Conclusion partielle
Le profilage des rapatriés de l'OIM a fait ressortir
que certains sont revenus de la Libye et d'autres sont des victimes des
politiques de lutte contre la migration irrégulière. Ce constat
ne peut faire l'objet de généralisation puisqu'il ne repose pas
sur des données recueillies auprès de tous les rapatriés
mais plutôt sur une vingtaine de personnes avec lesquels nous avons
voyagé et échangé entre Niamey et Dakar.
L'analyse révèle que ces personnes se sont
orientées vers l'OIM pour bénéficier du retour volontaire
pour plusieurs raisons dont l'absence de document de voyage, les contraintes
financières et les facilités de mouvement avec l'OIM.
Voyager avec les retournés volontaires dans leur pays
d'origine a permis de se rendre compte aussi des difficultés de
mobilité sur l'axe Niamey-Dakar en raison des nombreux postes de
contrôle qui sont sur cette route, des faux frais que les voyageurs
doivent payer. Il a aussi permis de comprendre le contexte moral et
psychologique dans lequel retournent ces personnes. Absent depuis des mois
voire des années, sans perspective, ils sont contraints de revenir dans
certains cas bredouille malgré l'immense espoir suscité par leur
départ.
228
Chapitre 9 : Ouvrir la protection internationale dans
le contexte des mouvements mixtes
Le présent chapitre aborde l'externalisation des
politiques migratoires européennes au Niger (Agadez) sous l'angle de la
protection. La porte d'entrée de l'analyse regroupe à la fois les
acteurs institutionnels et ceux au nom desquels le dispositif est mis en place,
c'est-à-dire les réfugiés et les demandeurs d'asile, plus
globalement les personnes en demande protection internationale. En sus, des
entretiens avec les acteurs mentionnés, des données secondaires
sont mobilisées pour mieux comprendre les caractéristiques
sociodémographiques de la population étudiée. Un regard
est porté sur leur parcours, les motivations de la requête, le
choix du Niger, la vie des personnes concernées et les perspectives en
lien avec l'octroi ou non du statut et l'accès aux solutions durables.
L'espace témoin de cette étude est la région d'Agadez,
point de passage des flux en partance ou de retour de l'Algérie et la
Libye (Bensaad, 2003 ; Bredeloup, 2005 ; Brachet, 2014). Si bon nombre de
personnes se déplacent pour des raisons économiques, une
proportion non négligeable est contrainte de fuir des
persécutions, des violences généralisées et se
retrouve sur le chemin de la migration à la recherche ou en demande de
protection internationale. Il peut s'agir des réfugiés, des
demandeurs d'asile, des personnes à risques d'apatridie ou des victimes
de la traite. C'est pourquoi le HCR parle de migration/mouvement mixte en
référence à la diversité de profils des personnes
se trouvant dans les flux. « Les mouvements mixtes (ou migration
mixte) font référence aux flux de personnes voyageant ensemble,
généralement de manière irrégulière, sur les
mêmes itinéraires et utilisant les mêmes moyens de
transport, mais pour des raisons différentes. Les hommes, les femmes et
les enfants qui voyagent de cette manière ont souvent été
forcés de quitter leurs foyers par des conflits armés ou des
persécutions, ou sont en déplacement à la recherche d'une
vie meilleure. Les personnes qui voyagent dans le cadre de mouvements mixtes
ont des besoins variés et peuvent inclure des demandeurs d'asile, des
réfugiés, des apatrides, des victimes de la traite, des enfants
non accompagnés ou séparés et des migrants en situation
irrégulière. »35 . Cette notion introduit la
question de l'asile dans un contexte de déplacement. En effet, depuis
mai 2017, en accord avec le gouvernement du Niger36, le HCR a ouvert
un bureau à Agadez
35 HCR, la protection des réfugiés et
les mouvements migratoires mixtes, plan d'action en 10 points
36 Mémorandum sur l'identification des
réfugiés et demandeurs d'asile dans les flux migratoires d'Agadez
de 2017 ;
229
pour promouvoir l'offre d'asile. Boyer souligne : «
la préoccupation du HCR pour les « migrations mixtes », terme
renvoyant dans le contexte du Niger aux migrations de transit en direction de
l'Algérie et de la Libye » (Boyer et al, 2019, P8). L'objectif
est de fournir une protection internationale aux personnes correspondant aux
critères et se trouvant dans les flux en direction ou en provenance de
l'Afrique du Nord. L'approche vise donc selon les promoteurs à
éviter la dangereuse traversée du Sahara et de la
Méditerranée pour demander l'asile en Europe. Signataire de la
convention de Genève de 1951 et de la convention de l'OUA de 1969, le
Niger dispose d'un cadre légal d'accès à l'asile. Le pays
a domestiqué ces deux instruments dans son arsenal juridique et en 1997
a adopté la loi portant statut des réfugiés (loi
n°97-016 du 20 juin 1997) dont le décret d'application a
été adopté en décembre 1988 (décret
n°98-382). Aux termes de cette Loi, le terme « Refugie »
s'applique, au Niger,
« A toute personne qui, craignant avec raison
d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion de sa
nationalité, de son appartenance a un certain groupe social et de ses
opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité
et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays, ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se
trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle
à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de
ladite crainte, ne veut y retourner ».
