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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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8.3.1.4.3 De Ségou à Bamako entre envie de paraitre et inquiétude du retour

Arrivée à Ségou vers 10h, une escale est faite pour permettre aux passagers de se relaxer. Les rapatriés se regroupent par nationalité pour échanger. Les uns font des achats notamment de bracelets et des articles. Les Maliens cherchent de l'eau pour se laver, il n'est pas question de rentrer à Bamako sale. Deux des cinq Maliens passent de boutique en boutique pour chercher des montres.

Plus on s'approche de Bamako, plus Issa s'inquiète. À Ségou, Il cherche de l'eau pour se laver. Il ne veut surtout pas rentrer avec cette saleté en famille. Il pose des questions sur le montant que l'OIM donne aux migrants rapatriés. Il sait que pour les Ivoiriens c'est 152 000FCFA. Il a besoin de comprendre pour peaufiner son retour en famille. Pris dans une longue réflexion il me lâche « mon frère je regrette d'avoir gaspillé mon argent accumulé au Gabon pour chercher à aller en Italie. J'ai mis plus de 700 000FCFA sur cette affaire et voilà là où je me retrouve. » (Carnet de terrain, 8/01/2018)

Ensuite, il passe un temps avec Monsieur O son compatriote pour chercher une montre. Parti depuis 10 ans sa fiancée s'est mariée à un instituteur et vit à Sikasso. Sa principale réflexion est comment rentrer à la maison après 16 ans d'absence d'autant plus il n'a averti personne de son retour.

Après Ségou, le bus marque à nouveau un arrêt pour subir le contrôle de la police. À ce niveau seul l'agent OIM descend. Il présente les documents : la liste des migrants ainsi que la note d'information. L'agent n'effectue alors aucun contrôle à l'encontre des personnes. Enfin, le bus entre à Bamako. Les Maliens visiblement très satisfaits se retrouvent à trois à côté de la porte arrière pour contempler la ville. Oumar, le plus jeune, parti de Bamako il y a 6 mois, explique

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la ville à ses ainés, l'un parti est parti il y a deux ans alors que l'autre cumule 16 ans d'absence. Sourire aux lèvres ils découvrent une ville métamorphosée par sa croissance démographique, son extension spatiale et son architecture.

Photo 26: Des rapatriés maliens retrouvent Bamako après une longue absence Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier 2018

À Bamako, le bus traverse une bonne partie de la ville pour rejoindre la rive droite où se trouve la gare. Pendant ce temps, les rapatriés maliens prennent le temps de regarder la ville.

À la gare Rimbo, les passagers descendent les uns après les autres. Chacun récupère ses bagages. Les rapatriés (photo ci-dessous) Sénégalais, Bissau Guinéen, Gambien et Guinéen qui doivent continuer le parcours sécurisent leurs bagages dans un coin spécifique non loin de l'espace d'enregistrement.

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Photo 27 : A la gare Rimbo Bamako

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier 2018

8.3.1.4.4 Les rapatriés maliens : de l'espoir au désenchantement

Arrivés à destination, les Maliens se réunissent avec leurs bagages pour la suite de l'aventure. Issa profite de ce temps pour se laver. Il change d'habit pour s'endimancher, se met en costume et jean. Sous le hangar, le jeune Oumar l'observe attentivement. Il ne peut s'empêcher de rire de son ainé qui prend beaucoup de temps pour peigner ces cheveux. Irrité par les hilarités de son cadet Issa lança : « ce n'est pas toi, qui as dit que même si on n'a pas l'argent on ne doit pas le montrer aux autres ? » (Carnet de terrain, 7/01/2018). Dans le « retour volontaire » il faut paraitre, à tout prix paraitre, malgré la forme d'échec qu'il suppose. Pendant ce temps, les autres rapatriés ayant fini de se laver cherchent individuellement ou en groupe de quoi déjeuner. Le groupe de Maliens se retrouve pour discuter de leur cas. La question aux lèvres, est combien vont-ils recevoir comme frais d'installation quand soudain un véhicule 4x4 pénètre dans la gare avec à son bords deux agents de l'OIM-Mali. Ils prennent contact avec leur collègue convoyeur qui leur remet la liste et la note verbale. Le convoyeur se met de côté. Les deux agents se retirent sous un arbre. Assis sur un banc, ils appellent les Maliens deux à deux (photo ci-dessous).

