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Villes de la Peur, Pratiques et Discours Sécuritaires au Brésil

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par Alix Macadré
Université de Bretagne Occidentale (UBO) - Master 2 Anthropologie 2018
  

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II/ Protéger son foyer

A) Sécuriser l'habitat vertical

Au Brésil sans doute plus qu'ailleurs, sécuriser son lieu de résidence est devenu une priorité pour les individus. L'objectif est de se protéger des intrusions qui ont souvent pour finalité le vol de biens (voiture, bijoux, matériel électronique) mais qui peuvent parfois conduire à des séquestrations voire à des homicides. Si les dispositifs de sécurité des condominios horizontaux et verticaux sont aujourd'hui nécessairement intégrés dans les plans des promoteurs immobiliers qui les construisent, les maisons des classes moyennes de Natal sont souvent plus anciennes et l'aspect sécuritaire n'était pas nécessairement un point central à l'époque de leur construction. Pour cette raison, avec le sentiment d'insécurité grandissant, les habitants de quartiers tels que le Conjunto dos Professores ont progressivement adapté l'architecture de leur maison en vue, sinon d'empêcher les intrusions, au moins de décourager les éventuels intrus. Maria raconte :

« Il y a 20 ans, on n'avait pas tous ces problèmes de criminalité qu'on a aujourd'hui. On était toujours devant la maison, dans la rue et on laissait tout ouvert, moi ma porte d'entrée était toujours ouverte, le garage aussi. Aujourd'hui, on est obligé de s'enfermer, j'ai dû changer de portail, en mettre un plus solide, acheter des caméras de surveillance, j'ai fait mettre des fils électriques sur les murs aussi. Et on peut plus rester devant la maison comme on le faisait à l'époque. Ça c'est triste... »66

Entretien avec Maria, retraitée et participante au Conseil communautaire de sécurité - octobre 2017

Dans le Conjunto dos Professores, les résidences longent la rue. Cependant la grande majorité d'entre elles sont cachées derrière de hauts murs et des portails métalliques automatiques. Certaines sont plus visibles et ne s'abritent que derrière des grilles. Mais presque toutes sont protégées par des dispositifs empêchant l'intrusion : fils barbelés, clôtures électriques, détecteurs de mouvements, alarmes, bouts de verres aiguisés incrustés dans le ciment sur le haut des murs, caméras de surveillance, chiens de garde,... Chaque maison est une véritable petite forteresse familiale. Et pour cause, malgré toutes les protections mises en place, certains individus parviennent encore à s'introduire dans les

66 Traduction de l'auteur

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demeures. Manuel qui s'est fait subtiliser son ordinateur dans sa propre chambre, alors qu'il y dormait, me montre le stratagème : selon ses dires, un individu nécessairement de très petite taille a réussi à rentrer dans son jardin de nuit, escalader jusqu'à la fenêtre de sa chambre au premier étage (tâche qui au regard de la configuration du mur semblait presque impossible) et effectuer une figure de contorsionniste pour se faufiler par un trou minuscule entre les barreaux de la fenêtre, subtiliser un ordinateur et repartir sans que personne ne se réveille. En me montrant le passage à présent comblé par des planches de bois, il commente :

« Regarde, tu vois le petit trou ici entre les grilles de la fenêtre, quelqu'un a réussi à passer par là, c'est incroyable, jamais je n'aurais pensé que quelqu'un pourrait réussir à passer par ce trou ! Ça ne peut qu'être un enfant qui a fait ça ! Et le pire c'est que je dormais juste là, tu vois, ça c'est super flippant ! L'ordi à la limite, c'est pas trop grave, mais me dire que quelqu'un était ici, dans ma chambre, pendant que je dormais, ça j'arrive toujours pas à m'en remettre. »67

Entretien avec Manuel, 41 ans, Artiste et habitant du Conjunto dos Professores - février 2017

Pour les plus inquiets, et malgré tous les dispositifs de sécurité mis en place, la maison reste un espace de potentielle occurrence criminelle. Plusieurs enquêtés affirment en effet que leur sensation de sécurité dans leur propre logement, surtout à la nuit tombée, n'est pas satisfaisante, certains affirmant même avoir des troubles du sommeil. C'est le cas par exemple de Maria, qui après une succession de tentatives de cambriolages chez plusieurs de ses voisins, toujours aux alentours de 3h du matin, me confie ne pas réussir à dormir avant 4h « depuis plus d'un mois ».

Si, comme nous allons le voir par la suite, le développement d'un réseau communautaire de sécurité dans le quartier offre une plus grande sensation de possibilités de réaction face aux actes criminels (notamment grâce à des dispositifs de demande d'intervention policière accélérée), en ce qui concerne le cas des intrusions nocturnes, le sentiment de sécurité n'est pas nécessairement renforcé, les habitants estimant en effet qu'à partir d'une certaine heure la vigilance citoyenne et policière diminue fortement, laissant chaque foyer isolé et vulnérable face à l'obscurité de la nuit.

67 Traduction de l'auteur

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Ce sentiment insoluble d'insécurité est la raison pour laquelle de plus en plus d'habitants de quartier résidentiels, Conjunto dos Professores ou autres, quittent les maisons, souvent jugées vulnérables, pour migrer vers des appartements.

B) La vie en « condominio »

Le Conjunto dos Professores n'abrite que de très rares immeubles. Toutefois il m'a semblé ici approprié, en vue de l'argumentation future, de témoigner rapidement d'une autre modalité d'habiter, choisie par une partie des classes moyennes et hautes brésiliennes, d'autant que certains des autres sous-quartiers de Capim Macio, limitrophes au Conjunto dos Professores, sont eux plus fournis en construction verticales.

Alors qu'en France, les tours modernes sont généralement plutôt destinées aux logements sociaux et sont le symbole des banlieues défavorisées, au Brésil, et notamment à Natal, la verticalité est un privilège des classes économiquement privilégiées. Depuis les années 70, les métropoles brésiliennes voient en effet pousser des immeubles de 10 à 20 étages en général, de différents standing mais presque uniquement destinés aux classes favorisées. Le succès de la formule est notamment dû à l'arsenal sécuritaire déployé par les promoteurs immobiliers dans leurs plans de construction de ces édifices. Encerclés de hauts murs coiffés de barbelés, l'unique moyen de pénétrer dans ces immeubles se fait par la porte principale dont l'ouverture est conditionnée à l'identification des personnes par un gardien siégeant dans une guérite. Cette dernière fait office de véritable tour de contrôle. Elle est en contact avec les habitants qui signalent et autorisent les entrées de visiteurs et elle est munie de nombreux écrans de surveillance affichant en temps réel les prises de vues des différentes caméras positionnées stratégiquement dans l'immeuble.

Les condominios verticaux peuvent prendre la forme d'ensemble d'immeubles rassemblés sur un terrain entourés de hauts murs infranchissables. Mais le terme condominio peut également servir à désigner un unique immeuble. Le point commun entre les deux options réside dans l'arsenal sécuritaire déployé et dans la mise en commun d'espaces partagés. Dans un cas comme dans l'autre, la plupart des condominios offrent en effet, en plus des nombreux dispositifs de sécurité, diverses structures (salles de sport, piscines, salles de réunion, salles de fêtes, salles de cinéma, salons de beauté, jeux

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d'enfants,...) qui permettent aux habitants de réduire le temps passé hors de ces complexes et de diminuer ainsi leur exposition aux actes de criminalité urbaine.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand