La région d'Agadez qui s'illustre par l'offre de
services aux migrants est fortement dépendante des ressources
générées par la migration. Pour Anacko
Mohamed30, « la migration a été
paradoxalement une bouffée d'oxygène pour l'économie
locale à travers les emplois qu'elle génère pour la
jeunesse de la région. ». C'est justement en raison de la
position stratégique d'Agadez dans la circulation transsaharienne que
l'État décide unilatéralement sous la pression de l'Union
européenne d'appliquer en août 2016 la loi 2015-36 dans cette
seule région du Niger. Selon Moussa Tchangari, acteur de la
société civile, le Niger monnaye son engagement auprès de
l'UE dans la lutte contre la migration irrégulière : «
Les autorités nigériennes ont accepté, moyennant un
financement de 50 milliards FCFA, de s'investir totalement dans la lutte contre
ce que les Européens appellent «la migration
irrégulière», «le trafic de migrants» et «la
traite des êtres humains». Cela veut dire que le Niger va prendre
des mesures pour empêcher les migrants de remonter vers le Nord, y
compris au mépris des dispositions du protocole de la CEDEAO sur la
libre circulation des personnes et des biens. Cela veut dire que le Niger
installera, avec l'appui des Européens, et l'expertise de l'OIM, des
centres de rétention des migrants sur son territoire. » ( Discours,
Tchangari, jeudi 5 mai 2016).
La mise en application de la loi 2015-36 est perçue
par la population comme une tentative de les priver de leur principale source
de revenus. Son caractère brusque qui se traduit par des arrestations et
des emprisonnements a accentué le sentiment de révolte. Au bilan
de la mise en oeuvre de cette loi, on note entre le 6 juin 2016 et le 27
septembre 2017, selon le procureur de la République d'Agadez 71
procès-verbaux, en matière de trafic illicite de migrants, 134
personnes déférées, 59 condamnations et 109
véhicules misent à la disposition du parquet31. Pour
bon nombre d'acteurs, cette loi est en contradiction avec les textes
communautaires car les migrants qu'ils transportent sont des ressortissants de
la CEDEAO. Ils ont donc le droit de les transporter jusqu'à la
frontière nord du Niger conformément au protocole de la CEDEAO
sur la libre circulation des personnes et des biens. Le fait le plus
révoltant pour les populations généré par
l'application de cette loi est son application sélective à la
seule région d'Agadez. En effet, les transporteurs qui assurent la
desserte vers la Libye et l'Algérie font le même travail que les
promoteurs des gares modernes qui transportent les migrants de Niamey à
Agadez.
30 Discours du Président du Conseil
Régional le 24 janvier 2017 à Agadez à la signature de la
convention entre la HACP et l'UE
31 Rapport de la 3ème journée nationale
de mobilisation contre la traite des personnes, Agadez 2017.
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Pourtant ces promoteurs ne sont nullement
inquiétés. Pour Issouf Ag Maha, Maire de Tchirozerine, la loi
« est vécue comme du «deux poids, deux mesures» en ce
sens que les transporteurs des migrants sur les différentes
étapes avant Agadez mènent allègrement leur
activité pendant que ceux des étapes après Agadez
deviennent des criminels à arrêter et dont il faut confisquer le
capital productif »32. En outre, les opérations
d'investigation mises en oeuvre par la police pour démanteler les
réseaux de passeurs et des gérants de ghettos ont
participé à la détérioration des relations entre
police et population locale. Bien plus, la criminalisation de la migration par
cette loi a contribué à la clandestinité de cette
migration de transit avec pour conséquence l'augmentation du prix de
transport, la vulnérabilité des migrants, l'abandon des migrants
durant le transport, le changement de route ainsi que l'augmentation du nombre
des morts. En mai 2017 par exemple, «les corps de 44 migrants ont
été retrouvés sans vie dans le désert
nigérien. Ils sont morts de soif après avoir été
victimes d'une panne de moteur. Après la Méditerranée,
c'est le désert d'Agadez qui devient à son tour un
cimetière pour les réfugiés (pour les migrants)
»33.
Selon l'ONG Médecin du monde Belgique qui procure des
soins aux migrants à Agadez, « cette tragédie n'est que la
partie émergée de l'iceberg, et le désert se fait chaque
mois plus meurtrier. La raison, une loi soutenue par l'Union européenne
au Niger en mai 2015. Depuis son entrée en vigueur, les migrants sont
forcés d'emprunter des routes inconnues pouvant -- comme dans ce cas --
s'avérer mortelles. ». L'organisation humanitaire appelle à
une « révision urgente de ce dispositif ».