En 1971 le paysage sociopolitique et économique de la
région d'Agadez a connu l'intrusion d'un nouvel acteur qui va rester
jusqu'au début des années 2000 : il s'agit du touriste. En effet,
l'accueil en 1971 des premiers touristes par l'agence Croix du Sud dans
l'Aïr constitue un tournant décisif dans la promotion du tourisme
dans la région. Durant la première décennie (7080),
l'activité était détenue par des Européens. Mais en
1980, le décret portant l'exploitation des agences de tourisme par les
nationaux est un pas décisif dans l'appropriation de cette
activité par les nationaux notamment les Touaregs. Très vite, des
agences de voyage se mettent en place avec en parallèle le
développement de plusieurs petites activités qui se greffent au
tourisme (Brachet, 2007). Comme support à cette nouvelle
activité, des agences de voyages et de tourisme (au nombre de 27 en
1997) se mettent en place dans la région pour faire découvrir aux
touristes les merveilles de l'Aïr et du Kawar. Le point culminant de cette
activité est le passage du Rallye Paris-Dakar dès sa
première édition en 1978 dans la région avec une
journée de repos à Agadez. Très vite une économie
locale du tourisme s'installe dans la région comprenant le transport,
l'hébergement, la restauration et l'artisanat « Au cours des
années quatre-vingt et jusqu'à la rébellion, le tourisme
va être au coeur des dynamiques régionales et surtout urbaines.
Agadez, plus que son arrière-pays, voit naître et se
développer toute une série d'activités qui en feront un
pôle économique régional et non plus seulement une
préfecture de départements. Cette mutation s'accompagna
d'importantes recompositions socio-économiques marquées par
l'émergence de nouvelles hiérarchies avec à leur
tête les animateurs du tourisme et certains groupes socioprofessionnels
qui en profitaient largement (artisans-forgerons) » (Grégoire,
2006, p98). Le tourisme est porteur de prospérité
économique, de brassage culturel pour Agadez. C'est le noeud de la
notoriété de la ville. Toutes les activités
économiques étaient suspendues au tourisme « chaque
année, des sommes importantes étaient ainsi injectées dans
l'économie locale (300 à 500 millions de francs FCFA selon les
estimations) » (Grégoire, 2006).
« les restaurants et les agences de voyages,
l'épreuve bénéficiait à toutes sortes de petits
métiers (garagistes, vendeurs en tout genre, artisans,
chasse-touristes,
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gardiens, etc.) et de personnes (prostituées,
fonctionnaires et particuliers qui louaient maisons et véhicules au prix
fort). Même l'administration profitait de sa venue par la perception d'un
surcroît de taxes et la location de lieux d'hébergement et
d'entrepôts. Outre ces retombées directes, le rallye fut un
excellent moyen pour promouvoir à moindres frais la région
d'Agadès en Europe où la course faisait l'objet de nombreux
reportages dans la presse écrite et à la
télévision. »
Au-delà de l'impact économique du tourisme sur
la région d'Agadez durant la période de gloire plusieurs ONG
voient le jour en Europe à l'initiative de ces mêmes touristes
pour favoriser l'assistance dans le domaine de la santé, de
l'éducation et de l'hydraulique. Le tourisme a donc indirectement
donné naissance à une intervention humanitaire dans la
région d'Agadez. Il aura aussi une dimension politique. En effet, Mano
Dayak, principal promoteur du tourisme local, fort de son carnet d'adresses
n'hésita pas à déclencher une rébellion
armée au début des années 1990. Ainsi, l'un des faits
marquants dans la région au cours des années 1990 est sans doute
le déclenchement d'une rébellion armée dans le nord du
Niger portée par des ressortissants des régions nomades de Tahoua
et Agadez. Les fronts armés regroupés autour de la coordination
de la résistance armée (CRA) dirigée par Mano Dayak,
revendiquent des meilleures conditions sociales, plus de place dans
l'administration et le pouvoir central pour les communautés minoritaires
arabes et touarègues qu'ils représentent. Les différents
fronts recrutent leurs combattants au niveau local mais aussi en Libye puisque
plusieurs d'entre eux ont appartenu à la Légion islamique du
Colonel Khadafi. La rébellion touarègue s'enlise et reçoit
des soutiens de la France (en raison de liens d'amitié tissés
durant le tourisme) qui à travers les médias relai l'opinion des
rebelles et à leur demande devient le principal négociateur dans
les pourparlers qui les liaient aux autorités de Niamey. L'accord de
paix signé le 24 avril 1995 abouti à l'adoption de la
décentralisation comme mode de gouvernance, la réinsertion dans
les corps des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) des
ex-combattants, mais aussi à l'amnistie. Une nouvelle période de
stabilité et de sécurité voit alors le jour. Les agences
de tourisme reprennent leur activité sans atteindre leur gloire des
années 1980. Toutefois le tourisme s'impose comme l'un des premiers
secteurs d'emplois informels de la région d'Agadez malgré la
baisse des fréquentations. C'est dans ce contexte qu'en 2007 une
nouvelle rébellion armée sous le nom du Mouvement des
Nigériens pour la justice (MNJ) voit le jour dans la région. Ce
dernier dénonce
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« la mal gouvernance, l'absence de
développement et les exactions du pouvoir, thèmes de l'ancienne
rébellion, auxquels s'ajoute l'échec de l'application des accords
de paix ».21
Cette fois-ci l'État central ne la reconnaitra pas
comme mouvement armé. Après deux ans de combats armés,
elle finit par déposer les armes sous l'injonction du Président
Kadhafi. Cette nouvelle période d'insécurité emporte le
tourisme. En l'absence d'un plan de reconversion comme lors de la
première rébellion, les ex-rebelles sont invités par
l'État central à faire le transport des migrants vers l'Afrique
du Nord, une activité en plein essor. Le transport des migrants devient
ainsi le secteur de cantonnement des anciens rebelles.