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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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Conclusion partielle

Le profilage des rapatriés de l'OIM a fait ressortir que certains sont revenus de la Libye et d'autres sont des victimes des politiques de lutte contre la migration irrégulière. Ce constat ne peut faire l'objet de généralisation puisqu'il ne repose pas sur des données recueillies auprès de tous les rapatriés mais plutôt sur une vingtaine de personnes avec lesquels nous avons voyagé et échangé entre Niamey et Dakar.

L'analyse révèle que ces personnes se sont orientées vers l'OIM pour bénéficier du retour volontaire pour plusieurs raisons dont l'absence de document de voyage, les contraintes financières et les facilités de mouvement avec l'OIM.

Voyager avec les retournés volontaires dans leur pays d'origine a permis de se rendre compte aussi des difficultés de mobilité sur l'axe Niamey-Dakar en raison des nombreux postes de contrôle qui sont sur cette route, des faux frais que les voyageurs doivent payer. Il a aussi permis de comprendre le contexte moral et psychologique dans lequel retournent ces personnes. Absent depuis des mois voire des années, sans perspective, ils sont contraints de revenir dans certains cas bredouille malgré l'immense espoir suscité par leur départ.

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Chapitre 9 : Ouvrir la protection internationale dans le contexte des mouvements mixtes

Le présent chapitre aborde l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger (Agadez) sous l'angle de la protection. La porte d'entrée de l'analyse regroupe à la fois les acteurs institutionnels et ceux au nom desquels le dispositif est mis en place, c'est-à-dire les réfugiés et les demandeurs d'asile, plus globalement les personnes en demande protection internationale. En sus, des entretiens avec les acteurs mentionnés, des données secondaires sont mobilisées pour mieux comprendre les caractéristiques sociodémographiques de la population étudiée. Un regard est porté sur leur parcours, les motivations de la requête, le choix du Niger, la vie des personnes concernées et les perspectives en lien avec l'octroi ou non du statut et l'accès aux solutions durables. L'espace témoin de cette étude est la région d'Agadez, point de passage des flux en partance ou de retour de l'Algérie et la Libye (Bensaad, 2003 ; Bredeloup, 2005 ; Brachet, 2014). Si bon nombre de personnes se déplacent pour des raisons économiques, une proportion non négligeable est contrainte de fuir des persécutions, des violences généralisées et se retrouve sur le chemin de la migration à la recherche ou en demande de protection internationale. Il peut s'agir des réfugiés, des demandeurs d'asile, des personnes à risques d'apatridie ou des victimes de la traite. C'est pourquoi le HCR parle de migration/mouvement mixte en référence à la diversité de profils des personnes se trouvant dans les flux. « Les mouvements mixtes (ou migration mixte) font référence aux flux de personnes voyageant ensemble, généralement de manière irrégulière, sur les mêmes itinéraires et utilisant les mêmes moyens de transport, mais pour des raisons différentes. Les hommes, les femmes et les enfants qui voyagent de cette manière ont souvent été forcés de quitter leurs foyers par des conflits armés ou des persécutions, ou sont en déplacement à la recherche d'une vie meilleure. Les personnes qui voyagent dans le cadre de mouvements mixtes ont des besoins variés et peuvent inclure des demandeurs d'asile, des réfugiés, des apatrides, des victimes de la traite, des enfants non accompagnés ou séparés et des migrants en situation irrégulière. »35 . Cette notion introduit la question de l'asile dans un contexte de déplacement. En effet, depuis mai 2017, en accord avec le gouvernement du Niger36, le HCR a ouvert un bureau à Agadez

35 HCR, la protection des réfugiés et les mouvements migratoires mixtes, plan d'action en 10 points

36 Mémorandum sur l'identification des réfugiés et demandeurs d'asile dans les flux migratoires d'Agadez de 2017 ;

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pour promouvoir l'offre d'asile. Boyer souligne : « la préoccupation du HCR pour les « migrations mixtes », terme renvoyant dans le contexte du Niger aux migrations de transit en direction de l'Algérie et de la Libye » (Boyer et al, 2019, P8). L'objectif est de fournir une protection internationale aux personnes correspondant aux critères et se trouvant dans les flux en direction ou en provenance de l'Afrique du Nord. L'approche vise donc selon les promoteurs à éviter la dangereuse traversée du Sahara et de la Méditerranée pour demander l'asile en Europe. Signataire de la convention de Genève de 1951 et de la convention de l'OUA de 1969, le Niger dispose d'un cadre légal d'accès à l'asile. Le pays a domestiqué ces deux instruments dans son arsenal juridique et en 1997 a adopté la loi portant statut des réfugiés (loi n°97-016 du 20 juin 1997) dont le décret d'application a été adopté en décembre 1988 (décret n°98-382). Aux termes de cette Loi, le terme « Refugie » s'applique, au Niger,

« A toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion de sa nationalité, de son appartenance a un certain groupe social et de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

Le terme « Refugie>> s'applique également « à toute personne qui du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'Evénement troublant gravement ('ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit a l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité ».

