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Villes de la Peur, Pratiques et Discours Sécuritaires au Brésil

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par Alix Macadré
Université de Bretagne Occidentale (UBO) - Master 2 Anthropologie 2018
  

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Partie 5 : Construction sociale du

« bandit » et pratiques répressives

Comme nous l'avons vu, chez les participants au Conseil communautaire de sécurité du Conjunto dos Professores, la peur de la criminalité est aussi une peur de l'Autre : une peur du criminel, du « bandit », mais aussi une peur du différent, du marginalisé, du pauvre, du Noir, du « favelado »... Cette peur, traduite dans l'espace ségrégué, est un des facteurs qui favorise l'émergence, au sein de la société brésilienne, d'une radicalisation des discours à l'encontre de certains individus et groupes sociaux (I), discours qui in fine, légitiment la perpétuation de pratiques violentes de la part des forces de l'ordre (II) et justifient le développement d'un État carcéral et punitif (III). Ces pratiques, loin de résoudre le problème de la criminalité urbaine, participent paradoxalement à son développement.

I/ « Bandido bom é bandido morto »

« J'ai connu l'enfer, j'ai connu l'invisibilité, j'ai connu ceux qui se saisissent de ta souffrance pour t'enfoncer un peu plus, j'ai connu ceux qui t'offrent de la drogue pour que tu la consommes et la vendes. J'ai choisi l'alcool. À 15 ans je n'avais déjà plus envie de voir le soleil. Quand je me réveillais, il faisait déjà nuit. Je buvais comme si l'alcool était un repas. Quand je sortais dans la rue pour trouver de la thune, je voyais les autres enfants heureux avec leurs parents, revenant de l'école. Bourrée et affamée, je regardais les gens jeter à la poubelle des bouts de pain que je voulais manger.

J'ai passé une semaine enfermée, buvant, pleurant, dormant et à me souvenir de mon grand-père qui chantait dans le jardin des musiques avec mon nom. Quelque chose me faisait croire que je ne devais pas avoir peur, que je ne manquerais à personne. Quelque chose me disait que j'allais faire mal à quelqu'un à n'importe quel moment. Mais quelque chose me disait qu'il existait encore un endroit heureux pour moi, avec des gens qui s'inquiétaient pour moi.

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J'avais la haine de Dieu, du monde et des gens heureux, parce que je devais manger les restes de nourriture de personnes qui faisaient semblant de ne pas me voir. Je devais dormir avec un couteau sous l'oreiller, pour ne pas être violée, parce que ma maison n'avait pas de porte. Quand je vois des gamins qui vivent dans la rue, je les ramène à la maison, je leur raconte d'abord mon histoire, je gagne leur respect et ensuite j'essaye de connaitre un peu de leur vie.

C'est comme ça que ça c'est passé avec mon ami Zé, mort en décembre dernier. Il avait 13 ans et survivait dans la rue, comme moi à l'époque. Il n'avait pas réussi à avoir une place à l'école, mon producteur a essayé, en passant par la préfecture, mais il n'a pas réussi non plus. Zé voulait étudier cette année, mais il passait ses journées dans la rue, travaillant pour aider sa mère et ses frères. Il était au mauvais endroit au mauvais moment. Il n'a pas couru parce qu'il était un enfant et qu'il n'était pas armé. Zé était noir. Je me souviens comme si c'était hier, de lui, de son frère et d'un ami chantant des musiques de Pablo Vittar. Malgré toutes les difficultés, Zé était un gamin souriant et drôle. Il a été assassiné parce qu'il était noir et pauvre.

Comment extraire la haine du coeur des gens qui perdent des membres de leur famille, innocents ? [...] Comment tirer les enfants des rues, où ils crèvent de faim et sont exploités pour pouvoir aider leur mère et leurs cadets ? Comment éloigner ces enfants des drogues et du crime ? Dans ma communauté, il y avait des espaces de sport et de loisirs pour les gamins, mais ils ont tout enlevé. Avec tous ces vols du gouvernement, ils ont mis fin à tout un tas de projets dans les communautés. Il y a deux semaines ils ont même fermé le poste de soins de Jurujuba.

Je trouve ça très facile que des personnes qui naissent déjà stables psychologiquement et financièrement, qui naissent héritières, bardées de privilèges de blancs, avec des factures et la fac payées chaque mois par les parents, qui reçoivent en cadeau une voiture pour leur dix-huitième anniversaire, alimentent le discours de la haine, écrivant sur leur iPhone,

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depuis leur maison accueillante qu'un bon bandit est un bandit mort, pour peu qu'il soit favelado, noir et pauvre. Vous croyez qu'un jeune favelado choisit par volonté propre d'entrer dans le monde du crime, ou de descendre dans le centre pour voler un téléphone ou faire la manche ? Vous croyez vraiment que ces jeunes souhaitent errer dans les rues et être invisibles ? Vous croyez que le rêve de ces jeunes est de finir leur vie dans une prison ? [...] Eux aussi veulent étudier. Comme vous, ils voudraient une maison, une famille et pouvoir manger à leur faim.

Il est difficile d'imaginer vos enfants blancs, studieux, privilégiés, être arrêtés et avoir besoin que leurs droits humains soient respectés. [...] Nous savons bien que vos enfants ne seront pas arrêtés pour avoir vendu de la drogue en soirée. Tout le monde sait qu'un fils à papa qui fait des conneries est seulement en train de passer par une «phase rebelle» et que jamais il ne sera vu comme un «trafiquant». Ce titre appartient au jeune favelado noir et pauvre. Mais vos enfants peuvent revenir bourrés de soirée, écraser et tuer quelqu'un d'important. À ce moment là vous comprendrez le sens de Droits Humains. À ce moment-là il vous faudra revoir vos concepts. Un bon bandit est il un bandit mort lorsque le bandit est de votre famille ? »98

MC Carol, Compositrice brésilienne, texte publié sur sa page Facebook, le 17 mars 2018

Depuis ces trente dernières années, le Brésil fait face à une crise de la sécurité. Le thème de la criminalité s'est logiquement établi comme un des principaux sujets discutés, que ce soit par les organisations politiques, les médias ou la société civile. Le « discours sur le crime » (Caldeira, 2000) s'est peu à peu érigé en champ symbolique de représentations des agents du crime et donne lieu à des positions radicales contre ces mêmes agents. Si la plupart des attaques à main armée dans des quartiers tels que le Conjunto dos Professores ne se terminent presque jamais en homicide, elles placent toutefois les victimes face à une arme et face à une menace de mort, provoquant ainsi dans de nombreux cas des états de stress post-traumatiques. Joints à une mauvaise compréhension des 60.000 homicides que

98 Traduction de l'auteur

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le Brésil recense chaque année et à une prolifération des émissions télévisuelles exacerbant les faits divers, ces traumatismes et leurs récits, génèrent chez nombre de brésiliens un sentiment de danger de mort permanent et une sensation d'impuissance face au contrôle de la situation. En réponse, des discours radicaux se développent au sein de certaines franges de la population, gagnant aujourd'hui une importance significative dans la société, comme en témoigne par exemple la popularité du candidat Jair Bolsonaro aux élections présidentielles de 2018. Ces discours peuvent être résumés à l'aide de ces petites phrase qui font leur succès : « bandido bom é bandido morto » (un bon bandit est un bandit mort), « violência se combate com violência » (la violence se combat par la violence) ou encore « menos um » (un de moins) lorsqu'un individu tombe sous les balles de la police.

Pour saisir toute la teneur de ces discours qui, par leur force symbolique, participent au maintien et à la dégradation de pratiques policières et carcérales allant à l'encontre des Droits Humains et de la Constitution Fédérale, il faut les replacer dans le contexte culturel brésilien et comprendre comment sont perçus les « bandits » dans ce pays.

Il est possible de déceler dans l'imaginaire social brésilien deux principales manières de concevoir les individus qui pratiquent des actes de criminalité urbaine. Ces représentations ne sont assurément pas universalisables et ne peuvent être attribuées à l'ensemble de la population brésilienne qui, comme toute population, produit des représentations multiples, diversifiées et contradictoires. Cependant, cette diversité des discours et des points de vue n'empêche pas, à mon avis, la systématisation de catégories dès lors que ces représentations sont partagées par un nombre suffisamment important d'individus au point de créer un ordre symbolique ayant des conséquences observables dans le monde social.

A) Le « bandit » et le Diable

Au Brésil, seulement 8% de la population se déclare sans religion, tandis que 65% se dit catholique, 22% évangélique, 2% spiritiste et 0,3% de confession afro-brésilienne . En

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comparaison avec des pays de tradition plus athéiste, le Sacré occupe une place significative dans la société brésilienne et participe fortement au positionnement moral, idéologique et politique des individus.

99 Sources : IBGE - censo Demográfico de 2000

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Si au sein de l'offre religieuse, nombreuses sont les congrégations qui promeuvent des morales inclusives et compréhensives, d'autres cependant adoptent des lignes de pensée particulièrement radicales contre les auteurs d'actes de criminalité. C'est le cas notamment des églises évangéliques, en plein développement ces vingt dernières années. Il serait là encore tout à fait fallacieux de généraliser et de ranger sous une même appellation l'ensemble des courants et des églises qui se revendiquent du courant évangélique et de leur attribuer les mêmes positionnements, mais il me semble toutefois important de signaler l'importance croissante de certaines d'entre elles dont le positionnement idéologique est assez surprenant. Citons par exemple l' Igreja Universal do Reino de Deus ou l'Assembleia de Deus. Si comme le fait remarquer John Boswell, ce sont plus les cadres sociaux qui permettent le développement des idéologies religieuses que l'inverse (Boswell, 1985), il

n'empêche que les églises évangéliques possèdent un pouvoir politique 100 101

et médiatique dont il ne faudrait pas mésestimer le rôle dans la fabrication de l'opinion publique. Pour prendre l'exemple de l' Igreja Universal do Reino de Deus, que j'ai eu l'occasion de fréquenter dans un objectif ethnographique, si effectivement son développement rapide est en partie dû à une méthodique adéquation du positionnement de l'institution religieuse avec les attentes populaires (au point de formuler des opinions divergentes selon les besoins), il n'en reste pas moins que les prêches des pasteurs s'appuient sur de redoutables techniques de manipulation qui participent largement au façonnement d'un ordre moral et symbolique que de nombreux fidèles n'osent remettre en cause. Or la rhétorique de ces mouvements, souvent qualifiés de néo-pentecôtistes, est fondée sur les dualismes et les oppositions : cidadão do bem/bandido , Dieu/Satan, entité bienveillante/démon, Bien/Mal. Cesar Pinheiro Teixeira a analysé les répercussions de cette conception du monde sur la représentation du « bandit » dans l'univers pentecôtiste. Il remarque que pour ces mouvements qui considèrent que la Terre est le lieu d'une guerre spirituelle entre Dieu et le Diable, les agents criminels « font partie de l'armée du Démon et sont possédés par le mal. [...] De manière générale, pour les pentecôtistes, le «bandit» est une personne utilisée par le Démon afin que ce dernier puisse atteindre ses trois principaux objectifs : tuer, voler et détruire » (Teixeira, 2009, p.59 - 60). Dès lors, aux yeux de ces mouvements religieux, l'action criminelle perd tous ses liens avec une inclusion dans le monde social et voit son explication relayée au domaine théologique : le « bandit » n'est pas le produit d'un environnement matériel, social,

100 Au Sénat et à la Chambre des Députés, existe une formation évangélique couramment appelée Bancada Evangélica , composée de 87 députés fédéraux (513 au total) et 3 sénateurs (81 au total). Elle s'articule autours de son refus de l'égalité ethnique, de l'égalité de genre, du droit à l'avortement, du droit à l'euthanasie et du droit au mariage homosexuel.

101 Plusieurs évêques du courant pentecôtiste sont aussi directeurs de chaînes de télévision, de journaux ou de chaînes radio. C'est par exemple la cas d'Edir Macedo, fondateur de l' Igreja Universal do Reino de Deus et propriétaire du Groupe Record, troisième plus gros conglomérat médiatique du pays.

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historique et culturel. Il est, au contraire, l'objet d'une utilisation par une entité maléfique qui s'est emparée de son corps et le pousse sur le chemin du « Mal ». Pour cette raison, il pourra être sauvé par la conversion religieuse : « Pour les pentecôtistes, il y a toujours une possibilité de changement pour le bandit, à partir du moment où celui ci «accepte Jésus dans sa vie.» » (Ibid, p. 62). Cependant, Cesar Pinheiro Teixeira note la position paradoxale du mouvement pentecôtiste : alors que l'agent criminel, du fait d'être utilisé par une entité maléfique, pourrait être perçu comme exempt de responsabilité, les pentecôtistes renversent l'ordre de causalité et affirment que la présence de l'entité maléfique dans le corps de l'agent criminel est le résultat des actes de ce dernier et non l'inverse :

« C'est en agissant d'une manière spécifique que l'individu «donne un espace» pour l'action du Diable dans sa vie. Ce n'est pas le Diable qui prend possession du sujet et qui provoque ainsi des maléfices dans sa vie ; mais au contraire, c'est un certain type de comportement qui «attire» l'entité maligne. [...] La responsabilité, dans ce cas, est donc de l'individu. [...] [Cela] montre comment il peut exister, dans l'interprétation que les pentecôtistes font des «bandits», une influence maligne et une volonté individuelle dans une même action. » (Ibid, p. 65)

102

Cela nous amène à l'autre représentation courante du « bandit » dans la société brésilienne.

B) Le « bandit-acteur »

L'autre principale conception de l'agent criminel présente dans la société brésilienne est celle du « bandit » comme individu rationnel, doté de libre arbitre, ayant fait consciemment le choix d'une carrière délinquante. Cette ligne de pensée, héritée des théologies chrétiennes et de l'idéologie méritocratique, est mise en avant notamment par les groupes politiques de droite et par les médias. Tout comme la première conception, celle-ci tend également à extraire les individus de leur contexte social. Avec la même logique que celle qui prétend que celui qui a « réussi sa vie » a atteint ses objectifs par sa seule détermination, ses choix, ses efforts et ses compétences, les tenants d'une telle philosophie considèrent le « bandit » comme acteur de son destin criminel et mettent de côté tous les déterminismes et les injustices sociales. « Il y a bien des jeunes dans les quartiers pauvres

102 Traductions de l'auteur

120

qui ne deviennent pas bandits, il y en a plein même ! » me confiait Maria, sous-entendant par-là que ceux qui s'adonnent à des actions criminelles avaient toutes les cartes en main pour décider ou non de poursuivre une carrière délinquante. Or toutes les enquêtes ethnographiques réalisées auprès d'individus ayant (ou ayant eu) un lien avec le monde criminel le démontrent (et la simple logique sociologique suffit à le deviner) : le soi-disant

103

choix de carrière criminelle n'est dans la plupart des cas pas un choix mais bien le résultat d'une série de hasards rendus possibles par l'insertion dans un environnement spécifique. Et si certains agents criminels affirment malgré tout l'existence d'une décision dans leur processus d'insertion dans le monde criminel, il faut néanmoins relativiser ce choix en l'insérant dans le panel des autres opportunités envisageables : si l'adolescent de classe moyenne peut faire le choix d'une carrière criminelle, sa condition lui offre également la possibilité d'étudier à l'université, de voyager à la découverte d'un autre pays ou d'obtenir un emploi décent et bien rémunéré, pour ne citer que quelques opportunités parmi les plus classiques. En revanche, un adolescent habitant en périphérie aura bien souvent le choix entre le monde du crime qui est au coin de sa rue et qui présente de nombreux atouts attractifs, ou des emplois fatigants, ingrats et peu rémunérés, souvent hors du marché formel et donc sans protection sociale. S'il veut aller à l'université, il devra redoubler d'efforts et combler tout seul les déficiences du système éducatif public. Alors que le Brésil affiche un coefficient de Gini parmi les plus élevés de la planète, certains s'obstinent encore à penser que « quand on veut on peut » et que l'insertion dans des processus criminels est le résultat de la paresse.

Pas si différente, de la conception religieuse, dans ses résultats, cette forme de compréhension du processus d'insertion dans une carrière délinquante, débouche également sur une partition binaire du monde social : d'un côté les bons et honnêtes travailleurs qui économisent pendant un an pour acheter un smartphone, de l'autre les dangereux fainéants dénués de morale qui le subtilisent. « Citoyen du bien » ( cidadão de bem ) contre « bandit » ( bandido ), catégories essentialistes, transversales à presque tous les groupes sociaux.

103 Voir par exemple : Teixeira, 2009.

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C) Bipartition du monde

Le Brésil s'aventure sur un chemin dangereux, celui d'une division spatiale, ethnique, économique et culturelle, division souvent binaire, manichéenne, découpant le monde en deux grandes catégories : le Bien et le Mal, le cidadão do bem et le bandido , nous et eux.

Cette bipartition de la société brésilienne, dont on peut trouver une des principales explications dans le développement des religions néo-pentecôtistes, réfute la thèse fondamentale qui soutient toute la construction des sciences sociales et en justifie l'existence : le postulat d'une influence centrale de l'environnement sous toutes ses formes (économique, social, matériel, familial, naturel,...) dans la construction des êtres. Le « bandit », ou tout du moins l'image mentale qu'il représente dans l'imaginaire collectif, n'est en effet bien souvent pas considéré comme un individu dont les actions criminelles pourraient en partie trouver leur origine dans son insertion au sein d'un contexte social particulier. Pour une large part de la population, il sera au contraire perçu, soit comme un individu rationnel, autonome, responsable et conscient de ses actes, soit comme un agent des forces du Mal, poussé à l'action criminelle par un quelconque démon. Soit il est considéré comme sujet (d'une entité maléfique) soit comme acteur avec le maximum de libre arbitre que peut contenir le terme, mais rarement il est considéré comme agent (au sens d'individu à la fois agencé socialement et capable d'agir). C'est pourquoi, le bandit au Brésil, n'a que trois chemins possibles : la mort, la prison ou la conversion religieuse (Teixeira, 2009). S'il est acteur, terrifiant la population en toute connaissance de cause, alors la mort ou la prison lui seront appropriées et lui feront payer le désordre social dont il est la cause. S'il est objet d'une entité maléfique, soumis à l'influence d'une force obscure, la conversion religieuse fera l'affaire. Mais la responsabilité de la société civile et politique, bien rarement est mise en cause lorsqu'il s'agit d'expliquer les carrières criminelles des jeunes de périphérie. C'est, je crois, cette responsabilité sociale que Bruno Barreto a tenté de pointer du doigt au cinéma dans son film Ultima parada 174 , en retraçant l'histoire de Sandro Barbosa do Nascimento, jeune noir de périphérie qui, en 2000, avait été la cible de la fureur nationale lorsqu'il avait pris en otage le bus 174 à Rio de Janeiro. En racontant l'histoire de Sandro, depuis le moment où il est encore dans le ventre de sa mère et jusqu'à sa mort sous les balles de la police et en exposant une vie faite d'injustices, de souffrances, de violences et de mauvaises influences, le cinéaste inscrit l'action criminelle et son auteur dans son contexte social, celui de milliers de jeunes brésiliens. Et ceux-là mêmes qui interprètent cette

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action comme le résultat de l'intervention d'une entité maléfique pourraient peut-être, au visionnage de cette oeuvre, parler de « destin criminel ».

Les résultats d'une telle bipartition du monde entre les bons et les mauvais sont tragiques : en plus de souffrir de violences institutionnelles, notamment dans leur accès limité aux services de soins, de sécurité et d'éducation, les jeunes de périphérie « souffrent d'une intense répression policière et voient compromis leur droit de défense au sein du système de justice criminelle, outre la violence symbolique dont ils souffrent quand ils sont jugés responsables de la violence. » (Ferreira da Silva, 2011). « Menos um ! » (un de

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moins !). L'expression est revenue plus d'une fois sur le groupe Whatsapp de la communauté à l'annonce de la mort de voleurs, qui dans leur fuite, furent abattus par les forces de l'ordre. Ricardo, lui, m'a confié expressément que « faire une révolution ça ne servirait à rien, à part peut-être si les citoyens sortaient armés dans les rues et tuaient tous

les bandits. » (Entretien avec Ricardo, 38 ans, octobre 2017). Ce genre de discours,

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souhaitant la mort sans jugement, incitant la police à faire feu arbitrairement sur les « bandits » ou sur ceux qui en ont l'apparence, est fréquent dans le Conjunto dos Professores et au Brésil en général. « Bandido bom é bandido morto ! » selon l'adage populaire. « La peur réaliste du crime, dont les indices ont systématiquement augmentés ces dernières décennies, s'est transformée en effroi ou en terreur irrationnelle [...], a favorisé le retour de la dichotomie nette et absolue entre le Bien et le Mal » (Zaluar, 2004) et permet

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aujourd'hui la prononciation publique de tels discours mortifères et déshumanisants. Loin d'être l'apanage des habitants du Conjunto dos Professores , ils bâtissent une réalité

107

symbolique et matérielle qui, si elle ne concerne pour l'instant que la catégorie du « bandit », pourrait bien, à long terme, s'appliquer à l'ensemble de la population des périphéries urbaines.

104 Traduction de l'auteur

105 Traduction de l'auteur

106 Traduction de l'auteur

107 On retrouve ces discours aussi bien dans la bouche des politiciens ou des journalistes que dans celles des habitants des quartiers pauvres qui tentent par là de se démarquer des agents criminels.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault