Chapitre 5 : Aspects néolibéraux dans les
transports
Ce chapitre a pour but d'introduire la dernière partie
en présentant les pratiques dans le paysage des transports abidjanais
qui mêlent les intérêts publics et privés dans des
activités de service ou d'intérêt public.
1- Des politiques urbaines qui laissent une place
croissante aux acteurs privés
La puissance publique à Abidjan n'a pas les moyens
d'assumer à elle seule les investissements et les capacités
techniques nécessaires à sa politique de développement et
de croissance. Ainsi, dans le secteur des transports par exemple, elle mobilise
souvent les moyens, financiers et techniques, de structures privées.
A) Le Build-Operate-Transfer : étude de cas du pont HKB
Présentation du BOT
Le Build-Operate-Transfer (BOT), que l'on peut traduire par
construire-exploiter-transférer en français, est une
modalité de réalisation de projets tant publics que privés
dans différents domaines socio-économiques. La forme qui nous
intéresse ici est la réalisation de projets publics alliant la
puissance publique à des partenaires privés. « Dans le
cadre d'un BOT de manière générale, un État
d'accueil sélectionne une entité privée dans le but de la
conception, du financement et de la construction d'une infrastructure et
accorde à cette entité le droit de l'exploiter commercialement
durant une période déterminée, à l'expiration de
laquelle l'infrastructure est transférée à l'État
» (Tafotie, 2013). Cette pratique, dont il existe de nombreuses
formes différentes selon les cas, présente l'avantage pour
l'État de minimiser voire annuler complètement ses
investissements tout en permettant une réalisation
d'intérêt public. L'aspect innovant de cette pratique en
perspective de ce que l'on pouvait observer dans les années 1960 par
exemple est que le projet réalisé s'autofinance en quelque sorte,
puisque les
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coûts de réalisation sont
récupérés, a priori entièrement, sur les recettes
qu'il génère par la suite. L'avantage aussi pour l'État
est que, sur le principe du BOT, il est censé récupérer au
bout d'un certain temps, l'infrastructure et son exploitation. Le BOT est
censé être gagnant-gagnant : pour l'État, cela permet une
réalisation qu'il n'aurait pas pu assumer seul et qu'il
récupérera au bout d'un certain temps. Pour le privé, cela
permet une activité rémunérée, souvent de grande
importance.
Étude de cas : le pont Henri Konan
Bédié
Le BOT est très utilisé à Abidjan dans
les grands projets d'infrastructures de transport. L'un des exemples les plus
marquants est le pont Henri Konan Bédié, achevé en 2014,
dont la construction et l'exploitation actuelle sont assurées par le
géant du BTP Bouygues. Les données que nous allons analyser
ci-après ont été recueillies lors de deux entretiens
réalisés le 29 janvier 2021 dans les locaux de l'entreprise
SOCOPRIM (Société concessionnaire du pont Riviera Marcory). Le
premier a été réalisé auprès de Ketty
N'Guessan, responsable commerciale et communication de SOCOPRIM, et le second
auprès de Jean-François Doreau, le directeur
général de SOCOPRIM.
Le projet du troisième pont d'Abidjan répond au
besoin de connecter les parties Nord et Sud de la ville entre Riviera et
Marcory. Avant, il fallait forcément passer par le Plateau, ce qui
prenait beaucoup de temps et congestionnait le trafic. Le premier coup de
pioche a été donné par HKB lui-même en 1999, mais
les travaux ont très vite été interrompus pendant une
décennie du fait des troubles politiques. Ils sont relancés en
2012 sous Alassane Ouattara, et s'achèvent en décembre 2014. Dans
le projet, l'État a financé l'échangeur Valéry
Giscard-d 'Estaing, et Bouygues a financé le reste auprès
d'investisseurs, pour un montant de 126 milliards de francs CFA. Un contrat de
concession pour la construction et l'exploitation du pont a été
passé entre l'État et l'entreprise SOCOPRIM créée
par Bouygues. La construction a été assurée par une
filiale de Bouygues créée spécialement, la
Société anonyme de construction du pont Riviera Marcory (SACPRM),
qui a été dissoute à la fin de la construction. Les
actionnaires de SOCOPRIM sont Bouygues à 19% ; le fond panafricain de
développement des infrastructures à 26% ; l'African Finance
Corporation à 26% ; l'État ivoirien et la Banque nationale
d'investissement (BNI) à 25% à eux deux ; Total à 4%. Le
contrat de concession inclut une clause d'assistance technique et commerciale
de Bouygues, d'où le fait que le DG vienne de Bouygues. La convention de
concession a été signée pour une durée de trente
ans, ce qui fait que Bouygues par le biais de SOCOPRIM a trente ans pour
rentabiliser le pont sur l'investissement qu'elle a initié. En
théorie, une fois les trente années écoulées, c'est
l'État de
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Côte d'Ivoire qui récupérera
l'exploitation de l'infrastructure. Sur cette durée, le contrat comprend
des obligations pour SOCOPRIM, et notamment concernant l'entretien du pont, qui
suit un plan précis, avec des éléments quotidiens et
basiques de balayage par exemple, et des entretiens plus importants
programmés sur plusieurs années. SOCOPRIM doit également
prendre en charge les dégâts liés aux accidents.
Quant aux contraintes imposées par l'État, elles
sont d'après Ketty N'Guessan et Jean-François Doreau assez
faibles. La principale concerne le prix de passage : les estimations
prévues par Bouygues pour la concession impliquaient une rente de 1000
francs par passage pour les véhicules les plus légers. Il y a
trois catégories de véhicules qui paient proportionnellement,
mais la grande majorité des passages concerne la plus petite
catégorie, qui est la base des estimations prises ici. L'État a
imposé, pour des raisons liées au contexte politique à
l'époque, de faire payer 500 francs le passage. Ainsi, pour chaque
passage, l'usager paie 500 francs, et l'État subventionne 500 francs
à SOCOPRIM. Il s'agit d'un modèle de concession avec garantie de
revenus pour l'entreprise. Il est également imposé au pont de
tenir une neutralité politique. Cela implique l'absence d'affiches
électorales pendant les élections par exemple.
Le pont HKB est un exemple signifiant de BOT. Par le biais de
convention de concession, l'État a minimisé grandement ses
investissements sur une infrastructure à 126 milliards de francs, qui
est à la pointe de la technologie en la matière. Le péage,
côté Riviera, dispose de vingt-quatre voies, dont huit sont
réversibles, ce qui permet de changer leur sens en fonction du trafic.
La concession lui promet également, s'il le désire, de
récupérer l'infrastructure au bout des trente années
d'exploitation privée, ce qui lui garantira alors des revenus
d'importance : si les chiffres de trafic en volume ne sont pas diffusés,
Jean-François Doreau m'a assuré que le trafic a augmenté
de 42% entre la mise en service et l'année 2019. À l'heure de
pointe, plus de 7000 véhicules franchissent le péage chaque
heure. L'État s'investit par ailleurs pour la protection de
l'infrastructure : des policiers de la Compagnie républicaine de
sécurité (CRS) sont déployés en permanence pour
garder le pont.
Une diversité des BOT
Il est important de préciser que le BOT n'est pas une
procédure universelle, et que les contrats de concession suivant le mode
BOT peuvent avoir des différences importantes. Par exemple, le projet de
métro d'Abidjan fonctionne selon un mode différent. Pour
SOCOPRIM, nous avons dit qu'il s'agit d'une concession avec garantie de revenu,
c'est-à-dire que l'État subventionne l'entreprise pour lui
garantir les 1000 francs par passage convenus dans le contrat.
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Pour la SICMA, qui gère le projet de métro, le
fonctionnement sera différent : il s'agit également d'une
concession avec garantie de revenus, mais qui fonctionnera différemment.
L'État rémunère la SICMA pour la construction et la
rémunèrera pour assurer l'exploitation, mais les recettes des
titres de transport lui reviendront directement. Ces différences
imposent une étude individuelle de chaque projet en BOT pour comprendre
leurs spécificités.
B) Des infrastructures et activités de transport de
plus en plus concédées
Au-delà de la construction pure et simple
d'infrastructures de transport, l'État a également recours
à des PPP pour assumer des activités de service public, ce qui a
des conséquences importantes sur leur fonctionnement en
général. Il s'agit à nouveau d'un problème initial
de manque de moyens et de capacités techniques pour les instances
étatiques, en comparaison de ceux de structures privées, souvent
de taille importante, à l'image du groupe Bouygues ou du groupe
Bolloré, très présent dans le transport de marchandise
abidjanais, puisqu'il s'agit de l'un des acteurs principaux du transport
ferroviaire et du trafic portuaire. Nous avons déjà
évoqué précédemment le rail ivoirien, dont la
gestion a été concédée durant les années
1990 à la société SITARAIL issue du groupe Bolloré.
Mais cette dynamique de concession se retrouve également dans le domaine
aérien. La société Aeria, concessionnaire depuis 1996 de
l'exploitation de l'aéroport FHB, est issue du groupe français
Egis. L'aéroport est un bien public, anciennement exploité par
les services de l'État. Les aéroports sont des mannes
financières importantes, ce pourquoi ils sont souvent étatiques.
Mais à la période de la concession, une telle infrastructure pour
rester efficiente nécessitait des moyens supérieurs à ceux
de l'État au vu des difficultés des années 1990. La
concession s'est donc faite en ces termes : Aeria a depuis la charge
d'exploiter, mais également le développer l'infrastructure.
L'État fournit des assistances en fonction de ses possibilités,
comme par exemple le projet d'extension de l'aérogare qui est
étatique car au-dessus des moyens d'Aeria. Cela lui permet de maintenir
un service nécessaire à la métropole et même de le
développer tout en réduisant ses investissements.
Le cas du Port autonome d'Abidjan est également
intéressant. Le PAA reste aujourd'hui encore une structure publique, la
gestion portuaire n'ayant pas été concédée. Mais au
sein du port, de nombreuses activités ont été
concédées depuis les années 2000. La première
concession date de 2003, date à laquelle l'exploitation du premier
terminal à conteneur a été concédée. Face au
succès de cette opération, dans les années suivantes ont
également été concédées
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l'activité de remorquage, de la sécurité
du port, du terminal roulier, minéralier, fruitier, ainsi que du second
terminal à conteneurs qui est en construction. Avant cela, le PAA
gérait tout lui-même, ce qui engendrait, d'après le chef du
département de suivi des concessions du PAA, M. Seka, d'importantes
charges et coûts d'exploitation, car tout était assuré par
des fonctionnaires. Le port était donc très limité et ne
générait pas plus d'un milliard de francs CFA par an. Trois ans
après la première concession, les revenus
générés avaient déjà quadruplé. Cela
a encouragé l'État à se désengager peu à peu
de toutes les activités, sauf trois : le pilotage, pour faire entrer et
sortir les navires du port, la manutention et le terminal pétrolier, qui
revêt une importance stratégique particulière. Les
concessionnaires sont aujourd'hui nombreux : Bolloré et Maersk pour le
premier terminal à conteneurs, IRES du groupe espagnol Bolida pour le
remorquage, Visual Defense du Canada pour la sécurité, TRA du
groupe Movis pour le terminal roulier, etc. Le second terminal à
conteneurs est concédé à Bolloré, Bouygues et APM
terminal.
Ces concessions se fondent sur des devoirs des deux
côtés, pour l'État ou son représentant et le
concessionnaire. Les concessionnaires paient des redevances de plusieurs
natures, pour avoir le droit d'exploiter. Mais l'État par le biais du
PAA doit fournir certaines assistance : tout dégât sur les quais
par exemple doit être assumé par le PAA, de même que pour
les magasins sur les quais. Le PAA s'occupe également du système
électrique des infrastructures. La durée des concessions est
prévue pour quinze à vingt-cinq ans, renouvelables si les deux
parties en manifestent le souhait. Par exemple, la concession du premier
terminal à conteneur, prévue pour durer quinze ans, a
été prolongée de dix ans. D'après M. Seka, le port
n'est pas pour l'instant dans l'optique de récupérer les
activités, car cela fonctionne très bien de la sorte. Mais c'est
une possibilité qui est conservée par la signature de concessions
à durée déterminée.
À l'heure actuelle, les concessions de service public
dans les transports se cantonnent beaucoup aux activités de transport
international, à l'image du rail, du portuaire et de l'aérien que
nous avons évoqué. Mais sur la lagune opèrent
déjà deux nouveaux concessionnaires pour la mobilité des
personnes, et le futur des mobilités que nous avons étudié
précédemment montre que le futur de la mobilité
également sera fait de multiples conventions de concession. La tendance
depuis maintenant vingt ans est donc claire : si la concession des
activités de service public permet leur développement,
l'État est tout à fait disposé à y recourir.
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C) Avantages et limites du système de concession
La question des avantages et inconvénients du
système que l'on a décrit se pose en fonction du point de vue des
différents acteurs. Nous n'évoquerons pas celui des entreprises
privées qui obtiennent les concessions, car il ne nous intéresse
pas ici. Nous nous intéresserons donc au point de vue de l'État.
Dans quelle position cette mosaïque de concessions le met-elle ?
Les avantages : d'importantes réalisations aux
résultats notables
Le budget de l'État ivoirien pour l'année 2020 a
été voté et établi à près de 8 000
milliards de francs CFA, soit plus de 12 milliards d'euros. À titre de
comparaison, il était de 6 500 milliards en 2017 et 7 300 milliards en
2019. Malgré une très importante progression donc, il reste en
volume très léger comparé au coût de certains
projets que l'État initie. À titre de rappel, le coût du
pont HKB s'est élevé à 126 milliards de francs CFA, et le
coût signé du projet de métro s'élève
à 1,4 milliard d'euros, soit un dixième du budget annuel actuel
de la Côte d'Ivoire. Il apparaît ainsi clairement que l'État
n'a pas la capacité de soutenir à lui seul les projets qu'il
réalise. Aussi, le recours au privé lui permet des
bénéfices importants : pour la population, ce qui compte le plus
est l'importances des réalisations. Sur place, de multiples
conversations m'ont permis de constater que les gens voient les choses
évoluer positivement, et que beaucoup ont tendance à l'imputer
à Ouattara, le président en place, souvent décrit comme un
travailleur sérieux et assidu dans les conversations. On comprend donc
que les réalisations pilotées par l'État lui
bénéficient, et bénéficient à la
popularité du gouvernement en place. Ainsi donc, les PPP tendent
manifestement à permettre à l'État de réduire ses
dépenses, tout en bénéficiant tout de même des
retombées positives des projets et actions menées. Cela repose
sur un élément central : la conservation du contrôle et de
la direction des opérations. L'enjeu de conservation de la
souveraineté de l'État sur les activités de service public
est grand. Pour cela, il existe des garde-fous juridiques notamment, qui se
trouvent dans les textes de conventions de concession. Ils permettent à
l'État de poser très précisément le cadre des PPP,
et surtout de les délimiter dans le temps, afin de conserver la
possibilité de récupérer pleinement l'activité
concédée si le besoin s'en fait ressentir. De la même
façon, tout l'intérêt pour l'État des constructions
d'infrastructures en Build-Operate-Transfer réside dans le «
Transfer » final.
Il apparaît donc que l'État tire des
bénéfices importants des PPP et des concessions en organisant les
appels d'offre et en conservant un droit de regard.
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L'instauration de rapports de force à
surveiller
Les entreprises concessionnaires sont souvent issues de
grandes structures comme Bouygues ou Bolloré Logistics dans notre
contexte, ce qui implique qu'elles disposent d'une force géopolitique
importante localement. Pour un État à la stabilité encore
fragile, comme c'est le cas en Côte d'Ivoire, c'est un
désavantage, ou du moins une source de danger potentiel à
surveiller. L'enjeu pour l'État est de ne pas se laisser déborder
par les appétits souvent voraces de certaines entreprises importantes.
Même dans le cas où il parvient à conserver un
véritable contrôle, les PPP impliquent une perte de
souveraineté, car il est alors contraint de négocier avec un
intermédiaire et n'a plus le contrôle direct de l'activité
déléguée. Ainsi, concrètement, si l'État par
le biais du PAA veut organiser un projet à vaste échelle dans le
port, il est contraint de négocier avec une multitude d'acteurs
concessionnaires des différentes activités, ce qui
forcément impacte sa capacité de réalisation propre. On
peut résumer cela en une phrase : pour l'État, concéder
une activité publique, c'est aussi concéder du pouvoir qui peut
être utilisé pour s'opposer à lui.
Il y a également la question du partage des revenus
générés par l'activité concédée,
notamment lorqu'il s'agit d'une activité très
rémunératrice. Par exemple, les activités d'exploitation
des différents terminaux du port sont génératrices
d'importants revenus. À l'heure actuelle, d'après M. Seka, le
chef de suivi du département des concessions du port, les
concessionnaires touchent une part plus importante que l'État des
revenus générés. Cela est devenu problématique au
point que certaines concessions sont en cours de révision pour augmenter
le montant des redevances dues par les concessionnaires à la puissance
publique. Ainsi, en plus d'une redevance fixe pour l'exploitation, une
redevance proportionnelle sur l'activité est en train de se
démocratiser dans les terminaux concédés. Ce type d'action
fait partie de l'équilibre que doit trouver l'État entre la part
nécessairement laissée aux concessionnaires, et celle qu'il
récupère, par le biais des redevances notamment.
Par ailleurs, dans le cadre des réalisations suivant un
modèle en BOT, l'un des aspects majeurs du contrat de PPP est le partage
de la prise de risque. En effet, l'acteur privé qui construit une
infrastructure recherche des garanties de revenus. Dans l'exemple du pont HKB,
Bouygues n'a pas voulu s'engager dans le projet sur la simple estimation du
trafic potentiel du pont, car en cas d'erreur, l'entreprise prend le risque de
ne pas rentabiliser son investissement sur la durée prévue de la
concession. Le risque est trop grand. L'État est donc contraint de
mettre en place certaines mesures garantissant le revenu de l'entreprise. Dans
un cas comme le métro d'Abidjan, l'enjeu est particulièrement
important pour l'État. Nous avons dit
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précédemment que dans cet exemple précis
de BOT, l'État rémunère selon un tarif prévu la
STAR pour la construction et l'exploitation du métro. C'est donc
l'État qui touchera directement l'argent issu des titres de transport
vendus. Cela implique que c'est lui qui prend le risque lié à
l'estimation du trafic potentiel. Si ce dernier est inférieur à
ce qui est prévu, c'est l'État qui perdra de l'argent, et non les
concessionnaires.
Enfin, le PPP trouve des limites très importantes
lorsqu'il n'est pas souhaité mais contraint. En effet, l'État est
censé oeuvrer pour le bénéfice de sa population, ce qui
est à la fois une de ses prérogatives et le discours qu'il
entretient. Or, la signature d'une concession par contrainte, par exemple du
fait d'un manque criant d'argent public, laisse une marge de manoeuvre
supérieure à l'entreprise concessionnaire, et crée un
risque que les intérêts privés prennent largement le pas
sur les intérêts publics dans la gestion de la concession. Un
exemple signifiant de ce type de dynamique est la concession du rail
ivoiro-burkinabé à l'entreprise SITARAIL du groupe
Bolloré. Comme nous l'avons déjà vu, à partir de la
signature de la concession, le trafic s'est très rapidement
détourné du transport de passagers pour se concentrer sur le
transport de marchandises entre le Burkina Faso et le port d'Abidjan. Cette
dynamique a engendré des effets tunnels importants sur le territoire
ivoirien, en tuant les échanges et déplacements organisés
autour de nombreuses gares passagères qui ont été
fermées. Rappelons que le groupe Bolloré a des
intérêts importants dans le port d'Abidjan, puisque qu'il est
impliqué dans les activités des deux terminaux à
conteneurs. En favorisant le trafic marchand au détriment du trafic
passager, les intérêts privés ont dans cet exemple pris un
pas très net sur les intérêts publics, du fait d'une
convention de concession signée dans de mauvaises conditions pour
l'État ivoirien et donc pour l'intérêt public.
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