9.2.3 Absence de travail dans les camps
Les camps se caractérisent également par une
faible opportunité de travail et d'emploi. Ils sont situés en
milieu rural où le contexte local est moins favorable au
développement d'activités économiques encore moins en
termes d'offres d'emploi. Les réfugiés se trouvent donc
piégés par la baisse de l'assistance humanitaire à
laquelle s'ajoute l'absence d'opportunité de travail et d'emploi dans la
zone d'accueil.
9.2.4 L'insécurité au Tchad et en Libye
Qu'ils soient dans les camps des réfugiés ou
dans ceux de déplacés internes, les occupants sont dans certains
cas obligés de traverser la frontière tchadienne ou
centrafricaine à la recherche de sécurité pour
préserver leur vie. En effet, au Soudan les camps de
déplacés internes sont la cible des exactions des milices
Janjawid, ce qui crée une psychose de sorte que les IDPs dans certaines
régions finissent par traverser la frontière pour se constituer
réfugiés. La destination est soit le Tchad soit la Libye,
déplacés internes et réfugiés partent à la
recherche du travail au fil des années.
Au Tchad, la proximité avec le Soudan et les
différentes rébellions internes font que les camps de
réfugiés sont souvent attaqués par les groupes
armés. Ce qui les rend répulsif aussi pour une partie des
réfugiés.
La dégradation de la situation sécuritaire
à laquelle s'ajoutent la baisse de l'assistance humanitaire et l'absence
d'opportunités de travail agissent comme des déclencheurs et un
accélérateur des mouvements de ces personnes.
Ces mouvements contraints s'inscrivent dans une route
migratoire déjà existante entre le Tchad, le Soudan et la Libye.
En témoigne la présence depuis les années 70-80 des
migrants en provenance de ces deux pays en Libye dictée par la recherche
du travail. Selon Drozdz et Pliez « La présence soudanaise en
Libye est pourtant notable puisqu'on estime le nombre de leurs ressortissants
à une large fourchette de 500000 et 800000 personnes, soit la seconde
communauté immigrée après les Égyptiens et la
première parmi les ressortissants d'Afrique subsaharienne »
(Drozdz et Pliez, 2005). Dans le contexte de la dégradation de la
situation sécuritaire au Tchad dans les camps de réfugiés,
certains départs vers la Libye sont notés bien avant le
déclenchement de la guerre en Libye comme l'illustre l'encadré
ci-dessous.
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Encadré 6: Mohamed ressortissant du Darfour
« Je suis Mohamed, 24 ans ressortissant du Darfour. J'ai
quitté mon village en avril 2005 à cause de la guerre. Mon papa
est décédé à la suite d'une attaque des milices
à Khartoum. Ma maman et mes frères ont quitté la ville
pour le camp d'Al Fashir. La situation est très difficile j'étais
obligé de venir au Tchad au camp de Farchana. Là aussi, j'ai eu
des difficultés à m'enregistrer, mais j'ai fini par avoir un
numéro d'inscription. J'étais resté là-bas deux (2)
ans et six (6) mois avant d'aller en Libye.
Je n'ai pas pu faire venir la famille au Tchad, car je n'avais
pas les moyens. Je survivais grâce aux travaux journaliers. Je ne
recevais aucune assistance de l'UNHCR. Je vivais dans un jardin. J'ai souffert
dans ma vie, car au temps de la guerre j'étais petit, je n'arrivais pas
à distinguer les choses. Avec le décès de mon papa, la
charge de la famille me revenait. Je voudrais trouver du travail et envoyer
à ma famille. Je suis donc parti en Libye. C'est un Tchadien qui m'a
aidé pour le transport. Le chauffeur m'a amené à Koufra ;
arrivé dans cette ville j'ai pris contact avec les Soudanais qui m'ont
aidé à trouver du travail. J'étais resté un an dans
cette ville. Je travaillais dans une alimentation. Après le
départ du Soudanais, le propriétaire de l'alimentation me
maltraitait. J'ai quitté pour Benghazi.
Arrivé à Benghazi, j'ai pris contact avec les
compatriotes. J'ai travaillé pendant trois ans dont la moitié
comme ouvrier du bâtiment avec 1900 dinars de salaire mensuel. J'arrivais
à envoyer à mes parents restés au Soudan à travers
les agences locales. Vers la fin du chantier, on a commencé à
remercier les gens et ça a coïncidé avec le début de
la guerre en février 2011. On s'est retiré dans une grande cour.
