8.3.1.4.3 De Ségou à Bamako entre envie de
paraitre et inquiétude du retour
Arrivée à Ségou vers 10h, une escale est
faite pour permettre aux passagers de se relaxer. Les rapatriés se
regroupent par nationalité pour échanger. Les uns font des achats
notamment de bracelets et des articles. Les Maliens cherchent de l'eau pour se
laver, il n'est pas question de rentrer à Bamako sale. Deux des cinq
Maliens passent de boutique en boutique pour chercher des montres.
Plus on s'approche de Bamako, plus Issa s'inquiète.
À Ségou, Il cherche de l'eau pour se laver. Il ne veut surtout
pas rentrer avec cette saleté en famille. Il pose des questions sur le
montant que l'OIM donne aux migrants rapatriés. Il sait que pour les
Ivoiriens c'est 152 000FCFA. Il a besoin de comprendre pour peaufiner son
retour en famille. Pris dans une longue réflexion il me lâche
« mon frère je regrette d'avoir gaspillé mon argent
accumulé au Gabon pour chercher à aller en Italie. J'ai mis plus
de 700 000FCFA sur cette affaire et voilà là où je me
retrouve. » (Carnet de terrain, 8/01/2018)
Ensuite, il passe un temps avec Monsieur O son compatriote
pour chercher une montre. Parti depuis 10 ans sa fiancée s'est
mariée à un instituteur et vit à Sikasso. Sa principale
réflexion est comment rentrer à la maison après 16 ans
d'absence d'autant plus il n'a averti personne de son retour.
Après Ségou, le bus marque à nouveau un
arrêt pour subir le contrôle de la police. À ce niveau seul
l'agent OIM descend. Il présente les documents : la liste des migrants
ainsi que la note d'information. L'agent n'effectue alors aucun contrôle
à l'encontre des personnes. Enfin, le bus entre à Bamako. Les
Maliens visiblement très satisfaits se retrouvent à trois
à côté de la porte arrière pour contempler la ville.
Oumar, le plus jeune, parti de Bamako il y a 6 mois, explique
216
la ville à ses ainés, l'un parti est parti il y
a deux ans alors que l'autre cumule 16 ans d'absence. Sourire aux lèvres
ils découvrent une ville métamorphosée par sa croissance
démographique, son extension spatiale et son architecture.
Photo 26: Des rapatriés maliens retrouvent Bamako
après une longue absence Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako,
janvier 2018
À Bamako, le bus traverse une bonne partie de la ville
pour rejoindre la rive droite où se trouve la gare. Pendant ce temps,
les rapatriés maliens prennent le temps de regarder la ville.
À la gare Rimbo, les passagers descendent les uns
après les autres. Chacun récupère ses bagages. Les
rapatriés (photo ci-dessous) Sénégalais, Bissau
Guinéen, Gambien et Guinéen qui doivent continuer le parcours
sécurisent leurs bagages dans un coin spécifique non loin de
l'espace d'enregistrement.
217
Photo 27 : A la gare Rimbo Bamako
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier
2018
8.3.1.4.4 Les rapatriés maliens : de l'espoir au
désenchantement
Arrivés à destination, les Maliens se
réunissent avec leurs bagages pour la suite de l'aventure. Issa profite
de ce temps pour se laver. Il change d'habit pour s'endimancher, se met en
costume et jean. Sous le hangar, le jeune Oumar l'observe attentivement. Il ne
peut s'empêcher de rire de son ainé qui prend beaucoup de temps
pour peigner ces cheveux. Irrité par les hilarités de son cadet
Issa lança : « ce n'est pas toi, qui as dit que même si
on n'a pas l'argent on ne doit pas le montrer aux autres ? » (Carnet
de terrain, 7/01/2018). Dans le « retour volontaire » il faut
paraitre, à tout prix paraitre, malgré la forme d'échec
qu'il suppose. Pendant ce temps, les autres rapatriés ayant fini de se
laver cherchent individuellement ou en groupe de quoi déjeuner. Le
groupe de Maliens se retrouve pour discuter de leur cas. La question aux
lèvres, est combien vont-ils recevoir comme frais d'installation quand
soudain un véhicule 4x4 pénètre dans la gare avec à
son bords deux agents de l'OIM-Mali. Ils prennent contact avec leur
collègue convoyeur qui leur remet la liste et la note verbale. Le
convoyeur se met de côté. Les deux agents se retirent sous un
arbre. Assis sur un banc, ils appellent les Maliens deux à deux (photo
ci-dessous).
218
Photo 28 : Les agents de l'OIM Mali échangent avec
les migrants rapatriés
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier 2018
Une batterie de question leur est posée sur leur
identité, l'itinéraire, une photo est prise au moyen de tablette
et ensuite une enveloppe blanche leur est remise. En amont, le retourné
volontaire doit poser son empreinte digitale sur la fiche d'émargement.
En 30 mn, le sort des Maliens est scellé par l'OIM. Ils reçoivent
chacun 52 000FCFA comme frais d'installation. Omar,
délégué du groupe est mécontent car le montant est
dérisoire selon lui. Il veut l'exprimer devant les agents de l'OIM, mais
ses camarades l'en dissuadent. Il faut éviter à tout prix une
discussion inutile. Soudain, un monsieur se présente. Il s'adresse aux
agents de OIM : « je suis.........X de la DGSE (Direction
générale des services extérieurs), je voulais avoir le
manifeste de la mission ». La sécurité s'invite aussi
dans l'accueil des rapatriés. Cet agent effectue des interviews
individuelles informelles avec chacun des cinq Maliens. Les questions portent
sur leur identité, leur parcours et leur projet de retour dans leur
pays. Issa, désoeuvré raconte ainsi son cas : « Je suis
bachelier je compte vraiment faire le test pour rentrer dans la police ou la
gendarmerie ». L'agent de police l'encourage avant de prendre
congé.
Après le départ des agents de l'OIM et de la
DGSE, les cinq Maliens se retrouvent en compagnie des autres migrants pour
manifester leur mécontentement face au 52 000FCFA reçus.
Déçu Issa lance : « voilà pourquoi tous ceux qui
sont partis ne donnent pas de nouvelles. Le Mali est un pays pauvre qui vit de
misère. Sinon, comment on peut nous donner 52 000FCFA alors que les
Ivoiriens reçoivent 152 000FCFA » (Carnet de terrain, Bamako, le
7-01-2018). En fait, les rapatriés jusqu'à leur
arrivée à Bamako ne connaissaient pas la somme qu'ils allaient
percevoir de l'OIM. Ceux qui les ont précédés ont toujours
promis de les informer mais n'ont pas tenu parole. La seule chose qu'ils
savent, est que les Ivoiriens bénéficient de 152 000FCFA à
leur
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arrivée. Ils pensaient à ce titre percevoir une
somme semblable et pas réduite au tiers. C'est à juste titre que
les 5 Maliens se mettent ensemble pour critiquer leur gouvernement et l'OIM.
Quelques temps après Oumar et Issa deux retournés volontaires
maliens tirent leurs valises pour sortir de la gare. Ils reviennent de la
Libye. Ils sont de Sikasso et Ségou. Ils doivent payer des frais de
voyage pour retourner vers leur famille. Mais pas dans l'immédiat, ils
décident d'aller en ville à Bamako passer quelques jours avant de
retourner au village.
Oumar, le plus jeune, n'a pas de bagage. Cigarette en main, il
tient un sac à main et fait au revoir aux gens avec un autre
compatriote. Les deux ont leur famille à Bamako.
Des 5 Maliens rapatriés, seul Issa reste dans la gare
(encadré sous dessous)
Encadré 4 : Un difficile retour en famille
Après le départ des compatriotes, la
situation devient compliquée pour Issa. Il regarde son sac qu'il trouve
un peu vieux et décide de le renouveler. Il sort et paye un nouveau sac.
Il s'arrête devant les agents de la gare Rimbo assis sous un arbre et
lance à nouveau « je regrette mon argent que j'ai pris de
Libreville pour mettre dans cette aventure. Il raconte son histoire.
J'étais au Gabon je vendais des véhicules. Ça marchait
pour moi. Les gens de ma famille m'appelaient je leur raccrochais au nez. La
seule personne à laquelle j'accordais une importance c'était ma
fiancée. Elle était étudiante. Je lui envoyais chaque mois
100 à 200 000FCFA. Les gens de ma famille je leur raccrochais au nez, je
parlais mal aux gens et je changeais de numéro fréquemment.
Même le décès de ma mère en 2013 ne m'a pas
ramené dans cette ville. J'avais de l'argent et je faisais la belle vie.
Il y a quelques années j'ai fait le même voyage jusqu'au Maroc
pour aller en Espagne. J'étais à Melilla avant d'être
refoulé au Mali. Comme j'avais laissé de l'argent au Gabon, on
m'a envoyé pour retourner au Gabon sans que ma famille ne sache que
j'étais à Bamako. À Libreville, j'ai repris la vente de
véhicules tout marchait très bien. Je continuais ma belle vie
tout en négligeant ma famille
|
En 2013 ma maman a rendu l'âme. Je ne suis
même pas venu pour les condoléances. Mon business marchait, et
j'ai encore eu l'idée d'aller en Italie en passant par le Niger. J'ai
donc pris l'avion de Libreville à Cotonou. De là j'ai pris le bus
pour Agadez en passant par Dosso. La route n'a pas été facile les
frais que la police me demandait de payer ont réduit
considérablement mon budget. J'arrive après quelques jours de
séjour, je trouve un passeur qui promet de m'amener en Libye. Mon argent
était insuffisant, j'étais obligé de faire appel
220
à la famille au Mali. J'ai appelé mon grand
frère pour lui dire que j'ai besoin d'un appui financier pour continuer
mon périple en Libye. Mais personne dans la famille ne voulait
m'assister. Seul le grand frère m'a fait un geste. Je paye 250 000 FCFA.
Nous quittions Agadez nuitamment ; après une journée de voyage,
le chauffeur nous abandonne dans le désert. On y passa une nuit avant
d'être retrouvé par la patrouille militaire. Nous sommes
rapatriés à Agadez au centre OIM où on nous propose le
rapatriement au pays. Comme j'ai tous mes papiers au complet j'ai passé
deux semaines au centre avant de quitter pour Bamako. Voilà comment je
me suis retrouvé dans ce bus pour Bamako avec l'appui financier d'OIM.
Honnêtement, je regrette pourquoi j'ai quitté Libreville pour
mettre mon argent dans cette aventure.
Après ce bref tour d'horizon, Issa
réfléchit sur quoi faire. Il lâche : est-ce que je peux
prendre un motel avec cet argent ? Les gars de la gare le dissuadent, il avance
l'idée d'aller chez un ami. Il est une fois encore dissuadé. On
lui propose d'aller chez sa grande soeur. Issa se rappelle avoir mal
parlé à cette soeur et ne trouve pas le courage d'aller chez
elle. Finalement, il décide d'appeler son frère ainé pour
lui dire qu'il est à Bamako. Celui-ci commerçant est en
déplacement, néanmoins il permet à son frère
d'aller s'installer dans sa famille en attendant son retour. Issa trouve ainsi
une solution à son cas. Il prend son sac au dos et souhaite bon voyage
aux autres rapatriés. Aujourd'hui, Issa se trouve en Espagne
après un séjour en Mauritanie.
Source : carnet de terrain, Bamako,
7-01-2018
Pendant ce temps dans l'autre coin de la gare les migrants
gambiens, sénégalais, bissau guinéens et guinéens
qui doivent poursuivre le voyage ensemble se retrouvent autour d'un thé.
Ils sont presque tous contents de quitter cet épisode de leur vie pour
retourner au pays. Néanmoins, ils auraient préféré
ne pas retourner au pays dans la précarité. Ces chefs de famille
doivent braver toute la charge sociale relative à un retour de migration
dans une extrême précarité pour faire face à la
honte du retour, aux dettes contractées pour entreprendre le voyage et
aux séquelles traumatisant causées par un séjour en Libye,
la traversée du désert et la vie au centre OIM à Agadez.
Ils doivent aussi se battre pour se faire une place au soleil au village, pour
se réintégrer socialement, économiquement et
culturellement. C'est là que l'OIM et les structures étatiques
sont en train de faillir, car visiblement aucun dispositif n'est prévu
dans les communautés pour
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faciliter la réinsertion sociale, économique et
culturelle de ces retournés. Ce qui intéresse l'OIM et ses
partenaires c'est que ces migrants ne parviennent pas en Europe. Tant qu'ils
sont hors de cette sphère de transit, l'OIM ne se soucie guère de
leurs conditions de vie dans leur pays d'origine. Or, l'accompagnement
psychologique et économique est aussi important.
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