Le transporteur est le maillon essentiel de la chaine
migratoire. L'offre de transport vers l'Afrique du Nord à partir
d'Agadez s'est considérablement améliorée durant la forte
demande des migrants. En effet, l'introduction des véhicules de types
Hilux a largement facilité la mobilité entre les deux rives du
Sahara. En contact avec des coxers, des gérants de ghettos et souvent
par leur propre réseau des passeurs/transporteurs quittent chaque lundi
Agadez avec le convoi officiel en transportant des migrants. Le coût du
transport varie de 80.000-100 000 FCFA jusqu'à Gatroun ou Sebha. Les
transporteurs sont souvent des Nigériens et accessoirement des Toubous
de Libye qui connaissent bien le Kawar. Les véhicules peuvent prendre
entre 20 à 30 personnes.
« Il y a d'abord le réseau de coxers, qui
livre les migrants. Ensuite, les gérants de ghettos qui rassemblent une
quarantaine de migrants vous les donnent à un prix abordable. Enfin, les
amis migrants qui si vous les transportez dans de bonnes conditions, ils
donnent vos contacts à leurs frères qui vont venir. Le risque est
que parfois le coxer te dit de les déposer à Gatroun alors lui il
a pris les frais du voyage Agadez -- Tripoli. Arrivée à Gatroun,
les migrants vous disent qu'ils ont payé pour Tripoli. C'est à
vous chauffeur de gérer l'affaire » (Entretien Mohamed,
transporteur, Agadez, 25-07-2018).
L'analyse de l'impact économique de la migration de
transit dans le transport peut s'apprécier à travers quelques
scénarios pour avoir des données chiffrées. Ainsi, sur la
base des 30 000 *80 000= 240 000 000 FCFA, on peut estimer le chiffre d'affaire
annuel du transport des migrants en direction de l'Afrique du Nord avec 2015
comme année de référence. Les chiffres de migrants
indiqués proviennent des estimations de l'OIM sur le nombre de migrants
sorti d'Agadez. Cette somme est également le montant estimatif
directement payé aux transporteurs. Elle ne tient pas compte des
commissions que prélèvent les coxers sur les frais de transport.
Ce volet fera l'objet d'une estimation à part afin de mieux saisir
l'incidence financière. Toutefois, il est important de rappeler qu'en
2017, seulement 1000 personnes migrantes sont enregistrées à
l'entrée de la ville d'Agadez. Si l'on applique la même estimation
à ce groupe on se retrouve à 80 000 000 FCFA de chiffre d'affaire
du business du transport vers l'Afrique du Nord.
123
Également, l'offre de transport des principales villes
du Niger (Niamey, Zinder et Dosso) sur Agadez est partie intégrante de
l'économie de la migration. En effet, à Niamey par exemple les
principales gares modernes offrent des possibilités de transport
jusqu'à Agadez au nord du Niger dans l'optique de satisfaire une forte
demande composée en majorité de migrants. Dans l'enceinte de ces
gares modernes des possibilités de se loger pendant un à deux
jours existent le temps pour le migrant de se reposer, récupérer
ses frais de transport transférés via les agences de transfert,
réduire le nombre de jours à Agadez, prendre des contacts
à partir de Niamey et planifier son voyage entre le mercredi et jeudi.
Il s'agit de passer 72 h à Agadez afin de réduire les
dépenses et de pouvoir quitter pour le nord le lundi qui correspond au
jour de départ des convois.
Ainsi, en lien avec la dégradation de la route et la
forte demande de transport, les frais de transport sur l'axe Agadez-Niamey ont
augmenté. Cette augmentation des frais de transport n'a pas pour autant
affecté la clientèle. Ainsi, une compagnie comme Rimbo affirme
avant l'application de la loi 2015-36 organiser des convois spéciaux
d'un à deux bus par jour sur l'axe Agadez. Pour apprécier cette
économie de transport à partir du cas emblématique de
Rimbo nous posons l'hypothèse que la compagnie convoie 70 migrants par
jour à destination d'Agadez. Le scénario du chiffre d'affaires
est donné dans le tableau ci-dessous par jour, semaine, mois et
année.
Tableau 3 : Estimation du chiffre d'affaires des compagnies
de transport
Source : Notre étude
Pour apprécier cette économie de la migration
pour l'ensemble des gares modernes on aura un chiffre d'affaires annuel de 940
800 000+ 2 100 000 000= 3 040 800 000 FCFA rien que sur l'axe Niamey Agadez
à travers une entrée par les gares modernes.
125
Sur l'axe Zinder-Agadez où transite l'essentiel des
flux en provenance du Nigéria et d'Afrique centrale le transport vers
Agadez se fait à travers les gares modernes, mais aussi les hiaces
qu'empruntent les Nigérians en majorité depuis l'application de
la loi 2015-36, mais bien avant aussi. Les hiaces sont utilisées de fois
par les transporteurs nigériens pour aller à Bénin city
(Nigéria) ou à Kano pour convoyer leurs clients. Toutefois, les
cas les plus fréquents pour ces
Hiaces sont de la frontière
Carte 7: Localisation des gares routières à
Agadez
Source : notre étude
à Dan Barto avec le Nigéria où ils
offrent leurs services de transport sur Zinder et éventuellement vers
Agadez. Quelle que soit la variante sur cet axe Dan Barto-Zinder-Agadez la
clientèle migrante a permis aux conducteurs des véhicules de
marque Hiace d'avoir un nouveau souffle face à la concurrence
imposée sur de longues distances par les gares modernes sur l'ensemble
du pays. Ainsi, pour des sommes variant de 5000 à 7000 FCFA avant la loi
2015-36 ces conducteurs de Hiace transportent les migrants jusqu'à
Agadez. Ce transport est en essor avec les restrictions imposées par la
loi 2015-36 sur le transport de migrants.
126
Plus petit et discret, les hiaces sont empruntées par
les passeurs à cause de leur capacité à se faufiler sur
les pistes secondaires de Zinder à Agadez évitant
systématiquement les postes de police.
« Les transporteurs de petits véhicules (19
places) eux les prennent depuis les régions de Maradi et Zinder voire
Nigeria vers la destination de la région d'Agadez. Entre ces
transporteurs de 19 places et nous autres (Taximans, et kabou kabou), la
communication est permanente, les chauffeurs nous appellent à quelques
kilomètres d'Agadez (20 à 30 km) sur la route de Zinder pour
venir prendre les migrants et contourner les barrières de police et de
gendarmerie. » (Entretien Harouna, Agadez 28, 02, 2019).
Aussi, il est courant d'entendre des migrants affirmer avoir
fait tout ce trajet sans passer par un seul poste de contrôle.
Arrivés à 10 km par exemple de la ville d'Agadez, les passeurs
sous-traitent l'entrée de la ville avec des kabou kabou
chargés de faire le reste du trajet. Pour ce faire, ces derniers
réclament 10 000 à 15 000 FCFA par migrant. Le kabou kabou
est aussi un acteur important dans la chaine de l'économie de la
migration. À l'arrivée des migrants, les kabou kabou les
acheminent dans les ghettos.
En journée, les migrants s'appuient sur leurs services
pour se rendre dans les banques, au marché et pour d'autres courses. Les
kabou kabou interrogés affirment facturer une course aux
migrants entre 1000 et 3000FCFA contre 300FCFA aux locaux
. « Les conducteurs de moto taxi Kabou Kabou
facturent des courses aux migrants. Ces courses sont : aller à la
banque, aller au marché, acheter le bois ou bien les amener aux ghettos.
Pour une course donnée, tu peux avoir 3000fCFA ou même 5000fCFA.
Déjà, nous avons des amis qui vendent des bois. Nous travaillons
en liaison (Kabou kabou, les gérants de ghettos, vendeur de bois et
passeur aussi) chacune fait profit de l'autre. Les gérants de ghettos
appellent un kabou kabou pour aller prendre les migrants à la gare
» (Entretien Mohé, Agadez, 28 02 2019).
D'autres acteurs opérant dans les marchés
d'Agadez mais aussi dans les gares tirent bénéfice de la
migration. Il s'agit notamment des vendeurs de turbans. Ce tissu est
utilisé par les migrants afin de se protéger contre le vent et la
poussière lors de la traversée du Sahara. Les vendeurs de turbans
ont compris que les migrants constituent une clientèle dont il faut
tirer profit comme le montrent ces propos : « les vendeurs
achètent moins cher et revendent plus cher aux migrants. Par exemple le
mètre du turban se vendait à 750 FCFA voire 1000 FCFA alors que
nous l'achetons à moins de 500FCFA en détail, mais ce sont des
bandes qu'on commande vers le Nigeria, l'Algérie. Il y'a aussi le turban
genre libyen trop cher que le tissu ordinaire » (Entretien, Aminou,
Agadez, 29-03-2019).
Les vendeurs de lunettes sont aussi des acteurs importants du
petit commerce de la migration à Agadez. Cet article est utilisé
par les migrants pour se protéger contre le vent et le sable pendant la
traversée du Sahara comme en témoignent ces propos « Les
lunettes se vendaient à un prix
127
très apprécié entre 1500 à
2500 FCFA l'unité, je partais au niveau du garage situé au
quartier Sabon Gari non loin du marché est, et les gens faisaient la
queue autour de ma table. Je faisais le plein des bénéfices le
jour du convoi pour le voyage Agadez-Libye » (Entretien Tambari,
Agadez, 30-03-2019).
Ce bénéfice tiré auprès des
migrants est confirmé par Hamza, vendeur de lunette « On
vendait les lunettes à prix honorable et l'on faisait des
bénéfices. Les lunettes de 500 FCFA coutaient en son temps 1250 f
CFA et parfois 1500fCFA. » (Entretien, Hamza, Agadez, 29-03-2019).
Les bidons et les bois sont aussi des éléments
essentiels qui rentrent dans la traversée du Sahara. C'est pourquoi ils
font l'objet d'un petit commerce à l'intention de la population migrante
nationale et internationale.
Les bidons sont utilisés pour transporter de l'eau
pendant la traversée du désert. Pour satisfaire ce besoin, toute
une activité s'est mise en place à Agadez autour de la vente des
bidons. Barazé, vendeur au marché Tôle nous explique «
On paye les bidons vides de 5 l à 150 FCFA, on l'emballe dans un
paquet de carton et de fibres (Gharara) puis on le vend à 500 FCFA,
celui de 25 litres à 500 FCFA puis on le vend aux migrants à 2000
FCFA et parfois 3000 FCFA. Je vendais par jour 10 bidons de 25 l et 15 bidons
de 5 litres. » (Entretien, Barazé, Agadez, 7-032019). Ce
vendeur gagne donc 10.000 FCFA/jour, 40 000 FCFA/semaine et 60 000 FCFA/mois
par extrapolation. Il lui arrive aussi de vendre tous les bidons aux grossistes
nigériens qui les achètent et cherchent des migrants pour tirer
bénéfices.
Photo 5 : Des bidons pour le transport d'eau en vente
Crédit photo : B. Ayouba Tinni, Agadez, 7 mars 2019
128
Les tiges de bois sont utilisées pour servir de support
aux migrants qui sont assis au bord de la benne de voiture. Les
véhicules (Hilux) qui transportent les migrants ne sont pas
destinés pour le transport de personnes, donc il faut avoir des tiges de
bois fixés sur le véhicule en arrière pour que les
migrants s'accrochent au risque de tomber parfois. Cet impératif
sécuritaire a rendu nécessaire le commerce de tiges de bois
à Agadez exclusivement tourné vers une clientèle migrante
comme le précise Mogobiri « Pour nous vendeurs de bois, on
achète ces bois à 100FCFA l'unité auprès de gens
qui les coupent dans les jardins. Ce sont de petits bâtons de 1 m
à 2 m de longueur pour la plupart en forme de V. Les transporteurs des
véhicules (Hilux) viennent les payer pour ses passagers à 500FCFA
l'unité, parfois à 1000FCFA l'unité ».
(Entretien Mogobiri, vendeur de bois, Agadez 3 mars 2019).
5.2 Incidences de la lutte contre la migration de
transit sur l'économie locale 5.2.1 Les conséquences
économiques
L'application de la loi 2015-36 à Agadez a eu un poids
non négligeable sur le petit commerce de la migration de transit
à Agadez. Cette loi stipule : « est passible d'une peine
d'emprisonnement de cinq (5) à moins de dix (10) ans et d'une amende de
1 000 000 de FCFA à 5 000 000 de FCFA, toute personne qui,
intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage
financier ou un autre avantage matériel, assure l'entrée ou la
sortie illégale au Niger d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni
un résident permanent au Niger ». Cette mesure interdit de
facto l'hébergement, la facilitation et le transport de migrants
subsahariens vers l'Afrique du Nord. Elle a conduit à une baisse
considérable des migrants qui entrent officiellement dans la ville. Les
statistiques de la Direction de la Surveillance du Territoire renseignent cette
baisse, de 30 000 migrants en 2015 on descend à plus de 1000 migrants en
2017. Cette baisse des flux migratoires a eu des conséquences
économiques sur les activités qui en dépendent. Le
transport semble le plus touché. L'interdiction du transport vers
l'Afrique du Nord est synonyme de chômage de fait pour les acteurs qui
animent cette activité. Ceux qui ont passé outre cette mesure se
sont vus confisquer leurs véhicules. D'août 2016 à
aujourd'hui, c'est plus de 120 véhicules qui ont été
immobilisés dans l'enceinte de la zone de défense N° 2
à Agadez.
L'hébergement a aussi été touché
par cette politique. Les ghettos ou foyers accueillant traditionnellement les
migrants durant leur séjour de transit à Agadez sont
criminalisés. Les 70 à 80 ghettos sont aussi appelés
à cesser toute activité. Cette mesure a ainsi privé les
propriétaires de ces maisons de revenus de la location. À eux,
s'ajoutent les gérants de ghettos qui vivent de
129
cette économie de l'hébergement des migrants. Ce
groupe s'est trouvé en chômage de même que les coxeurs
connus pour être des rabatteurs de migrants autour des gares. Ces acteurs
sont les plus touchés par l'application de cette mesure. Cette situation
s'explique par le fait que ces activités telles que
développées à Agadez ciblent exclusivement une
clientèle migrante. Ce business dépend donc du passage des
migrants.
D'autres activités ont été
également touchées par l'application de la loi. Le transport
intra-urbain assuré par les taxis motos en est une. Bien que ne
dépendant pas exclusivement des migrants, ce groupe représente
une clientèle non négligeable pour ces acteurs. En
témoignent les bénéfices importants réalisés
avec les migrants : ils disent facturer les migrants à 3000F CFA la
course contre 300FCFA pour les locaux. L'exclusion de ce groupe de la
clientèle a un poids économique non négligeable sur le
secteur. Selon Mohamed conducteur de tricycle depuis l'application de la loi
2015-36, il constate un « manque de clientèle, manque d'argent,
ce qui fait qu'on peut circuler toute la journée sans assurer le
versement journalier qui est de 5000FCFA/par jour au propriétaire de
Adai daita, ni même penser à faire de
bénéfice.» (Entretien Mohamed, Agadez, mars 2019).
Les boutiquiers autour des ghettos, les vendeurs de lunettes,
de gants, de bidons et de bois sont aussi essentiels dans la chaine de support
à la migration vers l'Afrique du Nord. Les articles qu'ils
commercialisent sont largement destinés à une clientèle
migrante voulant traverser le Sahara. En effet, dans les quartiers, les
migrants en transit représentent une clientèle importante pour
ces boutiquiers. Par semaine ces espaces peuvent accueillir plus de 30 à
100 personnes. Durant le séjour ces migrants ont recours aux boutiquiers
du quartier pour payer de l'eau minérale, des biscuits, des sardines et
du pain. De sorte que le migrant contribue aussi au dynamisme des commerces du
quartier. Aujourd'hui, avec l'application de la loi sur le trafic illicite de
migrants, les migrants sont exclus de la clientèle de ces acteurs. Les
domaines des transferts d'argent (Western Union, Wari, orange money) ont
également été négativement impactés.
Autre commune concernée par le passage des migrants,
la municipalité de Dirkou tire des bénéfices assez
consistants du transit des migrants à travers les taxes de voirie
qu'elle perçoit sur chacun d'eux. Une somme de 1500 FCFA est
perçue sur chaque migrant en transit dans la commune. Cette ressource
est utilisée pour le fonctionnement de la municipalité à
travers le paiement des salaires et représente la première
ressource mobilisée par la commune. Mais depuis l'application de la loi,
les migrants ne passent plus par cette commune au risque d'être
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interceptés et renvoyés par les forces de
défense et de sécurité. Cette situation a
créé une baisse considérable des revenus de la mairie qui
ne parvient plus à payer les salaires de ses employés.
Il ressort de cela que l'application de la loi 2015-36 a eu
un impact considérable sur le petit commerce de la migration. Des
activités dédiées exclusivement à la
clientèle migrante comme le transport, l'hébergement dans les
ghettos et le travail de coxeurs ont subi les plus fortes conséquences.
Les autres activités comme les taxis motos et le petit commerce sont
économiquement touchés. En effet, certains ont perdu plus de 2/3
de leur clientèle.