8.3.1.4.5 Vers une solidarité entre
rapatriés
Il est 17 h, le bus de la compagnie malienne Polana qui
devrait transporter les autres migrants jusqu'au Sénégal entre
dans la gare. Pendant ce temps le responsable de Rimbo donne les frais de
transport nécessaire à Aboubacar Camara l'unique Guinéen
de Conakry pour prendre le taxi de brousse et rentrer dans son pays. Il prend
sa valise, son sac au dos en quittant la gare Rimbo après un au revoir
aux autres migrants qui font leur entrée dans le bus. Mais
malheureusement, certains n'ont pas de place puisque le bus est venu avec des
passagers. Les rapatriés se fâchent et l'un d'entre eux lance :
« Nous sommes ensembles OIM, si une seule personne manque de place on
descend ». Le chauffeur intervient « calmez-vous, vous allez
trouver des places. Et de rajouter OIM, descendez, on va compter ».
Tous les passagers descendent pour être recompté ; avant de
remonter, les passagers OIM n'ont alors plus de problème de place.
Le bus quitte la gare de Rimbo vers 18h pour Dakar, à
ce niveau on peut noter que dans le bus se trouvent des migrants
nigériens qui partent au Sénégal pour exercer dans la
dibiterie. Dans le bus se côtoient rapatriés et migrants.
Le voyage continue toute la nuit. Au petit matin, une pause
prière est marquée à Kayes. Juste avant l'embarquement,
Youssouf, leader des rapatriés se plante devant le bus pour que celui-ci
ne laisse pas ses camarades.
Je profite de cette pause pour échanger quelques mots
avec les migrants. Je me tourne alors vers Chérif resté
très silencieux et timide durant tout le voyage. Seul fils d'un couple
sénégalo-gambien, âgé de 34 ans, marié avec 2
enfants qui vivent en Gambie, il a passé 18 mois en Libye où il
s'est fait torturer. Il a alors décidé de rentrer au pays
après 18 mois sans envoyer aucun franc à sa famille.
Arrivé à Agadez, il s'inscrit au centre OIM pour se faire
rapatrier. Il n'a informé personne de son retour. Avec les fonds que
l'OIM va lui donner une fois à Dakar, il compte donner une partie de
l'argent à son père et à sa femme. L'autre partie il
prévoit de payer de la friperie pour faire du commerce et commencer une
nouvelle vie.
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Pendant 18 mois en Libye, il n'a pas pu appeler son
père. Il prend de ses nouvelles via un ami qui travaille dans une agence
gouvernementale gambienne. Pour son retour au pays, cet ami a envoyé de
l'argent à Shérif pour que se celui-ci paye un
téléphone à sa femme.
Il a été torturé par ses geôliers
en Libye pour qu'il appelle au pays afin d'envoyer l'argent nécessaire
à sa libération. Il a préféré souffrir de la
torture et épargner son père malade. Il n'a donc pas donné
de numéro.
Candidat au rapatriement, Chérif, n'a appelé ni
femme ni parents pour annoncer son retour. Il affirme à cet effet :
« It is not easy, 18 mois sans envoyer aucun franc ».
8.3.1.4.6 De Kayes à Diboli (frontière
Mali/Sénégal) entre tracasseries administratives et pratiques
corruptive
Le bus est arrivé à l'aube au poste de police
frontalier de Kayes. Là, à la sortie du bus un policier
récupère les cartes et se retire dans leur hangar. L'agent OIM
présente la note verbale et les sauf-conduits. Les détenteurs
sont exemptés de contrôle. Par contre ceux ayant la carte doivent
passer au hangar pour les formalités. L'agent OIM présente sa
liste sur laquelle figure son nom ainsi que ceux des autres migrants
détenteurs de carte pour pouvoir les récupérer. Les autres
passagers doivent payer 1000 FCFA afin de pouvoir continuer.
Arrivé au poste de Diboli, l'agent de police vient au
bus récupérer les cartes. Les rapatriés détenteurs
de laissez-passer sont invités à rejoindre le bus. Cependant,
ceux possédant des pièces d'identité sont amenés au
poste de police. Les voyageurs sont invités à s'asseoir pour
attendre l'appel. Soudain arrive un adjudant-chef de la police : « je
viens voir la liste des refoulés ». Il vérifie les noms en
commençant par le convoyeur de l'OIM : « Toi, comment t'appelle-tu
? Il retrouve le nom sur la liste et demande à son collègue de
lui remettre sa carte. La même méthode est appliquée aux
autres rapatriés. En revanche, les autres passagers doivent payer 1000
FCFA pour passer la frontière.
8.3.1.5 Le Sénégal, 4ème
étape du rapatriement ou la grande séparation 8.3.1.5.1 Vers une
obsession du paraitre
Le bus entre au Sénégal par le poste douanier de
Guidara. Les rapatriés en particulier les Sénégalais se
procurent des puces de téléphone, se font identifier, payent des
lunettes et des écouteurs. Ils préparent leur retour dans leur
communauté. Ils en profitent aussi pour s'échanger leur
numéro. Après 2 ans d'absence ils constatent que leur puce est
coupée par l'opérateur
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orange et ils doivent reprendre une nouvelle puce pour
échanger des numéros WhatsApp et Facebook avec leurs amis.
Ils profitent de cet arrêt de bus pour payer des Power
Bank, de l'eau minérale. Ils veulent paraitre une fois à
destination. Les rapatriés travaillent leur image à travers la
téléphonie et les accessoires.
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