C'est sur la base de ces textes que les réfugiés maliens et nigérians ont été reconnus prima faciès respectivement le 16 mars 2012 37 et le 9 juillet 2020 38 . L'extension de la protection internationale à certains protagonistes de la migration mixte constitue un tournant décisif de la question de l'asile au Niger. Elle implique l'enregistrement des cas en province notamment à Agadez et la mise en place d'une politique d'accueil et de détermination du statut de réfugiés

37 Arrêté N°142 /MI/SP/D/AR/DEC-R du 16 mars 2012, accordant le bénéfice du statut de réfugiés prima faciès au Niger, aux Maliens victimes de conflit armé au nord Mali

38 Arrêté N°571 /MISP/D/ACR/SG/DGEC-MR du 9 Juillet 2020, accordant le bénéfice du statut de réfugiés prima faciès aux ressortissants nigérians victimes de l'insécurité généralisée dans certains Etats fédérés du nord du Nigéria ;

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au cas par cas sur une population numériquement assez importante dépassant les habitudes de l'administration.

9.1 Comprendre la population en quête d'asile à Agadez 9.1.1 Une prééminence des Soudanais

Le tableau (10) ci-dessous renseigne sur la population des demandeurs d'asile (il s'agit des personnes qui ont fait des requêtes afin d'être considérées comme réfugiées et dont les cas doivent être déterminer par la commission nationale d'éligibilité) et réfugiés présents à Agadez à la date du 12 juillet 2020. Il s'agit de 1070 personnes de 18 nationalités. Les Soudanais représentent 93 % du groupe, suivi du Cameroun 2 % et la Centrafrique 1 %.

L'analyse du tableau relève également la présence de nationalités hors du continent africain, dont des Pakistanais, Syriens et Yéménites. Ces personnes ont généralement été l'objet d'une expulsion vers le Niger.

Tableau 12:Répartition par nationalité des personnes sous mandat UNHCR à Agadez

Pays d'origine

Nombre

Soudan

994

Cameroun

22

République centrafricaine

12

Mali

10

Pakistan

7

Togo

6

Tchad

5

Guinée

2

Côte d'Ivoire

2

Soudan du Sud

2

Érythrée

1

Palestine

1

Syrie

1

231

Ghana

 

1

Libéria

1

Burkina Faso

1

Somalie

1

Sénégal

1

Total

1070

Source : UNHCR juillet 2020

Le tableau ci-dessous indique que l'arrivée des demandeurs d'asile à Agadez date de moins de 5 ans. Les premiers flux ont débuté en 2017 avec l'ouverture du bureau du HCR à Agadez. Ceux-ci représentent 12 % de la population étudiée. La période novembre-décembre 2017, correspond au pic des arrivés lors de cette année.

Tableau 13:Année d'arrivée des personnes sous mandat du HCR à Agadez

Année

Nombre

Pourcentage

2020

91

9 %

2019

64

6 %

2018

782

73 %

Avant 2018

133

12 %

Total

1070

100 %

Source : UNHCR juillet 2020

L'année 2018 est la période d'arrivée pour 73 % du groupe cible. Elle coïncide également avec l'intensification des combats dans le Sud libyen, la mise en place de l'opération ETM et la campagne médiatique concernant l'ouverture de places à la réinstallation par le HCR au Niger. Ces éléments auxquels s'ajoutent l'aménagement à Agadez des abris solidaires, la prise en charge alimentaire et la forte présence des humanitaires ont joué en faveur de cette ville comme destination pour cette population.

232

À partir de 2019 une baisse des personnes enregistrées est à noter. 64 personnes ont été enregistrées soit une diminution de 782 cas par rapport à l'année précédente. Une reprise des requérants à l'asile est en cours, car à la date du 12 juillet 2020, 91 personnes sont enregistrées.

L'analyse du statut des personnes référencées par le HCR révèle selon le tableau, ci-dessous, que 72 % sont demandeurs d'asile, alors que 28 % sont déjà reconnus comme réfugiés. Ils disposent des documents attestant ce statut ou ont été retrouvés dans la base de données BIMS biométrique de l'UNHCR. Il s'agit de la plateforme dans laquelle sont conservées les données biométriques des personnes enregistrées par le HCR dans ses différentes représentations à travers le monde. C'est un outil inter-connecté.

