9.2.5 Travailler pour recouvrer sa liberté
Pendant la guerre en Libye les chantiers de construction qui
emploient essentiellement la main-d'oeuvre migrante se raréfient.
L'offre d'emploi s'amenuise dans un contexte de violence
généralisée. Les rares migrants qui parviennent à
trouver un travail sont peu ou pas rémunérés, les
employeurs profitant de l'impunité générale et de la
vulnérabilité des migrants du fait de leur statut
d'étranger.
Dans ce contexte d'insécurité en Libye une autre
activité prend de l'essor. Il s'agit de la technique qui consiste
à faire travailler les personnes kidnappées pour rembourser le
montant réclamé pour leur mise en liberté. Les
détenus doivent travailler pour leurs geôliers durant des mois
afin de recouvrer leur liberté. Il est fait recours à cette
méthode lorsqu'après torture le détenu n'arrive pas payer
la rançon réclamée pour sa libération. Les travaux
sont en général domestiques ou liés à l'agriculture
et l'élevage.
9.2.6 Les motivations des autres
nationalités
9.2.6.1 Mobiliser l'asile pour tenir son projet
migratoire
Du fait des opportunités de travail qu'elle offre, la
Libye apparait comme une destination pour les migrants de l'Afrique de l'Ouest
et Centrale. Des milliers de jeunes transitent par le Niger
241
afin de profiter des opportunités économiques ou
comme pays de transit afin de se rendre en Europe. Certains sont parvenus en
Libye, mais ont été contraints au retour à cause de la
dégradation de la situation sécuritaire. D'autres sont
bloqués à Agadez du fait de l'application de la loi 2015-36 qui
réprime le trafic illicite de migrants. Bloquées à Agadez
faute d'offre de transport, ces personnes finissent par dépenser les
maigres ressources dont elles disposent. Ne pouvant ou ne voulant pas opter
pour le « retour volontaire » que propose l'OIM, elles s'inscrivent
dans le système d'asile et restent à Agadez.
9.2.6.2 Les conflits communautaires
Le départ du pays d'origine pour certains
répondants est motivé par des violences dont les origines
relèvent de problèmes ethniques et communautaires non
résolus. Il s'agit des agissements en cours dans la région nord
du Cameroun pour l'indépendance. La riposte militaire qui est
privilégiée a eu des conséquences sociales sur la vie des
populations de cette région. Celles-ci sont dans certains cas
contraintes de quitter leurs terroirs pour avoir la vie sauve. Dans ce
processus, ils empruntent les routes migratoires à la recherche à
la fois d'un bien-être ou de protection internationale à l'image
de Yolande qui retrace son parcours dans l'encadré ci-dessous.
242
Encadré 7 : Yolande originaire du Cameroun
« Je suis Yolande, 32 ans, originaire du Sud-Ouest
camerounais. Un jour on dormait vers 2 h du matin, les gens ont
arrêté mon père et coupé la main de ma petite soeur.
On a tué mon père hors de la concession. Le matin on a fui la
maison. Les bandits sont venus brûler notre maison. Les gens ont
menacé de tuer toute notre famille. J'ai fui au nord du Cameroun avec
mon frère, mais je l'ai perdu. Je suis allé au nord du
Nigéria. Dans la voiture il y avait quatre hommes qui m'ont bien
violée. Ils ont failli me tuer et fini par m'abandonner dans la nuit.
Vers 7 h du matin, un véhicule m'a prise. Ils m'ont amenée au
Niger.
Je me suis enregistrée comme demandeuse d'asile
sans logement en novembre 2017. Avec l'ouverture des cases de passages, le HCR
m'a appelé pour m'installer. Je suis vraiment fatiguée, car il y
a trop de problèmes, on doit interdire aux hommes de violer les
femmes.
Je ne peux pas rester ici (Agadez), il n'y a pas de
travail ici. Il n'y a rien à faire ici. Je ne peux rester. Depuis
là, je n'ai pas des nouvelles de ma famille. Je vais aller dans un
endroit où je serais en sécurité. Je ne peux pas rester au
Niger, car il n'y a rien à faire.
Au Cameroun j'étais couturière. Je ne savais
pas où aller, je voulais fuir pour éviter de me faire tuer. Je
voulais aller dans un endroit où je peux trouver du travail et la
sécurité. Ici ce n'est vraiment pas la peine. Je suis
chrétienne, je ne peux m'habiller comme eux les musulmans. Même
là où je travaille les gens m'insultent et cela m'énerve.
La police vient nous arrêter. Ils disent qu'ils veulent l'argent. Cela
fait deux fois qu'on m'arrête. La police prend 10 000 FCFA avec nous
».
Le cas de Yolande indique un départ du pays d'origine
ayant coûté la vie à son père. Elle fuit avec son
frère au Nigeria à la recherche de la sécurité. Sur
la route migratoire, elle est victime de violences puis se retrouve à
Agadez. Yolande formule la demande d'asile à Agadez et continue à
se prendre en charge. Avec la mise en place du dispositif d'assistance
humanitaire le HCR prend attache avec elle et elle est logée et prise en
charge. L'analyse du parcours montre qu'elle a fui le Cameroun pour «
sauver sa vie ». Dans la recherche d'un espace où elle peut
être en sécurité, elle traverse la frontière avec le
Nigéria accompagné de son frère qu'elle perd. Il y a donc
une seconde séparation avec la famille. Sur cette route migratoire, elle
est violée
243
avant de se retrouver à Agadez. Sa demande d'asile
s'inscrit dans une logique circonstancielle, celle de la présence du
bureau du HCR à Agadez. Elle profite donc pour exploiter les avantages
qu'offre son milieu d'accueil en termes de protection.
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