II. ETAT DE LA LITTÉRATURE
Cette partie vise à faire un tour d'horizon des
publications les plus importantes en ce qui concerne le
télétravail.
Nous commencerons avec les travaux qui visent à
historiciser le télétravail, en revenant à sa
genèse (A.) et avec ceux qui démontrent la pluralité des
définitions associées avec cette pratique.
Ensuite, nous nous concentrerons sur les perspectives
actuelles (B.) dont découle le dessin de nouvelles normes de management
(C.). Nous avons retenu en particulier les recherches qui traitent du
changement en termes d'espace et de temps et de la redéfinition de la
présence.
Enfin, nous avons associé ces normes à une
intégration (D.), qui peut se faire par la normalisation (1.), le
conformisme (2.), ou au sein d'une dynamique de mise en scène (en
reconfigurant la théorie goffmanienne) (3.).
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La littérature qui entoure le télétravail
et ses enjeux est très variée. Les disciplines qui sont
emparées en premier lieu de ce sujet sont les sciences du management, de
la gestion et de l'économie (avec pour intérêts principaux
la productivité et la supervision malgré la distance). Puis, les
chercheurs en psychologie s'y sont intéressés pour traiter -
entre autres - des avantages et des risques que peuvent représenter le
travail pour le bien-être mental des travailleurs. La sociologie
classique reste plutôt en marge - bien qu'on puisse y inclure les
études d'organisations - et principalement anglo-saxonnes. C'est la
pensée d'Erving Goffman qui est mise en avant, en élargissant le
champ des rencontres en face-à-face à des communications
médiées (qui étaient pourtant mises de côté
par l'auteur).
Le télétravail est donc à la
croisée des chemins. Mais cela n'empêche pas aux disciplines de se
croiser et d'observer, quoi que de différentes façons, des
mêmes phénomènes. C'est pour cela que nous avons choisi
d'analyser cette littérature non pas par domaine d'étude, mais
par enjeux. Il reste que certains des enjeux sont plus abordés que
d'autres selon la discipline. Nous préciserons dans ce cas quelle
discipline est dominante.
A. LA GENÈSE DU TÉLÉTRAVAIL
L'histoire des débuts du télétravail et
l'idéal qu'il pouvait alors représenter est abordé par
Alexandre Largier/3, sociologue des organisations. Il y
décrit les différents projets que l'on peut associer au
télétravail (politique, managérial, et lié au mode
de vie). Le télétravail apparaît en premier lieu comme un
projet politique porteur d'espoirs. Dans les années 1970 les
progrès technologiques - et notamment ce de ce que l'on appelle alors l'
« Arpanet » - font entrevoir la possibilité d'une
communication de plus en plus rapide :
« Pour Jack Nilles, le télétravail est
le résultat de la substitution des télécommunications aux
transports de biens et de personnes. Le télétravail devient alors
un mythe. Selon une vue optimiste, il est ce qui permet de restructurer le
territoire, de créer des emplois dans des zones économiquement
peu développées en déplaçant des
activités.
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A contrario, selon un point de vue plus pessimiste, par
assimilation du télétravail avec l'automatisation des
activités, il va devenir responsable d'une partie du
chômage.
Le télétravail prend place dans un
récit où l'imaginaire côtoie le réel. »
(Largier - p :214)
« Il fait alors partie d'un ensemble de solutions
censé remédier à des maux de grande ampleur. »
(Largier/3 - p :212)
D'ailleurs, de nombreux penseurs originaires des Etats-Unis
estimaient que le télétravail était voué à
se généraliser :
« AT&T (American Telephon & Telegraph) en
1971, postulait que tous les salariés américains seraient
télétravailleurs en 1990 (Huws, 1984) » (in Ruillier
& al p :5).
Ce n'est qu'à partir des années 2000 que
l'implémentation du télétravail sera réellement
faisable :
« Craipeau (2010, p. 114) précise qu'il a fallu
attendre « l'explosion des techniques de télécommunication
au début des années 2000 » (Internet, micro-ordinateurs,
téléphones portables) pour que l'équipement
nécessaire au télétravail se banalise. » (in
Vayre - p :2) Cependant, comme nous l'avons vu dans la partie sur la
contextualisation, ce mode de travail est resté très minoritaire
en France (3% des salariés selon la DARES*). Les raisons de la faible
appropriation du télétravail sont multiples (désavantages
organisationnels et psychologiques, blocages liés aux normes de travail
en France), nous allons les traiter après avoir établi une
définition, ou plutôt, un ensemble de définitions.
MULTIPLICITÉ DES
DÉFINITIONS
La multiplicité des définitions du
télétravail est un phénomène qu'observent la
quasi-totalité des auteurs qui s'y intéressent. Comme le souligne
Alexandre Largier/3 :
« D'une définition à l'autre, la
réalité du télétravail est donc multiple. Comme le
remarquent B. Fusulier et P. Lannoy, le nombre de
télétravailleurs peut aller du coup, pour la France, de quelques
milliers à plusieurs centaines de mille. De ce fait, le
télétravail peut
être présenté comme un fait de
société ou comme un épiphénomène. »
(Largier/3 p : 208).
Il précise lesquelles dans le passage suivant :
« Une première définition, de U. Huws, WB. Korte et de
S. Robinson, fait uniquement référence à la distance. Une
deuxième, donnée par M. H. Olson, restreint le
télétravail au travail effectué à domicile en
utilisant les nouvelles technologies de communication. Une troisième,
enfin, vient de J.M. Nilles. Celle-ci élargit le
télétravail à toutes les substitutions d'un
déplacement professionnel par les technologies de communication. »
(Largier/3 - p :208 )
En résultent quatre formes de
télétravail, que la psychologue Emilie Vayre
résume/11 de manière assez simple :
« (1) le télétravail au domicile
à temps plein ou permanent (le travail est réalisé
exclusivement ou quasi exclusivement au domicile)
(2)
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le télétravail au domicile en alternance,
pendulaire ou à temps partiel (le salarié effectue au moins une
journée de télétravail par semaine exclusivement au
domicile),
(3) le télétravail nomade ou mobile (le
travail implique des déplacements professionnels et le
télétravailleur combine différents lieux de travail :
hôtel, domicile, locaux des clients, transports, etc.), et
(4) le télétravail dans des tiers-lieux
dédiés au télétravail, c'est-à-dire en
télé-centre, bureau satellite ou espaces de coworking (le travail
est effectué dans des locaux consacrés au travail, situés
hors de l'entreprise et en principe à proximité du lieu
d'habitation du salarié). » (Vayre/11 - p :5)
Malgré cet écart notable entre les
définitions, il y a un assez grand consensus sur les
caractéristiques socio-économiques des
télétravailleurs :
« Les télétravailleurs sont en
majorité des personnes qui travaillent à temps plein, qui
occupent des postes à responsabilités (par exemple, cadres ou
encadrants), qui ont un niveau de formation initiale élevé
(diplômés du supérieur), d'âge moyen (35-50 ans),
plutôt des hommes, vivant en zone urbaine, en couple et ayant un ou des
enfant(s) » (Vayre- p :6) Cette description d'un idéal type
est bien sûr à revoir à la lumière de l'extension du
télétravail du fait de la crise sanitaire (l'âge, par
exemple, est amené à baisser et les femmes comme on l'a vu,
télé-travaillent beaucoup plus).
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