4.1.2.1 Un cadre de concertation pour réunir les
acteurs de la migration au Niger
Le Niger a participé les 11 et 12 novembre 2015
à La Valette à Malte au sommet sur la migration ayant
réuni les chefs d'États africains et européens. Cette
rencontre a abouti à la mise en place d'un fonds fiduciaire d'urgence
dédié à la lutte contre la migration
irrégulière dans les pays de départ et de transit en
Afrique. Situé entre l'Afrique arabo-berbère et l'Afrique noire,
le Niger a un rôle central à jouer dans ce processus. C'est
pourquoi dans la continuité des engagements pris au sommet de La
Valette, une table-ronde sur la migration a conjointement été
organisée par la Délégation de l'Union européenne,
la mission Eucap-Sahel et les autorités nigériennes à
Niamey les 3 et 4 février 2016. Au nombre des recommandations issues de
cette assise, figurent la mise en place d'un cadre de concertation sur la
migration (CCM) et son secrétariat permanent (SP). Il est
formalisé à travers l'arrêté conjoint
n°0316/MI/SP/D/AC/R/MJ/GS du 02 mai 2016 cosigné par le
ministère de l'Intérieur et celui de la justice. Cette double
signature révèle la dispersion des acteurs en charge de la
migration dans plusieurs institutions de la République. Par-delà,
il est révélateur du conflit de leadership quant à la
paternité de la gestion de la migration entre les deux institutions. Le
ministère de la Justice initiateur de la loi 2015-36 estime être
en droit de poursuivre la dynamique tandis que l'intérieur s'estime plus
légitime puisqu'ayant en charge la gestion des entrées et des
sorties sur le territoire national.
En fin de compte, le ministère de l'intérieur
semble tirer son épingle du jeu. En effet, l'arrêté qui
consacre le CCM lui confère la présidence du Cadre tandis que le
ministère de la Justice assure la vice-présidence.
L'exécutif est complété par deux rapporteurs et 25
membres. Pour le fonctionnement, il est prévu quatre (4) réunions
ordinaires par an et des réunions extraordinaires en cas d'urgence. Au
plan opérationnel, le cadre de concertation a pour mission de coordonner
les actions de l'État et des partenaires techniques et financiers, de
renforcer la synergie entre acteurs et de mener des actions de plaidoyer.
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4.1.2.1.1 Quand l'Union européenne finance le
cadre de concertation sur la migration
La collusion entre le Niger et l'UE sur la migration peut
s'appréhender à travers les sources de financement du CCM. En
effet, pour un service étatique, les fonds qu'il mobilise pour la mise
en oeuvre de ses activités sont révélateurs des enjeux
qu'il présente. En 4 ans d'existence le CCM a tenu 5 sessions, une (1)
à l'hôtel Gaweye, trois (3) au Soluxe Hôtel et un (1)
à l'espace Soleil d'Afrique. À cette période le Soluxe
Hôtel de Niamey est l'espace hôtelier le plus cher de la capitale.
C'est cet endroit qui est choisi pour accueillir les rencontres afin de
répondre à l'exigence des bailleurs quant à la
sécurité des lieux. C'est aussi la preuve d'une absence de
problème de financement. Le partenaire stratégique, l'UE, est
disponible pour financer les activités du CCM pourvu que cela permette
d'aboutir à des résultats.
La capacité financière du CCM s'apprécie
également à travers la provenance géographique des
participants aux réunions du CCM. Outre ceux de Niamey, certains
viennent d'Agadez, Zinder et Tahoua, autant de régions
considérées comme des espaces de transit ou de départ de
la migration en direction de l'Afrique du Nord. Leur présence
représente un enjeu important dans le cadre de la coordination. C'est
pourquoi malgré le coût lié à leur
déplacement une à deux personnes sont conviées par
région à chaque session. Il s'agit du président du conseil
régional et /ou du maire. Les frais de mission, les perdiems et la prise
en charge constituent un budget conséquent qui nécessite une
forte mobilisation financière. Le CCM peut se permettre de convier les
participants des régions, car l'UE est disponible pour financer.
La migration de transit est un axe majeur de la
coopération entre l'UE et le Niger. Il sied donc à l'UE de faire
en sorte que le CCM fonctionne pour le suivi des activités au niveau
politique et s'assurer de l'engagement de l'État du Niger à
lutter contre la migration irrégulière. Le CCM est donc un cadre
mis en place par l'UE pour atteindre ses objectifs d'endiguement de la
migration de transit.
Depuis 2019, les réunions du CCM se passent sous un
autre format dont une réunion préparatoire
généralement délocalisée à Dosso à
139 km de Niamey. Une réunion technique est organisée en
matinée avec l'ensemble des acteurs intervenant dans le domaine de la
migration au Niger. L'après-midi est consacré à la
réunion politique présidée par le Ministère
d'État, ministère de l'Intérieur, en présence de
l'ambassadeur-chef de fil de l'UE et ceux des pays membres ainsi que des
représentants des organisations internationales
accréditées au Niger. Après les allocutions d'ouverture
des deux officiels, le SP/CCM présente les efforts du Niger dans la
lutte contre la migration irrégulière. Ainsi, à la
réunion de juillet 2019, le DGEC/M/R a
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présenté les chiffres transmis par la DGPN au
ministre d'État par rapport au suivi des mouvements de personnes
notamment sur l'axe Tahoua-Agadez et Zinder-Tahoua. Le document met en exergue
la baisse des chiffres sur les mouvements de migrants. Prenant la parole le
ministère d'État a indiqué que ces résultats sont
dus aux efforts de l'État dans le cadre de ses engagements avec l'UE
dans la lutte contre la migration irrégulière. L'État est
tenu de rendre compte des progrès réalisés dans le champ
de cette collaboration. Le CCM apparait aussi comme un espace que l'État
utilise pour montrer à l'UE qu'il a créé les conditions
afin de permettre aux acteurs de mettre en oeuvre leurs activités dans
le domaine de la migration.
Dans la pratique l'État profite des réunions du
CCM pour garder la main sur les discussions en liens avec la migration. Ainsi,
c'est une tribune que l'État et ses démembrements saisissent pour
rappeler les acteurs au respect de leurs engagements et au suivi des actions
mises en oeuvre sur le terrain. Par exemple, à la réunion du CCM
de juillet 2019, le ministre d'État n'a pas manqué de rappeler au
HCR et aux pays européens le respect de leurs engagements sur la
réinstallation. Il a d'ailleurs mis en doute le besoin de protection
internationale de personnes évacuées de la Libye. Pour lui
« ce sont des voyous, des derniers de la société, qui se
sont retrouvés en Libye à un moment. Même si vous les
amenez en Europe. Ils vont rester toujours derniers. Avec cette allure si je
devais reprendre l'ETM, je ne pense pas pouvoir le faire ». Ces
propos font suite à un tour de table des ambassadeurs des pays de l'UE
et de la représentante du HCR qui se sont félicités de la
générosité du Niger vis-à-vis des
évacués de la Libye.