C. LE TÉLÉTRAVAIL À L'HEURE DU
CORONAVIRUS
Une étude de l'INSEE12
réalisée au terme du premier confinement a montré l'impact
de l'épidémie du Coronavirus sur l'emploi, et plus
particulièrement sur le travail à distance. Le nombre de
personnes ayant eu recours au télétravail a doublé par
rapport à 2019, pour atteindre près d'une personne sur deux (47%
des actifs*) [Attention : si l'on analyse le rapport de la DARES13
qui mesure la pratique à « l'instant t » du
télétravail, les chiffres descendent à 25% - il reste que
la proportion a augmenté de façon inédite].
La pratique du télétravail n'a pas
été uniforme pour autant : « Pour ceux qui ont
travaillé, le travail à domicile a été très
majoritaire pour les cadres (81 %), et, dans une moindre mesure, pour les
artisans, commerçants et chefs d'entreprise (60 %), ou dans les secteurs
de l'enseignement (81 %) et des services aux entreprises (71 %). À
l'inverse, une très faible part d'ouvriers (4 %) ou d'employés
non qualifiés (18 %) qui ont travaillé pendant le confinement
l'ont fait depuis leur domicile. ». Cela peut s'expliquer par la
nature de chaque métier qui rend plus ou moins dispensable l'usage de
matériel et par le degré d'équipement informatique.
Le confinement accentue la tendance déjà
présente des cadres à travailler à distance et
généralise une pratique qui était jusqu'alors minoritaire
chez les salariés (de 5 à 37% pour les employés
qualifiés).
L'étude de la DARES (mars 2020) précise que
« le télétravail est particulièrement
fréquent dans les secteurs de l'information et de la communication (63%
des salariés), et les activités financières et d'assurance
(55 %), dans lequel il était déjà nettement plus
répandu avant la crise. Il l'est moins dans
l'hébergement-restauration (6 % des salariés), la construction
(12%), l'industrie agro-alimentaire (12 %) et les transports (13%)
»13.
On observe dans l'enquête de l'INSEE une
différence des sexes (51% des femmes contre 43% des hommes) dans le
recours au télétravail (différence qui n'était pas
présente en 2019). Il est possible que le télétravail ait
été plus courant chez les femmes pour des raisons d'organisation
familiale, mais cela nécessiterait une étude plus approfondie.
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En termes d'âge, l'enquête rapporte que ce sont
les moins de 25 ans qui ont, en proportion le plus adopté le
télétravail. On peut supposer qu'il s'agit de profils plus
juniors qui ont, en temps normal, moins accès à ce mode de
fonctionnement. La généralisation du télétravail
dans les entreprises où cela était possible a pu
éloigner
le frein de l'expérience professionnelle pour
pouvoir télé-travailler.
11
Dans la pratique effective du télétravail
durant le confinement 2020, on observe donc une surreprésentation des
cadres, des femmes et une grande augmentation chez les jeunes de moins de 25
ans.
Þ Actualités sur le télétravail
Nous analyserons la manière dont est abordée le
télétravail au regard du contexte, de la première vague au
début de la troisième (début du terrain), puis à
partir de juin (moment de l'analyse)
Le télétravail a connu un gain quasi exponentiel
d'intérêt sur internet, et plus particulièrement sur les
sites d'actualité. Après avoir effectué une recherche
« Google Trends » (qui comptabilise le nombre de requête sur un
mot clé (ici « télétravail ») entre janvier 2018
et aujourd'hui, les résultats suivants apparaissent.
1. PREMIERE VAGUE
Le premier pic d'intérêt, daté du 15 mars
2020, correspond à un communiqué du gouvernement faisant suite
à l'annonce du premier confinement.14. Le site officiel
précise : « Près de 8 millions d'emplois (plus de 4
emplois sur 10) sont aujourd'hui compatibles avec le télétravail
dans le secteur privé. Il est impératif que tous les
salariés qui peuvent télétravailler recourent au
télétravail jusqu'à nouvel ordre. ». Cette
décision a généré de nombreux relais dans la presse
ainsi qu'au sein de syndicats patronaux et salariés.15
12
Une partie des articles de presse traite de l'aspect
légal et politique de la mesure [1]. De nombreux journaux publient des
« questions-réponses » avec l'aide d'experts juridiques, une
démarche pédagogique qui souligne le caractère inconnu de
cette manière de travailler pour les salariés concernés
[2].
D'autres abordent des aspects plus pratiques, en lien avec le
quotidien des travailleurs : le travail s'inscrit dans l'espace privé
[3]. Au premier confinement, les écoles étaient fermées,
ce qui impliquait la présence d'enfants en parallèle de
l'activité professionnelle de parents. La frontière entre vie
professionnelle et vie personnelle a diminué (hyper connectivité)
et les interruptions du bureau ont été remplacées par des
coupures de la vie quotidiennes.
