L'arrêté portant création du CCM
prévoit également la mise en place d'un secrétariat
permanent pour assurer la gestion opérationnelle. Il est logé
à la Direction Générale de l'État civil, des
Migrations et des Réfugiés, plus précisément
à la Direction de la migration. Les agents qui animent le SP/ CCM sont
essentiellement de cette direction. On y trouve également des
appelés du service civique national, mais aussi un assistant technique
de l'OIM et un autre de l'UE pour renforcer le SP.
Le secrétariat permanent est le pont entre les
partenaires et l'État. Il facilite la circulation de l'information entre
les acteurs et mène des actions de plaidoyer. C'est ce dispositif qui
est en contact avec l'UE et les partenaires pour le suivi des actions sur le
terrain et l'organisation des activités du CCM. Il codirige les groupes
de travail rattachés au cadre de concertation.
Il est à mettre à l'actif du CCM la mise en
place de 4 groupes thématiques : Migration et développement,
Migration et sécurité, Migration et protection, et Groupe
technique migration
92
(GTM). Derrière chacun de ces groupes
thématiques se trouve un chef de file, le plus souvent une organisation
internationale. Ainsi, le sous-groupe migration et développement a pour
chef de file la coopération suisse, l'OIM assure le leadership du GTM,
Eucap Sahel Niger est recommandé pour le sous-groupe migration et
sécurité. Toutefois, il faut souligner que les deux derniers
sous-groupes éprouvent des difficultés à démarrer
même si on peut mettre une réunion à l'actif du sous-groupe
migration et protection.
Schéma 1: Cadre opérationnel du CCM
Source : Notre étude
Les sous-groupes doivent se réunir chaque mois et les
éléments de discussion sont partagés au SP/CCM pour
alimenter les réunions du CCM qui se tiennent semestriellement. De tous
ces groupes, seul le GTM arrive à tenir deux réunions par
trimestre. A ce niveau aussi, le contenu tend à la monotonie. Ainsi,
l'OIM présente les tendances des flux migratoires sur la base des
données collectées par la DTM (Displacement Tracking Matrice).
Une organisation présente les activités qu'elle met en oeuvre
dans le cadre de la migration. Enfin, le SP/CCM présente
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l'état de mise en oeuvre des recommandations de la
réunion du CCM, le partage d'information et les perspectives. Le
sous-groupe migration et protection a tenu deux réunions en 2020.
Par son architecture, le CCM apparait comme une plateforme
où des acteurs aux profils divers se rencontrent pour échanger
sur la migration au Niger. Il s'agit des acteurs étatiques, des ONG et
associations, des agences onusiennes, des universitaires, des
collectivités décentralisées, des agences de
coopération technique, des chancelleries européennes avec
à leur tête l'ambassadeur de l'UE au Niger. Ces acteurs
malgré leur diversité ont en commun l'intérêt pour
la migration au Niger. Le CCM en théorie se justifie pour coordonner les
interventions dans le domaine de la migration au Niger afin d'assurer la
synergie des actions et assurer l'efficience et l'efficacité des
interventions.
Dans la pratique le CCM est un dispositif mis en place avec
l'appui de l'UE afin de suivre les objectifs européens dans le cadre de
la lutte contre la migration irrégulière au Niger. L'analyse du
contenu des discours des officiels du Niger, mais aussi de l'ambassadeur de
l'UE prononcés lors des sessions de CCM permet de mettre en
évidence une constante : la lutte contre la migration
irrégulière (priorité de l'UE), la volonté de
l'État du Niger de lutter contre le trafic illicite de migrants
(discours officiels nigériens) et la disponibilité de l'UE
à accompagner le Niger dans la lutte contre la migration
irrégulière (discours officiels de l' UE)
Ainsi, à l'ouverture de la première
réunion du CCM dans leurs allocutions respectives « le ministre
d'État et l'Ambassadeur, Chef de la Délégation de l'Union
européenne ont insisté sur l'urgence d'intervenir sur la
problématique de la migration irrégulière. Ils ont
également souligné les efforts déployés par
l'État du Niger dans ce domaine et ont reconnu la
nécessité d'intensifier le partenariat en vue d'améliorer
les résultats recherchés » (CCM, octobre, 2016, p 1).
Les discours prononcés par ces acteurs à la deuxième
session du CCM s'inscrivent dans la même logique. Assurant
l'intérim de son homologue de l'intérieur, le ministre de la
Justice a rappelé « le déplacement du ministre
d'État sur la principale route migratoire et sa participation à
Agadez à la validation du plan de reconversion des acteurs de la
migration. » (CCM, juin 2017), ceci pour mettre en exergue les
actions du Gouvernement dans la lutte contre la migration
irrégulière.
Quant à l'ambassadeur de l'UE, « Il a
souligné également les efforts que l'Union européenne ne
cesse de déployer pour soutenir le développement du Niger comme
l'illustre entre autres, le financement par le FFU des projets à hauteur
de presque 100 milliards de FCFA. Enfin,
94
l'Ambassadeur a relevé le besoin de
réfléchir et de travailler ensemble pour déceler les
nouveaux modes opératoires des trafiquants. » (Ambassadeur UE,
1er juin 2017).
Le mercredi 24 janvier 2018, à l'ouverture de la
troisième session du CCM la même rhétorique s'invite. Le
Chef de la délégation de l'Union européenne a «
salué les efforts des plus hautes autorités
nigériennes dans le cadre de la lutte contre la migration
irrégulière et a réitéré l'engagement de la
Délégation de l'Union européenne à accompagner le
Niger dans ce noble combat. (Rapport 3, CCM, 24 janvier 2018).
C'est l'intervention du ministre d'État, ministre de
l'Intérieur à la 5e session du CCM qui permet de
conclure à un deal entre l'UE et le Niger pour lutter contre la
migration irrégulière. Le Niger se doit de justifier les
résultats accomplis avec l'argent de l'UE. L'ouverture de la session du
CCM est l'occasion idéale pour cet exercice.
« Il me plait de rappeler que dans le cadre de la
lutte contre la migration irrégulière, le Niger a
enregistré, dans un délai très court, des résultats
impressionnants par rapport aux différentes valeurs cibles retenues pour
l'horizon 2021 dans le cadre de son programme de lutte contre la migration
irrégulière. Le Niger a réduit de 90% le nombre de
potentiels migrants entrant dans la ville d'Agadez qui est la plaque tournante
de la migration irrégulière de 100 000 migrants en 2015, le flux
a chuté à 22.000 en 2017 et à moins de 10.000 en 2018.
», (CCM, mai 2019).
Pour rassurer davantage l'UE de l'engagement du Niger
à lutter contre la migration irrégulière, lecture est
faite du rapport que la DGPN transmet au ministre de l'Intérieur sur la
situation de la migration au Niger du 1er au 30 avril 2019. Il est
présenté par le DGEC/M/R. Son contenu renseigne les
entrées et les sorties du territoire national pendant la période
couverte, les expulsions en direction du Niger, le retour volontaire
assisté, le refoulement et les reconduites à la frontière.
Il met aussi en exergue les entrées des personnes de nationalité
étrangère à Agadez considérée comme plaque
tournante de la migration irrégulière « 1449
étrangers sont arrivés dans la ville d'Agadez dont 76 femmes et 6
mineurs répartis par les deux barrières notamment : par la route
Zinder : 582 personnes et par la route Tahoua : 867 personnes. ». Le
même document révèle que dans le cadre de lutte contre la
migration irrégulière et la traite des personnes 25 personnes ont
été interpellées durant la période et 5 voitures
ont été immobilisées et placées sous
scellé.
4.1.2.2 Engager la police frontalière dans la
lutte contre le trafic illicite de migrants
Dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d'action de La
Valette, un projet pilote de « renforcement des capacités de la
police nigérienne en matière de lutte contre l'immigration
irrégulière, la fraude documentaire, le trafic et la traite
d'êtres humains en vue de consolider la
95
protection des victimes potentielles des réseaux
criminels et améliorer la gestion policière des frontières
»25 mis en oeuvre par la France et l'Espagne a
été approuvé pour le compte du Niger. C'est le 14 mars
2017 que le Niger signe à Niamey avec la France et l'Espagne l'accord de
création du projet d'Équipe Conjointe d'Investigation (ECI) en
présence des Directeurs généraux de la police de ces trois
pays ainsi que des ministres de l'Intérieur.
Placée sous la direction opérationnelle du
Niger, l'équipe est composée de douze policiers nigériens
assistés de trois policiers espagnols et de trois policiers
français. Elle est dotée d'un budget de 6 millions d'euros pour 3
ans. La première phase étant terminée, le projet a
été renouvelé pour trois ans avec le même budget.
Afin d'opérationnaliser cet accord, la direction générale
de la police nationale a créé au sein de la Direction de la
surveillance du territoire une unité spécialisée
chargée de la répression de la traite des êtres humains, du
trafic illicite de migrants et de la fraude documentaire (DIS-ECI). Selon le
Directeur régional de la police d'Agadez cette institutionnalisation est
suivie de la création de brigades inter-régionales de lutte
contre le trafic illicite de migrants, la traite des personnes, la fraude
documentaire. Trois antennes régionales sont installées à
Agadez, Zinder et Tahoua comme relais dans la lutte contre la migration de
transit. Trois officiers de la Direction de la Surveillance du territoire sont
nommés chefs d'antennes et Tillabéri et Dosso sont couverts par
l'équipe de Niamey. La création DIS-ECI au sein de la DST
institutionnalise la lutte contre la migration irrégulière au
Niger. Elle dégage de facto des ressources matérielles et
humaines pour conduire cette tâche au niveau des points d'entrés
officiels (voir carte ci-dessous).
25
https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/region/sahel-lake-chad/niger/creation-dune-equipe-conjointe-
dinvestigation-eci-pour-la-lutte-contre_en
96
Carte 5 : Les points d'entrées officiels des
migrants au Niger
Source : Notre étude
On retiendra donc que c'est dans la dynamique collaborative
avec l'UE que le Niger a institutionnalisé la lutte contre la migration
irrégulière.
4.1.2.3 Prendre en compte le trafic illicite de
migrants dans les attributions de l'ANLTP
Au Niger, c'est le décret n° 2012-083/PRN/MJ du
21 mars 2012 qui détermine l'organisation, la composition et les
modalités de fonctionnement de l'Agence Nationale de Lutte contre la
Traite des Personnes (ANLTP). Ce texte détermine également ses
attributions à savoir la gestion de la traite des personnes à
travers l'amélioration du cadre juridique et institutionnel, la
formation des acteurs, la sensibilisation des couches vulnérables, la
collecte des données et les études. Ce décret fait suite
à l'ordonnance 2010-86 sur la traite des personnes. Il permet au pays de
disposer d'une institution dédiée à la traite des
personnes. La particularité du décret de 2012 est qu'il fait le
lien entre les migrations et la traite des personnes. En effet, « il
existe une forte interrelation entre la traite des personnes et le trafic
illicite des migrants en ce que la seconde
97
débouche sur des formes diverses d'exploitation
constitutives de la première. Autrement dit, la traite des personnes est
dans beaucoup de cas la conséquence directe du trafic illicite de
migrants d'autant plus que l'économie du passage clandestin est
financée en partie par l'exploitation des migrants illégaux. Ces
derniers étant parfois transportés à crédit, ils
sont une fois à destination, exploités pour « rembourser
» les passeurs ou des intermédiaires. » (Rapport bilan,
2017).
Plus récemment, le pays ayant adopté la loi
n° 2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite des migrants, il
s'est avéré nécessaire que l'architecture institutionnelle
de l'agence puisse prendre en charge les aspects liés au trafic illicite
de migrants. C'est dans cette perspective que le gouvernement a pris
l'initiative de modifier et compléter le décret créant
l'ANLTP. « Il est apparu nécessaire de modifier et de
compléter le décret du 21 mars 2012 pour prendre en compte
notamment la question du trafic illicite des
migrants.»26.
Cette modification du décret donne à l'agence
la base légale de mener conformément à ses attributions
des activités relatives au trafic illicite de migrants. Ces
activités sont pour l'essentiel la formation des acteurs de la chaine
pénale, les sensibilisations, la collecte de données et la
gestion du TIM.
Photo 1: Plaque de l'ANLTP/TIM à Birni N'konni une
ville de transit
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Birni Konni, avril
2018
26
https://www.presidence.ne/conseils-des-ministres/2018/3/8/communique-du-conseil-des-ministres-du-jeudi-08-mars-2018
98
Elles repositionnent surtout l'agence comme acteur majeur dans
le cadre du TIM dans un contexte où plusieurs acteurs (DST, FDS,
DGEC/M/R) tentent de se positionner pour bénéficier des
ressources provenant de partenaires divers comme l'ONUDC, EUCAP Sahel Niger,
Projet GARSI Niger, ECI Niger et OIM.
La modification du décret permet également aux
acteurs de la chaine pénale de faire de la lutte contre le TIM une
priorité, l'agence dispose de bureaux régionaux logés au
sein des tribunaux de Zinder, Tillabéri, Agadez, Birni N'Konni, Niamey,
Arlit et Tahoua. Elle donne donc plus de présence géographique et
donc plus de capacité à mettre en oeuvre des activités sur
le terrain à l'Agence. Mais dans la pratique entre la forte
médiatisation de l'institution et le résultat sur le terrain,
l'écart est grand.