Les sources de financement varient d'un migrant à un
autre. Pour l'essentiel, les répondants ont autofinancé leur
voyage et ce par diverses stratégies. Adam par exemple a mis en gage
son
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champ pour concrétiser son rêve de se rendre en
Libye « Quand j'ai quitté chez moi ; en tout cas ça
n'allait plus. J'ai mis un petit champ en gage pour 5 ans à 1 500
000FCFA mais j'ai pris une avance de 500 000FCFA pour mon voyage. Avec cet
argent, j'étais parti jusqu'en Libye » (Entretien Adam,
Agadez, février 2018). Le cas de cet Ivoirien n'est pas
isolé. L'ambition des jeunes de quitter leur terroir à la
recherche de conditions de vie meilleures les pousse à mettre en gage
leur capital de production qui est la terre pour financer leur voyage. Un autre
migrant, Moussa apprenti chauffeur affirme avoir économisé 200
000 FCFA pour entreprendre le voyage. Cependant, les mauvaises informations et
le caractère dynamique des conditions de voyage qui sont plus au moins
aléatoires font que les migrants se contentent d'avoir l'argent requis
tel qu'annoncé par leurs informateurs. Ils se retrouvent surpris par la
hauteur forte des faux frais qu'ils doivent payer le long de la route. Ils sont
alors obligés d'avoir recours à des parents, qu'ils n'ont parfois
pas informés de leur départ, pour une assistance
financière. Entre temps ils se retrouvent en attente à Agadez,
faute de ressources financières.
Comme la majorité des migrants exerçaient des
activités avant de partir, ce sont les revenus des activités de
taxi moto, coiffure, commerce de friperie qui ont servi à financer la
migration. La tontine a aussi été d'une grande utilité
dans le financement du voyage.
Les migrants instruits, diplômés
d'université espèrent aller en Europe afin de poursuivre leurs
études. Farouk, Guinéen de 25 ans explique : « j'ai
décidé d'aller en Europe pour tenter l'expérience sur la
géo-mine. J'ai tenté d'avoir la bourse, je n'ai pas eu et j'ai
décidé de venir comme cela » (Entretien Farouk, Agadez
mai 2016). Ces étudiants se sont fait financer le voyage par leurs
propres parents ou un autre membre de la famille. Toutefois, il est
fréquent d'avoir des migrants non instruits dont les frais de transport
sont pris en charge par des membres de leur famille.
Les principales étapes des migrants ouest-africains
incluent Bamako (26, 6 %), puis Ouaga (15,2) et enfin Zinder (11,3 %) pour les
migrants en provenance de l'axe Nigeria, de manière marginale Conakry et
Dakar.
Au fil du voyage, les migrants passent beaucoup de temps dans
les lieux de transit. C'est à partir de Niamey que les migrants
commencent à passer au moins 3 jours dans les lieux de transit. Cela est
à mettre en relation avec les difficultés financières
rencontrées tout au long du voyage. La durée de transit va
s'allonger à l'étape d'Agadez pour passer de 3 jours à une
semaine voire un mois ou plus pour certains. Cette situation est à
mettre sur le double compte des difficultés financières et des
restrictions de voyage vers l'Afrique du Nord qui entravent les
mobilités. Ce
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dernier volet a considérablement réduit l'offre
de transport vers le Maghreb et fait grimper les coûts de transport.
Cette situation a rendu les migrants vulnérables vis-à-vis des
passeurs et autres acteurs impliqués dans l'économie migratoire.
Il accroit aussi le risque d'abandon durant la traversée, car les routes
balisées sont surveillées par les forces de défenses et de
sécurité (FDS) tandis que sur les autres routes secondaires se
retrouvent trafiquants et passeurs. Toutes ces voies font
régulièrement l'objet de surveillance de la part de la patrouille
mixte régionale d'Agadez. La moindre présence réelle ou
supposée des FDS constitue pour les passeurs une raison valable pour
abandonner les passagers afin d'épargner leur vie (répondre
pénalement de l'acte) et éviter de se faire confisquer son
véhicule.
7.2 Les facteurs de l'attente des migrants 7.2.1
Tracasseries routières
La moitié des répondants (52,38 %) affirme
avoir eu des difficultés financières durant le trajet. Celles-ci
prennent la forme de l'incapacité à payer le transport pour
continuer le voyage pour 33,33 % des répondants et pour 28,57 % de
l'incapacité de payer les faux frais aux FDS ; 5,71 % ont
été dépouillés de leur argent par les forces de
contrôle, contre près de 9 % qui disent qu'ils n'ont pas d'argent
pour manger. On note que 34 % des difficultés financières
relèvent des faux frais payés au cours des contrôles.
« J'ai commencé à payer les frais de
route au Mali, premier poste, 1.000 FCFA; deuxième poste 1.500 FCFA,
troisième poste, 1000 FCFA, dernier poste, 5.000 FCFA. Au Burkina Faso,
j'ai perdu beaucoup d'argent pour les frais de route. Je ne peux même pas
compter le nombre de postes. Là-bas, on paye 15.000 à 20.000 FCFA
à chaque poste. Le dernier poste au Burkina, on te met dans une chambre,
on te demande de l'argent. Quand tu dis que tu n'en as pas, on te bastonne. Ce
sont les policiers et les gendarmes. À l'avant dernier poste, on trouve
de n'importe quoi. Si tu dis que tu n'as rien, on te fait entrer dans une
chambre, on te déshabille pour voir si tu n'as pas caché
l'argent. S'ils ne trouvent rien avec toi, ils te retiennent. Parfois le bus
laisse même des gens là-bas. Ce n'est pas bon. Nous sommes tous
des êtres humains. C'est la langue qui fait la différence. On
rentre au Niger, au premier poste on paye 3.000 FCFA, au dernier poste, on paye
10.000 FCFA. Que tu aies carte ou passeport ou pas, tu dois payer le même
tarif. Parfois la carte même ne sert à rien. Tu payes 3.000 FCFA
pour le laisser-passer. Il y un deuxième poste à Makalondi
où tu dois payer 5.000 FCFA pour le laisser-passer. Là-bas
où tout mon argent est terminé. Un copain m'a prêté
une
somme. » (Entretien, Nouhou migrant
sénégalais, Agadez, février 2018).
Les tracasseries routières participent au gonflement du
budget des migrants. La difficulté avec les faux frais est
qu'ils sont aléatoires et changeants comme le souligne Aziz, Ivoirien
:
« De San-Pedro à Yamoussoukro on a
payé 5000 FCFA. De Yamoussoukro à Niamey jusqu'à Agadez,
on a payé 60.000 FCFA avec vaccination. Mais en venant, sur la route, on
a eu beaucoup de difficultés. Depuis Burkina, chaque poste de police, on
paye 2000, 3000, 5000 FCFA jusqu'à la gendarmerie du Burkina 15000 FCFA,
15000 FCFA, 10000 FCFA, à la frontière du Niger, nous avons
payé 10000 FCFA, là-bas. Niamey-Agadez, il y a des barrages de
5000-1000 FCFA. J'ai
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quitté Côte d'Ivoire avec 200 000 FCFA. Je me
suis retrouvé ici avec 50000 FCFA à Agadez. J'étais
obligé de faire appel à mon père. Je ne peux pas aller en
Algérie avec 50000 FCFA ». (Entretien Aziz, migrant Ivoirien,
Agadez, février 2018).
Les migrants ne peuvent pas budgétiser les faux
frais avec exactitude comme celui du transport. La conséquence
qu'ils se retrouvent presque toujours en déprogrammation
financière car ils doivent dépenser plus qu'ils n'ont
prévu. Dans certains cas, ils ne peuvent ni payer leur transport ni se
nourrir.
Ces deux témoignages de migrants ayant quitté
le Sénégal et la Côte d'Ivoire illustrent le quotidien des
passagers le long des routes qui relient les pays de l'UEMOA et/ou de la
CEDEAO. Les ressortissants de ces espaces communautaires dont la libre
circulation est la règle se trouvent piégés le long des
routes. En effet, des fonctionnaires usent et abusent de leur position pour
soutirer de l'argent à ces passagers. Le fait le plus révoltant
est que souvent ces faux frais dépassent largement les frais de
transport réels que les citoyens doivent payer pour se rendre d'un point
à un autre. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso se
révèlent être des pays où les forces de l'ordre
prennent injustement de l'argent aux passagers, malgré la possession des
documents de voyages. Le cas du Burkina Faso se distingue par le nombre de
postes de contrôle mais aussi l'implication des gendarmes dans ces
pratiques. Le pays des hommes intègres se particularise aussi par les
montants exigés aux passagers (10 000 -20 000 FCFA par personne). Les
témoignages soulignent des cas de violences verbales et physiques
vis-à-vis des migrants. Ces faux frais constituent des facteurs de
vulnérabilité des migrants puisqu'ils impactent leur budget de
voyage. Pour certains répondants, les difficultés
financières commencent au Niger et très marginalement au Burkina
ou au Mali. Au Niger, pour l'essentiel, ces difficultés commencent
à l'entrée de la ville d'Agadez où les migrants doivent
payer à la police entre 5000 et 20 000 FCFA par personne pour
accéder à la ville. Après plusieurs jours de voyage, les
faux frais finissent par avoir raison des budgets prévisionnels des
migrants. Ils sont contraints de prolonger leur séjour à Niamey
ou à Agadez le temps d'un envoi du pays pour poursuivre le voyage. Si
l'hypothétique envoi n'arrive pas, ils peuvent se rendre au centre de
l'OIM pour un retour dit « volontaire ».
Cette « tracasserie routière » est l'une des
raisons évoquées par les migrants pour ne pas voyager avec leur
argent. Elle met à mal la libre circulation dans l'espace communautaire
et l'ensemble des politiques d'intégration économique pour
faciliter la mobilité humaine. Notons au passage qu'elle est un facteur
de frustration des citoyens africains comme en témoignent ces propos
d'Issaka migrant guinéen :
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« On crie Union Africaine, mais ce n'est pas par la
bouche. Sur le terrain ce n'est pas pratiqué. Si un ressortissant d'un
autre pays va en Guinée, on le considère comme un Guinéen.
Si un Guinéen va dans un autre pays, on le considère comme
citoyen de ce pays. On doit prendre l'exemple des États-Unis ou de
l'Union Européenne. Parce que maintenant, il y a des gens qui disent, si
je vois un Burkinabé ou un Nigérien ou Guinéen, ça
va se passer mal entre nous. Ce n'est pas bon. ». (Entretien Issaka,
Agadez mai 2016).
Les migrants arrivent à Agadez financièrement
affaiblis, avec aucune perspective de trouver de l'argent sur place ; ils
doivent faire face à la « gourmandise » des acteurs entrant
dans la chaine du transport vers l'Afrique du Nord. Il s'agit de coxers,
gérants de ghetto, passeurs. A Agadez, une nouvelle étape du
parcours s'ouvre celle du transit et de l'attente. Sans aucune ressource, les
migrants sollicitent des ressources additionnelles au pays pour pouvoir
continuer le périple. Ceux qui sont restés au pays doivent se
débrouiller pour le leur envoyer et cela peut prendre un jour, des
semaines ou des mois selon le cas. L'attente des fonds additionnels contribue
donc à la mise en attente des migrants africains à Agadez.