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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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7.1.6 Financer la migration

Les sources de financement varient d'un migrant à un autre. Pour l'essentiel, les répondants ont autofinancé leur voyage et ce par diverses stratégies. Adam par exemple a mis en gage son

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champ pour concrétiser son rêve de se rendre en Libye « Quand j'ai quitté chez moi ; en tout cas ça n'allait plus. J'ai mis un petit champ en gage pour 5 ans à 1 500 000FCFA mais j'ai pris une avance de 500 000FCFA pour mon voyage. Avec cet argent, j'étais parti jusqu'en Libye » (Entretien Adam, Agadez, février 2018). Le cas de cet Ivoirien n'est pas isolé. L'ambition des jeunes de quitter leur terroir à la recherche de conditions de vie meilleures les pousse à mettre en gage leur capital de production qui est la terre pour financer leur voyage. Un autre migrant, Moussa apprenti chauffeur affirme avoir économisé 200 000 FCFA pour entreprendre le voyage. Cependant, les mauvaises informations et le caractère dynamique des conditions de voyage qui sont plus au moins aléatoires font que les migrants se contentent d'avoir l'argent requis tel qu'annoncé par leurs informateurs. Ils se retrouvent surpris par la hauteur forte des faux frais qu'ils doivent payer le long de la route. Ils sont alors obligés d'avoir recours à des parents, qu'ils n'ont parfois pas informés de leur départ, pour une assistance financière. Entre temps ils se retrouvent en attente à Agadez, faute de ressources financières.

Comme la majorité des migrants exerçaient des activités avant de partir, ce sont les revenus des activités de taxi moto, coiffure, commerce de friperie qui ont servi à financer la migration. La tontine a aussi été d'une grande utilité dans le financement du voyage.

Les migrants instruits, diplômés d'université espèrent aller en Europe afin de poursuivre leurs études. Farouk, Guinéen de 25 ans explique : « j'ai décidé d'aller en Europe pour tenter l'expérience sur la géo-mine. J'ai tenté d'avoir la bourse, je n'ai pas eu et j'ai décidé de venir comme cela » (Entretien Farouk, Agadez mai 2016). Ces étudiants se sont fait financer le voyage par leurs propres parents ou un autre membre de la famille. Toutefois, il est fréquent d'avoir des migrants non instruits dont les frais de transport sont pris en charge par des membres de leur famille.

Les principales étapes des migrants ouest-africains incluent Bamako (26, 6 %), puis Ouaga (15,2) et enfin Zinder (11,3 %) pour les migrants en provenance de l'axe Nigeria, de manière marginale Conakry et Dakar.

Au fil du voyage, les migrants passent beaucoup de temps dans les lieux de transit. C'est à partir de Niamey que les migrants commencent à passer au moins 3 jours dans les lieux de transit. Cela est à mettre en relation avec les difficultés financières rencontrées tout au long du voyage. La durée de transit va s'allonger à l'étape d'Agadez pour passer de 3 jours à une semaine voire un mois ou plus pour certains. Cette situation est à mettre sur le double compte des difficultés financières et des restrictions de voyage vers l'Afrique du Nord qui entravent les mobilités. Ce

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dernier volet a considérablement réduit l'offre de transport vers le Maghreb et fait grimper les coûts de transport. Cette situation a rendu les migrants vulnérables vis-à-vis des passeurs et autres acteurs impliqués dans l'économie migratoire. Il accroit aussi le risque d'abandon durant la traversée, car les routes balisées sont surveillées par les forces de défenses et de sécurité (FDS) tandis que sur les autres routes secondaires se retrouvent trafiquants et passeurs. Toutes ces voies font régulièrement l'objet de surveillance de la part de la patrouille mixte régionale d'Agadez. La moindre présence réelle ou supposée des FDS constitue pour les passeurs une raison valable pour abandonner les passagers afin d'épargner leur vie (répondre pénalement de l'acte) et éviter de se faire confisquer son véhicule.

7.2 Les facteurs de l'attente des migrants 7.2.1 Tracasseries routières

La moitié des répondants (52,38 %) affirme avoir eu des difficultés financières durant le trajet. Celles-ci prennent la forme de l'incapacité à payer le transport pour continuer le voyage pour 33,33 % des répondants et pour 28,57 % de l'incapacité de payer les faux frais aux FDS ; 5,71 % ont été dépouillés de leur argent par les forces de contrôle, contre près de 9 % qui disent qu'ils n'ont pas d'argent pour manger. On note que 34 % des difficultés financières relèvent des faux frais payés au cours des contrôles.

« J'ai commencé à payer les frais de route au Mali, premier poste, 1.000 FCFA; deuxième poste 1.500 FCFA, troisième poste, 1000 FCFA, dernier poste, 5.000 FCFA. Au Burkina Faso, j'ai perdu beaucoup d'argent pour les frais de route. Je ne peux même pas compter le nombre de postes. Là-bas, on paye 15.000 à 20.000 FCFA à chaque poste. Le dernier poste au Burkina, on te met dans une chambre, on te demande de l'argent. Quand tu dis que tu n'en as pas, on te bastonne. Ce sont les policiers et les gendarmes. À l'avant dernier poste, on trouve de n'importe quoi. Si tu dis que tu n'as rien, on te fait entrer dans une chambre, on te déshabille pour voir si tu n'as pas caché l'argent. S'ils ne trouvent rien avec toi, ils te retiennent. Parfois le bus laisse même des gens là-bas. Ce n'est pas bon. Nous sommes tous des êtres humains. C'est la langue qui fait la différence. On rentre au Niger, au premier poste on paye 3.000 FCFA, au dernier poste, on paye 10.000 FCFA. Que tu aies carte ou passeport ou pas, tu dois payer le même tarif. Parfois la carte même ne sert à rien. Tu payes 3.000 FCFA pour le laisser-passer. Il y un deuxième poste à Makalondi où tu dois payer 5.000 FCFA pour le laisser-passer. Là-bas où tout mon argent est terminé. Un copain m'a prêté une

somme. » (Entretien, Nouhou migrant sénégalais, Agadez, février 2018).

Les tracasseries routières participent au gonflement du budget des migrants. La difficulté avec les faux frais est qu'ils sont aléatoires et changeants comme le souligne Aziz, Ivoirien :

« De San-Pedro à Yamoussoukro on a payé 5000 FCFA. De Yamoussoukro à Niamey jusqu'à Agadez, on a payé 60.000 FCFA avec vaccination. Mais en venant, sur la route, on a eu beaucoup de difficultés. Depuis Burkina, chaque poste de police, on paye 2000, 3000, 5000 FCFA jusqu'à la gendarmerie du Burkina 15000 FCFA, 15000 FCFA, 10000 FCFA, à la frontière du Niger, nous avons payé 10000 FCFA, là-bas. Niamey-Agadez, il y a des barrages de 5000-1000 FCFA. J'ai

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quitté Côte d'Ivoire avec 200 000 FCFA. Je me suis retrouvé ici avec 50000 FCFA à Agadez. J'étais obligé de faire appel à mon père. Je ne peux pas aller en Algérie avec 50000 FCFA ». (Entretien Aziz, migrant Ivoirien, Agadez, février 2018).

Les migrants ne peuvent pas budgétiser les faux frais avec exactitude comme celui du transport. La conséquence qu'ils se retrouvent presque toujours en déprogrammation financière car ils doivent dépenser plus qu'ils n'ont prévu. Dans certains cas, ils ne peuvent ni payer leur transport ni se nourrir.

Ces deux témoignages de migrants ayant quitté le Sénégal et la Côte d'Ivoire illustrent le quotidien des passagers le long des routes qui relient les pays de l'UEMOA et/ou de la CEDEAO. Les ressortissants de ces espaces communautaires dont la libre circulation est la règle se trouvent piégés le long des routes. En effet, des fonctionnaires usent et abusent de leur position pour soutirer de l'argent à ces passagers. Le fait le plus révoltant est que souvent ces faux frais dépassent largement les frais de transport réels que les citoyens doivent payer pour se rendre d'un point à un autre. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso se révèlent être des pays où les forces de l'ordre prennent injustement de l'argent aux passagers, malgré la possession des documents de voyages. Le cas du Burkina Faso se distingue par le nombre de postes de contrôle mais aussi l'implication des gendarmes dans ces pratiques. Le pays des hommes intègres se particularise aussi par les montants exigés aux passagers (10 000 -20 000 FCFA par personne). Les témoignages soulignent des cas de violences verbales et physiques vis-à-vis des migrants. Ces faux frais constituent des facteurs de vulnérabilité des migrants puisqu'ils impactent leur budget de voyage. Pour certains répondants, les difficultés financières commencent au Niger et très marginalement au Burkina ou au Mali. Au Niger, pour l'essentiel, ces difficultés commencent à l'entrée de la ville d'Agadez où les migrants doivent payer à la police entre 5000 et 20 000 FCFA par personne pour accéder à la ville. Après plusieurs jours de voyage, les faux frais finissent par avoir raison des budgets prévisionnels des migrants. Ils sont contraints de prolonger leur séjour à Niamey ou à Agadez le temps d'un envoi du pays pour poursuivre le voyage. Si l'hypothétique envoi n'arrive pas, ils peuvent se rendre au centre de l'OIM pour un retour dit « volontaire ».

Cette « tracasserie routière » est l'une des raisons évoquées par les migrants pour ne pas voyager avec leur argent. Elle met à mal la libre circulation dans l'espace communautaire et l'ensemble des politiques d'intégration économique pour faciliter la mobilité humaine. Notons au passage qu'elle est un facteur de frustration des citoyens africains comme en témoignent ces propos d'Issaka migrant guinéen :

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« On crie Union Africaine, mais ce n'est pas par la bouche. Sur le terrain ce n'est pas pratiqué. Si un ressortissant d'un autre pays va en Guinée, on le considère comme un Guinéen. Si un Guinéen va dans un autre pays, on le considère comme citoyen de ce pays. On doit prendre l'exemple des États-Unis ou de l'Union Européenne. Parce que maintenant, il y a des gens qui disent, si je vois un Burkinabé ou un Nigérien ou Guinéen, ça va se passer mal entre nous. Ce n'est pas bon. ». (Entretien Issaka, Agadez mai 2016).

Les migrants arrivent à Agadez financièrement affaiblis, avec aucune perspective de trouver de l'argent sur place ; ils doivent faire face à la « gourmandise » des acteurs entrant dans la chaine du transport vers l'Afrique du Nord. Il s'agit de coxers, gérants de ghetto, passeurs. A Agadez, une nouvelle étape du parcours s'ouvre celle du transit et de l'attente. Sans aucune ressource, les migrants sollicitent des ressources additionnelles au pays pour pouvoir continuer le périple. Ceux qui sont restés au pays doivent se débrouiller pour le leur envoyer et cela peut prendre un jour, des semaines ou des mois selon le cas. L'attente des fonds additionnels contribue donc à la mise en attente des migrants africains à Agadez.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery