4. 2 Les causes de l'insécurité
Ainsi, les racines de l'insécurité et du
terrorisme dans l'espace Sahélo-Saharien ne se trouvent pas seulement
dans l'absence de développement et dans la fragilité des Etats,
mais aussi et surtout dans les contentieux chroniques qui opposent des clans ou
des tribus entre eux d'une part ou entre eux et leur Etats d'autre part. En
outre, il existe de multiples contentieux qui entretiennent de profonds
ressentiments aisément manipulables dans les pays Sahéliens. Une
partie de la population locale apporte, directement ou indirectement, une
précieuse assistance aux forces du mal qui investissent les espaces non
sécurisées pour avoir des soutiens nécessaires à
leur sécurité et à leur vie économique
quotidienne.
Les enjeux à l'origine de ces conflits et crises au
niveau des communautés locales sont multiples et complexes (historiques,
économiques, politiques, géopolitiques ou
géostratégiques). Dans le cadre des conflits internes, les replis
identitaires et des considérations religieuses sont souvent à
l'origine des conflits. Dans la plupart des cas l'absence de l'Etat et sa
gestion des politiques locales attisent ces conflits, si ce n'est pas fait
sciemment. Les communautés s'affrontent alors pour des positionnements
politiques et géopolitiques différentes, ce qui se traduit par
une lutte entre groupes ou individus en vue d'une suprématie locale.
Cette gestion du local par le pouvoir central entraine la
monopolisation du pouvoir par certains individus qui ne sont pas souvent le
choix des populations locales.
C'est un système qui perpétue l'injustice
sociale et la marginalisation de certaines composantes sociales.
46
Ce sont là aussi des origines de certaines tensions et
crises qui entraînent des affrontements entre des entités
ethniques qui partagent le même espace. L'exemple de certains Etats du
Sahel comme le Mali, le Niger, et le Nigeria est typique de cette gestion.
C'est un système de gestion politique qui ne laisse aucune place
à l'existence d'une société civile susceptible de
contribuer à l'apaisement.
L'appareil d'Etat marginalise et rend inopérante la
société civile et ne peut constituer aucun contrepouvoir digne de
ce nom. Cette situation génère de vives tensions qui se
traduisent par des violences et confrontations armées. L'exemple des
crises intra-communautaires au sein des groupes Touaregs du Nord du Mali et
intercommunautaires entre les sédentaires et les nomades
représentent une illustration de cette réalité.
Enfin, la non sécurisation et la porosité des
frontières peut faciliter la contagion d'une crise ou d'un conflit par
la facilité de circulation d'hommes et d'armes d'un pays à un
autre. C'est le cas des affrontements qu'on voit aux frontières du Mali
avec le Niger, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire et aussi
l'Algérie qui ont impliqués les populations et les gouvernements
des pays concernés. Il apparaît donc que les enjeux et les causes
à l'origine des conflits sont divers et résultent de
phénomènes sociaux, politiques, stratégiques et
géographiques emboités.
Au Sahel, toutes les communautés, notamment rurales
vivent dans des situations de détresse permanente et voient leur
condition d'existence se dégrader de jour en jour. La pauvreté
jointe à la discrimination ethnique ou régionale constitue une
recette omniprésente pour créer des troubles justifiés par
une lutte de tous les instants et avec tous les moyens y compris ceux qui
proviennent des groupes terroristes.
Au Mali, par exemple depuis 2012, des groupes tribaux nomades
et des leaders sédentaires ou de communautés nomades pour exercer
ou récupérer une partie de pourvoir sur leur territoire se
livrent à une course effrénée dans les recherche d'appuis
auprès de toutes entités ou organisations existantes susceptibles
de leur procurer assistance pour détenir ou récupérer une
certaine hégémonie locale ou régionale.
Les populations maliennes notamment du Nord ont en
présence principalement cinq (05) structures qui partagent l'espace
politique et économique : L'Etat malien, la MINUSMA (Mission
multidimensionnelle de stabilisation intégrée des Nations Unies
au Mali), l'opération armée française « Barkhane
», les groupes armés (anti et pro-Etat) et les groupes
Islamistes-Djihadistes.
Ils se voient alors obliger de pactiser soit avec l'Etat qui
est fragilisé depuis 2012 et ne vit qu'avec l'aide internationale. Il
est alors démunit et ne peut aider véritablement une population
qui manque de tout.
47
Soit avec la « MINUSMA» ou avec l'opération
« Barkhane » qui ont un mandat d'accompagnement et de stabilisation
pour la paix et de protection des populations. Elles ne peuvent non plus offrir
qu'une assistance socio-économique limitée en fonction de leur
mandat et missions. Soit les mouvements armés dont les deux principaux
sont la CMA (coordination des mouvements de l'Azawad) anti-Etat malien et la
plateforme regroupant plusieurs mouvements pro-Etat, qui eux
non plus ne peuvent aider véritablement les populations locales en
raison du fait qu'eux même n'existent et ne tirent leur revenu
qu'auprès de l'Etat et des partenaires ci-dessus cités.
Enfin le cinquième acteur local le plus disponible et
le plus solvable, qui ne cherche qu'à s'implanter et faire le maximum
d'alliance auprès des communautés locales et qui apporte l'aide
demandée reste les groupes terroristes dits « islamistes ». En
raison de cette aide substantielle, ces derniers finissent par s'implanter dans
le milieu en tissant de multiples liens avec les communautés y compris
par des liens de mariage et offrent des conditions suffisamment attractives,
tout ce que les autres partenaires n'arrivent à offrir. Cette situation
décrite notamment pour le nord du Mali vaut également
actuellement pour son centre.
Il s'en suit alors que plusieurs individus, notamment jeunes
au Mali rejoignent le camp des « terroristes » non pas par
affinités idéologiques, mais pour espérer une protection
sur tous les plans. Pour certains c'est tout simplement une stratégie de
survie dans un univers en perpétuel chaos, nous assistons alors à
la naissance de `'pseudos terroristes» mais qui sont autant dangereux que
`'les vrais terroristes.»
Les préoccupations sécuritaires, telles que
celles liées à l'environnement, à la sécheresse et
à l'exclusion sociale, font peser une menace existentielle sur les
populations nomades. Paradoxalement, ce sont les stratégies d'adaptation
et les possibilités de recours qui donnent de la résilience aux
populations cherchant à surmonter ces menaces qui sont
considérées par les acteurs étatiques comme
représentant de graves menaces pour l'État et résistant
à des représailles militaires.
Par extension, la porosité des frontières, qui
pourtant constitue un facteur de résilience pour des populations dont
l'un des mécanismes d'adaptation est de pouvoir franchir les
frontières afin de réduire leur insécurité, est
également la source même de la menace qui pèse sur l'
État.
Les besoins de survie et de développement humain des
personnes et des communautés et le recours à des
mécanismes d'adaptation négatifs en réponse à la
politique d'exclusion de l'État et aux menaces existentielles a
amené certains groupes à collaborer avec des groupes terroristes
et des réseaux criminels déclarés.
48
Les migrations/mouvements transfrontaliers représentent
une source de moyens d'existence, de résilience, d'adaptation et de
survie et représentent une source et une forme de menace à la
sécurité et les approches régionales de
l'intégration pourraient soit aggraver soit réduire cette
tension. Malheureusement cette situation décrite ci-dessus au Mali est
pratiquement identique dans tout le Sahel, voire tout le continent à
l'image du Burkina Faso, du Niger, du Nigeria, des différents clans en
Somalie. En outre, au Sahel, comme d'autres pays d'Afrique, le radicalisme
religieux est devenu un moyen efficace pour se positionner en réglant
les comptes à ceux qu'on estime être plus présent sur la
scène politique. C'est également le meilleur moyen pour se
procurer des armes pour mener à bien ces conflits ou simplement pour se
protéger des autres. Il est perçu également comme
étant un moyen de lutter contre le chômage endémique des
jeunes et de gagner en notoriété pour le salut de sa
communauté.
Pendant tout mon séjour, les causes immédiates
que j'ai pu recueillir lors de mes entretiens sont entre autres :
L'insécurité alimentaire
l'insécurité alimentaire est un facteur car, elle conduit
à l'exode des populations, mais fragilise leur résistance aux
offres des groupuscules qui sévissent dans la zone. Ces populations ont
déjà franchi le seuil d'urgence et ont besoin d'une assistance
alimentaire immédiate.
La montée des réseaux djihadistes et des
réseaux criminels : les conflits et les formes
d'insécurité prévalant dans les pays sahéliens et
leurs auteurs se sont transformés de mouvements animés par des
griefs en phénomènes complexes, en produisant des incidences sur
le plan interne et régional. Cela a été tout
particulièrement manifeste au Mali et au Nigéria, avec de graves
conséquences pour le Niger.
La corruption et les privations sociales et économiques
généralisées tous les pays sahéliens en particulier
le Mali possèdent des ressources naturelles considérables.
Cependant, il est confronté à des problèmes de
gouvernance. Ainsi, il n'a pas pu mettre en place une gestion efficace de
l'explosion démographique des jeunes et des problèmes de
chômage et de vulnérabilité à la radicalisation qui
en découlent. L'incapacité de rompre un cycle, dans lequel
l'exclusion et les griefs non résolus produisent une opposition violente
à l'État, renforce les discours des mouvements insurrectionnels
extrémistes et fournit une justification à leur cause.
La dynamique mondiale et le contexte global de la guerre
contre le terrorisme a suscité des discours et des contre-discours
présentant les groupes radicaux islamiques comme une menace aux cultures
démocratiques et la civilisation occidentale comme une menace à
l'Islam.
La mal gouvernance est une cause de conflit, tout comme la
pauvreté, l'exclusion le sont tout autant.
49
Causes structurelles ·
V' Le stress environnemental :
découlant de leur situation géographique expose les pays du Sahel
et leurs populations à des conditions telles que la sécheresse,
la désertification, les variations de la pluviosité
accompagnées d'incidences sur la sécurité alimentaire et
les moyens d'existence. Cela conduit à une série de
problèmes : tensions internes, déplacements et
arrivées/départs de flux de réfugiés, migrations
(de jeunes), violence intercommunautaire et relance de l'irrédentisme
(touareg) et instabilité politique.
V' Les griefs historiques : à des
degrés divers, ils ont compliqué les relations entre groupes et
la dynamique politique ainsi que les processus d'édification de
l'État dans les pays sahéliens étudiés.
L'incapacité des États de répondre de manière
appropriée à des griefs profondément enracinés a
exacerbé les problèmes existants, qui se sont amplifiés
pour se manifester par la propagation du terrorisme, de la criminalité
et du djihadisme dans le Sahel.
V' Le processus fracturé de consolidation de
l'État : bâtir une identité nationale commune et
un destin commun au sein des populations des États sahéliens a
été un défi profondément ancré à
l'origine des conflits.
V' L'explosion démographique des jeunes
: dans tous les pays sahéliens ayant fait l'objet de
l'étude, la population se compose en moyenne à plus de 60 % de
jeunes de moins de 25 ans. Les implications de cet état de choses sont
fort graves, sans compter que s'y ajoutent les défis du stress
environnemental, l'exclusion sociale et économique et
l'instabilité politique. 6 Les conflits dans la région du Sahel
et leurs conséquences pour le développement.
Causes immédiates et facteurs perpétuant
les conflits :
V' La migration : dans tous les pays
sahéliens, elle fait partie de la vie quotidienne des populations, pour
des raisons indépendantes des conditions climatiques.
Les flux de réfugiés, qui se déplacent
parfois avec leur bétail hors des zones du Mali, du Niger et du nord-est
du Nigéria en proie à la guerre, accroissent
l'insécurité.
V' L'insécurité alimentaire :
les estimations actuelles relatives à l'insécurité
alimentaire indiquent un nombre total de 19,8 millions de personnes, dont au
moins 2,6 millions ont
déjà franchi le seuil d'urgence et ont besoin d'une
assistance alimentaire immédiate.
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y' Les coups d'État à motivation
politique : des coups de force militaires, des mutineries et des
ingérences ouvertes ou déguisées dans la vie politique se
sont produits régulièrement dans les pays de première
ligne. En règle générale, les politiques d'exclusion ainsi
que les politiques répressives associées à la politisation
des établissements chargés de la sécurité
constituent d'importants facteurs d'instabilité et
d'insécurité dans le Sahel.
y' La montée des réseaux djihadistes et
des réseaux criminels : les conflits et les formes
d'insécurité prévalant dans les pays sahéliens et
leurs auteurs se sont transformés de mouvements animés par des
griefs en phénomènes complexes, en produisant des incidences sur
le plan interne et régional. Cela a été tout
particulièrement manifeste au Mali et au Nigéria, avec de graves
conséquences pour le Niger.
y' L'insécurité et les conflits
régionaux et transfrontaliers : la sécurité des
États sahéliens est invariablement liée à la
dynamique régionale et transnationale relative à la
sécurité, certains pays étant plus exposés à
cette dynamique que d'autres.
y' La corruption et les privations sociales et
économiques généralisées: tous les pays
sahéliens considérés dans la présente étude
possèdent des ressources naturelles considérables. Cependant, ils
sont tous confrontés à des problèmes de gouvernance.
Ainsi, ils n'ont pas pu mettre en place une gestion efficace de l'explosion
démographique des jeunes et des problèmes de chômage et de
vulnérabilité à la radicalisation qui en découlent.
L'incapacité de rompre un cycle, dans lequel l'exclusion et les griefs
non résolus produisent une opposition violente à l'État,
renforce les discours des mouvements insurrectionnels extrémistes et
fournit une justification à leur cause.
y' La dynamique mondiale et le rôle des acteurs
externes : le contexte global de la guerre contre le terrorisme a
suscité des discours et des contre-discours présentant les
groupes radicaux islamiques comme une menace aux cultures démocratiques
et la civilisation occidentale comme une menace à l'Islam. La dynamique
créée ultérieurement dans le Sahel n'a fait qu'accentuer
ce phénomène.
La présence d'un éventail d'acteurs
extérieurs (y compris ceux chargés de la sécurité
et le personnel des industries extractives) dans le Sahel ne va pas
nécessairement dans le sens d'une transformation de cette dynamique au
profit des populations sahéliennes.
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