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Villes de la Peur, Pratiques et Discours Sécuritaires au Brésil

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par Alix Macadré
Université de Bretagne Occidentale (UBO) - Master 2 Anthropologie 2018
  

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III/ Sentiment d'insécurité

L'augmentation de la criminalité et la circulation du discours sur le crime produisent une aggravation du sentiment d'insécurité chez les populations des métropoles brésiliennes. Natal ne fait pas figure d'exception. Qu'il s'agisse des habitants du Conjunto dos Professores avec lesquels je me suis entretenus ou que je considère toutes les personnes avec lesquelles le sujet de la violence a été évoqué, les opinions ne divergent pas et sont sans équivoque : jusqu'à il y a environ 15 ans, les Natalenses se sentaient en sécurité dans leur ville. Cette époque est d'ailleurs souvent remémorée avec une certaine nostalgie et est parfois évoquée à l'aide d'images « romantisées » qui signifient l'existence d'un temps perdu et regretté, effacé derrière l'ombre de la criminalité :

48 Traduction de l'auteur

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« Quand j'étais jeune c'était pas comme ça, on n'avait pas tous ces problèmes qu'on a aujourd'hui. Natal c'était une ville super tranquille, une des plus tranquilles du Brésil même. Alors qu'à Rio la situation était déjà chaotique, nous ici, on vivait très bien. On passait des heures sur les places sans se soucier de rien. Les portes étaient toujours ouvertes et on restait discuter avec nos voisins devant la maison. Les enfants se baladaient dans la rue même après la nuit tombée. »49

Entretien avec Sylvania, 61 ans, retraitée et participante au Conseil communautaire de sécurité du Conjunto dos Professores - 12 avril 2017.

Aujourd'hui la situation est toute autre. À de rares exceptions près, l'ensemble des personnes interrogées admettent ressentir un fort sentiment d'insécurité dans de nombreuses situations de la vie quotidienne. Cristina raconte : « Nous ressentons tous un sentiment de peur, de panique pour sortir dans la rue. Moi par exemple après avoir été agressée, je suis restée 6 mois sans aller dans la rue. » (Entretien avec Cristina, 44 ans,

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juin 2017). La voie publique est en effet un espace redouté par l'ensemble des enquêtés et un grand nombre d'entre eux affirme ne pas avoir le courage de sortir à pieds. Mais l'insécurité se fait ressentir également dans d'autres lieux : au restaurant, sur le lieu de travail, ou même au sein du propre foyer. À ce propos Maria explique que :

« Il y a des vagabonds qui traînent dans le quartier ces derniers temps, la nuit. Ça fait environ un mois que ça dure. Presque toutes les nuits il sont là, juste dans la rue. Ils essayent de rentrer dans les maisons. Je le sais, moi je ne dors plus et presque toutes les nuits j'entends les chiens qui aboient. Toujours à la même heure, entre 3 et 4h du matin. La semaine dernière il y en avait un dans le jardin d'une voisine, on l'avait repéré et la police était en route mais il a réussi à s'enfuir avant que les policiers n'arrivent. »51

Entretien avec Maria, retraitée et participante au Conseil communautaire de sécurité - octobre 2017

Stefanie, elle, raconte être sujette à des moments d'angoisses :

« des fois, il m'arrive d'avoir des crises de panique absurdes... L'autre jour, par exemple, j'étais à la terrasse d'un restaurant et j'ai vu un homme

49 Traduction de l'auteur

50 Traduction de l'auteur

51 Traduction de l'auteur

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marcher d'un air décidé vers nous, il fixait dans notre direction et juste un peu avant d'être à notre niveau, il a mis sa main dans sa poche pour prendre son téléphone. C'était juste son téléphone, tu comprends ! Mais sur le moment j'ai vraiment cru qu'il allait sortir une arme et nous agresser, j'en étais persuadée. Mon coeur s'est complétement emballé. Et après j'arrivais pas à m'en remettre, j'étais mal à l'aise... À chaque moto qui passait dans la rue, j'avais encore plus peur, je voulais juste rentrer chez moi... »52

Entretien avec Stefanie, 29 ans, étudiante - avril 2017

Ces deux exemples sont symptomatiques de la situation vécue par la plupart des enquêtés. Cependant, au fur et à mesure de mon ethnographie, et surtout à travers l'audition de mes entretiens, je me suis aperçu que les propos qui exprimaient la peur par le biais de descriptions d'émotions étaient finalement assez rares sinon réduits. Le récit de Stéfanie est ainsi à mon sens celui qui parvient le mieux à transmettre une émotion vécue. Les enquêtés ressentent la peur. Ils le disent. Mais la construction discursive d'un champ lexical étoffé de la peur est plus difficile à identifier dans leurs propos. L'analyse attentive des entretiens montre qu'interrogés sur leurs émotions face aux dangers, les enquêtés balaient souvent d'un revers de main, le fond de la question pour diriger le discours soit vers des agressions vécues ou écoutées soit vers des stratégies mises en place au quotidien pour justement éviter les moments d'appréhension. Citons un exemple :

Question : « Comment vous sentez vous dans votre propre maison en relation à la criminalité ? »

Réponse : « Bon parfois je suis pas tout à fait confiant c'est sûr, mais on a Caju, notre chien qui monte la garde, on a des caméras, qui sont visibles de l'extérieur. Rien que le chien et les caméras ça fait déjà renoncer un bon nombre de voleurs. Et puis si malgré ça quelqu'un essayait quand même de passer par dessus le mur, je crois que les bouts de verre et le fil électrique finiraient par l'en dissuader totalement. Non vraiment, je crois que cette maison est assez bien gardée. »53

Entretien avec Claudio, 52 ans, cadre administratif et membre du Conseil communautaire de sécurité - novembre 2017.

52 Traduction de l'auteur

53 Traduction de l'auteur

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Il m'a fallu me rendre à l'évidence : la peur est une émotion, c'est à dire, une expérience corporelle subjective et singulière, une expérience que même les poètes peinent à transformer en mots. Pour ethnographier la peur il apparaît alors plus judicieux de procéder à l'observation des stratégies qui permettent à la peur d'être relayée dans le domaine de la « peur d'avoir peur », plutôt que de tenter de retranscrire des émotions peu mises en avant par les enquêtés. Pour éviter de ressentir la peur, les individus mettent en place des mécanismes, ils rythment leurs activités quotidiennes, ils organisent leur espace. En un mot, ils s'adaptent. Et, à mon sens, l'analyse de ces adaptations constitue le meilleur vecteur permettant d'entrevoir objectivement le sentiment d'insécurité.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault