« Le Niger, pays de transit par excellence, est
témoin de ces drames qui se jouent sur son territoire : exploités
par d'ignobles trafiquants véreux et sans scrupules, des centaines de
migrants meurent pendant la traversée de notre vaste désert. Ceux
qui arrivent à survivre doivent affronter la traversée d'un autre
désert, le désert libyen, puis celle de la
Méditerranée où nombre d'entre eux s'y noieront par
centaines. Chaque année, c'est plus de 100 000 migrants subsahariens qui
transitent par mon pays le Niger en direction de l'Europe, soit l'essentiel du
flux migratoire africain sur cette destination » (Discours du
Président Issoufou Mahamadou, 11 novembre 2015).
Le sommet de La Valette qui s'est tenu à Malte les 11
et 12 Novembre 2015 peut être considéré comme
l'entrée officielle du Niger dans le partenariat international de lutte
contre la migration dite irrégulière. Cette participation est
l'achèvement d'un long processus qui a vu plusieurs responsables
européens défiler au Niger comme le notait Giuseppe Loprete, chef
de mission de l'OIM au Niger lors de la visite de la chancelière
allemande Angela Merkel « Le Niger a une très bonne
collaboration avec les pays de l'Union Européenne. Les leaders de
l'Union
20 Le 19 juillet 2019, l'armée
française annonce la mise en sommeil de la base de Madama
76
Européenne viennent pour discuter avec le
Président Issoufou Mahamadou, et trouver des solutions, en collaboration
avec des pays de transit comme le Niger et les pays d'origine en Afrique de
l'Ouest ». Épicentre des flux migratoires en direction de
l'Europe, le Niger qui se trouve dans une situation financière
précaire compte bien saisir l'opportunité que lui offre la
migration comme l'attestent ces propos :
« Aujourd'hui l'intérêt des
Européens pour la migration de transit au Niger est une
opportunité que le Niger doit saisir pour que les « blancs »
investissent dans les projets de développement au Niger. C'est la vision
actuelle des autorités. Le ministre et le Président sont tous
dans cette logique. D'ailleurs, on ne fait rien. Si c'étaient les autres
pays, les Maliens et les Sénégalais, ils allaient mieux exploiter
l'opportunité que nous. » (Entretien, Niamey, ministère
de l'Intérieur, 29 décembre 2016,).
De leur côté les Européens sont bien
conscients qu'ils doivent payer en cash la collaboration des gouvernements
africains sur le dossier migration. C'est dans cette perspective qu'ils
décident au sommet de La Valette de mettre en place un Fond
fiduciaire d'urgence pour la stabilité et la lutte contre les causes
profondes de la migration et du phénomène des personnes
déplacées Afrique. Le fond couvre les aspects suivants :
· avantages des migrations en termes de
développement et lutte contre les causes profondes de la migration
irrégulière et du phénomène des personnes
déplacées ;
· migration légale et mobilité ;
· protection et asile ;
· prévenir la migration
irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres
humains et lutter contre ces phénomènes ;
· retour, réadmission et
réintégration.
Dans la foulée de l'adoption du fond fiduciaire
d'urgence pour l'Afrique, le Niger bénéfice d'un
décaissement de 140 millions d'euros pour divers projets. Dans ce
contexte l'UE est en bonne position pour exiger des résultats au pays en
termes de lutte contre la migration dite irrégulière et
d'asile.
3.4 Présentation de la zone
d'étude
3.4.1 Agadez : une ville aux portes du
Sahara
Située dans la partie nord du Niger, la région
d'Agadez couvre une superficie de 667 799 km2 soit 52,6% de la
superficie totale du pays. Peuplée de 487 620 âmes au RGPH de
2012, Agadez est l'une des régions les moins peuplées du Niger
avec un climat de type sahélo-saharien où le
77
désert est très dominant. Elle partage plus de
350 km de frontière au nord avec la Libye et plus de 1000 km avec
l'Algérie. Très éloignée des régions sud du
pays favorables aux cultures vivrières, Agadez a entretenu des relations
commerciales depuis le XVème siècle avec le Maghreb à
travers le commerce transsaharien. L'histoire enseigne qu'Agadez, ville
située aux confins du Sahara est née du passage des caravaniers.
Elle servait de point de transit pour les caravaniers voulant relier le nord et
le sud des régions sahariennes et sahéliennes. Selon Adamou
Aboubacar « Cette survie, elle la doit sans doute à sa fonction
économique en tant que carrefour privilégié par sa
position intermédiaire entre les régions au sud et au nord du
Sahara, et à sa fonction politique comme siège du sultanat de
l'Aïr. Ces rôles furent d'ailleurs à l'origine de
l'implantation de l'administration coloniale dans cette localité, ce qui
renforça sa position de capitale régionale » (Aboubacar,
1979). Ce rôle de carrefour, la petite ville d'Agadez le joua
pendant des siècles. Il sera renforcé pendant la période
coloniale par les Français qui s'y installèrent pour mieux
contrôler leurs possessions notamment au Tchad, en Algérie, au
Mali en vue de bâtir un vaste État saharien. Aujourd'hui, c'est
une région composée de six départements (Bilma, Arlit,
Tchirozérine, Iférouane, Ingal et Aderbissinat) où vivent
des populations de plusieurs ethnies. Sa position de carrefour la place au
coeur de la migration entre l'Afrique sub-saharienne et le Maghreb.
3.4.2 Une évolution sociale et économique
marquée par des profondes mutations
La sècheresse de 73-74 qui a décimé
largement les troupeaux des éleveurs et la prospérité
économique des États maghrébins ont été
à l'origine d'une migration des ressortissants d'Agadez vers
l'Algérie et la Libye pour y travailler dans le jardinage,
l'élevage, le bâtiment, etc., ou souvent pour exercer des
activités commerciales. C'est à cette période que se met
en place progressivement le trafic des denrées alimentaires
subventionnées au Maghreb irrégulièrement exportées
dans la région nord du Niger qui profite de ce fait de prix relativement
réduits par rapport au reste du pays. Les activités
transnationales illicites autour de la frontière - appelées afrod
par les communautés locales répondent à une certaine
idée de la liberté, de l'indépendance, de
l'autodétermination et de l'autonomie, qui encourage les jeunes gens
à s'embarquer dans un business risqué (Kohl, 2013). Au fil des
décennies, une dépendance accrue de la région nord de ces
voisins sahariens s'instaure. Cette dépendance s'apprécie en
termes de destination pour les migrations au départ de la région
d'Agadez mais aussi dans l'importation informelle de certains biens tels que
les pâtes alimentaires, le lait, le gaz, les tapis, etc. Le Sahara
nigérien vaste désert compris entre la région d'Agadez et
la Libye et l'Algérie régulièrement traversées par
ces mouvements humains a donc été dès le début des
années 1970 l'espace de
78
trafic de part et d'autre des frontières
maghrébine et nigérienne. Ce trafic selon Inès Kohl est
l'oeuvre des Touaregs sur l'axe Arlit/Algérie et des Toubous sur l'axe
Libye/Niger. Ainsi, s'instaure une forme de territorialité et de
contrôle de l'espace dans le « business de la frontière
» dont les populations vivant de part et d'autre de la frontière
sont passées maîtres. Par-delà, le Sahara a subi
également des nombreuses transformations : développement du
Tourisme, trafic de drogues, rébellion, transport de migrants (Bourgeot,
2010).