On nous a fouillés, car il y avait plusieurs nationalités. J'ai
voulu retourner au Tchad, mais je n'ai pas pu. Mais j'ai pu m'échapper
du camp à travers les commerçants qui nous amènent
à manger. Ces commerçants nous ont fait sortir et nous ont
amenés gratuitement à Sebha. J'ai passé deux ans dans
cette ville, dont sept mois de travail dans un champ. Après les
commerçants nous ont fait travailler dans le champ d'un autre sans
salaire. Le dernier commerçant nous a kidnappé et a exigé
qu'on paye pour se faire libérer. J'ai expliqué que mon
père est mort et ma mère est malade. J'ai pris l'engagement de
travailler en contrepartie de l'argent demandé. J'ai pu
m'échapper lors d'une séance de salubrité pour me
réfugier chez un Ghanéen pendant quatre jours avant qu'on ne soit
à nouveau kidnappé. À la suite d'une bagarre entre les
milices j'ai pu m'échapper pour Gatroun où pendant neuf (9) mois
j'étais travailleur journalier. J'ai voulu
239
retourner au Tchad, mais les Soudanais m'ont proposé de
venir au Niger après ils vont voir comment me chercher de l'argent pour
retourner au Tchad. Arrivé à Agadez j'étais à
côté du marché avant que les agents d'APBE me prennent en
charge. Actuellement, cela fait cinq (5) à six (6) ans que je n'ai
aucune nouvelle de ma famille. C'est un kamikaze le fait de prendre le bateau
pour l'Europe ».
Le parcours de Mohamed illustre la complexité du
conflit au Darfour. Il est déplacé interne puis
réfugié au Tchad à la recherche d'opportunités
économiques pour faire face à ses obligations sociales. Au Tchad,
en l'absence d'assistance humanitaire, il enchaine les petits boulots sans
atteindre son objectif de pouvoir envoyer une partie à sa famille
restée au Soudan. Pour atteindre cet idéal, il continue son
parcours en Libye où il travaille et envoi aux proches. La crise
libyenne et l'insécurité qui en découle l'amènent
à changer de ville dans l'espoir d'être en sécurité
et de continuer à prendre en charge sa famille. Il est kidnappé
puis relâché. Il parvient à se rendre au Niger, pays
jugé en sécurité bien qu'il ait voulu se rendre plus
tôt au Tchad. Mohamed est donc une figure ayant fui
l'insécurité pour se retrouver dans l'insécurité en
Libye. Sa venue au Niger relève du hasard et sa requête d'asile
relève des circonstances et des opportunités qu'offre ce pays
d'accueil.
La migration des Soudanais va se maintenir et s'amplifier avec
des flux circulants entre les deux pays et animés par une population
jeune. Elle prendra une nouvelle tournure au printemps 2010 avec la chute du
régime du Guide libyen. En ce moment, la Libye va se consolider en
plaque tournante des migrations africaines et le point de liaison des
côtes Méditerranéennes avec l'Europe. Les Soudanais avec
une importante diaspora installée en Europe vont s'illustrer par leur
présence sur les embarcations à destination de l'Italie.
Cette période est aussi marquée en Libye par une
violence généralisée. L'économie du pays est
détruite. Les milices armées qui ont émergé se
distinguent par un mode opératoire particulier. Il s'agit des lieux de
détention privés qui se sont développés dans le
pays plus connu sous le nom de Guidan bachi ou maisons de
crédits. Cette expression est utilisée par les migrants
nigériens haoussas pour désigner ces lieux où la personne
est détenue jusqu'à ce quelqu'un paie pour la faire
libérer. Ces espaces sont connus pour les abus, les tortures et des cas
de morts (Puig, 2017). Les migrants africains en payeront un grand prix. Les
détenus sont violentés, torturés et forcés
d'appeler leur famille pour envoyer le montant exigé pour leur
libération comme le souligne Clément : «j'ai
été kidnappé par la Katiba 42 à Tripoli. Ils ont
exigé une
240
rançon de 15 000 dinars pour me faire
libérer. J'ai appelé mon grand frère qui a mobilisé
les 15 000 dinars pour me faire libérer. J'ai été
jeté au bord de la mer avec cagoule et 10 dinars comme frais de taxi
» (Clément, demandeur d'asile, Agadez 22-07-2018).
Ainsi, est né un business avec au centre le migrant.
Les familles des premiers détenus payent pour libérer leurs
proches et les responsables des Guidan bachi découvrent alors
un business rentable dans cette Libye post Kadhafi qu'ils comptent
perpétuer par des nouveaux kidnappings. En effet, le cas de
Clément est légion, lors des entretiens plusieurs personnes
affirment avoir séjourné dans ces prisons. En fait, dans la Libye
post Kadhafi des prisons privées ont émergé. Les
humanitaires et les organisations de défense de droit de l'homme ont
confirmé l'existence de ces cachots qui constituent une véritable
source d'insécurité pour la population étrangère
présente dans le pays. Le passage dans ces geôles privées
est un facteur qui n'encourage pas de poursuivre le séjour dans le pays
après avoir été libéré. Ainsi, plusieurs
personnes à l'image de Clément affirment avoir quitté le
pays juste après leur libération. Ces départs sont souvent
encouragés par les familles contraintes de payer la rançon
exigée alors qu'elles devraient plutôt recevoir les
bénéfices de la migration.
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