À Agadez, depuis les années 90, le transport
des migrants vers l'Afrique du Nord a presque toujours associé des
voyageurs nigériens et étrangers. Avec la loi 2015-36, le
transport des personnes de nationalité non nigérienne vers le
Maghreb est criminalisé. De ce fait, la population
étrangère y compris ressortissante de la CEDEAO est exclue de la
mobilité formelle transsaharienne au départ d'Agadez. Mieux, au
plus fort moment de l'application de ladite loi, le transport vers
l'Algérie et la Libye a été stoppé par les
autorités. Ce n'est qu'en mai 2018 que ce transport a repris sous la
pression des autorités locales, des acteurs du transport et des migrants
nationaux, mais sous un autre format. Désormais c'est le transport des
Nigériens uniquement qui est accepté. Les autres
nationalités en sont exclues comme le souligne ce transporteur :
« Ici depuis la mesure, ce sont seulement les Nigériens qui
voyagent, mais avant
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il y a presque toutes les nationalités. Les
nationaux sont des Haoussas et Touaregs et hommes, femmes et enfants ».
(Entretien transporteur, Agadez, 25-11-2017).
Or, les étrangers constituent une clientèle non
négligeable d'autant plus qu'ils payent plus cher leur transport que les
nationaux. Pour le chef d'escale STM Agadez, « nos passagers sont
actuellement en majorité des nationaux (nigériens). Nous recevons
quelques passagers parmi les migrants internationaux refoulés. Parmi les
passagers transportés, les femmes sont dominantes ».
(Entretien chef d'escale STM, Agadez, 24-11-2017). Cette exclusion des non
nationaux a favorisé la clandestinité du transport, la baisse de
la clientèle du circuit formel mais aussi la hausse des coûts de
transport. Il est à noter également, un contrôle intense
des non-Nigériens aux postes de police se trouvant sur la route
migratoire de Niamey jusqu'à Agadez. À chaque poste, le policier
collecte les pièces des migrants dans les bus et les invite à les
rejoindre au poste pour collecter des statistiques, mais aussi soutirer des
faux frais comme on le voit sur les photos ci-dessous.
Photo 12: Migrants internationaux au poste de police
d'Abalak pour contrôle Crédit photo : B Ayouba Tinni, Abalak, mai
2016
La fréquence des contrôles sur la route a
conduit certains opérateurs de transport sur la ligne Niamey-Agadez (STM
et RIMBO), à mettre en place un bus pour les Nigériens et un
autre pour les étrangers afin de réduire les pertes de temps lors
des contrôles sur la route. Ce second bus, « réservé
» aux étrangers, est appelé à subir toutes les
tracasseries liées à la multiplication des contrôles de
police, mais aussi à la stigmatisation liée à leur statut
de migrant non nigérien.
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A Zinder par exemple, il est tout simplement interdit aux
agences de transport de délivrer des billets de transport aux non
Nigériens en direction d'Agadez depuis août 2016. Le contrevenant
est tenu de rembourser le billet une fois que la police lors du poste de
contrôle à la sortie de Zinder sur la route d'Agadez, ou à
Tanout, constate que le migrant non nigérien n'a pas toute la
documentation requise pour voyager. Il est alors renvoyé/ refoulé
au commissariat de Zinder qui se charge de faire rembourser l'opérateur.
La somme recouvrée va servir de frais de transport pour expulser le
migrant en question au poste de police frontalier de Matameye situé
entre le Niger et le Nigeria point d'entrée des flux en provenance de ce
pays et du Cameroun.
6.3.5 Sortir dans une ville verrouillée
?
Les migrants ayant échappé au dispositif de
filtrage de la frontière jusqu'à Agadez doivent une fois dans
cette ville faire face à un autre dispositif de contrôle mis en
place pour réprimer la mobilité vers la Libye ou
l'Algérie. Il s'agit de l'arrestation des acteurs du transport, de la
confiscation de véhicule, de la hausse du tarif de transport et enfin de
l'implication des leaders communautaires pour dénoncer le transport vers
le nord. La surveillance des points d'entrée et de sortie s'appuie sur
une unité de 15 agents de police travaillant sous la coupe de l'officier
en charge des questions migratoires. Ces agents aux dires de l'officier ne sont
pas connus même par leurs collègues d'Agadez et travaillent
à démanteler les réseaux de transport de migrants vers
l'Afrique du Nord. Tout ce dispositif de blocage de mobilité rend
difficile le départ des migrants vers l'Afrique du Nord. Ainsi, s'est
développé très vite le phénomène des
migrants bloqués à Agadez dans une ville à vocation de
transit. Les rares qui y parviennent doivent faire face le long des 950 km qui
relient Agadez à Madama à un important dispositif des forces de
défense qui patrouillent dans cette zone. Or, instruction ferme a
été donnée à tous les corps d'intercepter et
renvoyer tout migrant étranger en direction de la Libye ou de
l'Algérie même si par ailleurs ils disposent de tous les documents
légaux. Comme quoi les frontières de la CEDEAO au Niger
s'arrêtent dans la commune urbaine d'Agadez. Le Niger travaille ainsi
à réduire le nombre de migrants en direction du nord pour le
compte de l'Union européenne.