations ou interprétations fétichistes.
Toutefois, il faut préciser que revendiquer sans cesse les
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terres à ses parents dans le contexte actuel de Sinfra,
peut donner lieu à des attaques aux provenances bizarroïdes.
Durant cette série de procédures aux
interventions administratives multiples et aux questionnaires sans fin,
Gooré sentit des malaises à répétition qui l'ont
poussé à négocier de façon sournoise le transport,
auprès de bonnes volontés et regagner la capitale
économique, en espérant y acquérir une meilleure situation
de vie.
4.2.2. Prise de décisions sans consultations
préalables
Le nouveau chef de famille, dans l'exercice de son pouvoir
familial doit préalablement consulter ses parents faute de quoi, il
pourrait faire l'objet de destitution par une réunion entre la famille
et le collège des anciens. En effet, même si ses actions
s'érigent dans le sens du bien-être de la famille, celles-ci
doivent faire l'objet d'approbation préalable par la majorité des
membres de la famille.
Dans la plupart des contrées du département, les
enquêtés révèlent que de nombreux «
nouveaux chefs de famille » sont démis au quotidien de leur
fonction paternaliste pour des raisons tenant en des actes autocratiques de
ceux-ci et à l'assujettissement foncier des autres membres.
Ainsi, selon 75% des enquêtés, les
autorités coutumières ont désormais un oeil plus regardant
sur la gestion des biens familiaux par l'héritier désigné
afin de prévenir de potentiels conflits intrafamiliaux ou
d'expropriation d'allochtones. Ce faisant, le dirigeant de la famille est de
plus en plus suivi dans ses actes tant par les acteurs de la chefferie
traditionnelle que par ses parents, afin d'éviter le bradage des terres
familiales pour des questions financières telles que constatées
dans la plupart des villages de la tribu Vinan et Bindin, pendant nos
enquêtes.
Selon l'enquêté K. (50 ans, cultivateur à
Digliblanfla) « ce type de conflit est régulier et les
interventions répétées de la chefferie ne donnent pas les
résultats escomptés
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