II/ Corps tuables
« Quand les autres sont rendus coupables du mal qui
nous atteint, et quand les croyances sont transcendantes et absolues,
l'idée de mal s'associe à la classification des ennemis, des
rivaux, des étrangers et des différents comme agents du
Démon. Cette posture face au mal peut déboucher sur la
justification du sacrifice et de l'extermination de l'autre pour maintenir la
normalité et l'ordre en place. Autrement dit, si l'autre est
associé au mal et au Démon, le recours à la violence pour
la résolution des conflits pourra être considérée
valide et justifiée. »108
Cesar Pinheiro Teixeira, 2009, p.62
La bipartition de la sphère sociale entre «
cidadão de bem » (citoyen du bien) et « bandido »
(bandit) a pour conséquence l'exclusion du bandit du pacte social. Dans
l'imaginaire collectif, le « bandit » est cette entité
étrangère qui terrorise la population et menace l'ordre de la
nation. Pour cette raison le « bandit » n'est pas un citoyen (ni
encore moins un « citoyen du bien »). Il est au contraire un ennemi
intérieur. Tel un bouc émissaire, il représente la cause
de tous les maux du pays et incarne une des explications de son mauvais
fonctionnement. Il inspire la peur. Mi-homme mi-bête, son existence en
tant que concitoyen lui est refusée. Et en tant qu'ennemi
intérieur, en tant qu'étranger au pacte social, il ne peut se
prévaloir des mêmes règles que les autres citoyens. Son
existence est régie par un état d'exception coutumier : il est un
être indigne de vivre, un corp tuable (Zaccone, 2015), un être dont
on peut désirer qu'il meurt (Misse, 2010). Si la majorité des
homicides recensés sont issus d'affrontements et de règlements de
compte entre individus reliés, de près ou de loin, au «
monde du crime » et peuvent ainsi être attribués en partie
à l'inaction de l'État et à son incapacité à
faire prévaloir son monopole de la force légitime, une partie
significative des homicides est toutefois à mettre directement sur le
compte des autorités policières (A), dont les actions
meurtrières sont rendues possibles grâce à
l'impunité juridique dont ces derniers bénéficient
largement (B).
108 Traduction de l'auteur
124
A) Violences policières
Les violences policières sont le résultat d'une
longue tradition répressive issue du régime esclavagiste. Comme
le note le juriste, philosophe et sociologue Laurindo Dias Minhoto,
« La souffrance physique comme forme
privilégiée de la punition constitue une pratique qui remonte au
système policier des temps coloniaux. Dans la mesure où elle
fonctionnait comme supplément à la coercition exercée par
les seigneurs des esclaves, l'institution policière brésilienne
s'est érigée sur la base de l'intériorisation des
nombreuses pratiques sanguinaires utilisées à l'époque.
Les seigneurs des esclaves [...], comme chacun le sait, pouvaient utiliser,
jouir et abuser de leurs biens selon leur bon vouloir. C'est
précisément cette combinaison inusitée, cette folle
mixture entre le droit de propriété bourgeois et le recours
à la main d'oeuvre esclave qui permet de comprendre la façon
particulière dont s'est construit et structuré l'institution
policière brésilienne. Au Brésil, la police a
mimétisé le pilori seigneurial. Avec la modernisation
incomplète et hautement inégale du pays, le modèle sauvage
de la préservation de l'ordre dans les plantations [senzala] a
été étendu au contrôle des hommes libres des classes
subalternes. » (Minhoto, 2002)
L'avènement du régime militaire en 1964 n'a fait
que renforcer le pouvoir de la police qui, notamment au travers de la
constitution d'escadrons de la mort pratiquait la torture et les assassinats
sans avoir de compte à rendre à la justice :
« Pendant la dictature militaire, sous l'argument de la
"sécurité nationale" - sorte de remake de l'idéologie de
la subversion, construite à partir de l'identification d'un "ennemi
intérieur" - s'est observée une extension sans
précédent du pouvoir de la police militaire. En
conséquence, existe depuis lors, au Brésil, un processus
croissant de militarisation du contrôle du crime, selon lequel les
stratégies de combat contre la criminalité et celles visant le
maintien de l'ordre public, incorporent des tactiques
généralement utilisées lors d'opérations de guerre.
» (Ibid)
109
109 Traductions de l'auteur
125
Selon l'Anuário Brasileiro de Segurança
Pública , sur les 61.283 mortes violentes intentionnelles
recensées au Brésil en 2016, 4.222 étaient le
résultat d'une action policière, faisant ainsi de la police
brésilienne la police la plus meurtrière du monde. Sur ces 4222
personnes, 99,3% étaient des hommes, 81,8% avaient entre 12 et 29 ans et
76,2% étaient noirs . Dans le Rio Grande do Norte, ils furent 65
à succomber sous les balles de la Police
110
en 2016.
D'un point de vue juridique, dans la plupart des cas
recensés, ces homicides entrent dans le cadre de ce que le code
pénal définit sous le nom de « résistance à
arrestation suivie de mort » (article 121 du Code Pénal
Brésilien) et qui ne constitue pas un crime si l'agent le pratique en
état de nécessité, de légitime défense ou en
stricte application du devoir légal.
Il est difficile de savoir si les 4222 homicides commis par la
police brésilienne en 2016 rentrent dans cette exception pénale
ou non :
« En raison du fait que les investigations sont conduites
par la propre Police Militaire [...] les preuves peuvent être facilement
manipulées et un crime être transformé en action
légitime. [...] Dans de nombreux cas, alors que la mort est
déjà avérée, les policiers transportent le corps
vers un hôpital, donnant ainsi l'impression qu'ils accomplissent leur
devoir ce qui rend difficile la construction de la preuve de
l'illégalité de l'action. Selon les cas, l'autopsie pourra
contredire la version policière et montrer qu'il y a eu exécution
de la victime. Quoi qu'il en soit "résistance à arrestation
suivie de mort" est un justificatif omniprésent dans les enquêtes
policières militaires et c'est bien souvent cette version qui
prévaut lors des procès quand il n'y a ni preuve ni témoin
qui la contredisent. » (Neme, 2000).
111
Cependant, certains éléments nous alertent sur
la violence des pratiques policières. En premier lieu, il y a les
nombreux rapports alarmants des différentes organisations non
gouvernementales et de l'ONU (Amnesty International, 2005, 2007, 2010, 2015 ;
Human
110 Anuário Brasileiro de Segurança Pública,
2017
111 Traduction de l'auteur
126
Rights Watch, 1997, 2009 ; ONU, 2007, 2010). Amnesty
International, par exemple, introduit son rapport de 2015 en disant que :
« Les exécutions extrajudiciaires commises par des
policiers sont fréquentes au Brésil. Dans le contexte qui a pris
le nom de "guerre aux drogues", la Police Militaire a fait usage de la force
létale de forme inutile et excessive, provoquant des milliers de morts
durant les dernières décennies. Les autorités utilisent
fréquemment les termes "actes de résistance" ou "homicides
résultant d'interventions policière" comme un rideau de
fumée servant à dissimuler les exécutions extrajudiciaires
réalisées par des policiers. »112
D'autre part, la position discursive et l'univers symbolique
des différents organes policiers témoignent indirectement des
pratiques létales de ces organes. Citons par exemple l'écusson du
BOPE (Batalhão de Operações Policiais Especiais) qui
représente un crâne perforé de haut en bas par un couteau
et orné de deux pistolets.
Image 2 : Écusson du Batalhão de
Operações especiais (BOPE)
Source : Batalhão de Operações especiais
112 Amnistie Internationale, « Você matou meu filho.
Homicídios cometidos pela Polícia Militar na cidade do Rio de
Janeiro », 2015. Traduction de l'auteur
127
En 2013, ce même bataillon, chargé des
opérations tactiques en territoire urbain, avait été
filmé lors d'un entraînement dans un parc public de Rio de
Janeiro, entonnant un chant de guerre dont les paroles étaient les
suivante :
« C'est le Bope qui prépare l'invasion, Et pour
l'invasion, aucune négociation, Le tir est dans la tête et
l'agresseur au sol. Et on rentre au QG pour fêter ça. »113
Quant à la Rondas Ostensivas Tobias de Aguiar
(ROTA), plus important bataillon de Police Militaire du Brésil, un
simple coup d'oeil sur sa page Facebook suffit à prendre la
114
température du positionnement idéologique de
l'institution face aux agents criminels. En effet, la majorité des
vidéos mises en ligne sur cette page suivie par plus d'un million
d'internautes, mettent en scène des faits divers d'agressions
criminelles avec toujours cette question en légende : « qu'est ce
qu'ils méritent ces marginaux ? ». On se passera de rapporter ici
les nombreux commentaires apportant réponses à cette
interrogation...
Enfin, plusieurs études dénoncent la peur de
l'institution policière ressentie par les brésiliens et notamment
par les classes les plus vulnérables. Un rapport du Fórum
Brasileiro de Segurança Pública , montre ainsi que 67% des
jeunes brésiliens ont peur de la Police
115
militaire. L'association Médecins Sans
Frontières rapporte quant à elle l'existence de graves
symptômes d'angoisse chez les enfants des favelas de Rio de Janeiro
à la simple vue des uniformes policiers.
D'autre part, la police ne tue pas que dans le cadre de ses
fonctions. En effet, le Brésil est le théâtre de ce qu'il
est courant d'appeler des « groupes d'extermination » (grupos de
exterminio). Apparues sous le régime militaire, ces organisations
rassemblent des policiers, actifs ou retraités, des agents de
sécurité privée et quelques citoyens qui, se
protégeant au travers de leurs relations avec les pouvoirs publics, se
livrent à des exécutions sommaires. En 2005, une commission
d'enquête parlementaire délivre un rapport sur ces pratiques dans
le Nordeste brésilien . Dans son introduction, le document explique
116
l'apparition historique de ces groupes héritiers de la
dictature :
113 Globo News, 30 avril 2013 - Tropa do Bope canta grito de
guerra que faz apologia à violência. Traduction de l'auteur.
114 Nom de la page : Amigos da ROTA. Consultée en ligne le
15 mai 2018.
115 Anuário Brasileiro de Segurança Pública
2017.
116 Comissão Parlamentar de Inquérito do
Extermínio no Nordeste, 2005.
128
« Le développement des organisations
paramilitaires, notamment incarnées par les escadrons de la mort, s'est
fait sous le prétexte de combattre le crime et de "laver" la
société des personnes considérées
"indésirables". Avec la fin de la dictature, la plupart des escadrons de
la mort furent démantelés. Cependant, la philosophie de la
"Justice Parallèle" est restée ancrée dans la
société et dans les institutions publiques responsables de la
sécurité des citoyens. Stimulés par la tradition de
l'impunité et soutenus par l'utilisation idéologique du discours
de l'insécurité croissante, ces nouveaux mécanismes de
combat illégaux contre la criminalité surgirent sous le nom de
groupes d'extermination ».
Le rapport continue en expliquant le fonctionnement de ces
organisations :
« Une grande partie des actions criminelles de ces
groupes est parrainée par des commerçants et des habitants de
certains quartiers qui, face à l'augmentation de la violence et face
à l'inefficacité du système public de
sécurité, optent pour la "solution" du dénommé
"nettoyage social" de la zone, qui passe par l'exécution de nombreux
jeunes. »
Comme le note, la commission parlementaire, ces groupes
agissent surtout dans les quartiers pauvres et dans les
périphéries et sont généralement constitués
d'individus opérant dans les zones où ils résident. Ce qui
différencie ces organisations des autre groupes criminels et ce qui fait
leur spécificité, c'est leur intrication avec les organes de
sécurité publique :
« les justiciers sont pour la plupart des policiers
retraités ou en activité ou des personnes reliées à
la police, qui se lient à des agents de sécurité
privée et font régner ce qu'ils considèrent comme
étant la justice. Et ils le font impunément parce qu'ils peuvent
compter sur le soutien de la police elle-même, qui laisse à ces
organisations ce qu'on pourrait appeler le "sale boulot". [...]. Le plus grave
n'est pas l'omission de l'État, en soi criminelle, mais la participation
directe des appareils de sécurité publique dans les actions
d'extermination de ces groupes de tueurs, qui peuvent en outre
129
compter sur la connivence ou la complicité de certains
secteurs du Ministère Public et du Pouvoir Judiciaire. »
Le rapport de presque 600 pages offre ensuite une analyse
détaillée des activités de ces groupes dans les neufs
États du Nordeste brésilien. On peut y lire qu'à Natal, la
plus notables de ces organisations a pris le nom de « Meninos de Ouro
» (les garçons d'or) et était commandée
conjointement par le chef de la Police Civile de l'époque (Maurilio
Pinto de Medeiros) et par un policier du nom de Jorge Luiz Fernandes, dit
« Jorge l'Étouffeur ». Selon les témoins, pas moins
d'une soixantaine d'homicides pourraient être attribués à
cette organisation pendant les années 90 et 2000.
S'appuyant sur le témoignage du
Délégué et Président de la Première
Commission Disciplinaire des Affaires Intérieures de la Police Civile de
l'État du Rio Grande do Norte, la Commission parlementaire affirme que
:
« Il y a une relation de la Police avec les autres
Pouvoirs, comme par exemple avec le juge de la 12ème Cour Pénale,
Carlos Adel, qui, selon le témoin, aurait affirmé que tant qu'il
serait à la tête de cette Cour Pénale, jamais "Jorge
l'Étouffeur" ne serait emprisonné. Le témoin nomme
"promiscuité" la relation entre le Judiciaire et les membres du groupe
d'extermination "Meninos de Ouro", qui allaient jusqu'à
commémorer les résultats des procès dans les villas des
juges ; et affirme qu'il y a au sein du propre Ministère Public des
personnes qui transmettent des informations aux groupes d'extermination. »
(Comissão Parlamentar de
117
Inquérito do Extermínio no Nordeste, 2005).
Aujourd'hui, l'organisation ne serait plus en activité.
Cependant d'autres pourraient avoir pris sa place dans le Rio Grande do Norte,
notamment sous le nom plus actuel de « milices ». Du fait de la
nature criminelle de leurs pratiques et de leur intrication avec les pouvoirs
publics, il est presque impossible d'avoir des informations actualisées
sur le sujet. Cependant leur présence attestée en 2005 dans le
rapport parlementaire illustre la tendance de la société
brésilienne à régler les conflits de manière
violente et à recourir à la justice privée pour pallier
aux défaillances du système légal. Comme le note le
rapport, « une des explications de l'existence de ces groupes
réside dans le fait que la population ne croit pas
117 Traductions de l'auteur
130
aux institutions étatiques de combat contre le crime
». Face au sentiment d'insécurité croissant, les populations
ont en effet tendance à appuyer des pratiques violentes et parfois
illicites contre ceux qui sont jugés dangereux et
indésirables.
Si la peine de mort est en principe abolie au Brésil,
les homicides perpétrés au nom de la sécurité
publique y sont pourtant largement légitimés par une frange
significative de la population, qui y voit une mesure nécessaire
à l'éradication de la criminalité. Ainsi, j'ai pu observer
sur les groupes Whatsapp du Conseil communautaire de sécurité,
que chaque fois qu'était communiquée une information selon
laquelle un individu suspecté de crime avait été abattu
par la police, toutes les réactions étaient positives et
félicitaient avec enthousiasme le travail de la police et ce, avant
même de savoir si le défunt était factuellement coupable de
crimes ou non. Le Vice-Président du Conseil communautaire de
sécurité est formel :
« Aujourd'hui c'est un très grand honneur de
pouvoir dire que ici dans la communauté, tout le monde appuie à
100% la police militaire. [...] Nous faisons entièrement confiance
à la police. »118
Entretien avec Ricardo, 38 ans, Directeur
d'école et Vice-Président du Conseil communautaire du Conjunto
dos Professores octobre 2017
Outre cet appui de la population aux meurtres par la police
des individus jugés dangereux, la justice agit comme un organe de
légitimation de ces pratiques.
B) Impunités judiciaires
La police est, pour ainsi dire, quasiment incitée par
la justice à faire recours à la violence létale dans ces
actions répressives. En ne condamnant presque jamais les agents des
forces de l'ordre, allant même jusqu'à évincer des preuves
évidentes, le pouvoir judiciaire envoie en effet un message clair aux
agents de police. Selon le Núcleo Especializado de Cidadania e
Direitos Humanos da Defensoria Pública de São Paulo, plus de
90% des cas de résistance suivie de mort sont classés sans suite.
Amnesty International qui a suivi les 220 investigations d'homicides impliquant
des policiers, initiées en 2011 dans la ville de Rio de Janeiro note
qu'en 2015, quatre ans plus tard, une seule a débouché sur une
dénonciation du Ministère Public permettant l'ouverture d'un
procès. Et quand les
118 Traduction de l'auteur
131
enquêtes donnent finalement lieu à des
procès, les condamnations d'agents des forces de l'ordre sont rares. On
pourra ainsi donner l'exemple du procès cité par Adriana Vianna
et Juliana Farias : alors que l'accusation porte sur l'homicide de quatre
habitants d'une favela par un groupe de policiers militaires, la défense
va inverser le cours du procès et transformer les victimes en
accusés :
« Se dessine à ce moment l'inversion qui
caractérise toute audience d'instruction et tout jugement de policiers
accusés de meurtre d'habitants des favelas que nous avons pu observer
jusqu'à ce point de notre recherche : l'accusé cesse d'être
la cible des accusation du jugement, car celles-ci sont dirigées par la
défense contre les victimes de la tuerie, obligeant le procureur et
l'assistant d'accusation à redoubler d'efforts pour défendre les
propres victimes. En ce sens, l'équipe responsable de l'accusation des
policiers se voit contrainte à utiliser la plus grande partie du temps
de l'audience en vue de "laver moralement" les victimes et, par extension leurs
parents. L'inversion complète du cadre débouche ainsi sur le fait
que lors d'un jugement de ce type, la défense accuse et l'accusation
défend. » (Vianna, Farias, 2011).
Les auteurs détaillent ensuite ce processus
d'accusation inversée, reposant par ailleurs sur des allégations,
qui, si le sujet n'était pas dramatique pourrait porter à rire
:
« Il est significatif de noter que la défense [du
policier mis en cause] n'a pas choisi (ou n'a pas jugé
nécessaire) d'affirmer péremptoirement que les défunts
faisaient partie du "trafic" ni de prouver leur participation dans des
affrontements armés. Au contraire, elle a préféré
mobiliser une zone d'ombre et de doutes, insinuant qu'il n'était pas
possible d'avoir la certitude de leur condition de "travailleur". Un des
moments forts de cette stratégie fut gardé, comme on pouvait
l'espérer, pour les allégations finales. Dans un geste
théâtral précis, le défenseur public se tourna vers
la partie de l'audience où nous étions et, se dirigeant vers
Andreia, lui dit qu'il n'affirmait pas que son fils, Miguel, était un
trafiquant. Ensuite, se tournant vers le jury, il continua : "Mais vous avez vu
ce qu'a dit une des témoins. Qu'est ce qu'il avait sur le dos ? Un sac
à dos ! Et chacun d'entre nous ici a
pu voir à la télévision les trafiquants
fuyant de la Vila Cruzeiro. Qu'est ce qu'ils avaient sur le dos ? Des sacs
à dos !" » (Ibid).
Et les auteurs concluent :
« Ce n'est pas par hasard si le travail argumentatif
réalisé [...] tout au long du conflit judiciaire pour condamner
les policiers, se base sur l'importance de prouver que les morts étaient
"honnêtes" et non des "bandits" ou des "trafiquants", c'est à
dire, sur l'importance de les insérer primordialement dans le même
espace de droit que ceux qui doivent être protégés - et
non
annihilé - par l'État, ici corporifié dans
la figure des policiers. » (Ibid).
119
Comme dans la plupart des procès de ce type, l'agent de
police fut finalement acquitté. Et si les agents des forces de l'ordre
sont ainsi acquittés, c'est bien parce que le jury, composé en
majorité d'individus de classe moyenne ou haute (Schritzmeyer, 2014) est
favorable aux actions policières dans les favelas, ainsi que j'ai pu le
constater au long de mon enquête de terrain.
Si certains croient que cette politique de répression
violente finira par porter ses fruits et qu'à force d'abattre les «
bandits » il n'en restera plus, il me semble qu'il s'agit là d'une
utopie autoritariste. Car sans autres propositions politiques associées,
les meurtres qui, bien souvent, touchent aussi des innocents, entretiennent
chez certains habitants des périphéries urbaines, une rancoeur
généralisée de tout ce qui peut représenter
l'origine des souffrances endurées : police, État, classes
privilégiées, (in)justice,... Rancoeur dont un exemple me fut
donné lors de la XV semaine d'anthropologie de l'UFRN, quand une
mère de famille ayant perdu un fils sous les balles de la police
militaire cita son autre fils de 9 ans : « maman, quand je serai grand, je
tuerai les policiers qui ont tué Antonio », lui dit-il.
132
119 Traductions de l'auteur
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