II/ Protéger son foyer
A) Sécuriser l'habitat vertical
Au Brésil sans doute plus qu'ailleurs, sécuriser
son lieu de résidence est devenu une priorité pour les individus.
L'objectif est de se protéger des intrusions qui ont souvent pour
finalité le vol de biens (voiture, bijoux, matériel
électronique) mais qui peuvent parfois conduire à des
séquestrations voire à des homicides. Si les dispositifs de
sécurité des condominios horizontaux et verticaux sont
aujourd'hui nécessairement intégrés dans les plans des
promoteurs immobiliers qui les construisent, les maisons des classes moyennes
de Natal sont souvent plus anciennes et l'aspect sécuritaire
n'était pas nécessairement un point central à
l'époque de leur construction. Pour cette raison, avec le sentiment
d'insécurité grandissant, les habitants de quartiers tels que le
Conjunto dos Professores ont progressivement adapté l'architecture de
leur maison en vue, sinon d'empêcher les intrusions, au moins de
décourager les éventuels intrus. Maria raconte :
« Il y a 20 ans, on n'avait pas tous ces problèmes
de criminalité qu'on a aujourd'hui. On était toujours devant la
maison, dans la rue et on laissait tout ouvert, moi ma porte d'entrée
était toujours ouverte, le garage aussi. Aujourd'hui, on est
obligé de s'enfermer, j'ai dû changer de portail, en mettre un
plus solide, acheter des caméras de surveillance, j'ai fait mettre des
fils électriques sur les murs aussi. Et on peut plus rester devant la
maison comme on le faisait à l'époque. Ça c'est triste...
»66
Entretien avec Maria, retraitée et participante
au Conseil communautaire de sécurité - octobre 2017
Dans le Conjunto dos Professores, les résidences
longent la rue. Cependant la grande majorité d'entre elles sont
cachées derrière de hauts murs et des portails métalliques
automatiques. Certaines sont plus visibles et ne s'abritent que derrière
des grilles. Mais presque toutes sont protégées par des
dispositifs empêchant l'intrusion : fils barbelés, clôtures
électriques, détecteurs de mouvements, alarmes, bouts de verres
aiguisés incrustés dans le ciment sur le haut des murs,
caméras de surveillance, chiens de garde,... Chaque maison est une
véritable petite forteresse familiale. Et pour cause, malgré
toutes les protections mises en place, certains individus parviennent encore
à s'introduire dans les
66 Traduction de l'auteur
83
demeures. Manuel qui s'est fait subtiliser son ordinateur dans
sa propre chambre, alors qu'il y dormait, me montre le stratagème :
selon ses dires, un individu nécessairement de très petite taille
a réussi à rentrer dans son jardin de nuit, escalader
jusqu'à la fenêtre de sa chambre au premier étage
(tâche qui au regard de la configuration du mur semblait presque
impossible) et effectuer une figure de contorsionniste pour se faufiler par un
trou minuscule entre les barreaux de la fenêtre, subtiliser un ordinateur
et repartir sans que personne ne se réveille. En me montrant le passage
à présent comblé par des planches de bois, il commente
:
« Regarde, tu vois le petit trou ici entre les grilles de
la fenêtre, quelqu'un a réussi à passer par là,
c'est incroyable, jamais je n'aurais pensé que quelqu'un pourrait
réussir à passer par ce trou ! Ça ne peut qu'être un
enfant qui a fait ça ! Et le pire c'est que je dormais juste là,
tu vois, ça c'est super flippant ! L'ordi à la limite, c'est pas
trop grave, mais me dire que quelqu'un était ici, dans ma chambre,
pendant que je dormais, ça j'arrive toujours pas à m'en remettre.
»67
Entretien avec Manuel, 41 ans, Artiste et habitant du
Conjunto dos Professores - février 2017
Pour les plus inquiets, et malgré tous les dispositifs
de sécurité mis en place, la maison reste un espace de
potentielle occurrence criminelle. Plusieurs enquêtés affirment en
effet que leur sensation de sécurité dans leur propre logement,
surtout à la nuit tombée, n'est pas satisfaisante, certains
affirmant même avoir des troubles du sommeil. C'est le cas par exemple de
Maria, qui après une succession de tentatives de cambriolages chez
plusieurs de ses voisins, toujours aux alentours de 3h du matin, me confie ne
pas réussir à dormir avant 4h « depuis plus d'un mois
».
Si, comme nous allons le voir par la suite, le
développement d'un réseau communautaire de sécurité
dans le quartier offre une plus grande sensation de possibilités de
réaction face aux actes criminels (notamment grâce à des
dispositifs de demande d'intervention policière
accélérée), en ce qui concerne le cas des intrusions
nocturnes, le sentiment de sécurité n'est pas
nécessairement renforcé, les habitants estimant en effet
qu'à partir d'une certaine heure la vigilance citoyenne et
policière diminue fortement, laissant chaque foyer isolé et
vulnérable face à l'obscurité de la nuit.
67 Traduction de l'auteur
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Ce sentiment insoluble d'insécurité est la
raison pour laquelle de plus en plus d'habitants de quartier
résidentiels, Conjunto dos Professores ou autres, quittent les maisons,
souvent jugées vulnérables, pour migrer vers des appartements.
B) La vie en « condominio
»
Le Conjunto dos Professores n'abrite que de très rares
immeubles. Toutefois il m'a semblé ici approprié, en vue de
l'argumentation future, de témoigner rapidement d'une autre
modalité d'habiter, choisie par une partie des classes moyennes et
hautes brésiliennes, d'autant que certains des autres sous-quartiers de
Capim Macio, limitrophes au Conjunto dos Professores, sont eux plus fournis en
construction verticales.
Alors qu'en France, les tours modernes sont
généralement plutôt destinées aux logements sociaux
et sont le symbole des banlieues défavorisées, au Brésil,
et notamment à Natal, la verticalité est un privilège des
classes économiquement privilégiées. Depuis les
années 70, les métropoles brésiliennes voient en effet
pousser des immeubles de 10 à 20 étages en général,
de différents standing mais presque uniquement destinés aux
classes favorisées. Le succès de la formule est notamment
dû à l'arsenal sécuritaire déployé par les
promoteurs immobiliers dans leurs plans de construction de ces édifices.
Encerclés de hauts murs coiffés de barbelés, l'unique
moyen de pénétrer dans ces immeubles se fait par la porte
principale dont l'ouverture est conditionnée à l'identification
des personnes par un gardien siégeant dans une guérite. Cette
dernière fait office de véritable tour de contrôle. Elle
est en contact avec les habitants qui signalent et autorisent les
entrées de visiteurs et elle est munie de nombreux écrans de
surveillance affichant en temps réel les prises de vues des
différentes caméras positionnées stratégiquement
dans l'immeuble.
Les condominios verticaux peuvent prendre la forme
d'ensemble d'immeubles rassemblés sur un terrain entourés de
hauts murs infranchissables. Mais le terme condominio peut
également servir à désigner un unique immeuble. Le point
commun entre les deux options réside dans l'arsenal sécuritaire
déployé et dans la mise en commun d'espaces partagés. Dans
un cas comme dans l'autre, la plupart des condominios offrent en
effet, en plus des nombreux dispositifs de sécurité, diverses
structures (salles de sport, piscines, salles de réunion, salles de
fêtes, salles de cinéma, salons de beauté, jeux
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d'enfants,...) qui permettent aux habitants de réduire
le temps passé hors de ces complexes et de diminuer ainsi leur
exposition aux actes de criminalité urbaine.
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