4.2 Les pratiques administratives orientées vers la
lutte contre le TIM
L'entrée, le séjour et le transit des
étrangers en territoire nigérien sont régis par plusieurs
textes nationaux et internationaux. Il s'agit de l'ordonnance 81 et la loi
2015-36 et des textes communautaires sur la libre circulation des personnes et
des biens de l'UEMOA, de la CEDEAO et de la CENSAD.
Les ressortissants de la CEDEAO doivent justifier d'une carte
d'identité valide et d'un carnet de vaccination pour entrer au Niger.
Ainsi, les citoyens de cet espace n'ont pas besoin de visa pour entrer au
Niger. Dans la pratique ceux dont les pièces ne sont pas à jour
doivent payer une amende forfaitaire variant de 1500 à 2000 FCFA. Cette
somme en principe est reversée au trésor national. La
traversée de la frontière est donc largement à la
portée de ces citoyens. Toutefois, il faut noter une tendance à
l'abus des forces de sécurité, comme en témoignent les
entretiens
28
http://news.aniamey.com/h/89327.html
29
https://www.niameyetles2jours.com/la-gestion-publique/securite/1801-3366-le-gar-si-une-nouvelle-unite-
mise-en-place-au-niger-pour-lutter-contre-le-terrorisme-et-le-crime-or
100
auprès des migrants. Les migrants peuvent se voir
exiger une somme de 10 000 FCFA à plus pour traverser la
frontière, de façon totalement arbitraire.
Une autre pratique en cours aux frontières est la
facilité de passer la frontière accordée aux populations
transfrontalières. Ainsi, entre la ville frontalière de N'Guigmi
et le Tchad, les Nigériens doivent justifier d'un sauf-conduit
délivré gratuitement par la préfecture et de 3 000FCFA
pour la mairie pour passer la frontière. Au retour, les Tchadiens
doivent justifier de la même pièce. À Gaya à la
frontière avec le Bénin il n'est quasiment pas exigé de
documents pour les échanges entre Gaya et Malanville. Il existe donc une
pratique de tolérance vis-à-vis de la mobilité des
communautés frontalières sans que cela ne puisse faire l'objet
d'un document officiel entre les pays concernés.
Mais depuis que le Niger s'est engagé aux
côtés de l'UE dans la répression de la migration
irrégulière de transit sur son territoire, de nombreux
changements sont observés au niveau des pratiques administratives en
lien avec la gestion de la migration aux frontières. Ainsi, il est
mentionné des pratiques comme le refoulement, la reconduite à la
frontière, les expulsions et le référencement pour la
demande d'asile.
4.2.1 Refouler pour prévenir la migration
irrégulière
Dans le cadre de cette thèse, est
considérée comme refoulement le refus de l'accès au
territoire d'un pays au niveau des postes frontaliers pour des raisons diverses
dont la plus fréquente est le défaut de document de voyage,
à une personne ou un groupe de personnes. Cette pratique même si
elle date de longtemps aux frontières du Niger, a pris de l'ampleur avec
l'application de la loi 2015-36. En vertu de cette loi, instruction ferme est
donnée aux agents frontaliers de refuser l'accès au territoire
aux personnes n'ayant pas de documents valides. Or, ces personnes qui
transitent par le Niger pour l'Afrique du Nord sont en majorité des
ressortissants des pays membres de la CEDEAO qui bénéficient de
facilités de circulation. L'injonction de l'UE a donc abouti à la
fin de la flexibilité pour l'accès au territoire des citoyens de
l'espace communautaire. On passe donc d'un partenariat intra africain pour la
mobilité des ressortissants à un partenariat
Nigéro-Européen de blocage des migrants. En effet, le rapport
bilan des activités de migration souligne qu'en 2017 « Les
refoulements aux frontières ont concerné quinze mille
quarante-cinq (15.045) personnes de différentes nationalités.
Cette mesure a été appliquée systématiquement
à toute personne non pourvue de documents de voyage ; »
(Danda, 2018).
Dans le cadre de la coopération UE-Niger dans le champ
de la migration, le refoulement apparait comme une pratique administrative
visant à réduire dès les frontières sud les flux
de
101
migrants qui pourraient transiter par le Niger et vers
l'Afrique du Nord. Ces personnes sont donc éloignées par la
privation de l'accès au territoire nigérien. Elles sont
ramenées au poste frontalier du pays voisin. Le refoulement ne distingue
pas dans la pratique le migrant ordinaire, le migrant économique et
celui qui peut prétendre à la protection internationale. Le
refoulement est une pratique que préfèrent les agents de la
police aux frontières. En effet, pour ne pas avoir à supporter
les charges alimentaires du migrant en l'absence de mécanismes
permettant une assistance, la police refoule le migrant. Ainsi, par
méconnaissance de certains agents de la surveillance du territoire, des
personnes pouvant demander l'asile sont injustement privées
d'accès au territoire du Niger. Or, dans le cas d'espèce le
non-refoulement devrait être la règle.
Le refoulement constitue un manque à gagner pour le
trésor public. En effet, les amendes perçues pour défaut
de documents de voyage sont versées au trésor public. Or, avec le
refoulement systématique des cas auxquels on peut exiger de payer des
frais forfaitaires, le trésor public se trouve avec un manque à
gagner.
Enfin, le refoulement apparait comme une approche
prônant une gestion sécuritaire des migrations. Pour ces acteurs
le lien est vite établi entre migration et terrorisme. Et donc, au nom
de la lutte contre le terrorisme, la frontière doit être
gérée de manière restrictive de façon à ne
pas donner l'accès au territoire à une personne sans document.
Cette approche puise sa source dans le contexte sécuritaire du Sahel.
Dans cette initiative, le Niger est appuyé par l'OIM qui a mis en place
la reconnaissance biométrique au niveau de certains
postes-frontières : MIDAS est opérationnel dans divers points
d'entrée du Niger comme Makalondi, Assamaka et Gaya. Cette approche
s'inscrit dans une politique de biométrisation des frontières.
Tout voyageur doit passer par cette machine pour un relevé d'empreintes,
une prise de photos avant de passer la frontière. La personne qui ne
dispose pas de documents est refoulée sous prétexte de migration
irrégulière ou suspectée de terrorisme. Le refoulement est
donc la conséquence d'une suspicion de migration
irrégulière ou de terrorisme qui a commencé depuis
l'application de la loi 201536. Il cible particulièrement les migrants
non nigériens qui veulent entrer au Niger. À tous les postes de
police, ils sont perçus comme de potentiels candidats à la
migration vers l'Afrique du Nord. Cette approche met en quarantaine la longue
histoire qui lie le Niger à ces pays d'où sont originaires ces
migrants.
Le refoulement met à mal la coopération entre
la police du Niger et celles de ses voisins, car depuis plusieurs années
la mobilité des communautés transfrontalières a toujours
fonctionné selon un arrangement entre les deux postes. Aujourd'hui
à N'Guigmi le sauf conduit n'est pas
102
accepté au Tchad. En retour, le Niger exige un
passeport aux Tchadiens. Cela rend très difficile la mobilité des
populations transfrontalières qui deviennent ainsi des victimes
collatérales de la lutte contre la migration
irrégulière.
|