1- Les différents types de vols avec violence (
roubo)
Juridiquement, le « roubo » est le vol qui
implique le contact violent ou menaçant avec la victime. Dans le langage
quotidien, les brésiliens préfèrent le terme «
assalto » (assaut), qui n'est pas une catégorie juridique
mais qui exprime peut être mieux la teneur violente de ce type
d'interaction.
a) Le vol à main armée de biens de petite
taille
Les vols à main armée de biens de petite taille,
tels que les téléphones portables, les portefeuilles, les montres
ou les sacs à main, sont parmi les actes de criminalité urbaine
les plus fréquents et font figure de modèle de l' assalto
. Écoutons Cibele, victime d'un vol à main armée en
septembre 2016 :
« C'était dans ma rue, je revenais de
l'arrêt de bus. J'étais avec mes écouteurs reliés
à mon portable qui était dans mon sac et les écouteurs
cachés sous mes cheveux. Et sur le chemin, j'ai vu un type sur une moto,
qui venait vers moi en passant la main sous son tee-shirt. J'ai trouvé
ça bizarre, mais j'ai continué mon chemin. Et c'est quand j'ai
traversé la rue qu'il est venu s'arrêter devant moi et m'a mis son
arme sur le visage en me demandant mon téléphone. Il y a pas mal
de voitures qui passent dans cette rue, mais à part moi, il n'y avait
aucun piéton à ce moment là. Et du coup, ouais, il m'a
demandé mon téléphone. Moi, choquée, je me suis
retournée pour qu'il prenne le téléphone dans mon sac,
mais finalement je l'ai pris et je lui ai donné. Ensuite il est
allé un peu plus loin, sûrement pour éteindre le
téléphone ou enlever la carte SIM. A ce moment là, je me
suis retournée pour voir la plaque de la moto mais il s'est
tourné vers moi en pointant à nouveau l'arme vers moi et en
disant «regarde pas sinon je tire». Finalement je n'ai réussi
à voir que les lettres de la plaque et je suis partie. »
Entretien avec Cibele, 22 ans, jeune travailleuse - 18
mars 2017.33
33 Traduction de l'auteur
53
Ce vol que Cibele raconte, représente le prototype du
vol à main armée ayant cours dans les rues de Natal. En effet,
parmi tous les récits d'agressions recueillis auprès de mes
enquêtés, environ la moitié répondent à ce
schéma au point d'être presque interchangeables. Si
l'événement a en soi des conséquences matérielles
limitées, c'est dans sa composante psychologique qu'il produit des
effets plus conséquents. Se retrouver face à la menace d'une arme
à feu et être placé dans un état d'impuissance
complète sont en effet des situations souvent relatées avec
malaise par les enquêtés.
b) Le vol de voiture avec violence
Voici le témoignage de Marcos dont la conjointe s'est
fait voler la voiture alors qu'elle était sur le point de la stationner
dans le garage de la maison. Le couple de sexagénaires qui habitait
depuis plus de 15 ans dans le Conjunto dos Professores a
déménagé suite à cette agression.
« Mon épouse était dans la voiture à
l'arrêt. Elle allait appuyer sur la télécommande pour
ouvrir le portail quand deux hommes ont surgi de chaque côté de la
voiture. Celui qui était de son côté a pointé un
pistolet sur la vitre et lui a ordonné de descendre de la voiture. Elle
est sortie et il l'a frappée à la tête avec l'arme. Ensuite
les deux hommes sont rentrés dans la voiture et ils sont partis à
toute vitesse. Ma femme a été complètement
traumatisée, tu sais... Dès le lendemain, elle ne voulait plus
habiter là-bas. [...] Comme nous avions une autre maison à Natal
et qu'elle était libre à l'époque, nous sommes
allés nous y installer. Mais pour elle, le sentiment de danger
persistait parce que finalement le problème restait le même, il
pouvait arriver exactement la même chose devant notre deuxième
habitation [...] Alors nous avons décidé de vendre la maison et
d'acheter un appartement à la place. Et maintenant elle est plus
tranquille, grâce à Dieu. »
Entretien avec Marcos, 58 ans, ancien militaire,
habitant du Conjunto dos Professores - 23 avril 201734
34 Traduction de l'auteur
54
Ce témoignage est intéressant car en plus
d'illustrer les vols de voiture, il montre aussi les failles de
sécurité propres aux quartiers résidentiels de maisons. Il
explique ainsi en partie pourquoi, comme nous le verrons par la suite, ces
quartiers font aujourd'hui face à une dynamique d'abandon, leurs
habitants préférant la sécurité offerte par les
immeubles.