Tableau 14:Statut des Personnes sous mandat du HCR à Agadez

Statut des PoCs

Nombre

Pourcentage

Demandeurs d'asile

769

72 %

Réfugiés

301

28 %

Total

1070

100 %

Source : UNHCR juillet 2020

9.1.2 Une population vulnérable

Le profil de la population en quête de protection à Agadez révèle un groupe hétérogène majoritairement jeune (tableau ci-dessous) composé d'hommes et de femmes entre 18 et 59 ans. Les personnes les plus âgées proviennent du Cameroun, du Nigéria et du Mali. On trouve également des personnes de cette tranche d'âge au sein des Soudanais. La communauté des demandeurs d'asile se particularise également par un nombre élevé de mineurs (174) comme l'indique le tableau ci-dessous. Il s'agit de 80 enfants âgés de 0-4 ans, de 52 dans la fourchette des 5-11 ans et de 42 âgés dans celle des 12-17 ans. Dans cette population de mineurs, on trouve des enfants séparés et/ou non accompagnés qui sont d'autant plus vulnérables. Cette catégorie de personnes considérées comme très vulnérables a droit à la protection selon les acteurs

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humanitaires. Aux personnes potentiellement vulnérables on peut adjoindre les femmes. Le tableau ci-dessous révèle qu'elles représentent 15 % de la communauté étudiée. Parmi elles on y recense des femmes cheffes de ménage avec souvent à charge des enfants mineurs. Cette catégorie se trouve en majorité chez les Soudanais et marginalement chez les autres nationalités.

Tableau 15:Répartition sexe et Âge des personnes sous Mandat HCR à Agadez

Âge

0-4 ans

5-11ans

12-17 ans

18-59 ans

Pourcentage

Total

Féminin

40

24

9

88

15 %

161

Masculin

40

28

33

808

85 %

909

Total

80

52

42

896

100 %

1070

Source : UNHCR juillet 2020

Les femmes et jeunes filles qui voyagent seules constituent également une catégorie de vulnérables. Certaines ont été victimes le long de leurs parcours migratoires d'atrocités comme les violences basées sur le genre dont le viol. À cela s'ajoutent les personnes à besoins spécifiques, dont les plus âgées ou ceux souffrants de pathologies particulières ou les femmes enceintes. Ces personnes du fait de leur vulnérabilité et des risques associés à cette vulnérabilité bénéficient d'une protection spécifique qui va au-delà de la convention de Genève ou de l'OUA. Il s'agit entre autres de l'assistance humanitaire, de la mise à l'écart des hommes et/ ou adultes et de l'accès prioritaire à des solutions durables telle que la réinstallation.

Lors de nos entretiens, il est apparu que les Soudanais se distinguent par le nombre élevé de personnes vulnérables dont celles ayant des besoins spécifiques, les enfants séparés et non accompagnés comme Younouss dont le parcours est décrit ci-dessous et les femmes cheffes de ménages. À l'inverse, dans les autres nationalités on retrouve des femmes ou filles qui voyagent seules, des femmes chefs de ménages et quelques personnes à besoins spécifiques.

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Encadré 5 : Younouss demandeurs d'asile à Agadez

Je m'appelle Younouss, 15 ans, ressortissant du Darfour. Je vivais au village avec mes parents au Soudan. Mon père est tué lors d'une attaque des Janjawid dans notre village. Ma mère est morte plus tard. En juillet 2016, j'ai décidé de quitter mon village pour Abéché au Tchad à la recherche de travail. J'ai fait le métier d'apprenti chauffeur pour venir au Tchad puis en Libye. Récemment, j'ai appris que ma grand-mère et ma soeur sont venues au camp des réfugiés à Treguine au Tchad. C'est en Libye que quelqu'un m'a informé. J'ai fait cinq (5) jours au Tchad avant d'aller à Al Gatroun en Libye.

À Al Gatroun, j'ai été emprisonné pendant cinq (5) mois avant que nous soyons libérés, trois (3) mineurs. À notre sortie, on a appris avec les gens qui passent qu'il y a un centre pour les réfugiés au Niger. Je suis venu seul, un chauffeur m'a amené gratuitement à Agadez le 14 janvier 2018. J'ai pu me faire enregistrer par APBE. Avant de rejoindre le site, j'habitais dans le ghetto soudanais. Je peux rester au Niger, car il y a la paix et la sécurité. Ce n'est pas comme au Soudan et en Libye. Si j'ai le choix, je vais m'accrocher à l'UNHCR. Je n'envisage pas le Tchad, car j'ai peur, car notre camp est frontalier avec le Soudan. Je n'ai aucun papier j'ai tout perdu en prison en Libye.

Le cas de Younouss, illustre la situation de nombreux jeunes pris aux pièges de l'insécurité de leur pays d'origine, mais aussi des pays d'accueil. Né pendant le conflit du Darfour, il continue à vivre les affres d'un conflit qui n'a que trop duré. Orphelin à la suite de l'assassinat de son père puis du décès de sa mère, il est contraint de prendre son destin en main. Ainsi au lieu de retourner à l'école comme les jeunes de son âge, il prend le chemin de la migration et est contraint de travailler. Il se retrouve au Tchad puis en Libye comme apprenti chauffeur. Emprisonné à Al Gatrone malgré son âge, il subit des troubles psychologiques du fait de l'isolement et de l'enferment de la prison. Aujourd'hui au Niger où il est dans le processus d'asile, Younouss représente cette catégorie dite vulnérable en raison de son âge, 15 ans. L'absence des parents biologiques ou proches le classe dans la catégorie des enfants séparés alors que son séjour en prison fait de lui une catégorie à besoin spécifique en lien avec les violences subies.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry