L'intense mobilité qui caractérise Agadez a
donné lieu à la prolifération des gares informelles
spécialisées dans le transport sur des longues distances (vers la
Libye ou l'Algérie), mais aussi des courtes distances (vers Tabelot).
Dans ces espaces sont souvent embarqués les migrants vers les communes
voisines de la commune urbaine d'Agadez. Cette stratégie s'inscrit dans
une logique de se soustraire aux contrôles des forces de l'ordre mais
aussi pour échapper aux taxes. Les véhicules Hiace occupent ces
gares informelles en général car ils sont moins suspects que les
voitures-talibans. Ils font donc l'objet de moins de contrôle.
Pour les migrants, il faut à tout prix sortir d'Agadez pour être
dans les communes voisines ou les jardins afin d'attendre le transporteur. Il y
a donc un changement des lieux d'embarquement des migrants de la gare centrale
vers les gares informelles et puis vers la périphérie de la ville
et les communes voisines. Les embarquements deviennent alors plus
clandestins.
Photo 10: Migrants et transporteurs en concertation dans un
quartier périphérique à Agadez Crédit photo : B
Ayouba Tinni, Agadez, août ,2018.
Jusqu'à l'application de la loi 2015-36, les
départs des passagers avaient lieu à partir des lieux
d'hébergement des migrants, les foyers /ghettos.
« Les chargements sont faits hors des gares
routières formelles. Les changements survenus au cours des
dernières années sont : arrêt des destinations
d'Agadez-Assamaka-Djanet et Agadez-Djado. Il existe l'organisation des
départs hors gare au niveau de certaines lignes comme la ligne
Agadez-Dirkou et la ligne Agadez-Tchirozérine. Mais après le
chargement ils passent à la gare s'acquitter des formalités
». (Entretien transporteur, Agadez, 24-022018).
Comme impact direct de ce transfert, se retrouve
l'affaiblissement de l'Ecogare qui du jour au lendemain est
déserté par ses clients. Cette situation s'est accentuée
avec l'application de la loi 2015-36. La gare centrale étant un domaine
public est donc l'espace propice pour appliquer les décisions de
l'autorité. Cela a eu pour conséquence l'exclusion des migrants
non nigériens
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de la clientèle de cette gare : « Avant (la
loi), les passagers transportés sont des Nigériens et des
étrangers, mais aujourd'hui c'est seulement les nationaux que nous
transportons. Pour les camions 32 c'est à peine que nous gagnions
aujourd'hui des marchandises et quelques 30 à 40 personnes alors
qu'avant c'est près de 200 à 300 personnes et tous
Nigériens qui partaient » (Entretien chef de ligne Dirkou-Agadez,
Agadez,24-02-2018). Or, les migrants internationaux constituent
l'essentiel de la clientèle sur la ligne comme Agadez/Dirkou ou
Agadez/Djanet (Algérie).
On note aussi l'émergence d'un nouveau profil de
transporteur qui travaille en dehors des
normes établies par
l'autorité compétente. Il exerce souvent au sein de
réseaux transnationaux
en lien avec des acteurs locaux et
étrangers : la chaîne comprend des « fournisseurs »
de
migrants, coxeurs, des gérants de ghettos et des transporteurs.
Ils opèrent avec la complicité
des fonctionnaires de police
qui facilitent la mobilité entre les deux rives du Sahara.
Avec
l'afflux des migrants et les enjeux financiers qui en découlent,
une réorganisation du transport
à partir d'Agadez est
notée dès 2010 avec le déclenchement du conflit libyen.
Des réseaux
basés souvent dans les pays de la
sous-région, en Europe, ou à Niamey envoient des
migrants
à des passeurs/coxeurs à Niamey pour les acheminer en
Libye. Ces derniers sont accueillis dès
leur arrivée à
la gare d'Agadez ou bien avant dans les stations-services (Cf. : photos 15)
par
des responsables de ghettos, qui vont se charger de leur
hébergement.
Photo 11 : Migrants interceptés dans une
station-service par les transporteurs Crédit photo : B Ayouba Tinni,
Agadez, mai 2016.
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Avant août 2016, les ghettos étaient
tolérés, bien que des opérations de police soient
notées de temps en temps. Chaque lundi après-midi, les
véhicules sont chargés directement au sein des ghettos.
Toutefois, après le chargement des passagers, les transporteurs viennent
au commissariat de la gare routière, munis de la feuille de route, pour
s'acquitter du timbre fiscal et passer la barrière.
Les politiques en cours dans le domaine de la migration ont
donné naissance également à des nouvelles aires
d'embarquement des passagers. Certes dans certains cas, les chargements ont
toujours lieu à la gare ou dans les ghettos mais force est de constater
qu'il n'y a plus de transport de migrants internationaux vers l'Afrique du Nord
à partir de la gare d'Agadez. La loi 2015-36 a eu cette lourde
conséquence sur l'Ecogare. Toutefois, certains propriétaires
notamment ceux chargeant dans les gares continuent d'opérer dans la
clandestinité passant ainsi du transport irrégulier au transport
dans la clandestinité (Brachet, 2018). Ainsi, on note des cas où
les départs de migrants ont lieu sur la route de Zinder en
périphérie d'Agadez à destination de la Libye ou de
l'Algérie. D'Agadez, les migrants sont transportés par des motos
jusqu'à la sortie de la ville. Une fois hors de la ville, ils sont
hébergés dans des jardins pendant quelques jours avant
d'être repris par les passeurs. En somme, les politiques en cours ont
donné lieu aux déplacements des espaces de chargement des
migrants hors de la ville ou bien avant Agadez. Dans certains cas, le mode
opératoire des passeurs consiste à contourner la ville d'Agadez.
Sur le terrain, il y a une invisibilité totale des transports des
migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de cette
ville.