Le terme « Refugie>> s'applique également
« à toute personne qui du fait d'une agression, d'une occupation
extérieure, d'une domination étrangère ou
d'Evénement troublant gravement ('ordre public dans une partie ou dans
la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la
nationalité, est obligée de quitter sa résidence
habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit a l'extérieur de
son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité ».
C'est sur la base de ces textes que les réfugiés
maliens et nigérians ont été reconnus prima faciès
respectivement le 16 mars 2012 37 et le 9 juillet 2020 38
. L'extension de la protection internationale à certains protagonistes
de la migration mixte constitue un tournant décisif de la question de
l'asile au Niger. Elle implique l'enregistrement des cas en province notamment
à Agadez et la mise en place d'une politique d'accueil et de
détermination du statut de réfugiés
37 Arrêté N°142 /MI/SP/D/AR/DEC-R
du 16 mars 2012, accordant le bénéfice du statut de
réfugiés prima faciès au Niger, aux Maliens victimes de
conflit armé au nord Mali
38 Arrêté N°571
/MISP/D/ACR/SG/DGEC-MR du 9 Juillet 2020, accordant le bénéfice
du statut de réfugiés prima faciès aux ressortissants
nigérians victimes de l'insécurité
généralisée dans certains Etats
fédérés du nord du Nigéria ;
230
au cas par cas sur une population numériquement assez
importante dépassant les habitudes de l'administration.
9.1 Comprendre la population en quête d'asile
à Agadez 9.1.1 Une prééminence des Soudanais
Le tableau (10) ci-dessous renseigne sur la population des
demandeurs d'asile (il s'agit des personnes qui ont fait des requêtes
afin d'être considérées comme réfugiées et
dont les cas doivent être déterminer par la commission nationale
d'éligibilité) et réfugiés présents à
Agadez à la date du 12 juillet 2020. Il s'agit de 1070 personnes de 18
nationalités. Les Soudanais représentent 93 % du groupe, suivi du
Cameroun 2 % et la Centrafrique 1 %.
L'analyse du tableau relève également la
présence de nationalités hors du continent africain, dont des
Pakistanais, Syriens et Yéménites. Ces personnes ont
généralement été l'objet d'une expulsion vers le
Niger.
Tableau 12:Répartition par nationalité des
personnes sous mandat UNHCR à Agadez
Pays d'origine
|
Nombre
|
Soudan
|
994
|
Cameroun
|
22
|
République centrafricaine
|
12
|
Mali
|
10
|
Pakistan
|
7
|
Togo
|
6
|
Tchad
|
5
|
Guinée
|
2
|
Côte d'Ivoire
|
2
|
Soudan du Sud
|
2
|
Érythrée
|
1
|
Palestine
|
1
|
Syrie
|
1
|
231
Ghana
|
1
|
Libéria
|
1
|
Burkina Faso
|
1
|
Somalie
|
1
|
Sénégal
|
1
|
Total
|
1070
|
Source : UNHCR juillet 2020
Le tableau ci-dessous indique que l'arrivée des
demandeurs d'asile à Agadez date de moins de 5 ans. Les premiers flux
ont débuté en 2017 avec l'ouverture du bureau du HCR à
Agadez. Ceux-ci représentent 12 % de la population
étudiée. La période novembre-décembre 2017,
correspond au pic des arrivés lors de cette année.
Tableau 13:Année d'arrivée des personnes sous
mandat du HCR à Agadez
Année
|
Nombre
|
Pourcentage
|
2020
|
91
|
9 %
|
2019
|
64
|
6 %
|
2018
|
782
|
73 %
|
Avant 2018
|
133
|
12 %
|
Total
|
1070
|
100 %
|
Source : UNHCR juillet 2020
L'année 2018 est la période d'arrivée
pour 73 % du groupe cible. Elle coïncide également avec
l'intensification des combats dans le Sud libyen, la mise en place de
l'opération ETM et la campagne médiatique concernant l'ouverture
de places à la réinstallation par le HCR au Niger. Ces
éléments auxquels s'ajoutent l'aménagement à Agadez
des abris solidaires, la prise en charge alimentaire et la forte
présence des humanitaires ont joué en faveur de cette ville comme
destination pour cette population.
232
À partir de 2019 une baisse des personnes
enregistrées est à noter. 64 personnes ont été
enregistrées soit une diminution de 782 cas par rapport à
l'année précédente. Une reprise des requérants
à l'asile est en cours, car à la date du 12 juillet 2020, 91
personnes sont enregistrées.
L'analyse du statut des personnes
référencées par le HCR révèle selon le
tableau, ci-dessous, que 72 % sont demandeurs d'asile, alors que 28 % sont
déjà reconnus comme réfugiés. Ils disposent des
documents attestant ce statut ou ont été retrouvés dans la
base de données BIMS biométrique de l'UNHCR. Il s'agit de la
plateforme dans laquelle sont conservées les données
biométriques des personnes enregistrées par le HCR dans ses
différentes représentations à travers le monde. C'est un
outil inter-connecté.
Tableau 14:Statut des Personnes sous mandat du HCR à
Agadez
Statut des PoCs
|
Nombre
|
Pourcentage
|
Demandeurs d'asile
|
769
|
72 %
|
Réfugiés
|
301
|
28 %
|
Total
|
1070
|
100 %
|
Source : UNHCR juillet 2020
9.1.2 Une population vulnérable
Le profil de la population en quête de protection
à Agadez révèle un groupe hétérogène
majoritairement jeune (tableau ci-dessous) composé d'hommes et de femmes
entre 18 et 59 ans. Les personnes les plus âgées proviennent du
Cameroun, du Nigéria et du Mali. On trouve également des
personnes de cette tranche d'âge au sein des Soudanais. La
communauté des demandeurs d'asile se particularise également par
un nombre élevé de mineurs (174) comme l'indique le tableau
ci-dessous. Il s'agit de 80 enfants âgés de 0-4 ans, de 52 dans la
fourchette des 5-11 ans et de 42 âgés dans celle des 12-17 ans.
Dans cette population de mineurs, on trouve des enfants séparés
et/ou non accompagnés qui sont d'autant plus vulnérables. Cette
catégorie de personnes considérées comme très
vulnérables a droit à la protection selon les acteurs
233
humanitaires. Aux personnes potentiellement vulnérables
on peut adjoindre les femmes. Le tableau ci-dessous révèle
qu'elles représentent 15 % de la communauté
étudiée. Parmi elles on y recense des femmes cheffes de
ménage avec souvent à charge des enfants mineurs. Cette
catégorie se trouve en majorité chez les Soudanais et
marginalement chez les autres nationalités.
Tableau 15:Répartition sexe et Âge des personnes
sous Mandat HCR à Agadez
Âge
|
0-4 ans
|
5-11ans
|
12-17 ans
|
18-59 ans
|
Pourcentage
|
Total
|
Féminin
|
40
|
24
|
9
|
88
|
15 %
|
161
|
Masculin
|
40
|
28
|
33
|
808
|
85 %
|
909
|
Total
|
80
|
52
|
42
|
896
|
100 %
|
1070
|
Source : UNHCR juillet 2020
Les femmes et jeunes filles qui voyagent seules constituent
également une catégorie de vulnérables. Certaines ont
été victimes le long de leurs parcours migratoires
d'atrocités comme les violences basées sur le genre dont le viol.
À cela s'ajoutent les personnes à besoins spécifiques,
dont les plus âgées ou ceux souffrants de pathologies
particulières ou les femmes enceintes. Ces personnes du fait de leur
vulnérabilité et des risques associés à cette
vulnérabilité bénéficient d'une protection
spécifique qui va au-delà de la convention de Genève ou de
l'OUA. Il s'agit entre autres de l'assistance humanitaire, de la mise à
l'écart des hommes et/ ou adultes et de l'accès prioritaire
à des solutions durables telle que la réinstallation.
Lors de nos entretiens, il est apparu que les Soudanais se
distinguent par le nombre élevé de personnes vulnérables
dont celles ayant des besoins spécifiques, les enfants
séparés et non accompagnés comme Younouss dont le parcours
est décrit ci-dessous et les femmes cheffes de ménages. À
l'inverse, dans les autres nationalités on retrouve des femmes ou filles
qui voyagent seules, des femmes chefs de ménages et quelques personnes
à besoins spécifiques.
234
Encadré 5 : Younouss demandeurs d'asile à
Agadez
Je m'appelle Younouss, 15 ans, ressortissant du Darfour.
Je vivais au village avec mes parents au Soudan. Mon père est tué
lors d'une attaque des Janjawid dans notre village. Ma mère est morte
plus tard. En juillet 2016, j'ai décidé de quitter mon village
pour Abéché au Tchad à la recherche de travail. J'ai fait
le métier d'apprenti chauffeur pour venir au Tchad puis en Libye.
Récemment, j'ai appris que ma grand-mère et ma soeur sont venues
au camp des réfugiés à Treguine au Tchad. C'est en Libye
que quelqu'un m'a informé. J'ai fait cinq (5) jours au Tchad avant
d'aller à Al Gatroun en Libye.
À Al Gatroun, j'ai été
emprisonné pendant cinq (5) mois avant que nous soyons
libérés, trois (3) mineurs. À notre sortie, on a appris
avec les gens qui passent qu'il y a un centre pour les réfugiés
au Niger. Je suis venu seul, un chauffeur m'a amené gratuitement
à Agadez le 14 janvier 2018. J'ai pu me faire enregistrer par APBE.
Avant de rejoindre le site, j'habitais dans le ghetto soudanais. Je peux rester
au Niger, car il y a la paix et la sécurité. Ce n'est pas comme
au Soudan et en Libye. Si j'ai le choix, je vais m'accrocher à l'UNHCR.
Je n'envisage pas le Tchad, car j'ai peur, car notre camp est frontalier avec
le Soudan. Je n'ai aucun papier j'ai tout perdu en prison en Libye.
Le cas de Younouss, illustre la situation de nombreux jeunes
pris aux pièges de l'insécurité de leur pays d'origine,
mais aussi des pays d'accueil. Né pendant le conflit du Darfour, il
continue à vivre les affres d'un conflit qui n'a que trop duré.
Orphelin à la suite de l'assassinat de son père puis du
décès de sa mère, il est contraint de prendre son destin
en main. Ainsi au lieu de retourner à l'école comme les jeunes de
son âge, il prend le chemin de la migration et est contraint de
travailler. Il se retrouve au Tchad puis en Libye comme apprenti chauffeur.
Emprisonné à Al Gatrone malgré son âge, il subit des
troubles psychologiques du fait de l'isolement et de l'enferment de la prison.
Aujourd'hui au Niger où il est dans le processus d'asile, Younouss
représente cette catégorie dite vulnérable en raison de
son âge, 15 ans. L'absence des parents biologiques ou proches le classe
dans la catégorie des enfants séparés alors que son
séjour en prison fait de lui une catégorie à besoin
spécifique en lien avec les violences subies.
235
|