WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Villes de la Peur, Pratiques et Discours Sécuritaires au Brésil

( Télécharger le fichier original )
par Alix Macadré
Université de Bretagne Occidentale (UBO) - Master 2 Anthropologie 2018
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1- Les différents types de vols avec violence ( roubo)

Juridiquement, le « roubo » est le vol qui implique le contact violent ou menaçant avec la victime. Dans le langage quotidien, les brésiliens préfèrent le terme « assalto » (assaut), qui n'est pas une catégorie juridique mais qui exprime peut être mieux la teneur violente de ce type d'interaction.

a) Le vol à main armée de biens de petite taille

Les vols à main armée de biens de petite taille, tels que les téléphones portables, les portefeuilles, les montres ou les sacs à main, sont parmi les actes de criminalité urbaine les plus fréquents et font figure de modèle de l' assalto . Écoutons Cibele, victime d'un vol à main armée en septembre 2016 :

« C'était dans ma rue, je revenais de l'arrêt de bus. J'étais avec mes écouteurs reliés à mon portable qui était dans mon sac et les écouteurs cachés sous mes cheveux. Et sur le chemin, j'ai vu un type sur une moto, qui venait vers moi en passant la main sous son tee-shirt. J'ai trouvé ça bizarre, mais j'ai continué mon chemin. Et c'est quand j'ai traversé la rue qu'il est venu s'arrêter devant moi et m'a mis son arme sur le visage en me demandant mon téléphone. Il y a pas mal de voitures qui passent dans cette rue, mais à part moi, il n'y avait aucun piéton à ce moment là. Et du coup, ouais, il m'a demandé mon téléphone. Moi, choquée, je me suis retournée pour qu'il prenne le téléphone dans mon sac, mais finalement je l'ai pris et je lui ai donné. Ensuite il est allé un peu plus loin, sûrement pour éteindre le téléphone ou enlever la carte SIM. A ce moment là, je me suis retournée pour voir la plaque de la moto mais il s'est tourné vers moi en pointant à nouveau l'arme vers moi et en disant «regarde pas sinon je tire». Finalement je n'ai réussi à voir que les lettres de la plaque et je suis partie. »

Entretien avec Cibele, 22 ans, jeune travailleuse - 18 mars 2017.33

33 Traduction de l'auteur

53

Ce vol que Cibele raconte, représente le prototype du vol à main armée ayant cours dans les rues de Natal. En effet, parmi tous les récits d'agressions recueillis auprès de mes enquêtés, environ la moitié répondent à ce schéma au point d'être presque interchangeables. Si l'événement a en soi des conséquences matérielles limitées, c'est dans sa composante psychologique qu'il produit des effets plus conséquents. Se retrouver face à la menace d'une arme à feu et être placé dans un état d'impuissance complète sont en effet des situations souvent relatées avec malaise par les enquêtés.

b) Le vol de voiture avec violence

Voici le témoignage de Marcos dont la conjointe s'est fait voler la voiture alors qu'elle était sur le point de la stationner dans le garage de la maison. Le couple de sexagénaires qui habitait depuis plus de 15 ans dans le Conjunto dos Professores a déménagé suite à cette agression.

« Mon épouse était dans la voiture à l'arrêt. Elle allait appuyer sur la télécommande pour ouvrir le portail quand deux hommes ont surgi de chaque côté de la voiture. Celui qui était de son côté a pointé un pistolet sur la vitre et lui a ordonné de descendre de la voiture. Elle est sortie et il l'a frappée à la tête avec l'arme. Ensuite les deux hommes sont rentrés dans la voiture et ils sont partis à toute vitesse. Ma femme a été complètement traumatisée, tu sais... Dès le lendemain, elle ne voulait plus habiter là-bas. [...] Comme nous avions une autre maison à Natal et qu'elle était libre à l'époque, nous sommes allés nous y installer. Mais pour elle, le sentiment de danger persistait parce que finalement le problème restait le même, il pouvait arriver exactement la même chose devant notre deuxième habitation [...] Alors nous avons décidé de vendre la maison et d'acheter un appartement à la place. Et maintenant elle est plus tranquille, grâce à Dieu. »

Entretien avec Marcos, 58 ans, ancien militaire, habitant du Conjunto dos Professores - 23 avril 201734

34 Traduction de l'auteur

54

Ce témoignage est intéressant car en plus d'illustrer les vols de voiture, il montre aussi les failles de sécurité propres aux quartiers résidentiels de maisons. Il explique ainsi en partie pourquoi, comme nous le verrons par la suite, ces quartiers font aujourd'hui face à une dynamique d'abandon, leurs habitants préférant la sécurité offerte par les immeubles.

c) Le cambriolage résidentiel avec violence

Le cambriolage de résidence, pratiqué avec violence, fait également partie des types de vols fréquemment évoqués par les enquêtés. Si leur occurrence au sein de la capitale semble restreinte, ce type de cambriolage est connu pour être fréquent dans les « casa de praia » (littéralement « maison de plage ») que certains Natalenses possèdent sur le littoral. J'ai choisi d'utiliser ici mon propre témoignage pour illustrer ce type d'événement :

« 18 décembre 2017 :

Hier, Natalia m'a invité à l'anniversaire d'une de ses amies, dans une maison de vacances à quelques 40 km au Nord de Natal. L'événement avait lieu dans un petit village de pêche devenu obscur après la tombée de la nuit. Il y avait une trentaine d'invités qui déambulaient entre la maison et la petite allée en sable éclairée par un réverbère à la lumière orangeâtre. Vers 2h30 du matin, alors que la fête battait son plein, je quittais la table, installée dans la ruelle pour l'occasion, et allais chercher une bière dans la cuisine. À mon retour, deux individus torse nu, armés de carabines et portant leur tee-shirt enroulé autour de la tête pour se couvrir le visage, pointaient leur arme sur le visage des invités en criant : «tout le monde à terre, tout le monde a terre, é um assalto porra !» Alors que la troupe s'exécutait, je profitais de ne pas avoir été repéré pour faire demi-tour et courir me cacher dans une des chambres avec Natalia qui était aussi à l'intérieur de la maison quand les assaillants y avaient surgi. Dans la pièce où nous entrâmes, une jeune femme dormait sur un grand lit, deux bébés à ses côtés. Par chance, seule celle-ci se réveilla et nous restâmes ainsi une dizaine de minutes, enfermés, essayant mutuellement de nous calmer en attendant avec appréhension le moment où les deux individus armés tourneraient la poignée de la porte et feraient irruption dans notre espace jusqu'alors sécurisé. Mais les minutes passaient et le moment fatidique ne

55

survenait pas. Quand les bruits que nous parvenions à entendre indiquèrent que le danger semblait s'éloigner, nous sortîmes discrètement de notre cachette. Les deux individus étaient bien partis. Après avoir mis les invités à terre, ils leur avaient volé leur téléphone, et avaient pris la fuite. La soirée reprit son cours, chacun commentant à sa manière chaque petit détail de l'événement. À ma surprise, personne ne jugea opportun d'appeler la police. »

Extrait du carnet de terrain, décembre 2017

Ce type de crime, qui vient jusqu'à s'immiscer à l'intérieur des propriétés, figure parmi ceux qui terrorisent le plus la population et donne lieu, comme nous le verrons par la suite, à de nombreuses stratégies de protection des résidences, créant ce que certains ont appelé un urbanisme de la peur (Pattaroni, Pedrazzini, 2010).

d) Série de vols à main armée en bande organisée ( arrastão )

Selon la doctrine juridique, le terme « arrastão » désigne une certaine modalité de vol à main armée, pratiquée par un groupe de plusieurs individus qui, se déplaçant dans un espace généralement urbain (rue, quartier, plage,...), se livrent à une série de vols consécutifs.

Écoutons le témoignage de Sylvania :

« Ils étaient quatre, avec des fusils à pompe et des revolvers. Ils ont remonté toute la rue Maréchal Rondon. Ils ont commencé par braquer la supérette au coin de la rue, ensuite ils sont arrivés à l'açaï . On n'a même

35

pas eu le temps de s'enfuir parce que pendant que deux d'entre eux étaient encore dans la supérette, les deux autres venaient déjà vers nous. Le premier a pointé son arme vers moi et il a crié à tout le monde de vider les sacs à main et de mettre tous les objets de valeur sur les tables. Pendant ce temps le deuxième était déjà en train de passer dans les rangs avec un sac à dos. Il mettait tout dedans en enlevant les batteries des téléphones très rapidement. À un moment une dame s'est levée et a dit «jamais je ne

35 L'açaï est un fruit amazonien. Dans le cas ici présent, Sylvania veut signifier par ce mot un établissement qui vend des sorbets préparés à base du fruit.

56

permettrai qu'on me vole ! Je ne vous donnerai pas mes affaires jeune homme !» Je sais pas ce qui lui a pris, mais le voleur l'a poussée, elle est tombée par terre et il lui a quand même pris ses affaires. Cette folle, elle aurait pu nous faire tuer ! Quand je l'ai vu tomber, mon coeur a fait un bond, je me suis dit : «ça y est ça va mal tourner...» Bon, finalement personne n'a été blessé. Ça n'a pas duré longtemps mais dans ma tête ça paraissait une éternité ! [...] Ensuite ils sont partis en direction de la sandwicherie un peu plus loin. Il n'y avait déjà plus personne là bas mais ils ont quand même pris la caisse du vieux monsieur. C'est honteux, ce monsieur il travaille ici depuis plus de vingt ans, il est adorable, il a déjà du mal à payer ses factures et une bande de voyous vient lui prendre l'argent qu'il a gagné dans la journée... »

Entretien avec Sylvania, 61 ans, retraitée et participante au Conseil communautaire de sécurité du Conjunto dos Professores - 12 avril 201736

e) Le vol avec homicide ( latrocínio )

Le « latrocínio » est défini comme le vol avec homicide. Il s'agit du cas où l'individu tue la victime pour la voler. Dans les cas où il y a tentative de meurtre sans réussite, on dira que le latrocínio n'a pas été consommé mais le crime entrera toutefois dans la catégorie pénale. Dans la pratique il peut s'agir d'un vol à main armée qui tourne mal. La victime ne souhaitant pas céder ses propriétés, le voleur lui tire dessus.

Peu de cas de crimes de ce type m'ont été rapportés par les enquêtés. Mais écoutons tout de même le témoignage de Pablo, vigile de rue dans le Conjunto dos Professores, à qui je demandais quelques détails après avoir été mis au courant d'un

37

latrocínio non consommé, à quelques pas de mon domicile :

« Le monsieur ne voulait pas donner ses affaires. Bon le bandit il a insisté, deux fois, trois fois et finalement il s'est énervé et lui a tiré dans la jambe. Bon, il est pas mort, mais une balle dans la jambe c'est con quand même... Tu vois, il faut vraiment être coopératif. Si un mec te pointe avec un flingue, tu réfléchis pas : tu donnes ton téléphone, tes billets, ton sac, tout ! [...] Il y

36 Traduction de l'auteur

37 Malheureusement cette discussion ne fût pas enregistrée. J'ai essayé de la transcrire ici le plus fidèlement possible à la forme dont les paroles furent énoncées.

57

en qui se croient plus malin que les autres mais finalement tu les retrouves aux urgences. »

Conversation informelle avec Pablo, vigile de rue dans le Conjunto dos Professores depuis 14 ans - septembre 201738

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"