En octobre 2020, nous avons interrogé deux
Nigériens résidant à Agadez qui par ailleurs reconnaissent
avant l'application de la loi 2015-36 avoir évolué dans le
business de la migration. Ils ont été arrêtés
à Agadez très tôt le matin dans leur famille par des hommes
sans mandat d'arrêt. Après 24h à Agadez, ils sont conduits
à Niamey (encadré1). Là ils ont dû passer deux
semaines à la cellule antiterroriste de Niamey avant d'être
déferrés à la DST puis à la justice. À la
date de notre rencontre ces hommes sont à plus de 6 mois de
détention préventive sans jugement.
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Encadré 1 : Monsieur Yacouba détenu à la
prison civile de Niamey
Yacouba est né en 1981 à Filingué,
marié à deux femmes et père de 5 enfants.
Arrêté le 18 mars à Agadez sans mandat d'arrêt. Il
s'est vu encagouler et transporter à Niamey le 19 mars 2019. Il y passe
deux semaines à la coordination de la cellule antiterroriste avec
cagoule, menotté en position assise dans la cellule. Après deux
semaines d'interrogatoire, il est amené à la direction de la
surveillance du territoire. Interrogé par 3 à 4 policiers, dont
des Français, on lui notifie qu'il est passeur et qu'il aide les gens
à passer en Libye.
Il reconnait avoir été passeur entre 2012-2015,
avec un ghetto à Misrata (quartier d'Agadez) où il
hébergeait ses clients. Le ghetto était loué à 20
000FCFA/mois.
Il prenait entre 100 et 120 000 FCFA par passager pour les
amener d'Agadez à Sebha.
Puis il est allé en Libye pour y passer deux ans. A
son retour à Agadez, avec l'application de la loi 2015-36, il dit avoir
laissé le business de la migration dès qu'ont commencé les
projets de comités de reconversion. Il voulait retourner en Libye. Dans
ce cadre, il a engagé des démarches pour faire un passeport.
Les conséquences sociales de ces arrestations sont
importantes. Un détenu marié à deux femmes et père
de 5 enfants affirme « qu'il n'est pas facile de nourrir 7 personnes
en prison » (Niamey, Prison civile, 12 octobre 2020).
Commerçant au marché d'Agadez, le capital qu'il a laissé
sur place est utilisé pour subvenir aux besoins de sa famille.
Les deux prévenus rencontrés, ont
été arrêtés sans mandat, transférés
à Niamey avec cagoule durant le voyage. A Niamey, ils sont
détenus au secret sans information vers leurs parents pendant deux
semaines et sans possibilité de recourir à un avocat. Au Niger,
la traite des personnes et le trafic illicite de migrants relèvent de
l'antiterrorisme et donc d'un droit d'exception. Ainsi, la lutte contre la
migration irrégulière s'accompagne des violations des droits de
la personne : arrestation sans mandat, déportation, séquestration
et éloignement de la famille. Aussi, le TIM prive les acteurs de leur
capital productif : les biens sont confisqués, des jeunes souvent des
pères de familles sont privés de liberté pendant de
longues périodes. On note une moyenne de 18 mois sans jugement. Un
détenu (encadré 2) rencontré après 18 mois sans
jugement et condamné à une peine 2 ans 6 mois refuse de faire
appel, car dit-il les dossiers se perdent à la justice. Comme il ne lui
reste que 6 mois, il accepte de les purger car des dossiers
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de détenus ayant interjeté en appel sont perdus.
Ces problèmes structurels de la justice nigérienne viennent se
greffer à une procédure exceptionnelle. Les ingrédients
sont donc réunis pour compliquer la situation de ces détenus.
Encadré 2 : Ababacari détenu gambien à
la prison civile de Niamey
Monsieur Ababacari est gambien, 26 ans, célibataire.
Il est arrivé au Niger en juin 2017 dans l'espoir de continuer en Libye
puis en Italie. Comme son argent est fini, il s'est arrêté
à Niamey pour se faire une nouvelle santé financière. Il a
élu domicile à la gare STM Talladjé où il se
débrouillait comme bagagiste et coxeur comme l'attestent ses propos
« Je cherchais les gens qui voulaient voyager à l'international
pour les amener à prendre leur ticket à STM. Sur chaque billet
j'ai une commission de 1000 FCFA ».
Il est arrêté le 31 août 2017 à la
gare STM par des policiers en tenue civile vers 16h qu'il affirme avoir
remarqués une heure auparavant dans la gare, deux hommes et une femme.
C'est Monsieur M, un coxeur comme lui qui a amené la police pour
l'arrêter « Monsieur M. a amené la police pour
m'arrêter en tant que coxeur. C'est lui qui a amené la police pour
arrêter Mo, Ai et moi sur des sites différents. C'est en prison
qu'on a tous compris que Monsieur M n'est pas un coxeur. C'est un policier
infiltré. »
Puis il est transféré à la DST pour
être interviewé par deux policiers européens et un
nigérien. Dans l'interrogatoire, ils lui ont demandé d'expliquer
son mode opératoire pour faire voyager les gens en Italie puisqu' il a
été pris avec trois Sénégalais. Menacé
d'être mis sous tension électrique et chicotte, il est
déféré à la justice pour être mis sous mandat
de dépôt. Les chefs d'inculpation retenus contre lui sont :
facilitation de transport et faux documents d'identité. Le juge a
évoqué le relâchement des Sénégalais pour
retarder le procès. Jugé le 10 janvier 2020, il est
condamné à 3 ans de prison ferme et 100 000 FCFA d'amendes.
L'intéressé n'a pas fait appel de sa
condamnation car il ne lui reste que quelques mois. En plus à la cour
d'appel la personne peut perdre son dossier. L'ambassadeur de Gambie est venu
deux fois lui rendre visite. Son projet au départ est d'aller en Italie,
maintenant il voudrait retourner dans son pays.