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Photo 28 : Les agents de l'OIM Mali échangent avec les migrants rapatriés

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier 2018

Une batterie de question leur est posée sur leur identité, l'itinéraire, une photo est prise au moyen de tablette et ensuite une enveloppe blanche leur est remise. En amont, le retourné volontaire doit poser son empreinte digitale sur la fiche d'émargement. En 30 mn, le sort des Maliens est scellé par l'OIM. Ils reçoivent chacun 52 000FCFA comme frais d'installation. Omar, délégué du groupe est mécontent car le montant est dérisoire selon lui. Il veut l'exprimer devant les agents de l'OIM, mais ses camarades l'en dissuadent. Il faut éviter à tout prix une discussion inutile. Soudain, un monsieur se présente. Il s'adresse aux agents de OIM : « je suis.........X de la DGSE (Direction générale des services extérieurs), je voulais avoir le manifeste de la mission ». La sécurité s'invite aussi dans l'accueil des rapatriés. Cet agent effectue des interviews individuelles informelles avec chacun des cinq Maliens. Les questions portent sur leur identité, leur parcours et leur projet de retour dans leur pays. Issa, désoeuvré raconte ainsi son cas : « Je suis bachelier je compte vraiment faire le test pour rentrer dans la police ou la gendarmerie ». L'agent de police l'encourage avant de prendre congé.

Après le départ des agents de l'OIM et de la DGSE, les cinq Maliens se retrouvent en compagnie des autres migrants pour manifester leur mécontentement face au 52 000FCFA reçus. Déçu Issa lance : « voilà pourquoi tous ceux qui sont partis ne donnent pas de nouvelles. Le Mali est un pays pauvre qui vit de misère. Sinon, comment on peut nous donner 52 000FCFA alors que les Ivoiriens reçoivent 152 000FCFA » (Carnet de terrain, Bamako, le 7-01-2018). En fait, les rapatriés jusqu'à leur arrivée à Bamako ne connaissaient pas la somme qu'ils allaient percevoir de l'OIM. Ceux qui les ont précédés ont toujours promis de les informer mais n'ont pas tenu parole. La seule chose qu'ils savent, est que les Ivoiriens bénéficient de 152 000FCFA à leur

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arrivée. Ils pensaient à ce titre percevoir une somme semblable et pas réduite au tiers. C'est à juste titre que les 5 Maliens se mettent ensemble pour critiquer leur gouvernement et l'OIM. Quelques temps après Oumar et Issa deux retournés volontaires maliens tirent leurs valises pour sortir de la gare. Ils reviennent de la Libye. Ils sont de Sikasso et Ségou. Ils doivent payer des frais de voyage pour retourner vers leur famille. Mais pas dans l'immédiat, ils décident d'aller en ville à Bamako passer quelques jours avant de retourner au village.

Oumar, le plus jeune, n'a pas de bagage. Cigarette en main, il tient un sac à main et fait au revoir aux gens avec un autre compatriote. Les deux ont leur famille à Bamako.

Des 5 Maliens rapatriés, seul Issa reste dans la gare (encadré sous dessous)

Encadré 4 : Un difficile retour en famille

Après le départ des compatriotes, la situation devient compliquée pour Issa. Il regarde son sac qu'il trouve un peu vieux et décide de le renouveler. Il sort et paye un nouveau sac. Il s'arrête devant les agents de la gare Rimbo assis sous un arbre et lance à nouveau « je regrette mon argent que j'ai pris de Libreville pour mettre dans cette aventure. Il raconte son histoire. J'étais au Gabon je vendais des véhicules. Ça marchait pour moi. Les gens de ma famille m'appelaient je leur raccrochais au nez. La seule personne à laquelle j'accordais une importance c'était ma fiancée. Elle était étudiante. Je lui envoyais chaque mois 100 à 200 000FCFA. Les gens de ma famille je leur raccrochais au nez, je parlais mal aux gens et je changeais de numéro fréquemment. Même le décès de ma mère en 2013 ne m'a pas ramené dans cette ville. J'avais de l'argent et je faisais la belle vie. Il y a quelques années j'ai fait le même voyage jusqu'au Maroc pour aller en Espagne. J'étais à Melilla avant d'être refoulé au Mali. Comme j'avais laissé de l'argent au Gabon, on m'a envoyé pour retourner au Gabon sans que ma famille ne sache que j'étais à Bamako. À Libreville, j'ai repris la vente de véhicules tout marchait très bien. Je continuais ma belle vie tout en négligeant ma famille

En 2013 ma maman a rendu l'âme. Je ne suis même pas venu pour les condoléances. Mon business marchait, et j'ai encore eu l'idée d'aller en Italie en passant par le Niger. J'ai donc pris l'avion de Libreville à Cotonou. De là j'ai pris le bus pour Agadez en passant par Dosso. La route n'a pas été facile les frais que la police me demandait de payer ont réduit considérablement mon budget. J'arrive après quelques jours de séjour, je trouve un passeur qui promet de m'amener en Libye. Mon argent était insuffisant, j'étais obligé de faire appel

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à la famille au Mali. J'ai appelé mon grand frère pour lui dire que j'ai besoin d'un appui financier pour continuer mon périple en Libye. Mais personne dans la famille ne voulait m'assister. Seul le grand frère m'a fait un geste. Je paye 250 000 FCFA. Nous quittions Agadez nuitamment ; après une journée de voyage, le chauffeur nous abandonne dans le désert. On y passa une nuit avant d'être retrouvé par la patrouille militaire. Nous sommes rapatriés à Agadez au centre OIM où on nous propose le rapatriement au pays. Comme j'ai tous mes papiers au complet j'ai passé deux semaines au centre avant de quitter pour Bamako. Voilà comment je me suis retrouvé dans ce bus pour Bamako avec l'appui financier d'OIM. Honnêtement, je regrette pourquoi j'ai quitté Libreville pour mettre mon argent dans cette aventure.

Après ce bref tour d'horizon, Issa réfléchit sur quoi faire. Il lâche : est-ce que je peux prendre un motel avec cet argent ? Les gars de la gare le dissuadent, il avance l'idée d'aller chez un ami. Il est une fois encore dissuadé. On lui propose d'aller chez sa grande soeur. Issa se rappelle avoir mal parlé à cette soeur et ne trouve pas le courage d'aller chez elle. Finalement, il décide d'appeler son frère ainé pour lui dire qu'il est à Bamako. Celui-ci commerçant est en déplacement, néanmoins il permet à son frère d'aller s'installer dans sa famille en attendant son retour. Issa trouve ainsi une solution à son cas. Il prend son sac au dos et souhaite bon voyage aux autres rapatriés. Aujourd'hui, Issa se trouve en Espagne après un séjour en Mauritanie.

Source : carnet de terrain, Bamako, 7-01-2018

Pendant ce temps dans l'autre coin de la gare les migrants gambiens, sénégalais, bissau guinéens et guinéens qui doivent poursuivre le voyage ensemble se retrouvent autour d'un thé. Ils sont presque tous contents de quitter cet épisode de leur vie pour retourner au pays. Néanmoins, ils auraient préféré ne pas retourner au pays dans la précarité. Ces chefs de famille doivent braver toute la charge sociale relative à un retour de migration dans une extrême précarité pour faire face à la honte du retour, aux dettes contractées pour entreprendre le voyage et aux séquelles traumatisant causées par un séjour en Libye, la traversée du désert et la vie au centre OIM à Agadez. Ils doivent aussi se battre pour se faire une place au soleil au village, pour se réintégrer socialement, économiquement et culturellement. C'est là que l'OIM et les structures étatiques sont en train de faillir, car visiblement aucun dispositif n'est prévu dans les communautés pour

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faciliter la réinsertion sociale, économique et culturelle de ces retournés. Ce qui intéresse l'OIM et ses partenaires c'est que ces migrants ne parviennent pas en Europe. Tant qu'ils sont hors de cette sphère de transit, l'OIM ne se soucie guère de leurs conditions de vie dans leur pays d'origine. Or, l'accompagnement psychologique et économique est aussi important.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery