Depuis août 2016, avec la mise en application de la loi
2015-36 les passeurs et migrants ont tendance à emprunter des nouvelles
routes pour échapper aux dispositifs en vigueur. Cette loi se heurte
cependant à l'appartenance du Niger à la CEDEAO : les citoyens de
cet espace communautaire peuvent circuler à condition qu'ils soient en
règle. La pratique en cours actuellement au Niger est de procéder
à des contrôles approfondis aux différents postes de police
frontaliers afin de filtrer et expulser ceux qui ne possèdent pas les
documents requis. La
168
stratégie des migrants et des passeurs consiste
à contourner les postes de police à l'aide des motos comme le
souligne cet acteur :
« Moi je transporte les migrants nigérians.
Il y a des gens au Nigéria qui nous envoient les migrants jusqu'ici
à Agadez. De-là, nous les transportons jusqu'en Libye. Les
véhicules utilisés pour le transport sont des Toyota Hilux. Quand
les migrants quittent à partir de Kano, ils sont transportés dans
des véhicules Hiace jusqu'à la frontière au niveau de
Maïmoujiya. À partir de-là, ils sont transportés sur
des mototaxis (Kabou-Kabou) en contournant le poste de contrôle. Mais il
y a d'autres qui passent par la barrière, tandis que d'autres la
contournent. Une fois arrivés à Zinder on les achemine vers
Agadez dans des Hiace. Mais avant d'entrer en ville, on les dépose en
cours de route et leurs gens vont les chercher. À partir d'Agadez, ils
sont chargés dans des Toyota Hilux et on prend la direction de la Libye
en contournant toutes les barrières jusqu'à l'entrée en
Libye. Moi je ne travaille pas avec les coxeurs, car les passagers viennent
directement dans mes mains. Je les héberge moi-même et les
transporte. Les passagers sont hébergés dans une grande maison
(Villa) de trois (3) chambres et salon qui peut contenir 100 personnes ou
même plus. La maison est équipée en nattes, en
électricité, en eau et tout, Mais aujourd'hui avec l'application
de cette loi, ce n'est plus possible. C'est le contournement des
barrières (postes de contrôle) et le changement des routes. C'est
un grand risque qu'on prend, car là où nous passons, on ne veut
même pas que quelqu'un nous voit » (Entretien transporteur,
Agadez, 13-02- 2018).
Cette pratique de contournement des postes de police
s'inscrit dans une dynamique d'adaptation face aux contraintes de
mobilités. Elle rend de plus en plus vulnérable les migrants, car
son parcours se fait dans la clandestinité. Le contournement des postes
de police transfrontaliers est très développé en
particulier au niveau du poste de Maymoujiya. Cette situation peut être
liée à la dépendance des convoyeurs, à l'absence de
documentation et au passage de migrants non ressortissants de la CEDEAO. Sur
cet axe l'évitement des postes débute au nord du Nigéria.
Ainsi, il est fréquent avec les migrants nigérians d'entendre que
jusqu'à leur arrivée à Agadez ils ne sont passés
par aucun poste de police.
Sur cet axe la nouvelle route consiste à éviter
les postes de police tout au long de la route entre Zinder et Agadez. Les
transporteurs sont contraints d'abandonner la route bitumée dans
certains cas pour éviter les FDS. Une autre stratégie, est de
déposer les migrants à quelques kilomètres de la ville
d'Agadez. Là, ils doivent poursuivre le trajet avec les taxis-brousse en
prenant le soin d'éviter les postes de contrôle.
Sur l'axe Tahoua-Agadez la même pratique est en
vigueur. Les migrants choisissent de voyager par Hiace et non via les bus pour
être moins visibles. À quelques kilomètres de la ville,
avec la complicité des chauffeurs, ils changent de moyen de transport.
La moto est alors préférée pour contourner le poste, et
rentrer à Agadez comme le souligne ce migrant
sénégalais.
« A 25 km d'Agadez, le chauffeur nous a fait
descendre. Il a dit qu'il y a trop de contrôle et que si on nous prend,
il va perdre son véhicule; on s'est même disputé, mais on
l'a laissé partir. Nous étions au nombre de six. J'ai
négocié un "Kabou-kabou", moto taxi pour nous amener à
22.500fcfa. Il a fait trois voyages pour nous transporter à Agadez. J'ai
pris un autre
169
"Kabou-kabou pour aller à Rimbo. Un
Sénégalais est venu me chercher pour m'amener au foyer »
(Entretien, Président des sénégalais au centre OIM,
Agadez, juillet 2017).
Dans la ville d'Agadez aussi plusieurs stratégies sont
développées par les passeurs pour faire sortir les migrants.
Certains sortent à l'aube, d'autres en journée notamment aux
heures de prières comme celle du vendredi comme le souligne un officier
de police :
« Dans la ville il existe des bretelles pour la
sortie des migrants qui contournent les postes de contrôle. Chaque
passeur s'organise et fait son embarquement en fonction de la
disponibilité des passagers. Il y a des moments de la journée qui
sont choisis par les passeurs pour faire sortir les migrants de la ville. Il
s'agit du vendredi à l'heure de la prière de 13h, du coucher de
soleil (Maghreb) et tard dans la nuit. Ce sont des moments où les
contrôles ne
sont pas fréquents ». ((Entretien, officier
de police, Agadez, juillet 2018).