La lutte contre la migration irrégulière a eu
un impact social très important à Agadez. Elle a mis au
chômage les transporteurs, gérants de ghettos, rabatteurs, coxeurs
d'une part et d'autre part a contribué à la baisse de la
clientèle des vendeurs de bidons, lunettes, turbans, bois, taxi-moto et
boutiquiers de quartier. Ces acteurs gagnaient bien leur vie à travers
ces activités avant la loi 2015-36. D'aucuns avancent un chiffre variant
entre 100 000-500 000FCFA/semaine dans un pays où le salaire minimum est
de 30 047FCFA. Avec ses ressources ils parviennent à se prendre en
charge, à prendre en charge leur famille. Étant en
majorité des chefs de famille, on peut extrapoler au regard du contexte
nigérien que chacun supporte en moyenne 7 autres personnes. C'est donc
cette masse importante de personnes qui est touchée au sein de la
commune d'Agadez par l'arrêt de la migration. Les ressources qui en
découlent n'arrivent plus. Il n'y a donc plus de redistribution de cette
manne dans la société agadézienne. C'est pourquoi certains
de ces acteurs estiment que « la lutte contre la migration
irrégulière est une lutte contre le développement, surtout
pour nous les pauvres qui n'ont aucun pouvoir, ni voix de gagner nos vies.
Imagine il n'y a plus le site de Djado, plus de touristes et voilà les
migrants eux aussi sont devenus de la drogue». (Entretien Bogobiri,
Agadez, mars 2019).
En matière de représentation certains acteurs
estiment qu'à cause de l'arrêt il y a trop de chômage. Les
populations ont perdu progressivement leur pouvoir économique et sont
devenues pauvres.
Des acteurs indirects de cette économie comme les
propriétaires de taxi moto se disent aussi très touchés
par cette situation. Certains qui sont au chômage n'ont plus de Adai
daita car ils sont dans l'impossibilité d'honorer les versements
contractuels qui les lient aux propriétaires. Pour les vendeurs de
lunettes, l'impact de cette loi s'apprécie à travers le manque de
clients. Avant les migrants payent sans réfléchir, mais
aujourd'hui tout se discute avant de vendre. Monsieur Ali exprime son amertume
dans ces propos : « La politique de lutte contre la
131
migration nous a beaucoup « tués », car
on peut circuler toute une journée dans la ville avec les lunettes sans
avoir un acheteur » (Entretien Ali, vendeur de lunette, Agadez, mars
2019).
Ce contexte de chômage des acteurs de la migration a
augmenté les charges des parents déjà à un
âge très avancé, car les jeunes ne travaillent plus. Les
difficultés économiques ont contribué à
réduire l'entraide sociale. En effet, les populations ne peuvent plus
s'entraider, car elles manquent toutes de ressources comme le notent ces propos
: « avant on héberge nos gens venus de villages des autres
régions (Maradi, Zinder). On les finance pour aller chercher l'or, mais
maintenant on ne peut plus supporter une charge même un enfant »
(Entretien Iro, Agadez, mars 2019). L'interdiction a contribué à
l'émergence d'une catégorie de citoyens qui défient la
loi. Cette couche refusant la pauvreté essaye de braver l'interdiction
du transport des migrants à leurs risques et périls. Ils prennent
l'argent des migrants et tentent le périple, mais dès qu'ils
aperçoivent les forces de défense et de sécurité
ils laissent les migrants en plein désert et prennent la fuite. C'est
dans ce contexte que certains acteurs ont été
arrêtés et jetés en prison. Ce climat a contribué
à détériorer la confiance entre les citoyens. Les acteurs
ont peur de se faire dénoncer. Les femmes vendeuses de glace ou
restauratrices ont également connu le choc économique car les
migrants figurent en bonne place parmi leur clientèle. Ces femmes
souvent cheffes de ménage se retrouvent dans une situation de
vulnérabilité. Elles sont de fait exposées à la
prostitution pour pouvoir subvenir à leurs besoins.