c) Le cambriolage résidentiel avec violence
Le cambriolage de résidence, pratiqué avec
violence, fait également partie des types de vols fréquemment
évoqués par les enquêtés. Si leur occurrence au sein
de la capitale semble restreinte, ce type de cambriolage est connu pour
être fréquent dans les « casa de praia »
(littéralement « maison de plage ») que certains Natalenses
possèdent sur le littoral. J'ai choisi d'utiliser ici mon propre
témoignage pour illustrer ce type d'événement :
« 18 décembre 2017 :
Hier, Natalia m'a invité à l'anniversaire d'une
de ses amies, dans une maison de vacances à quelques 40 km au Nord de
Natal. L'événement avait lieu dans un petit village de
pêche devenu obscur après la tombée de la nuit. Il y avait
une trentaine d'invités qui déambulaient entre la maison et la
petite allée en sable éclairée par un
réverbère à la lumière orangeâtre. Vers 2h30
du matin, alors que la fête battait son plein, je quittais la table,
installée dans la ruelle pour l'occasion, et allais chercher une
bière dans la cuisine. À mon retour, deux individus torse nu,
armés de carabines et portant leur tee-shirt enroulé autour de la
tête pour se couvrir le visage, pointaient leur arme sur le visage des
invités en criant : «tout le monde à terre, tout le monde a
terre, é um assalto porra !» Alors que la troupe
s'exécutait, je profitais de ne pas avoir été
repéré pour faire demi-tour et courir me cacher dans une des
chambres avec Natalia qui était aussi à l'intérieur de la
maison quand les assaillants y avaient surgi. Dans la pièce où
nous entrâmes, une jeune femme dormait sur un grand lit, deux
bébés à ses côtés. Par chance, seule celle-ci
se réveilla et nous restâmes ainsi une dizaine de minutes,
enfermés, essayant mutuellement de nous calmer en attendant avec
appréhension le moment où les deux individus armés
tourneraient la poignée de la porte et feraient irruption dans notre
espace jusqu'alors sécurisé. Mais les minutes passaient et le
moment fatidique ne
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survenait pas. Quand les bruits que nous parvenions à
entendre indiquèrent que le danger semblait s'éloigner, nous
sortîmes discrètement de notre cachette. Les deux individus
étaient bien partis. Après avoir mis les invités à
terre, ils leur avaient volé leur téléphone, et avaient
pris la fuite. La soirée reprit son cours, chacun commentant à sa
manière chaque petit détail de l'événement.
À ma surprise, personne ne jugea opportun d'appeler la police. »
Extrait du carnet de terrain, décembre
2017
Ce type de crime, qui vient jusqu'à s'immiscer à
l'intérieur des propriétés, figure parmi ceux qui
terrorisent le plus la population et donne lieu, comme nous le verrons par la
suite, à de nombreuses stratégies de protection des
résidences, créant ce que certains ont appelé un urbanisme
de la peur (Pattaroni, Pedrazzini, 2010).
d) Série de vols à main armée en bande
organisée ( arrastão )
Selon la doctrine juridique, le terme «
arrastão » désigne une certaine modalité de
vol à main armée, pratiquée par un groupe de plusieurs
individus qui, se déplaçant dans un espace
généralement urbain (rue, quartier, plage,...), se livrent
à une série de vols consécutifs.
Écoutons le témoignage de Sylvania :
« Ils étaient quatre, avec des fusils à
pompe et des revolvers. Ils ont remonté toute la rue Maréchal
Rondon. Ils ont commencé par braquer la supérette au coin de la
rue, ensuite ils sont arrivés à l'açaï . On n'a
même
35
pas eu le temps de s'enfuir parce que pendant que deux d'entre
eux étaient encore dans la supérette, les deux autres venaient
déjà vers nous. Le premier a pointé son arme vers moi et
il a crié à tout le monde de vider les sacs à main et de
mettre tous les objets de valeur sur les tables. Pendant ce temps le
deuxième était déjà en train de passer dans les
rangs avec un sac à dos. Il mettait tout dedans en enlevant les
batteries des téléphones très rapidement. À un
moment une dame s'est levée et a dit «jamais je ne
35 L'açaï est un fruit amazonien. Dans le cas ici
présent, Sylvania veut signifier par ce mot un établissement qui
vend des sorbets préparés à base du fruit.
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permettrai qu'on me vole ! Je ne vous donnerai pas mes
affaires jeune homme !» Je sais pas ce qui lui a pris, mais le voleur l'a
poussée, elle est tombée par terre et il lui a quand même
pris ses affaires. Cette folle, elle aurait pu nous faire tuer ! Quand je l'ai
vu tomber, mon coeur a fait un bond, je me suis dit : «ça y est
ça va mal tourner...» Bon, finalement personne n'a
été blessé. Ça n'a pas duré longtemps mais
dans ma tête ça paraissait une éternité ! [...]
Ensuite ils sont partis en direction de la sandwicherie un peu plus loin. Il
n'y avait déjà plus personne là bas mais ils ont quand
même pris la caisse du vieux monsieur. C'est honteux, ce monsieur il
travaille ici depuis plus de vingt ans, il est adorable, il a
déjà du mal à payer ses factures et une bande de voyous
vient lui prendre l'argent qu'il a gagné dans la journée...
»
Entretien avec Sylvania, 61 ans, retraitée et
participante au Conseil communautaire de sécurité du Conjunto dos
Professores - 12 avril 201736
e) Le vol avec homicide ( latrocínio )
Le « latrocínio » est défini
comme le vol avec homicide. Il s'agit du cas où l'individu tue la
victime pour la voler. Dans les cas où il y a tentative de meurtre sans
réussite, on dira que le latrocínio n'a pas
été consommé mais le crime entrera toutefois dans la
catégorie pénale. Dans la pratique il peut s'agir d'un vol
à main armée qui tourne mal. La victime ne souhaitant pas
céder ses propriétés, le voleur lui tire dessus.
Peu de cas de crimes de ce type m'ont été
rapportés par les enquêtés. Mais écoutons tout de
même le témoignage de Pablo, vigile de rue dans le Conjunto dos
Professores, à qui je demandais quelques détails après
avoir été mis au courant d'un
37
latrocínio non consommé, à quelques
pas de mon domicile :
« Le monsieur ne voulait pas donner ses affaires. Bon le
bandit il a insisté, deux fois, trois fois et finalement il s'est
énervé et lui a tiré dans la jambe. Bon, il est pas mort,
mais une balle dans la jambe c'est con quand même... Tu vois, il faut
vraiment être coopératif. Si un mec te pointe avec un flingue, tu
réfléchis pas : tu donnes ton téléphone, tes
billets, ton sac, tout ! [...] Il y
36 Traduction de l'auteur
37 Malheureusement cette discussion ne fût pas
enregistrée. J'ai essayé de la transcrire ici le plus
fidèlement possible à la forme dont les paroles furent
énoncées.
57
en qui se croient plus malin que les autres mais finalement tu
les retrouves aux urgences. »
Conversation informelle avec Pablo, vigile de rue dans
le Conjunto dos Professores depuis 14 ans - septembre
201738
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