§.3.De quelques crises contemporaines de l'eau
L'actualité de ce début de 21ème
siècle est riche en crises hydriques. L'Australie vient de
connaître l'une des pires sécheresses de son histoire («
The Biggest Dry »), qui a très sévèrement
affecté le bassin Murray-Darling (le plus grand réseau
hydrographique d'Australie, situé dans le sud-est du pays). Les feux de
brousse ont tué des dizaines de personnes, l'économie rurale a
été déstabilisée, la production de riz s'est
effondrée et a contribué à une hausse des prix en 2008 qui
a elle-même contribué à déclencher des
émeutes de la faim dans des pays pauvres.
Le bassin Murray-Darling est aujourd'hui «
sur-alloué » (« over-allocated ») : les
quantités d'eau attribuées aux différents usagers du
bassin dépassent la quantité totale que le système
produit. Etant donné les conditions extrêmes de manque d'eau et la
nécessité d'adaptation auxquelles fait face la population du
bassin Murray-Darling, celui-ci est souvent présenté comme
représentant l'avenir potentiel d'autres bassins « stressés
» dans le monde.
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En 2008, le Chili a connu l'une des pires sécheresses
depuis des décennies, ce qui a poussé le gouvernement à
décréter l'état d'urgence. Le pays connaît par
ailleurs une tendance à la baisse des précipitations et une
avancée du désert de l'Atacama vers le sud
(Santibáñez, 2015).
La Californie connaît quant à elle une
sécheresse particulièrement grave depuis 2011. La croissance
démographique et économique de l'État depuis
l'après-guerre a été spectaculaire, et le
développement des ressources en eau a pu donner le sentiment d'une
relative abondance, permettant le développement de l'agriculture
irriguée à une très grande échelle et contribuant
à faire de cet État une puissance économique (la
huitième économie du monde si elle était un État
autonome) et agricole. Mais aujourd'hui, l'eau manque, et des politiques de
rationnement sont mises en place1: chose inédite dans l'histoire de la
Californie, le gouverneur Jerry Brown a passé un Executive
Order imposant des restrictions obligatoires d'usage de l'eau aux agences
de l'eau locales (local water supply agencies) d'un montant de 25%.
Les producteurs d'amandes, qui ne consommeraient pas moins de 10% de toute
l'offre d'eau californienne, sont pointés du doigt.
Les usages non strictement nécessaires sont de plus en
plus mal perçus, comme l'arrosage des elouses, le lavage des voitures ou
l'entretien des terrains de golf. La question de la soutenabilité de la
croissance dans cet État mythique de l'Ouest états-unien se pose
ainsi de manière plus aigüe que jamais. La sécheresse est
même utilisée comme argument pour limiter l'immigration en
Californie. Elle est aussi parfois attribuée aux environnementalistes,
qui auraient contribué à faire augmenter les débits
écologiques des rivières et à limiter les travaux
d'infrastructure hydraulique. La sécheresse de 2014 a
représenté la plus forte réduction de la
disponibilité en eau pour l'agriculture en Californie qui ait
été enregistrée, et ses impacts économiques sur le
secteur ont été estimés à 2,2 milliards de US$.
De manière générale, l'Ouest
états-unien est particulièrement stressé sur le plan
hydrique. La plupart des cours d'eau et des bassins hydrographiques y sont en
effet « fermés », ou « clos ». Le bassin du Rio
Grande a connu l'une de ses pires sécheresses au début des
années 2000, conduisant à des mesures de rationnement. Le bassin
du Colorado est aujourd'hui « clos », ses eaux sont mêmes
sur-allouées car son débit moyen a été
surestimé par le passé. Des travaux prévoient des «
méga-sécheresses » (« megadroughts »)
inédites dans le sud-ouest des États-Unis. Notons que le
modèle californien a exercé et exerce toujours
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une certaine fascination au Brésil : il s'agit d'une
région semi-aride qui a été « verdie » avec
succès grâce au talent de ses ingénieurs et à
l'habileté et l'abnégation de ses agriculteurs.
On parle, en anglais, de « basin closure »
pour désigner une situation d'utilisation des eaux d'un bassin à
plein potentiel. Ainsi, accroître la quantité ou
l'intensité des usages ne peut se faire qu'au détriment d'autres
usages et/ou du débit écologique, c'est-à-dire du
débit considéré comme nécessaire au maintien des
fonctions écologiques du cours d'eau. 16 allait se transformer en un
grenier du monde, une contrée prospère grâce - dans une
large mesure à l'irrigation ? Mais alors qu'au Brésil le fantasme
d'un Nordeste semi-aride transformé en oasis semble prendre corps, on se
demande désormais aux États-Unis si le processus de
développement et d'« anthropisation » de la Californie n'a pas
été poussé trop loin, et si les prévisions faites
au milieu du siècle en termes de disponibilité de l'eau ne se
révèlent pas exagérément optimistes.
En ce qui concerne les pays dits « émergents
», les crises sont aussi nombreuses. La Chine est face à de sombres
perspectives en termes de raretés hydriques, ce qui a conduit à
entreprendre le pharaonique transfert des eaux du Sud vers le Nord. Elle a
connu en 2014 une sécheresse terrible, et la situation de la plaine du
Nord est déjà critique. L'Inde a quant à elle connu trois
périodes de sécheresse grave depuis 2000. Le Brésil n'est
pas en reste en matière de crises de l'eau. Le Nordeste vient de
connaître sa pire sécheresse depuis plus de 50 ans. En 2012, 90%
des stations pluviométriques de la région semi-aride du Nordeste
ont enregistré une situation de sécheresse, avec 36% de ces
stations présentant les résultats les plus secs jamais
enregistrés. Des actions de régulation ont été
entreprises, comme la restriction de l'irrigation et le renforcement des
contrôles des usages illégaux. Depuis 2012, ce sont aussi les
États de São Paulo et Rio de Janeiro (en particulier les
régions métropolitaines des deux capitales d'État) qui
font face à une sécheresse exceptionnelle, impliquant elle aussi
son lot de rationnements, de tensions politiques et sociales et de
récriminations visant l'agriculture, grande consommatrice de la
ressource
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