2. DEUXIEME VAGUE
Le deuxième pic dans les recherches sur le terme
« télétravail » se situe autour du 29 octobre, date
où le président de la République a annoncé le
deuxième confinement. Un confinement « plus souple »,
où l'économie devrait être préservée mais
où le travail à distance est préconisé. Dans les
deux semaines qui ont suivi, de nombreuses précisions sur le
télétravail ont été faites par le gouvernement,
accompagnées de négociations au sein des parties prenantes.
Durant ce laps de temps, la presse a donc fait état de la posture du
pouvoir exécutif qui a durcit ses prérogatives face à des
entreprises réfractaires [4], des difficultés à trouver un
accord syndical [5], mais également des risques psycho-sociaux
liés à une telle activité [6] ainsi que des
questionnements quant à sa productivité [7].
3. TROISIEME VAGUE
13
A la veille du terrain (soit la fin du mois de février
2021), il y avait une grande incertitude au sein de la population quant
à un troisième confinement national et de nombreuses
interrogations de la part des media [8]. Les restrictions étaient alors
régionales, avec un couvre-feu à 18h depuis le 14 janvier dans
les zones concernées. Les entreprises étaient autorisées
à mettre en place un jour de présentiel, mais nombreuses
étaient celles qui faisaient un usage abusif des attestations employeur
[9].
Il y a eu, cependant, une avancée claire sur le statut
juridique du télétravail qui a finalement fait l'objet d'un
accord16 entre les différents syndicats (à
savoir tous les partenaires sociaux à l'exception de la CGT). Cet accord
indique que la pratique du télétravail doit être l'issue
d'une volonté à la fois de l'employeur et de l'employé qui
se matérialise sous la forme d'une charte. L'accord prévoit
également la prise en charge des frais liés à
l'installation du travail à domicile :
En ce qui concerne l'organisation matérielle et les
frais afférents au télétravail, dans la fonction publique,
l'article 6 du décret du 11 février 2016 dispose que «
l'employeur prend en charge tous les coûts découlant directement
de l'exercice des fonctions en télétravail, notamment le
coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et
outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci »17.
Selon un sondage réalisé par l'institut CSA pour
Malakoff Mederic «près d'un tiers des salariés du
privé en télétravail fin 2020, en moyenne 3,6 jours par
semaine» durant cette période [10].
La France était très frileuse à
l'idée d'instaurer un troisième confinement sur tout le
territoire et le discours officiel consistait à dire que le reste des
mesures, y compris les couvre-feu, pourraient servir à éviter un
tel scénario [11]. La prise de parole d'Emmanuel Macron a
été attendue à plusieurs reprises, et c'est finalement le
31 mars que le président s'exprime pour annoncer que le reconfinement
aura bien lieu, pour une durée de 4 semaines à compter du 3
avril, et avec un couvre-feu à 19h [12]. Le télétravail
est à nouveau prescrit 5 jours sur 5 ce qui a, encore une fois
entraîné un pic dans les recherches Google (pour le terme
«télétravail») :
14
Le terrain s'est déroulé dans un contexte
économique très difficile : des hôpitaux qui manquent de
moyens et sous haute tension, des restaurants au bord du dépôt de
bilan et une «PME sur deux (qui se dit) incapable de supporter un
troisième confinement» [13]. La santé mentale des
français est alors dans un état critique : selon cet article, ce
sont «21 millions de français» dont le moral est «mis
à l'épreuve» [14]. Lorsque la recherche a été
faite, la part du travail a pris le pas de manière significative sur la
part des rencontres sociales et le divertissement. L'horizon du vaccin a
néanmoins été une perspective rassurante pour un
été moins douloureux (malgré une attitude divisée
chez les français)
* *
Au moment de l'écriture de ce mémoire, les
commerces et les terrasses rouvrent, et le télétravail n'est plus
obligatoire pour les entreprises : la ministre de l'économie
préconise tout de même de continuer à rester 3 jours
à domicile. Une étude de l'INSEE montre que le moral des
français remonte [15], grâce à un ensemble de facteurs
(arrivée du vaccin, reprise commerciale, sociabilité,
météo, vacances approchantes).
On observe que le télétravail fait toujours
l'objet de nombreuses résistances : le gouvernement a des
difficultés à l'imposer dans les faits au sein des entreprises,
les accords officiels peinent à émerger, et on note l'apparition
de risques psycho-sociaux (isolement, addictions). La productivité de
cette pratique est, en outre, difficile à mesurer car le temps
gagné en transport peut être également perdu par des
interruptions dans le cadre privé.
L'heure est donc au bilan, et au questionnement : comment le
télétravail a-t-il été appliqué ? A-t-il
été bien vécu, cela a-t-il nuit ou contribué
à la productivité ? Les institutions, publiques comme
privées, sont curieuses d'en savoir plus et en appellent aux
études. Nous allons tenter d'apporter des éléments de
réponse, à notre échelle. La spécificité de
notre recherche est qu'elle s'est faite «à chaud», ce qui rend
le témoignage authentique mais également très subjectif.
Toutefois, avec le recul, certains propos seraient sans doute modulés,
altérés.
L'enjeu d'actualité est de savoir si le
télétravail peut ou non devenir un mode de travail comme un autre
et s'intégrer pleinement dans le paysage professionnel
français.
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