Par rapport aux conditions de vie à Agadez, 42 % des
répondants estiment qu'elles sont difficiles. Ce groupe est largement
constitué de migrants ouest-africains en partance ou de retour de
l'Afrique du Nord rencontrés dans les gares, les ghettos, à la
douane ou encore au centre de transit de l'OIM. Ils jugent la vie à
Agadez difficile pour des raisons diverses : hébergement
précaire, nourriture inadaptée et de mauvaise qualité,
promiscuité dans les ghettos, vie dans la clandestinité, absence
de ressources et d'activités et surtout le mirage qu'est devenu le
voyage vers l'Afrique du Nord. Plus les migrants s'approchent, plus la
destination s'éloigne. Ces difficultés ressortent à
travers les propos d'Achille, ressortissant libérien : c'est «
très difficile, on ne sort pas de la maison de peur d'être
raflé par la police, on a des difficultés pour assurer la
nourriture, on mange une fois par jour, on se lave une fois chaque 3 jours, on
est victime de vol, on a peur d'être rapatrié,
économiquement dur tout est à payer » (Entretien
Achille, migrant Libérien, Agadez, Février 2018).
Ces difficultés sont à mettre au compte des
politiques restrictives de mobilité dont la mise à oeuvre se fait
à Agadez. Dans ce cadre, la police opère des descentes dans les
ghettos. Ainsi, les migrants sont mis en garde à vue au commissariat
avant de se voir proposer le retour volontaire assisté. Dans
l'échantillon, 16 % indiquent qu'ils se « débrouillent
». À ce niveau l'expression « se débrouiller »
révèle qu'ils ne sont pas contents, mais qu'ils acceptent
cependant leurs conditions de vie.
7.4 Les lieux d'attente
7.4.1 Attendre dans les ghettos
Les migrants qui jadis bénéficiaient des
conditions de séjour plus au moins légales se retrouvent dans la
clandestinité. Les ghettos, leurs espaces d'accueil classiques sont
déclarés illégaux par la loi. Les propriétaires
sont traqués et mis à la disposition de la justice. Dans ce
climat, les ghettos se ferment en lien avec les arrestations ou la peur des
propriétaires d'être arrêtés. Ceux qui continuent
d'exercer cette activité sont contraints de changer de stratégie.
Ils déménagent du centre-ville vers la périphérie
moins animée où ils peuvent travailler dans la discrétion.
Dans
196
ce cas, ce sont en général des maisons sans
voisinage qui sont choisies ou des chantiers inachevés. Certains
passeurs hébergent les migrants dans les familles avec obligation
d'être discrets car cela permet de brouiller les pistes pour la
police.
Photo 24: Des migrants en attente dans un ghetto
Crédit Photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mai
2016
Quelle que soit la variante, notons que l'application de la
loi 2015-36 a rendu les conditions de séjour et de transport des
migrants vers l'Afrique du Nord très précaires. En effet, leur
séjour à Agadez se fait dans la clandestinité pour
échapper à la police. Ils sont donc contraints de vivre des jours
et des jours dans des maisons fermées. Leur liberté de mouvement
se trouvent violées. Seul le plus ancien résident du ghetto ou le
responsable lui-même peuvent entrer et sortir. Ils collectent les achats
des pensionnaires et les exécutent une fois en ville. En interne, ils
organisent la restauration quotidienne. Là aussi, les trois repas ne
sont pas assurés. Les migrants doivent se contenter d'un repas le soir
et manger le reste le lendemain comme petit déjeuner, en cas de reste.
Or, avant la répression en cours, la liberté de mouvements des
migrants leur permettait d'aller au marché faire leurs propres achats,
dans les banques pour retirer de l'argent transféré, de
travailler sur les chantiers pour se faire une nouvelle santé
financière sans être suivis par la police, ce qui réduisait
considérablement leur vulnérabilité économique,
sanitaire et sécuritaire.
L'enfermement dans les ghettos réduit les offres de
transport vers l'Afrique du Nord, ils n'ont plus la possibilité de
choisir leur transporteur en fonction de sa fiabilité et de son
coût. Un transporteur leur est imposé car ils sont enfermés
dans les ghettos avec peu de contact avec le monde extérieur. Ils ne
peuvent donc pas mettre à profit leurs réseaux ou celui de leurs
colocataires pour choisir un bon transporteur et négocier le prix. De
surcroit, la répression a fait
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grimper le montant à payer d'Agadez à AlGatroun
de 100 000 FCFA à 300 000 FCFA voire plus entre août 2016 et
décembre 2017.