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Villes de la Peur, Pratiques et Discours Sécuritaires au Brésil

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par Alix Macadré
Université de Bretagne Occidentale (UBO) - Master 2 Anthropologie 2018
  

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II/ Corps tuables

« Quand les autres sont rendus coupables du mal qui nous atteint, et quand les croyances sont transcendantes et absolues, l'idée de mal s'associe à la classification des ennemis, des rivaux, des étrangers et des différents comme agents du Démon. Cette posture face au mal peut déboucher sur la justification du sacrifice et de l'extermination de l'autre pour maintenir la normalité et l'ordre en place. Autrement dit, si l'autre est associé au mal et au Démon, le recours à la violence pour la résolution des conflits pourra être considérée valide et justifiée. »108

Cesar Pinheiro Teixeira, 2009, p.62

La bipartition de la sphère sociale entre « cidadão de bem » (citoyen du bien) et « bandido » (bandit) a pour conséquence l'exclusion du bandit du pacte social. Dans l'imaginaire collectif, le « bandit » est cette entité étrangère qui terrorise la population et menace l'ordre de la nation. Pour cette raison le « bandit » n'est pas un citoyen (ni encore moins un « citoyen du bien »). Il est au contraire un ennemi intérieur. Tel un bouc émissaire, il représente la cause de tous les maux du pays et incarne une des explications de son mauvais fonctionnement. Il inspire la peur. Mi-homme mi-bête, son existence en tant que concitoyen lui est refusée. Et en tant qu'ennemi intérieur, en tant qu'étranger au pacte social, il ne peut se prévaloir des mêmes règles que les autres citoyens. Son existence est régie par un état d'exception coutumier : il est un être indigne de vivre, un corp tuable (Zaccone, 2015), un être dont on peut désirer qu'il meurt (Misse, 2010). Si la majorité des homicides recensés sont issus d'affrontements et de règlements de compte entre individus reliés, de près ou de loin, au « monde du crime » et peuvent ainsi être attribués en partie à l'inaction de l'État et à son incapacité à faire prévaloir son monopole de la force légitime, une partie significative des homicides est toutefois à mettre directement sur le compte des autorités policières (A), dont les actions meurtrières sont rendues possibles grâce à l'impunité juridique dont ces derniers bénéficient largement (B).

108 Traduction de l'auteur

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A) Violences policières

Les violences policières sont le résultat d'une longue tradition répressive issue du régime esclavagiste. Comme le note le juriste, philosophe et sociologue Laurindo Dias Minhoto,

« La souffrance physique comme forme privilégiée de la punition constitue une pratique qui remonte au système policier des temps coloniaux. Dans la mesure où elle fonctionnait comme supplément à la coercition exercée par les seigneurs des esclaves, l'institution policière brésilienne s'est érigée sur la base de l'intériorisation des nombreuses pratiques sanguinaires utilisées à l'époque. Les seigneurs des esclaves [...], comme chacun le sait, pouvaient utiliser, jouir et abuser de leurs biens selon leur bon vouloir. C'est précisément cette combinaison inusitée, cette folle mixture entre le droit de propriété bourgeois et le recours à la main d'oeuvre esclave qui permet de comprendre la façon particulière dont s'est construit et structuré l'institution policière brésilienne. Au Brésil, la police a mimétisé le pilori seigneurial. Avec la modernisation incomplète et hautement inégale du pays, le modèle sauvage de la préservation de l'ordre dans les plantations [senzala] a été étendu au contrôle des hommes libres des classes subalternes. » (Minhoto, 2002)

L'avènement du régime militaire en 1964 n'a fait que renforcer le pouvoir de la police qui, notamment au travers de la constitution d'escadrons de la mort pratiquait la torture et les assassinats sans avoir de compte à rendre à la justice :

« Pendant la dictature militaire, sous l'argument de la "sécurité nationale" - sorte de remake de l'idéologie de la subversion, construite à partir de l'identification d'un "ennemi intérieur" - s'est observée une extension sans précédent du pouvoir de la police militaire. En conséquence, existe depuis lors, au Brésil, un processus croissant de militarisation du contrôle du crime, selon lequel les stratégies de combat contre la criminalité et celles visant le maintien de l'ordre public, incorporent des tactiques généralement utilisées lors d'opérations de guerre. » (Ibid)

109

109 Traductions de l'auteur

125

Selon l'Anuário Brasileiro de Segurança Pública , sur les 61.283 mortes violentes intentionnelles recensées au Brésil en 2016, 4.222 étaient le résultat d'une action policière, faisant ainsi de la police brésilienne la police la plus meurtrière du monde. Sur ces 4222 personnes, 99,3% étaient des hommes, 81,8% avaient entre 12 et 29 ans et 76,2% étaient noirs . Dans le Rio Grande do Norte, ils furent 65 à succomber sous les balles de la Police

110

en 2016.

D'un point de vue juridique, dans la plupart des cas recensés, ces homicides entrent dans le cadre de ce que le code pénal définit sous le nom de « résistance à arrestation suivie de mort » (article 121 du Code Pénal Brésilien) et qui ne constitue pas un crime si l'agent le pratique en état de nécessité, de légitime défense ou en stricte application du devoir légal.

Il est difficile de savoir si les 4222 homicides commis par la police brésilienne en 2016 rentrent dans cette exception pénale ou non :

« En raison du fait que les investigations sont conduites par la propre Police Militaire [...] les preuves peuvent être facilement manipulées et un crime être transformé en action légitime. [...] Dans de nombreux cas, alors que la mort est déjà avérée, les policiers transportent le corps vers un hôpital, donnant ainsi l'impression qu'ils accomplissent leur devoir ce qui rend difficile la construction de la preuve de l'illégalité de l'action. Selon les cas, l'autopsie pourra contredire la version policière et montrer qu'il y a eu exécution de la victime. Quoi qu'il en soit "résistance à arrestation suivie de mort" est un justificatif omniprésent dans les enquêtes policières militaires et c'est bien souvent cette version qui prévaut lors des procès quand il n'y a ni preuve ni témoin qui la contredisent. » (Neme, 2000).

111

Cependant, certains éléments nous alertent sur la violence des pratiques policières. En premier lieu, il y a les nombreux rapports alarmants des différentes organisations non gouvernementales et de l'ONU (Amnesty International, 2005, 2007, 2010, 2015 ; Human

110 Anuário Brasileiro de Segurança Pública, 2017

111 Traduction de l'auteur

126

Rights Watch, 1997, 2009 ; ONU, 2007, 2010). Amnesty International, par exemple, introduit son rapport de 2015 en disant que :

« Les exécutions extrajudiciaires commises par des policiers sont fréquentes au Brésil. Dans le contexte qui a pris le nom de "guerre aux drogues", la Police Militaire a fait usage de la force létale de forme inutile et excessive, provoquant des milliers de morts durant les dernières décennies. Les autorités utilisent fréquemment les termes "actes de résistance" ou "homicides résultant d'interventions policière" comme un rideau de fumée servant à dissimuler les exécutions extrajudiciaires réalisées par des policiers. »112

D'autre part, la position discursive et l'univers symbolique des différents organes policiers témoignent indirectement des pratiques létales de ces organes. Citons par exemple l'écusson du BOPE (Batalhão de Operações Policiais Especiais) qui représente un crâne perforé de haut en bas par un couteau et orné de deux pistolets.

Image 2 : Écusson du Batalhão de Operações especiais (BOPE)

Source : Batalhão de Operações especiais

112 Amnistie Internationale, « Você matou meu filho. Homicídios cometidos pela Polícia Militar na cidade do Rio de Janeiro », 2015. Traduction de l'auteur

127

En 2013, ce même bataillon, chargé des opérations tactiques en territoire urbain, avait été filmé lors d'un entraînement dans un parc public de Rio de Janeiro, entonnant un chant de guerre dont les paroles étaient les suivante :

« C'est le Bope qui prépare l'invasion, Et pour l'invasion, aucune négociation, Le tir est dans la tête et l'agresseur au sol. Et on rentre au QG pour fêter ça. »113

Quant à la Rondas Ostensivas Tobias de Aguiar (ROTA), plus important bataillon de Police Militaire du Brésil, un simple coup d'oeil sur sa page Facebook suffit à prendre la

114

température du positionnement idéologique de l'institution face aux agents criminels. En effet, la majorité des vidéos mises en ligne sur cette page suivie par plus d'un million d'internautes, mettent en scène des faits divers d'agressions criminelles avec toujours cette question en légende : « qu'est ce qu'ils méritent ces marginaux ? ». On se passera de rapporter ici les nombreux commentaires apportant réponses à cette interrogation...

Enfin, plusieurs études dénoncent la peur de l'institution policière ressentie par les brésiliens et notamment par les classes les plus vulnérables. Un rapport du Fórum Brasileiro de Segurança Pública , montre ainsi que 67% des jeunes brésiliens ont peur de la Police

115

militaire. L'association Médecins Sans Frontières rapporte quant à elle l'existence de graves symptômes d'angoisse chez les enfants des favelas de Rio de Janeiro à la simple vue des uniformes policiers.

D'autre part, la police ne tue pas que dans le cadre de ses fonctions. En effet, le Brésil est le théâtre de ce qu'il est courant d'appeler des « groupes d'extermination » (grupos de exterminio). Apparues sous le régime militaire, ces organisations rassemblent des policiers, actifs ou retraités, des agents de sécurité privée et quelques citoyens qui, se protégeant au travers de leurs relations avec les pouvoirs publics, se livrent à des exécutions sommaires. En 2005, une commission d'enquête parlementaire délivre un rapport sur ces pratiques dans le Nordeste brésilien . Dans son introduction, le document explique

116

l'apparition historique de ces groupes héritiers de la dictature :

113 Globo News, 30 avril 2013 - Tropa do Bope canta grito de guerra que faz apologia à violência. Traduction de l'auteur.

114 Nom de la page : Amigos da ROTA. Consultée en ligne le 15 mai 2018.

115 Anuário Brasileiro de Segurança Pública 2017.

116 Comissão Parlamentar de Inquérito do Extermínio no Nordeste, 2005.

128

« Le développement des organisations paramilitaires, notamment incarnées par les escadrons de la mort, s'est fait sous le prétexte de combattre le crime et de "laver" la société des personnes considérées "indésirables". Avec la fin de la dictature, la plupart des escadrons de la mort furent démantelés. Cependant, la philosophie de la "Justice Parallèle" est restée ancrée dans la société et dans les institutions publiques responsables de la sécurité des citoyens. Stimulés par la tradition de l'impunité et soutenus par l'utilisation idéologique du discours de l'insécurité croissante, ces nouveaux mécanismes de combat illégaux contre la criminalité surgirent sous le nom de groupes d'extermination ».

Le rapport continue en expliquant le fonctionnement de ces organisations :

« Une grande partie des actions criminelles de ces groupes est parrainée par des commerçants et des habitants de certains quartiers qui, face à l'augmentation de la violence et face à l'inefficacité du système public de sécurité, optent pour la "solution" du dénommé "nettoyage social" de la zone, qui passe par l'exécution de nombreux jeunes. »

Comme le note, la commission parlementaire, ces groupes agissent surtout dans les quartiers pauvres et dans les périphéries et sont généralement constitués d'individus opérant dans les zones où ils résident. Ce qui différencie ces organisations des autre groupes criminels et ce qui fait leur spécificité, c'est leur intrication avec les organes de sécurité publique :

« les justiciers sont pour la plupart des policiers retraités ou en activité ou des personnes reliées à la police, qui se lient à des agents de sécurité privée et font régner ce qu'ils considèrent comme étant la justice. Et ils le font impunément parce qu'ils peuvent compter sur le soutien de la police elle-même, qui laisse à ces organisations ce qu'on pourrait appeler le "sale boulot". [...]. Le plus grave n'est pas l'omission de l'État, en soi criminelle, mais la participation directe des appareils de sécurité publique dans les actions d'extermination de ces groupes de tueurs, qui peuvent en outre

129

compter sur la connivence ou la complicité de certains secteurs du Ministère Public et du Pouvoir Judiciaire. »

Le rapport de presque 600 pages offre ensuite une analyse détaillée des activités de ces groupes dans les neufs États du Nordeste brésilien. On peut y lire qu'à Natal, la plus notables de ces organisations a pris le nom de « Meninos de Ouro » (les garçons d'or) et était commandée conjointement par le chef de la Police Civile de l'époque (Maurilio Pinto de Medeiros) et par un policier du nom de Jorge Luiz Fernandes, dit « Jorge l'Étouffeur ». Selon les témoins, pas moins d'une soixantaine d'homicides pourraient être attribués à cette organisation pendant les années 90 et 2000.

S'appuyant sur le témoignage du Délégué et Président de la Première Commission Disciplinaire des Affaires Intérieures de la Police Civile de l'État du Rio Grande do Norte, la Commission parlementaire affirme que :

« Il y a une relation de la Police avec les autres Pouvoirs, comme par exemple avec le juge de la 12ème Cour Pénale, Carlos Adel, qui, selon le témoin, aurait affirmé que tant qu'il serait à la tête de cette Cour Pénale, jamais "Jorge l'Étouffeur" ne serait emprisonné. Le témoin nomme "promiscuité" la relation entre le Judiciaire et les membres du groupe d'extermination "Meninos de Ouro", qui allaient jusqu'à commémorer les résultats des procès dans les villas des juges ; et affirme qu'il y a au sein du propre Ministère Public des personnes qui transmettent des informations aux groupes d'extermination. » (Comissão Parlamentar de

117

Inquérito do Extermínio no Nordeste, 2005).

Aujourd'hui, l'organisation ne serait plus en activité. Cependant d'autres pourraient avoir pris sa place dans le Rio Grande do Norte, notamment sous le nom plus actuel de « milices ». Du fait de la nature criminelle de leurs pratiques et de leur intrication avec les pouvoirs publics, il est presque impossible d'avoir des informations actualisées sur le sujet. Cependant leur présence attestée en 2005 dans le rapport parlementaire illustre la tendance de la société brésilienne à régler les conflits de manière violente et à recourir à la justice privée pour pallier aux défaillances du système légal. Comme le note le rapport, « une des explications de l'existence de ces groupes réside dans le fait que la population ne croit pas

117 Traductions de l'auteur

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aux institutions étatiques de combat contre le crime ». Face au sentiment d'insécurité croissant, les populations ont en effet tendance à appuyer des pratiques violentes et parfois illicites contre ceux qui sont jugés dangereux et indésirables.

Si la peine de mort est en principe abolie au Brésil, les homicides perpétrés au nom de la sécurité publique y sont pourtant largement légitimés par une frange significative de la population, qui y voit une mesure nécessaire à l'éradication de la criminalité. Ainsi, j'ai pu observer sur les groupes Whatsapp du Conseil communautaire de sécurité, que chaque fois qu'était communiquée une information selon laquelle un individu suspecté de crime avait été abattu par la police, toutes les réactions étaient positives et félicitaient avec enthousiasme le travail de la police et ce, avant même de savoir si le défunt était factuellement coupable de crimes ou non. Le Vice-Président du Conseil communautaire de sécurité est formel :

« Aujourd'hui c'est un très grand honneur de pouvoir dire que ici dans la communauté, tout le monde appuie à 100% la police militaire. [...] Nous faisons entièrement confiance à la police. »118

Entretien avec Ricardo, 38 ans, Directeur d'école et Vice-Président du Conseil communautaire du Conjunto dos Professores octobre 2017

Outre cet appui de la population aux meurtres par la police des individus jugés dangereux, la justice agit comme un organe de légitimation de ces pratiques.

B) Impunités judiciaires

La police est, pour ainsi dire, quasiment incitée par la justice à faire recours à la violence létale dans ces actions répressives. En ne condamnant presque jamais les agents des forces de l'ordre, allant même jusqu'à évincer des preuves évidentes, le pouvoir judiciaire envoie en effet un message clair aux agents de police. Selon le Núcleo Especializado de Cidadania e Direitos Humanos da Defensoria Pública de São Paulo, plus de 90% des cas de résistance suivie de mort sont classés sans suite. Amnesty International qui a suivi les 220 investigations d'homicides impliquant des policiers, initiées en 2011 dans la ville de Rio de Janeiro note qu'en 2015, quatre ans plus tard, une seule a débouché sur une dénonciation du Ministère Public permettant l'ouverture d'un procès. Et quand les

118 Traduction de l'auteur

131

enquêtes donnent finalement lieu à des procès, les condamnations d'agents des forces de l'ordre sont rares. On pourra ainsi donner l'exemple du procès cité par Adriana Vianna et Juliana Farias : alors que l'accusation porte sur l'homicide de quatre habitants d'une favela par un groupe de policiers militaires, la défense va inverser le cours du procès et transformer les victimes en accusés :

« Se dessine à ce moment l'inversion qui caractérise toute audience d'instruction et tout jugement de policiers accusés de meurtre d'habitants des favelas que nous avons pu observer jusqu'à ce point de notre recherche : l'accusé cesse d'être la cible des accusation du jugement, car celles-ci sont dirigées par la défense contre les victimes de la tuerie, obligeant le procureur et l'assistant d'accusation à redoubler d'efforts pour défendre les propres victimes. En ce sens, l'équipe responsable de l'accusation des policiers se voit contrainte à utiliser la plus grande partie du temps de l'audience en vue de "laver moralement" les victimes et, par extension leurs parents. L'inversion complète du cadre débouche ainsi sur le fait que lors d'un jugement de ce type, la défense accuse et l'accusation défend. » (Vianna, Farias, 2011).

Les auteurs détaillent ensuite ce processus d'accusation inversée, reposant par ailleurs sur des allégations, qui, si le sujet n'était pas dramatique pourrait porter à rire :

« Il est significatif de noter que la défense [du policier mis en cause] n'a pas choisi (ou n'a pas jugé nécessaire) d'affirmer péremptoirement que les défunts faisaient partie du "trafic" ni de prouver leur participation dans des affrontements armés. Au contraire, elle a préféré mobiliser une zone d'ombre et de doutes, insinuant qu'il n'était pas possible d'avoir la certitude de leur condition de "travailleur". Un des moments forts de cette stratégie fut gardé, comme on pouvait l'espérer, pour les allégations finales. Dans un geste théâtral précis, le défenseur public se tourna vers la partie de l'audience où nous étions et, se dirigeant vers Andreia, lui dit qu'il n'affirmait pas que son fils, Miguel, était un trafiquant. Ensuite, se tournant vers le jury, il continua : "Mais vous avez vu ce qu'a dit une des témoins. Qu'est ce qu'il avait sur le dos ? Un sac à dos ! Et chacun d'entre nous ici a

pu voir à la télévision les trafiquants fuyant de la Vila Cruzeiro. Qu'est ce qu'ils avaient sur le dos ? Des sacs à dos !" » (Ibid).

Et les auteurs concluent :

« Ce n'est pas par hasard si le travail argumentatif réalisé [...] tout au long du conflit judiciaire pour condamner les policiers, se base sur l'importance de prouver que les morts étaient "honnêtes" et non des "bandits" ou des "trafiquants", c'est à dire, sur l'importance de les insérer primordialement dans le même espace de droit que ceux qui doivent être protégés - et non

annihilé - par l'État, ici corporifié dans la figure des policiers. » (Ibid).

119

Comme dans la plupart des procès de ce type, l'agent de police fut finalement acquitté. Et si les agents des forces de l'ordre sont ainsi acquittés, c'est bien parce que le jury, composé en majorité d'individus de classe moyenne ou haute (Schritzmeyer, 2014) est favorable aux actions policières dans les favelas, ainsi que j'ai pu le constater au long de mon enquête de terrain.

Si certains croient que cette politique de répression violente finira par porter ses fruits et qu'à force d'abattre les « bandits » il n'en restera plus, il me semble qu'il s'agit là d'une utopie autoritariste. Car sans autres propositions politiques associées, les meurtres qui, bien souvent, touchent aussi des innocents, entretiennent chez certains habitants des périphéries urbaines, une rancoeur généralisée de tout ce qui peut représenter l'origine des souffrances endurées : police, État, classes privilégiées, (in)justice,... Rancoeur dont un exemple me fut donné lors de la XV semaine d'anthropologie de l'UFRN, quand une mère de famille ayant perdu un fils sous les balles de la police militaire cita son autre fils de 9 ans : « maman, quand je serai grand, je tuerai les policiers qui ont tué Antonio », lui dit-il.

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119 Traductions de l'auteur

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire