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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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4.4.2 Des migrants coincés à Agadez

Les migrants qui n'arrivent pas à sortir d'Agadez pour le Nord, sont coincés dans la ville, car plus le séjour s'inscrit dans la durée plus ils épuisent leurs économies. Certains choisissent de se rabattre sur l'OIM et le retour volontaire pour bénéficier de l'hébergement, la restauration en attendant un transfert monétaire à partir du pays d'origine.

Une partie des migrants choisissent de vivre dans les ghettos et deviennent des migrants bloqués par la faute des politiques d'externalisation. D'autres se mettent dans le processus de demande d'asile pour rester à Agadez en attendant d'éventuelles opportunités.

4.4.3 Les emprisonnements des prestataires de la migration

En octobre 2020, nous avons interrogé deux Nigériens résidant à Agadez qui par ailleurs reconnaissent avant l'application de la loi 2015-36 avoir évolué dans le business de la migration. Ils ont été arrêtés à Agadez très tôt le matin dans leur famille par des hommes sans mandat d'arrêt. Après 24h à Agadez, ils sont conduits à Niamey (encadré1). Là ils ont dû passer deux semaines à la cellule antiterroriste de Niamey avant d'être déferrés à la DST puis à la justice. À la date de notre rencontre ces hommes sont à plus de 6 mois de détention préventive sans jugement.

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Encadré 1 : Monsieur Yacouba détenu à la prison civile de Niamey

Yacouba est né en 1981 à Filingué, marié à deux femmes et père de 5 enfants. Arrêté le 18 mars à Agadez sans mandat d'arrêt. Il s'est vu encagouler et transporter à Niamey le 19 mars 2019. Il y passe deux semaines à la coordination de la cellule antiterroriste avec cagoule, menotté en position assise dans la cellule. Après deux semaines d'interrogatoire, il est amené à la direction de la surveillance du territoire. Interrogé par 3 à 4 policiers, dont des Français, on lui notifie qu'il est passeur et qu'il aide les gens à passer en Libye.

Il reconnait avoir été passeur entre 2012-2015, avec un ghetto à Misrata (quartier d'Agadez) où il hébergeait ses clients. Le ghetto était loué à 20 000FCFA/mois.

Il prenait entre 100 et 120 000 FCFA par passager pour les amener d'Agadez à Sebha.

Puis il est allé en Libye pour y passer deux ans. A son retour à Agadez, avec l'application de la loi 2015-36, il dit avoir laissé le business de la migration dès qu'ont commencé les projets de comités de reconversion. Il voulait retourner en Libye. Dans ce cadre, il a engagé des démarches pour faire un passeport.

Les conséquences sociales de ces arrestations sont importantes. Un détenu marié à deux femmes et père de 5 enfants affirme « qu'il n'est pas facile de nourrir 7 personnes en prison » (Niamey, Prison civile, 12 octobre 2020). Commerçant au marché d'Agadez, le capital qu'il a laissé sur place est utilisé pour subvenir aux besoins de sa famille.

Les deux prévenus rencontrés, ont été arrêtés sans mandat, transférés à Niamey avec cagoule durant le voyage. A Niamey, ils sont détenus au secret sans information vers leurs parents pendant deux semaines et sans possibilité de recourir à un avocat. Au Niger, la traite des personnes et le trafic illicite de migrants relèvent de l'antiterrorisme et donc d'un droit d'exception. Ainsi, la lutte contre la migration irrégulière s'accompagne des violations des droits de la personne : arrestation sans mandat, déportation, séquestration et éloignement de la famille. Aussi, le TIM prive les acteurs de leur capital productif : les biens sont confisqués, des jeunes souvent des pères de familles sont privés de liberté pendant de longues périodes. On note une moyenne de 18 mois sans jugement. Un détenu (encadré 2) rencontré après 18 mois sans jugement et condamné à une peine 2 ans 6 mois refuse de faire appel, car dit-il les dossiers se perdent à la justice. Comme il ne lui reste que 6 mois, il accepte de les purger car des dossiers

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de détenus ayant interjeté en appel sont perdus. Ces problèmes structurels de la justice nigérienne viennent se greffer à une procédure exceptionnelle. Les ingrédients sont donc réunis pour compliquer la situation de ces détenus.

Encadré 2 : Ababacari détenu gambien à la prison civile de Niamey

Monsieur Ababacari est gambien, 26 ans, célibataire. Il est arrivé au Niger en juin 2017 dans l'espoir de continuer en Libye puis en Italie. Comme son argent est fini, il s'est arrêté à Niamey pour se faire une nouvelle santé financière. Il a élu domicile à la gare STM Talladjé où il se débrouillait comme bagagiste et coxeur comme l'attestent ses propos « Je cherchais les gens qui voulaient voyager à l'international pour les amener à prendre leur ticket à STM. Sur chaque billet j'ai une commission de 1000 FCFA ».

Il est arrêté le 31 août 2017 à la gare STM par des policiers en tenue civile vers 16h qu'il affirme avoir remarqués une heure auparavant dans la gare, deux hommes et une femme. C'est Monsieur M, un coxeur comme lui qui a amené la police pour l'arrêter « Monsieur M. a amené la police pour m'arrêter en tant que coxeur. C'est lui qui a amené la police pour arrêter Mo, Ai et moi sur des sites différents. C'est en prison qu'on a tous compris que Monsieur M n'est pas un coxeur. C'est un policier infiltré. »

Puis il est transféré à la DST pour être interviewé par deux policiers européens et un nigérien. Dans l'interrogatoire, ils lui ont demandé d'expliquer son mode opératoire pour faire voyager les gens en Italie puisqu' il a été pris avec trois Sénégalais. Menacé d'être mis sous tension électrique et chicotte, il est déféré à la justice pour être mis sous mandat de dépôt. Les chefs d'inculpation retenus contre lui sont : facilitation de transport et faux documents d'identité. Le juge a évoqué le relâchement des Sénégalais pour retarder le procès. Jugé le 10 janvier 2020, il est condamné à 3 ans de prison ferme et 100 000 FCFA d'amendes.

L'intéressé n'a pas fait appel de sa condamnation car il ne lui reste que quelques mois. En plus à la cour d'appel la personne peut perdre son dossier. L'ambassadeur de Gambie est venu deux fois lui rendre visite. Son projet au départ est d'aller en Italie, maintenant il voudrait retourner dans son pays.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand