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Villes de la Peur, Pratiques et Discours Sécuritaires au Brésil

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par Alix Macadré
Université de Bretagne Occidentale (UBO) - Master 2 Anthropologie 2018
  

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Partie 2 : Le crime face au discours

« Une fatalité. C'est juste arrivé. Ma voiture de fonction était à Monte Alegre, [mon chauffeur] était allé déposer un parent là-bas, un membre de la famille. Quatre individus sont arrivés par surprise et ont pris la voiture. Ça arrive. C'est normal. »41

Robson Faria, Gouverneur du Rio Grande

do Norte, interrogé par InterTV suite au vol de sa voiture de fonction le 28 mars 2018.

Comme en témoignent les chiffres et les récits des enquêtés, à Natal, la criminalité urbaine n'est pas une chimère illusoire basée sur les fantasmes et l'imagination. Le risque de subir une agression au sein de la métropole est en effet bien présent. Cependant, pour comprendre le fort sentiment d'insécurité qui traverse la société brésilienne, il n'est pas possible, je crois, de le détacher du discours sur le crime. Les recherches sur le sujet ont en effet montré que la peur de la criminalité est une question isolable de la criminalité elle même. Autrement dit, il n'y a pas nécessairement de relation entre criminalité et peur de la criminalité. Cette dernière, en effet, existe selon des facteurs bien plus nombreux que la seule existence d'un risque réel (I). Dans le cas brésilien, un de ses déclencheurs est ce que Caldeira a nommé la « fala do crime » / « talk of crime » et que je traduirai ici par « discours sur le crime ». Il s'agira alors dans ce chapitre de présenter et décrypter ce discours sur le crime (II) afin de donner une tentative d'explication de ce fort sentiment d'insécurité ressenti, dont je détaillerai ensuite les aspects (III).

I/ Différence entre risque réel et risque perçu

Parallèlement à l'augmentation de la criminalité urbaine, le contexte actuel brésilien laisse également apparaître une augmentation significative du sentiment de peur et d'insécurité. Si la criminalité urbaine est sans aucun doute un problème social, certains auteurs affirment toutefois que la peur du crime est un problème en soi, et parfois même de

41 Traduction de l'auteur

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plus grande importance que le crime lui même (Hale, 1996). En effet, malgré sa fonction biologique essentielle de protection, la peur s'inscrit également dans des cadres culturels, prend des formes différentes et a des objets différents selon les groupes sociaux et peut ainsi donner lieu à des comportements préjudiciables, notamment quand elle est exagérée et qu'elle se trouve en décalage avec les risques réellement encourus.

Mesurer la peur de la criminalité d'un groupe social n'est pas une chose facile. En effet, la peur est un phénomène largement subjectif. La psychologie la range dans le domaine des émotions de base ou primaires, au côté de la joie, la tristesse, la colère, le dégoût et la surprise. Et à ce titre elle n'est pas expérimentée de la même façon par chaque individu. Elle aura des causes différentes, des effets différents, provoquera des sensations différentes et entraînera des conséquences différentes chez chacun. Les études réalisées dans le domaine, le prouvent : la peur de la criminalité est le résultat de nombreux facteurs parmi lesquels l'existence réelle de risque de victimisation n'est pas nécessairement déterminant. Sur ce point, les différents auteurs s'accordent par exemple sur le fait que le groupe social ayant le moins peur de la criminalité urbaine est en général celui des jeunes hommes alors que, paradoxalement, c'est aussi celui qui le plus exposé aux actes de violence (Stafford & Galle, 1984 ; Davis Rodrigues & De Oliveira, 2012). Parmi les facteurs qui influencent le sentiment de peur on notera ainsi : le genre, l'âge, le revenu et la capacité économique de se protéger, l'existence ou non d'un épisode de victimisation, l'exposition aux médias et les considérations du milieu (situation du quartier, relations de voisinage,...) (Grabosky, 1995).

Comme cela a déjà été mentionné, l'ethnographie sur laquelle se base ce travail a été réalisée dans un quartier (Conjunto dos Professores). Aucun ciblage social n'a été réalisé sinon celui de limiter la population enquêtée aux frontières géographiques de ce quartier. Si effectivement le sentiment de peur identifié chez les individus a pu être évoqué de manières amplement différentes, il ressort en dernière instance que le sentiment d'insécurité reste largement partagé par la plupart des individus, indépendamment de différences telles que le genre, l'âge ou le revenu. Ainsi, si lors des entretiens, certains individus ont affirmé se sentir en sécurité, il n'en reste pas moins qu'un important sentiment d'insécurité est partagé par la majorité.

Au vu des chiffres de la criminalité urbaine à Natal exposés dans la première partie et compte tenu des différentes expériences d'agressions vécues et racontées par les enquêtés,

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on admettra que, à la différence de certaines zones géographiques où les risques de victimisation sont faibles mais le sentiment d'insécurité élevé, la peur de la criminalité urbaine à Natal et dans le Conjunto dos Professores repose sur des fondements objectifs concrets et possède une certaine cohérence face à la réalité.

Cependant, nous allons voir maintenant que la peur de la criminalité urbaine a pris une place qu'on pourrait qualifier de « structurelle » dans la société brésilienne. En effet, dans le sens où la criminalité urbaine est devenue une des principales inquiétudes des brésiliens et qu'elle occupe une place prépondérante dans les discours (qu'ils proviennent de la classe politique, de la sphère médiatique ou de la société civile), elle s'érige comme un moteur idéologique puissant, créateur d'une réalité symbolique et matérielle dont certains aspects seront questionnés dans ce travail. Comme l'a montré l'anthropologue Alba Zaluar,

« grâce à une configuration culturelle, institutionnelle et économique particulière, la peur réaliste du crime, dont les taux ont systématiquement augmenté ces dernières décennies, s'est transformée en effroi ou en terreur irrationnels et a favorisé le retour de la dichotomie nette et absolue entre le bien et le mal. » (Zaluar, 2004, p.43).

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