Isolationnisme et la géoéconomie des états-Unis d'Amérique sous Donald Trump. Enjeux et perspectives.par Raphael Mbumba Muamba Université de Lubumbashi(UNILU) /RDC - Licence en Relations Internationales 2018 |
§3. La politique étrangère des USA sous Donald TrumpBientôt deux ans après son accession au pouvoir, l'état des lieux de sa politique étrangère est dans ceci que : le fil conducteur de la politique étrangère de Trump, « America First », aurait pu laisser penser à ceux qui ont voté pour lui, que les États-Unis allaient se retirer partiellement des affaires mondiales et des guerres, et mettre fin aux déficits commerciaux avec les pays tant critiqués par Trump pendant sa campagne (ALENA, Union européenne, Japon, Chine). Or, la politique étrangère de Trump se tend vers l'isolationnisme150(*). Trump se prévaut aussi du principe reaganien de « peace through strength » ou « la paix par la puissance », et privilégie une politique de confrontation et de provocation tous azimuts, aussi bien à l'égard des alliés que des adversaires des États-Unis, et par un recours à la force militaire décomplexé et impulsif. Sur le plan commercial, Trump peine à mettre en oeuvre sa politique de nationalisme économique, découvrant que ses pouvoirs dans ce domaine sont en réalité limités par le Congrès, l'opposition des républicains et la capacité des entreprises américaines à contourner ses velléités protectionnistes, en travaillant avec des alliés au sein de la Maison blanche. Le Congrès américain tente aussi de limiter la marge de manoeuvre de Trump dans ses options stratégiques : sur le Russie, en adoptant de nouvelles sanctions contre la Russie, et en s'arrogeant le droit de s'interposer si jamais Trump décidait de suspendre des sanctions existantes contre la Russie. Le Congrès américain s'oppose aussi aux coupes demandées par la Maison blanche dans le budget du département d'État, des programmes d'aide au développement et des contributions à l'ONU.La politique étrangère de Trump est chaotique à plusieurs égards. D'abord parce que le président a pris l'habitude de contredire les propos de ses plus proches conseillers et de recourir aux tweets le plus souvent non-diplomatiques comme moyen de communication privilégié avec les dirigeants étrangers. Son imprévisibilité injecte un sentiment d'incertitude sans précédent, notamment chez les alliés des États-Unis, qui se demandent s'ils peuvent toujours compter sur eux, alors que le contexte d'instabilité internationale requiert au contraire de la prévisibilité dans les relations entre alliés. Le président Trump ne fait pas de distinction entre adversaires et alliés des États-Unis et de fait rend toutes les relations avec les autres pays transactionnelles : c'est le propos des discours du président à Riyad et à Bruxelles : les pays du Golfe devront prendre leurresponsabilité face à la menace terroriste, tandis que la relation transatlantique sera définie par le niveau de dépense militaire et le respect de la règle des 2% de PIB151(*). En contrepartie, les alliés des États-Unis pourront compter sur leur appui et leurs garanties sécuritaires. Dans le cas contraire, Trump s'engage à revoir les fondements des alliances historiques des États-Unis. L'incohérence était particulièrement visible en juin 2018 lorsque Tillerson, le Pentagone et Trump ont prononcé des discours contradictoires suite aux tensions diplomatiques entre le Qatar et ses voisins du Golfe. Enfin, Trump injecte du chaos en attisant les tensions géopolitiques (dans le Golfe ou en Corée du Nord).Il est toutefois notable que sur l'ensemble des dossiers, OTAN, Russie, Syrie et Chine, Trump a fini par ajuster ses positions, symptôme des défaillances de sa politique de « America First » et de l'influence grandissante des figures républicaines classiques au sein de son administration. La diplomatie américaine traverse néanmoins une crise sans précédent ; le premier budget présenté par la Maison blanche au Congrès incluait une demande de coupe de près de 31% du budget du département d'État et des postes clefs ne sont toujours pas pourvus. Le secrétaire d'État Rex Tillerson est totalement éclipsé par les généraux qui entourent le président Trump. La prédominance des généraux dans la fabrique de la politique étrangère des États-Unis, au détriment des diplomates, montrent que Trump continue de privilégier une approche militarisée et musclée de la politique étrangère américaine. En Afghanistan comme en Irak et en Syrie, Trump a donné une très large autonomie de décision et d'action aux militaires. Deux ans après son arrivée à la Maison-Blanche, un constat semble persister : l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis suscite encore bien des interrogations et des incertitudes sur le rôle que les États-Unis entendent jouer sur la scène internationale, que ce soit chez les rivaux des États-Unis ou, plus préoccupant, chez leurs alliés. Ces incertitudes résultent en bonne partie du peu de connaissance que l'on peut avoir de la vision du monde de Donald Trump, ou pour être plus précis, de la façon dont il pourrait concrètement mettre en oeuvre cette vision du monde puisqu'il n'a aucune expérience du pouvoir politique.Elles sont par ailleurs alimentées par les nombreux changements déjà opérés au sein de l'entourage du président, par l'influence peu claire que ses principaux conseillers (au premier rang desquels le conseiller à la sécurité nationale, le secrétaire à la Défense et celui d'État) ont dans le processus de prise de décision, et par le fait que nombre de postes clés pour la mise en oeuvre de la politique étrangère n'ont pas encore été comblés, en particulier au département d'État. Une année après, le président Trump s'est lancé dans une escalade rhétorique vis-à-vis de Pyongyang dont l'une des conséquences est d'avoir accru la pression qui règne dans la péninsule coréenne et plus largement en Asie de l'Est. 3.1. Le bilan positifMême si on peut être sévère avec le bilan de Trump en politique étrangère 2 ans après son entrée en fonction, il faut néanmoins souligner quelques points plutôt positifs. Nous en distinguons trois152(*). Il a tout d'abord réagi avec fermeté et mesure aux provocations de Bachar al-Assad en ordonnant en avril le bombardement (certes symbolique et limité) d'installations militaires du régime, ce que Barack Obama n'avait pas fait à la fin de l'été 2013. Ensuite, il n'apparaît pas pour le moment du moins complétement en phase avec la ligne dure prônée par le gouvernement Netanyahu, que ce soit sur le conflit israélo-palestinien ou l'Iran. Enfin, il a confié des postes de responsabilité (nous pensons au conseiller à la sécurité nationale H.R. Mcmaster, au secrétaire général de la Maison-Blanche John Kelly, et au secrétaire à la Défense James Mattis) à des personnes hautement qualifiées. Leur prestige militaire peut certainement les aider à influencer, raisonner, rationnaliser, éduquer et encadré un président pour le moins hors normes. Pour Alexandra de Hoop Scheffer : La vision du monde de Trump a évolué depuis son arrivée à la Maison blanche, reflétant l'influence déclinante ou ascendante des conseillers autour de lui, lesquels peuvent être classés dans trois écoles de pensée différentes : l'« école Bannon », du nom de son ancien conseiller en stratégie à la Maison blanche, Steve Bannon et à laquelle sont rattachés Sebastian Gorka, ancien conseiller pour le contreterrorisme, Peter Navarro, conseiller sur les questions commerciales, et Steve Miller conseiller et plume de Trump. Fondé sur des principes antisystème, antimondialisation, mu par un sentiment antimusulman et l'idée de guerre des civilisations, ce groupe avait en début de mandat le plus grand potentiel de changer en profondeur la politique étrangère américaine et de déconstruire les engagements internationaux des États-Unis, à commencer par le retrait de l'accord climat, du TPP, le décret anti-immigration (« Muslim bang »). Il est notable de constater que les figures les plus influentes de ce groupe ont quitté l'administration, signe de leur marginalisation, en faveur des figures républicaines plus classiques et internationalistes.C'est le deuxième groupe, l'« école McCain », dans lequel on retrouve les généraux Mattis, Kelly, McMaster. Ils ont passé deux derniers ans à tenter de rassurer le reste du monde et d'expliquer que les commentaires de Trump sur l'OTAN, l'UE, la Russie, ne reflétaient pas la politique des États-Unis. Ce groupe tente de pousser Trump vers positions plus traditionnelles : fermeté envers la Russie, une politique plus alignée avec celle de leurs partenaires européens, prise de distance avec le rhétorique anti-Islam. Si Trump les a mis à des postes stratégiques pour se donner de la crédibilité, il les a aussi ignorés à plusieurs occasions. Le moment de rupture important au sein de l'administration Trump a été la rencontre du 25 mai à Bruxelles avec les alliés de l'OTAN, où le président a surpris tous ses proches conseillers en ne réaffirmant pas l'article 5 de la Charte de l'OTAN, alors qu'il s'y était engagé auprès d'eux. Enfin il y a le « clan familial » de Trump, en particulier son gendre Jared Kushner et sa fille Ivanka. Ils ont un accès direct à Trump, des contacts réguliers que les autres conseillers n'ont pas. Leur pouvoir opérationnel est toutefois limité, et même leur pouvoir d'influence et de modération auprès de Trump s'est avéré inefficace, sur la question du climat par exemple ou face aux événements de Charlottesville. Leur influence a été clairement surestimée par les médias et les experts.Avec le départ de ses conseillers idéologues et les contradictions de plus en plus apparentes entre les membres de son administration et lui-même, Trump n'a plus de paravent derrière lequel se cacher: « il parle en son propre nom » précise Tillerson à propos de la réaction du président aux violences à Charlottesville. Julien Toureille estime que pendant la campagne électorale, le candidat Trump s'est fait le chantre de « l'Amérique en premier »153(*). Il a ainsi habilement saisi et exploité l'Etat d'une partie non négligeable de l'opinion publique (cette fameuse classe populaire blanche peu éduquée) qui se sent lésée par la mondialisation libérale. Plus fondamentalement, et malgré le fait que Trump n'est pas souvent articulé sa vision du monde en écrivant par exemple des livres ou articles, il semble fermement convaincu que les États-Unis ne sont pas les grands gagnants de l'ordre international libéral qu'ils ont instauré à partir de 1945 et qu'ils dominent depuis la fin de la guerre froide. Il estime que les travailleurs américains sont les perdant des accords de libre-échange ; que les États-Unis se font avoir financièrement à défendredes pays qui auraient les moyens d'assumer les coûts de leur sécurité ; que les organisations et traités internationaux entravent la souveraineté américaine. De tels points de vue ne sont pas nouveaux ni spécifiques à Trump. Les syndicats et le parti démocrate ont traditionnellement été réticents face aux accords de libre-échange. Depuis Dwight Eisenhower, nombre de présidents américains ont enjoints les alliés (notamment européen au sein de l'OTAN) à contribuer davantage à la sécurité collective. Dans les années 1990, le combat des républicains, notamment du sénateurJesse Helms, contre l'ONU s'était traduit par de sérieux arriérés de paiement des États-Unis à l'organisation internationale. Ce qui est fascinant, troublant même avec Trump, est son aversion affichée pour ces trois piliers de l'ordre internationale libéral que sont l'économie de marché et le libre-échange, les organisations internationales, et la sécurité collective. Il est le premier président des États-Unis depuis 1945 à arriver à la Maison-Blanche avec la volonté explicite de les remettre en question, de s'en affranchir.Il l'a fait en partie en retirant les États-Unis du partenariat transPacifique et de l'accord de Paris sur le climat. Il menace également de réduire drastiquement la contribution américaine à l'ONU et à ses opérations de paix. Si vous ajoutez à cela sa propension à qualifier tous les Musulmans de terroristes potentiels et à faire confiance à des partisans d'un certain nationalisme ethnique comme pouvait l'être son conseiller spécial Steve Bannon, vous avez tous les ingrédients d'un repli désordonné et égoïste de la puissance américaine sur elle-même dont les conséquences sur la stabilité et la prospérité internationale pourraient être catastrophiques. Dans cette optique, le départ récent de Steve Bannon de la Maison-Blanche apparaît comme un soulagement pour les partisans d'une orthodoxie de la politique étrangère américaine et du maintien du rôle dominant que les États-Unis exercent sur la scène internationale depuis 1945. Les militaires qui apparaissent maintenant en charge (Kelly, McMaster, Mattis) adhèrent à une vision « classique » de la politique étrangère qui pourrait se raduire in fine par une plus grande continuité que des ruptures dans l'action des États-Unis dans le monde. Après tout, Trump a conservé la stratégie décidée sous Obama pour lutter contre l'EI (en privilégiant les forces spéciales et l'arme aérienne) et il maintient même l'engagement américain enAfghanistan où il a annoncé l'envoi d'environ 3500 - 4000 militaires supplémentaires comme les généraux le demandent depuis des mois. Pour Alexandra de Hoop Scheffer,154(*) face à un choix d'options limité, le président Trump poursuit la posture par défaut dite de « patience stratégique » adoptée par les administrations précédentes. Après des discussions d'options musclées, McMaster parlant même ouvertement de « guerre préventive », Trump semble avoir opté pour la désescalade. Il n'est jamais trop tard pour négocier, comme le rappelle l'épisode de 1994, lorsque les États-Unis étaient sur le point de bombarder Pyongyang avant que Jimmy Carter ne décide de se rendre en Corée du Nord et de négocier un accord visant à geler son programme nucléaire militaire. L'approche initialement confrontation elle de Trump a été contestée tant à Pékin qu'à Séoul et Tokyo redoute aussi les effets d'une politique américaine trop agressive vis-à-vis de la Corée du Nord. En cas d'attaque de Washington, la Chine a été très claire sur le fait qu'elle soutiendrait la Corée du Nord dans le cadre de l'accord d'assistance mutuelle signé entre les deux pays en 1961, ce qui engendrerait une guerre régionale dévastatrice. Les États-Unis ne peuvent donc pas s'engager dans une opération militaire sans l'appui des pays voisins, et les généraux entourant Trump ont d'ailleurs écarté tous les scénarios militaires, préférant la pression, les sanctions et la négociation. * 150 De Hoop Scheffer, A. et Toureille, J., « La politique étrangère de Donald Trump est chaotique à plusieurs égards », Raoul-Dandurand, Montréal, n°45, janvier 2018, p.4-6. * 151 Riyad cité par Alexandra de Hoop Scheffer et Julien Tourreille,artcit, p.2. * 152 Riyad cité par Alexandra de Hoop Scheffer et Julien Tourreille, artcit, pp.2-4. * 153 Riyad cité par Alexandra de Hoop Scheffer et Julien Tourreille, artcit, pp.2-4 * 154De Hoop Scheffer, A. cité par Alexandra de Hoop Scheffer et Julien Tourreille, artcit, pp.2-4. |
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