La loi 2015-36 a eu également un impact sur la
sécurité à Agadez. En effet, une coïncidence existe
entre l'arrêt de cette migration de transit et l'amorce d'une
insécurité résiduelle. Celle-ci se traduit par des vols
comme le note ce propos : « le vol des motos, il suffit de déposer
ta moto devant ta porte, après cinq minutes tu ne la verras plus »
(Entretien Diouf, Agadez, mars 2019). On peut noter aussi le vol de tout objet
de valeur. Interrogée sur cette situation la police l'impute à
une concentration de personnes dans la ville qui n'exercent aucune
activité consécutivement à la fermeture de la mine du
Djado et à la criminalisation de la migration de transit.
Autre dimension de cette insécurité
résiduelle c'est la reprise des attaques à main armée sur
les routes. Celle-ci est favorisée par le fait que de plus en plus
certains passeurs qui continuent à opérer empruntent des voies
non balisées ou sécurisées par les forces de
défense et sécurité. Sur ces routes nouvelles se croisent
très souvent des trafiquants de drogue, d'armes et des passeurs de
migrants irréguliers. C'est donc dans ces territoires de la contrebande
que les migrants sont
132
attaqués ou dépouillés de leurs biens.
Nombreux sont les migrants qui estiment que très souvent ces attaques
sont organisées avec la complicité des passeurs dans le seul but
de les dépouiller.
5.3.1 Plan de reconversion des acteurs de la migration :
vision, bilan et limites
Devant la brutalité de son application et son impact
négatif, les prestataires, notamment les passeurs, coxeurs et
gérants de ghettos, se sont tournés vers le Conseil
régional, instance légitime représentant la population
afin d'exprimer leurs préoccupations. Ils ont tenu à rappeler la
fermeture de la mine du Djado l'une des principales sources de revenus dans le
Kawar. Aujourd'hui la criminalisation de la migration de transit est un acte
qui met au chômage les acteurs qui l'animent et prive par la même
occasion de nombreuses familles d'une source de revenu vitale. Saisi, le
conseil régional a pris attache avec les autorités et la
délégation de l'UE au Niger. C'est ainsi que la Haute
Autorité à la Consolidation de la Paix a commandé une
étude sur l'économie de la migration à Agadez. Celle-ci a
relevé le poids de cette ressource dans l'économie de la
région ainsi que celle des ménages. Une autre étude
conduite par l'institut néerlandais Clingandael est parvenue aux
mêmes conclusions accablant l'État du Niger et son partenaire
européen : « la criminalisation de l'industrie de la migration
à Agadez a manqué de reconnaître à quel point
l'industrie est ancrée dans l'économie politique plus large de la
ville, et a par conséquent eu un effet contraire et néfaste, tant
sur les migrants que sur la population locale » (Clingandael, 2017, P
28).
Pour trouver une solution une réunion de la Commission
Consultative Régionale de l'Administrative Territoriale (COCORAT)
à Agadez réunissant l'ensemble des autorités élues
et administratives élargie aux couches concernées de la
population a été organisée afin de trouver des solutions
aux problèmes. Il est alors envisagé de faire un plan de
reconversion des acteurs de l'économie de la migration à travers
le financement des micro-projets. Dans cette perspective une liste exhaustive
de ces acteurs a été élaborée dans l'ensemble des
communes concernées par la migration. Transmise au Conseil
régional cette liste fait cas de 6565 acteurs dans la région. Ces
derniers doivent élaborer des micro-projets et les soumettre au
comité mis en place à cet effet, composé des
représentants du Conseil Régional, de la HACP et des
ex-prestataires de la migration.
Dans la foulée de cette contestation, l'UE met en
place sous financement FFU un Plan d'Actions à Impact Économique
Rapide à Agadez (PAIERA) au profit de la région d'Agadez
exécuté par deux ONG (Karkara et CISP) et la HACP.
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Photo 5:Plaque CISP à Agadez
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mars
2019
CISP se propose de réhabiliter le patrimoine de la
vieille ville d'Agadez classée patrimoine mondial de l'UNESCO à
travers des travaux à haute intensité de main d'oeuvre. Il s'agit
d'utiliser la population locale pour restaurer la vieille ville d'Agadez. Les
ouvriers sont payés à 2500F CFA par jour de travail durant le
projet. Dans la conception du promoteur, cette approche permet d'injecter du
liquide dans l'économie et de participer au relèvement
économique des ménages. Son avantage est qu'il cible un public
qui va au-delà des anciens prestataires de la migration.
Par-delà, ce projet s'inscrit dans une démarche de formation des
maçons aux techniques traditionnelles de restauration.
Le projet de Karkara d'une valeur de plus 100 millions de
francs CFA a aussi fait place aux acteurs de la migration à travers
leurs mères et femmes (voir photo ci-dessous). Des kits individuels de
reconversion leur ont été distribués. Des appuis à
la mise en place des activités génératrices de revenus et
des taxis motos ont servi pour la reconversion.
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Photo 6:Une plaque de projet de reconversion à
Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, septembre 2019
Le projet majeur ciblant les acteurs de la migration a
été mis en oeuvre par la HACP. Le premier obstacle du plan de
reconversion est le montant dédié. Initialement, une enveloppe de
800 000 FCFA par projet a été décidée par la HACP.
Cette approche est très vite contestée par les acteurs qui le
juge insignifiant au regard des revenus que génère la migration
de transit. Finalement, l'enveloppe est rehaussée à 1 500 000
FCFA par acteur mais les propriétaires de ghettos et véhicules
sont exclus.
Après examen des 2345 micro-projets soumis, 981 sont
déclarés éligibles pour le financement. Avec son enveloppe
de 200 millions de FCFA, la HACP a pu financer 108 micro-projets pour une
enveloppe de 1 500 000 FCFA chacun. Les acteurs ciblés sont en
majorité des coxeurs, rabatteurs et gérants de ghettos. Le nature
des projets financés varie : AGR, embouche bovine ou caprine, taxi moto
et restauration. Karkara a aussi financé à travers son projet
PASSERAZ (Karkara) 186 demandes. Ce qui fait un total de 371 acteurs ayant
bénéficié d'une aide à la reconversion.