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Thèse unique de doctorat criminologie.


par Jean Noel PacàƒÂ´me KANA
Université Félix Houphouet Boigny d'Abidjan - Doctorat en Criminologie 2019
  

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4. Pouvoirs et limites du nouvel acquéreur dans la gestion du bien foncier collectif

4.1. Pouvoirs du concessionnaire 4.1.1. Pouvoir discrétionnaire

Selon 90 % des enquêtés, le nouveau concessionnaire des terres familiales dispose d'un pouvoir discrétionnaire quant à la mise en valeur collective des terres, au partage, à la mise en jachère ou en « zépa ». Autrement, c'est au nouveau concessionnaire que revient le pouvoir de décision quant au mode d'utilisation des terres familiales.

En ce qui concerne la mise en valeur collective, le concessionnaire peut user de sa notoriété dans la hiérarchie familiale pour exiger que les terres soient cultivées collectivement pour ainsi revêtir la dénomination « plantation de la famille A. ». De ce fait, les produits issus de cette plantation au fil des années sont cueillis collectivement, vendus et partagés soit équitablement, soit par rapport à l'âge ou encore selon le degré d'investissement physique de chaque membre dans les travaux champêtres. Ce type de plantation est fréquent dans les villages de la tribu Bindin et les villages de la sous-préfecture de Bazré.

En ce qui concerne le partage des terres familiales à des usages personnels, le nouvel héritier peut décider de repartir les terres aux ayants droits pour permettre à chacun d'effectuer les cultures de son choix (cultures vivrières ou de rente). A ce niveau, il dispose d'un pouvoir discrétionnaire et peut ajouter deux ou trois hectares supplémentaires sur sa portion dans le but d'assurer la nourriture quotidienne durant

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la période de « klata » ou encore partager à part égale les terres et laisser le soin à chacun de se prendre en charge pendant les périodes d'abondance et d'indigence alimentaire. Il faut préciser qu'à ce stade, le partage tient principalement compte des liens utérins avec le parent donateur. Autrement, les fils directs sont davantage privilégiés dans le partage des terres que les cousins ou neveux du donateur, selon la portion générale disponible.

Concernant la mise en jachère, le nouvel héritier peut demander ou exiger aux autres membres de la famille, que certaines portions restent en jachère pour des raisons d'infertilité ou de conflit avec d'autres autochtones se disant propriétaires par legs. Ainsi, cette portion demeurera en jachère durant toute la période d'investigations foncières afin de situer le véritable propriétaire et simultanément de permettre à la terre de se reconstituer en matières organiques.

Outre ces différents pouvoirs qui relèvent de la compétence du nouveau concessionnaire, se greffe la possibilité de mettre certaines portions sous le « zépa » s'il constate un faible engagement des autres membres de la famille dans les activités champêtres.

4.1.2. Droit de regard sur les récoltes

Pour l'enquêté M. de Blontifla (60 ans, planteur, entretien effectué en Mai, 2016) «le rôle de l'héritier des terres familiales s'apparente à celui d'un véritable chef de famille, il reçoit en permanence les prémices des récoltes de ses frères et des gens qui travaillent sous le zépa pour lui et sa famille. S'il ne reçoit pas ce qu'on devait lui donner, il peut se plaindre ou prendre des mesures sévères allant jusqu'à refuser la nourriture à ses frères pendant le klata ou rompre le contrat de zépa ». Ces propos de ce chef montrent que le nouvel héritier assume les mêmes responsabilités et bénéficie des mêmes privilèges que le père donateur, mais plus loin car il dispose de pouvoirs pluriels caractérisant sa position hégémonique au sein de l'institution familiale.

Le nouvel acquéreur aurait droit à une part des récoltes des autres membres de la famille et du métayeur, mieux ceux-ci seraient contraints de lui verser des prémices de leurs récoltes sous peine de stigmatisation et de privation future de nourriture pendant les moments de disette ou encore de rupture de contrat de zépa.

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Ce pouvoir est d'autant plus affirmé dans certains lignages « Djahanénin et Péhinénin » de Kouêtinfla où le nouvel acquéreur peut même exclure un membre de la famille des activités champêtres ou le rendre dépendant des récoltes de ses frères pendant une période relativement longue.

Schématiquement, les actions sociales du nouvel acquéreur envers les autres membres de la famille pourraient donner succinctement la figure suivante.

Funérailles
et autres
dépenses

Nouvel acquéreur

Autres membres de la famille

Nourriture
durant le klata

Activités
champêtres
supplémentaire

Figure 3 : Actions du nouvel acquéreur en faveur des membres de sa famille

SOURCE : Terrain

Il ressort de cette figure que le nouvel acquéreur a une triple responsabilité vis-à-vis de ses parents (soutien en temps de deuil, nourriture durant le moment de klata et activités champêtres supplémentaires).

Au niveau du soutien en temps de deuil, il faut noter que la crédibilité d'un époux en pays gouro s'évalue en fonction de sa promptitude et de la nature de ses dons lorsque sa femme est en deuil, faute de quoi, il pourrait l'objet de regards méprisants au sein de la communauté villageoise. Ainsi, en cette période délicate où le frère ou l'oncle en quête d'argent, pourrait être tenté par des ventes clandestines d'espaces familiaux, l'acquéreur des biens familiaux est implicitement contraint de lui venir en aide. Cette aide peut provenir d'une mise en gage collective d'une portion de terre familiale, d'un prêt ou de l'utilisation d'économies familiales car, au-delà de l'individu, c'est la réputation de la famille qui est mise à l'épreuve.

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Outre cette responsabilité enverguée, le nouvel acquéreur doit assurer la subsistance de la famille pendant la période de famine villageoise (de Février à Juin) pour éviter les propos dénigrants lors des réunions au sein de la communauté villageoise. L'ensemble de ces activités sociales effectuées pour le bien-être de la famille nécessite un investissement régulier de celui-ci dans les activités champêtres, seule source de revenu des kwênins.

Toutefois, ces actions nécessitent une contrepartie qui concerne principalement le don de prémices des récoltes et une assistance permanente du nouveau concessionnaire dans la gestion du bien collectif. La figure ci-dessous nous en donne les détails.

 
 

Membres de la famille

 

Prémices des récoltes

Nouvel acquéreur

Assistance
dans la gestion

Figure 4 : Actions des membres de famille en faveur du nouvel acquéreur

SOURCE : Terrain

A partir de cette figure, il apparait que les membres de la famille, eu égard aux efforts qu'effectue le nouveau chef de famille, font preuve de reconnaissance, même si dans le fond, celle-ci parait obligatoire. Cette reconnaissance « obligatoire » se manifeste par des dons de prémices de récoltes et une assistance permanente à ce nouveau chef de famille dans la gestion de la famille et de ses terres. De ce fait, les décisions prises par celui-ci ne sont pas exclusivement le résultat d'une réflexion personnelle, mais plutôt le fruit d'une concertation générale pour l'intérêt général.

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Cependant, le nouveau concessionnaire, même s'il dispose de pouvoirs quant à la gestion des terres familiales, ceux-ci connaissent quelques limites.

4.2. Limites du concessionnaire

4.2.1. Bradage des terres familiales

« Mon fils, quand un père désigne un de ses fils pour le succéder, il ne doit jamais vendre les terres, il doit les garder, les partager à ses frères (frères de sang et cousins) et ses papas (oncles). Parce que s'il gère mal et vend les terres à cause de problème qui ne finit jamais, nous, on va encourager et aider ses parents à prendre leurs terres et il va rembourser l'argent qu'il a pris avec eux ». Ces propos recueillis auprès du sage de Djamandji (planteur, 72 ans), montrent que certes celui qui hérite des terres familiales, a en charge la gestion des terres, mais doit en faire bon usage (partage aux ayants droits, culture d'ensemble ou jachère). Il ne doit en aucun cas les vendre, encore moins les mettre en gage personnellement pour des besoins financiers. Ses actions doivent se circonscrire dans la préservation de ce patrimoine familial en vue d'un profit collectif.

Relativement au mode de gestion des terres familiales, l'enquêté G. (38 ans, cultivateur à Béliata ; entretien de Juillet, 2015) nous racontait que dans le village Digliblanfa, le père Zouogouli, à sa mort n'avait qu'un seul fils Gooré, mineur (10 ans). La gestion de ses terres a donc été confiée à son oncle qui les brada les unes après les autres et ce, au moindre problème financier.

A l'âge de vingt-un, âge supposé de la stabilité psychologique chez les kwênins, l'oncle tardait à montrer les terres au jeune Gooré qui errait de plus en plus dans le village. Ainsi, de rencontres en rencontres, les sages demandèrent à l'oncle de restituer quelques portions de terres à l'enfant afin que celui-ci puisse se fonder une famille puisque la tradition recommande d'avoir une terre à cultiver avant d'être apte à concéder un mariage. Mais, la restitution paraissait quasi-impossible puisque d'une part, ceux qui avaient acheté les terres y avaient planté des cultures de rente et d'autre part, qu'il ne restait que les trois hectares de forêts que l'oncle avait réservées à son usage personnel.

Le jeune Gooré intenta une série de procédures coutumière, administrative et pénale contre son oncle qui s'avéraient longues et exposant le jeune à des récupérations ou interprétations fétichistes. Toutefois, il faut préciser que revendiquer sans cesse les

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terres à ses parents dans le contexte actuel de Sinfra, peut donner lieu à des attaques aux provenances bizarroïdes.

Durant cette série de procédures aux interventions administratives multiples et aux questionnaires sans fin, Gooré sentit des malaises à répétition qui l'ont poussé à négocier de façon sournoise le transport, auprès de bonnes volontés et regagner la capitale économique, en espérant y acquérir une meilleure situation de vie.

4.2.2. Prise de décisions sans consultations préalables

Le nouveau chef de famille, dans l'exercice de son pouvoir familial doit préalablement consulter ses parents faute de quoi, il pourrait faire l'objet de destitution par une réunion entre la famille et le collège des anciens. En effet, même si ses actions s'érigent dans le sens du bien-être de la famille, celles-ci doivent faire l'objet d'approbation préalable par la majorité des membres de la famille.

Dans la plupart des contrées du département, les enquêtés révèlent que de nombreux « nouveaux chefs de famille » sont démis au quotidien de leur fonction paternaliste pour des raisons tenant en des actes autocratiques de ceux-ci et à l'assujettissement foncier des autres membres.

Ainsi, selon 75% des enquêtés, les autorités coutumières ont désormais un oeil plus regardant sur la gestion des biens familiaux par l'héritier désigné afin de prévenir de potentiels conflits intrafamiliaux ou d'expropriation d'allochtones. Ce faisant, le dirigeant de la famille est de plus en plus suivi dans ses actes tant par les acteurs de la chefferie traditionnelle que par ses parents, afin d'éviter le bradage des terres familiales pour des questions financières telles que constatées dans la plupart des villages de la tribu Vinan et Bindin, pendant nos enquêtes.

Selon l'enquêté K. (50 ans, cultivateur à Digliblanfla) « ce type de conflit est régulier et les interventions répétées de la chefferie ne donnent pas les résultats escomptés

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo