Le pouvoir politique et ses mécanismes chez Michel Foucault et étienne de la Boétie.par MOSES BWALYA Université Loyola du Congo - Graduat 2019 |
I.3. Un art de gouverner les hommesFoucault précise que le pouvoir politique ou le gouvernement existait bien avant dans l'Antiquité de Platon, etoù on montrait déjà comment on peut gouverner la polis (cité).Maislui préférera plutôt parler del'art de gouvernerqui n'est pas différent de l'art de gouverner du prince de Machiavel.Car, selon lui, l'art de gouverner doit garder le peuple en communion,tout en menant une vie bonne et sensée.Cette manière de gouverner est à comprendre comme suit :« Gérer comme il faut les individus, les biens, les richesses, comme on peut le faire à l'intérieur d'une famille, comme peut le faire un bon père de famille qui sait diriger sa femme, ses enfants, ses domestiques, qui sait faire prospérer la fortune de sa famille, qui sait ménager pour elle les alliances qui conviennent »12(*).Car pour lui, cette gestion de la cité rassure la confiance et la considération portéeau peuple. Attiré par l'ancien texte du Prince de Machiavel, Foucault développe des nouveaux mécanismes qui peuvent aider dans la manière de gouverner les hommes, c'est-à-dire digne et considérable. A ce sujet, il note : « Cet ordre est fort naturel, puisque c'est une chose du tout nécessaire qu'un homme sache se gouverner soi-même devant que de commander aux autres, soit comme père de famille, ce qui est de l'économie, soit comme souverain, magistrat ou ministre d'Etat, ce qui est regarder la politique »13(*). Maisen quoi ce texte ancien l'intéresse-t-il ?Dans quel contexte Foucault veut que le prince fasse siens les pratiques et les enseignements de Machiavel si longtemps mis de côté ? Pour lui, le texte politique de Nicolas Machiavel fut depuis un bon nombre de siècles contesté et déconstruit par plusieurs idéologistes politiques sur le gouvernement jusque vers le 16ème siècle où il sera repris par le prince. Toutefois, il est nécessaire pour nous de savoir ou decomprendre qu'est-ce que Machiavel lui-même entendait par « prince ». Pour Machiavel, nous fait observer Foucault, le princedont il est question ici a une caractéristique particulière réservée au prince qui était choisi pour gouverner l'Italie durant le temps donné, et, renvoi à une relation, un rapport de singularité et d'extériorité, de transcendance par rapport à sa principauté. Pour lui, la principauté est ce rapport du prince à ce qu'il possède, au territoire dont il est héritier ou qu'il a acquis, aux sujets qui lui sont soumis. Un rapport dont la visée est la protection et non la domination ou l'assujettissement14(*).Le prince, dit Machiavel, doit s'assigner pour objectif : gouverner ; et gouverner est pour lui un Art. Cet art se veut alors distinct de la simple habileté du prince, et trouve sa fin essentiellement dans les choses à diriger, mais tout en prenant n'importe quel moyen. C'est en ayant avec lui l'art de gouverner que le prince aura devant lui des foules qui s'y attachent, peu importe la façon dont il accède à la principauté. Bref, l'exercice du pouvoir par le prince de Machiavel vise le maintien, le renfort et la protection de la principauté pour l'intérêt du peuple, malheureusement l'art de gouverner et l'habileté conservatrice de la principauté n'ont pas sens de l'intérêt du peuple pour les anti-machiavels. Pour les anti-machiavels, le prince utilise l'art de gouverner et l'habileté conservatrice de la principauté pour sa propre souveraineté et c'est ce qui n'est pas vrai.Foucault dans son analysea fait recourt à quelques textes de la littérature Anti machiavélienne, notamment celui de Guillaume de La Perrière `le Miroir politique' de XVIe siècle. De ce texte, Foucault tire quelques explications de ce que Guillaume entend par les termes Gouverner et gouverneur15(*). C'est à travers ces terminologies que Foucault va saisir les points de démarcation entre le prince de Machiavel et le prince selon les anti-machiavéliens. Gouverner a le même sens que monarque, prince, roi, empereur, magistrat, seigneuret l'Art de gouverner renvoi à la charge de gouverner la maison, la famille, les âmes, les enfants. Par comparaison, Foucault voit un sens simpliste et généralisé des expressions politiques chez les Anti-machiavéliens et trouve un sens beaucoup plus ego-centrisme, essentiel et consistant chez Machiavel ; le sens qui contient et fonde toutes les généralités en les transcendant16(*). Loin de toutes littératures sur ces termes, Foucault voit dans ces doctrines une sorte de continuité de pensée sur la conduite gouvernementale. Pourtant ce qui importe pour lui, ce ne sont pas ses attributs, mais la pédagogie du prince, c'est-à-dire la façon dont ce dernier assure le principe de continuité ascendante :« C'est la pédagogiedu Prince qui va donc assurer cette continuité ascendante des différentes formes de gouvernement. Inversement, vous avez une continuité descendant en ce sens que, quand un État est bien gouverné, les pères de famille savent bien gouverner leur famille, leurs richesses, leur biens, leur propriété, et les individus, aussi, se dirigent comme il faut »17(*). Pour étayer sa thèse de continuité ascendante,Foucaultconvoque La Mothe Le vayer, notamment dans son ouvrage : un traité de politiqueoù il affirme que la bonne gouvernance commence par la tête, c'est-à-dire les dirigeants. A l'exemple de continuité ascendante, celui qui veut gouverner l'État, doit d'abord savoir se gouverner lui-même, sa famille, etc. Michel Foucault confirme cette théorie ascendante que la bonne gouvernance commence par soi-même.Autrement dit, si une personne est capable de se gouverner, de gouverner sa famille, on suppose qu'il peut gouverner et se laisser gouverner par les autres. Ainsi donc à partir de cette notion de l'économie des âmes, on parvient à saisir une autre dimension du pastorat comme « l'humanité tout entière, de la chrétienté tout entière »18(*). Cette humanité portera sur toute la communauté de tous les chrétiens en général et sur chaque chrétien en particulier. De façon plus explicite, pour Michel Foucault, si nous le saisissons bien pour cette situation sur la continuité, cherche ou désire voir pour une bonne gouvernance trois principes, à savoir :``un prince capable de se gouverner lui-même du point de vue moral ; un prince capable de bien gouverner sa famille du point de vue économique ; et enfin, un prince qui soit capable de gouverner la chose publique (cité)''. Selon lui, la continuité ascendante est possible par une éducation solide. A côté de la continuité ascendante, se trouve le deuxième critère qui est une continuité descendante : « c'est le gouvernement qui, dans l'Etat moderne, forme le seul ressort de l'action. (...) le gouvernement seul parle au nom de l'Etat aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. »19(*).En effet, le gouvernement est l'organe qui a pour tâche de rendre compte et de répondre aux exigences de la population afin que la sécurité et le bien-être de tous soit assuré. C'est en fait un art de gouverner acquis, jouant en sorte que tout marche de la tête jusqu'aux orteils. Car, si l'Etat est bien gouverné, les autres gouvernements sauront aussi bien diriger ceux pour qui, ils sont la tête, car la réussite de ces derniers en dépend. Toutefois, Foucault examine également le point de vue deGuillaume qui stipule que :« le gouvernement est la droite disposition des choses, desquelles on prend charge pour les conduire jusqu'à la fin convenable »20(*). Foucault va sémantiquement analyser le sens de ce gouvernement en comparaison toujours avec les mots déterminant la charge que s'assigne le prince de Machiavel : Territoire et les gens ou individus qui le peuplent. Son analyse porte sur l'objet du gouvernement même chez Machiavel comme chez Guillaume. Ainsi, il remarque que la souveraineté chez Machiavel concerne le territoire et les gens habitant ce territoire et le gouvernement chez Guillaume,concernent plutôt les choses. Chacune de ces choses nous amène à ce que le prince de Machiavel appelle droit public et non sur les choses, au contre chez Guillaume, ces choses nous amène aux choses elles-mêmes.21(*) En effet, le territoire est à voir comme cet espace, étendue et son contenu : les hommes essentiellement et les autres choses.Mais le concept chose chez Guillaume renvoie à une complexité constitutive d'hommes et des choses que l'on doit prendre en charge ; les choses dans leurs différents aspects d'être. L'exemple du gouvernement d'un bateau en fait illustration. Ceci veut dire pour Guillaume que gouverner, c'est gérer, prendre en charge les choses dans leur complexité constitutive et accidentelle. Ici, la définition du mot gouvernement laisse entendre une démarcation considérable entre Souveraineté et gouvernement, de par leur objet, moyens utilisés pour arriver à la fin fixée.Si la souveraineté se fixe comme objectif :``le maintien de sa souveraineté, en usant de toute sorte de moyen pour atteindre le bien commun, l'obéissance à la loi'' ; le gouvernement par contre, a comme objectif la gestion parfaite dans l'utilisation des instruments à la disposition du prince en vue d'une fin. Ainsi, pense Foucault, disons-le à notre façon, un gouvernement parfait n'est pas le fruit de la loi, mais bien le gage d'une multitude des tactiques. La souveraineté est dans ce sens : égoïste car visant l'autosatisfaction, tandis que le gouvernement vise la perfection dans la gestion des choses.22(*) Néanmoins, gouverner comme art exige ou implique selon La perrière un certain nombre de valeurs ou qualités de la part du prince, à savoir :le prince doit avoir la patience, la sagesse et la diligence.La perrièreexplique la patience en donnant l'exemple du roi de mouches à miel, Guillaume pense à un roi bienfaisant ; un roi qui, comme il le dit doit avoir beaucoup de clémence que de sévérité, plus d'équité que de rigueur envers ses sujets23(*). A cette qualité s'ajoute également la sagesse et la diligence comme contenu positif.Par sagesse, pour un prince, on entend cette « connaissance des choses, des objectifs que l'on peut atteindre, que l'on doit faire en sorte d'atteindre, la disposition que l'on doit utiliser pour les atteindre »24(*).La diligence est comprise comme le fait de balancer les actions à faire produire au peuple, en jouant le rôle du père de famille. En outre,puisque la famille est prise ici comme paradigme, on ne peut pas profondément parler de l'art de gouverner sans faire recours à elle, qui est prise pour modèle de gestion ou de l'économie dans une société. Car famille, au lieu de rester modèle, devient en plus ``instrument de gouvernement''. Bref, par le fait pour elle d'instrumentaliser la famille et de la faire descendre du rang de modèle de gouvernement, fait de la population cette clé désenfermant l'art de gouverner au XVIIIème siècle. La population se place ensuite au trône, et devient le but visé de l'art de gouverner, toute action du prince évaluant et se fondant sur le bien-être social à tout prix, comme qui dirait, tout par elle et pour elle : instrument et finalité ; conscience appelant conscience. C'est de cette façon que se compose, selon lui, le triangle gouvernement - population - économie politique. Dans ce triangle, le prince est sensé avoir une science qui relie la richesse et la population ensemble, ce qui justifie la technique dite Economie politique. Bref, de cet enseignement, Foucault nous fait avancer progressivement pour découvrir les voies par lesquelles sont passées, ce qu'il appelle ou ce que nous appelons art de gouverner jusqu'à sa conversion comme science politique, après passage de théories en théories : ensemble englobant méthodes, analyses et réflexions, technique, dispositif etc. sur le gouvernement que Foucault appellera `'Gouvernementalité', doctrine,qu'il propose au prince. Pour cela,l'auteur soulève la notion de la conduite, qu'il pense peut être l'un de facteurs parmi tant d'autres, qui peut être considéré d'être à la base même de pouvoir politique. Il s'agit de la conduite du prince ou de celui qui gouverne.En ce sens, qu'est-ce qu'il entend spécifiquement par le mot conduite ? * 12Cf.M. FOUCAULT, Op. Cit., p.168. * 13Ibid.,p.116. * 14Ibid., p.93. * 15Cf. M. FOUCAULT, Op. Cit., p.94. * 16 Cf. Ibid., p.95. * 17Ibid ., p.97. * 18M. FOUCAULT, Op. Cit., p.97. * 19 É. WEIL, Philosophie Politique, 4è édition, Paris, J. Vrin, 1984, p.148. * 20M. FOUCAULT, Op. Cit., p.99. * 21Ibidem. * 22M. FOUCAULT, Op. Cit., pp. 99-100. * 23 Cf, Ibid., p.117( note 29). * 24Ibid. p.103. |
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