L'émigration internationale des Nigériens est
un phénomène ancien qui date de la période coloniale.
Déjà en 1957, Jean Rouch notait la présence de migrants
ressortissants de l'espace nigérien en Gold Coast (actuel Ghana). C'est
une migration de travail qui relève de la recherche d'un bien être
ou de l'aventure.
À l'échelle globale la migration des
Nigériens vers le golfe de Guinée peut s'inscrire dans le
prolongement de la migration de travail créée et entretenue par
la colonisation : les pays sahéliens doivent fournir la main d'oeuvre
nécessaire au développement de l'économie de traite, des
plantations en RCI. Les migrations constituent donc à la fois l'un des
éléments et l'une des conséquences des stratégies
de développement mises en oeuvre par la colonisation et basées
essentiellement sur l'économie de plantations. (Mounkaila, 2006).
Cette fonction de pourvoyeur de main d'oeuvre a
été surtout assignée aux populations ressortissantes du
Gourma malien et burkinabé. Même si n'ayant pas été
directement visée par cette tâche, les populations du Gourma
nigérien ne vont pas tarder à emprunter le chemin de
l'émigration internationale pour diverses raisons : recherche du
numéraire pour payer l'impôt colonial, volonté
d'échapper à la rudesse du système colonial
français, aventure, recherche de biens matériels.
À l'indépendance du pays, les
difficultés économiques du jeune État auxquelles
s'ajoutent les crises alimentaires et les famines récurrentes ont
consolidé l'émigration internationale des Nigériens vers
les régions côtières du Ghana, de la Côte d'Ivoire,
du Togo et du Bénin. Elle va
52
s'élargir vers l'Afrique du Nord dès les
années 1960 avec la prospérité des États du
Maghreb, les sècheresses et les rebellions des années 90 comme le
confirment ces propos :
« L'émigration est une stratégie de
survie à Tchintabaradem. Elle est très développée
et affecte l'ensemble de la population. Les principales destinations sont
l'Algérie et la Libye.il est très rare de voir un jeune de 18 ans
(qui n'est pas scolaire) qui n'a pas voyagé dans un de ces deux pays.
Les départs s'observent sur toute l'année avec une
légère augmentation pendant la période de fraicheur qui
donne une certaine facilité aux conditions de voyages ».
(Entretien, Ayatollah, Tchintabaradem, janvier 2021).
Les Nigériens, notamment des régions de Tahoua,
Agadez et Zinder, s'y orientent pour servir de main-d'oeuvre dans les grands
chantiers engagés à cette période. Les années 1980
-1990 marquent un tournant dans l'émigration internationale des
Nigériens. En effet, la persistance des difficultés
économiques nées de la chute du prix de l'uranium, le
caractère quasi cyclique des famines et crises alimentaires, les
conséquences de l'ajustement structurel ont donné lieu à
des crises tant en milieu urbain que rural. Au même moment, dans les pays
d'accueil comme en RCI cette période coïncide avec l'instauration
de la carte de séjour. Comme réponse à cette conjoncture,
il s'en suit un élargissement et une réorientation de l'espace
d'émigration internationale des Nigériens. Désormais, ils
découvrent l'Afrique centrale : Cameroun, Gabon, Congo. Ils
émigrent en Arabie Saoudite, en Europe et aux États Unis. Les
lieux de départ sont le milieu rural et urbain et les destinations se
diversifient comme le soulignent (Boyer et Mounkaila, 2010). « La
diversification des destinations au fil des décennies répond,
d'une part, aux difficultés grandissantes d'insertion professionnelle
dans nombre de villes de la sous-région, et d'autre part, aux
difficultés de circulation et d'installation même temporaire dans
certains pays. Par ailleurs, un autre avantage de cette diversité des
lieux possibles est qu'en cas de crise, d'impossibilité de circuler dans
l'un ou l'autre des pays, les migrants ont la capacité de se replier
ailleurs ». Par exemple durant la crise en RCI, il est noté une
réorientation des flux vers la Libye, l'Algérie, Nigéria
et le Bénin.
De plus en plus, les inondations apparaissent comme des
facteurs poussant à l'émigration car détruisant les moyens
d'existence de la population. Ainsi, en 2020 à la suite des fortes
précipitations enregistrées des milliers de personnes
sinistrées furent contraintes d'abandonner leur résidence. Le
long du fleuve Niger, les exploitations rizicoles ont été
fortement endommagées compromettant ainsi l'alimentation de plusieurs
mois de nombreux ménages. Dans la recherche de solutions à ce
phénomène conjoncturel, l'émigration apparait dans bien de
cas comme une alternative.
53
De manière générale l'émigration
internationale des Nigériens est une migration circulaire
ponctuée par des allers retours entre le pays d'accueil et le pays de
départ. Elle est désormais ancrée dans la stratégie
de gestion de la main d'oeuvre et du risque des ménages pour faire face
aux incertitudes de la saison des pluies. La migration circulaire est l'une des
pratiques migratoires les plus répandues car elle répond aux
contraintes du milieu local. Elle assure l'équilibre du couple
agriculture-migration, le maintien du peuplement dans les espaces de
départ et permet aux paysans d'assumer les contraintes des
systèmes de production. (Boyer et Mounkaila, 2013). Toutefois, il existe
des cas où cette migration temporaire et circulaire devient
définitive. Il subsiste un nombre important de communautés
nigériennes établies au Ghana, Bénin, RCI, Nigéria
et au Soudan.
L'analyse spatiale de l'émigration internationale des
Nigériens en fonction des régions de départ montre que les
émigrants nigériens viennent des régions de Dosso,
Tillabéri, Tahoua, et plus marginalement Zinder.
En 2019, les statistiques des Nations Unies indiquent que 401
653 Nigériens résident hors de leur pays dont 364 562 soit 91%
vivent en Afrique de l'Ouest. Dans cette région, les principaux pays
d'accueil sont le Nigeria (118 119), le Bénin (77 300), la Côte
d'Ivoire (67 766), le Togo (66 155), le Burkina Faso (13 155) et le Mali (12
863). Les Nigériens représentent la deuxième
communauté étrangère la plus importante au Togo avec 24%
du nombre total des migrants internationaux résidant dans ce pays. Au
Bénin, ils viennent en 3ème position et au Nigeria en
5ème position (Nations Unies, 2019).
L'émigration internationale des Nigériens
s'explique souvent par des raisons d'études, de regroupement familial
notamment pour les femmes, d'aventure et de travail. Il faut noter la
féminisation de l'émigration internationale au Niger (JMED 2014,
Maliki Rabo, 2016, Manou Nabara, 2019) avec le départ des femmes de
Kantché vers l'Algérie, le Tchad et le Soudan, des femmes bororos
vers le Burkina Faso, le Mali et le Sénégal.
2.1.3 L'immigration internationale
2.1.3.1 Une immigration internationale
transfrontalière
Au Niger, l'immigration demeure faible à cause des
conditions économiques qui offrent peu d'opportunités d'emploi.
Néanmoins, le pays accueille des immigrants internationaux. Il s'agit en
majorité des ressortissants des pays voisins : « les immigrants
proviennent à 93% de 6 pays : Mali, Burkina Faso, Nigéria,
Bénin et dans une moindre mesure Togo et Côte d'Ivoire. Ces
54
pays sont membres de la CEDEAO » (OIM, Niger, Profil
2009). C'est une immigration transfrontalière qui remonte à la
colonisation et qui s'est consolidée après les
indépendances. Ainsi, en termes d'effectifs les Maliens et les
Nigérians sont les plus nombreux au Niger. Ils monopolisent certains
domaines d'activités notamment la blanchisserie pour les Maliens (Ayouba
Tinni, 2015), la vente des pièces détachées pour les Ibos,
le maraîchage pour les Burkinabè. On note aussi la présence
au Niger d'immigrants ressortissants de l'espace CEDEAO non frontalier avec le
Niger. Ils exercent dans le domaine de la restauration, la domesticité
et du commerce d'articles divers.
Plus récemment, la découverte de l'or dans le
Nord du Niger a favorisé l'immigration de populations soudanaises et
tchadiennes sur les sites aurifères du Djado et à Tiberkatan,
comme le confirment ces propos « Le gouvernement a fermé en
février 2017 un autre site aurifère découvert en 2014 dans
le Djado et où travaillaient également plus de 20.000
Nigériens, Tchadiens, Libyens et Soudanais, selon les autorités
locales »14. Dans l'ouest du Niger, il importe de
souligner la présence des immigrants burkinabés et maliens sur
les sites d'or des départements de Téra et Gothèye.
Dernièrement, la forte demande en construction dans la
capitale a favorisé l'immigration à Niamey de jeunes venus de la
sous-région spécialisés dans le domaine de la construction
: maçons, plombiers, électriciens, carreleurs et staffeurs pour
satisfaire un besoin dans un domaine où les compétences locales
demeurent faibles ou inexistantes.
Le Niger accueille également des immigrés
turcs, indiens, chinois, libanais très actifs dans le commerce
général, l'hôtellerie, les services, la construction et les
articles divers.
Tableau 2:Répartition des immigrants par
nationalité
Source : RGP/H, 2012
2.1.3.2 Une immigration internationale de transit
importante
Le profil migratoire du Niger inclut également la
migration de transit. Cette fonction de carrefour correspond historiquement
à trois phases importantes des mouvements migratoires entre le Sahel et
le Maghreb (Mounkaila, 2010). Il s'agit de l'apogée du commerce
transsaharien (du 10e au 19eme siècle) marqué par des
échanges entre l'Afrique Noire, le Maghreb et l'Égypte. Durant
cette période « Agadez devient le port de l'Afrique en direction du
Maghreb et elle est la plaque tournante pour le trafic de l'Empire du Mali vers
le Fezzan et vers la Tripolitaine. Des commerçants venus aussi bien du
Nord que du Sud du Sahara, commençaient à se fixer. La ville
était cosmopolite et plusieurs langues africaines étaient
parlées », (Aboubacar, 2007).
La deuxième phase s'étend de la colonisation
à la fin des années 80. Cette période correspond à
l'introduction de l'automobile pour relier les deux rives du Sahara via les
anciennes routes caravanières. Elle se singularise par l'essor des
migrations de travail des Sahéliens vers les pays du Golfe de
Guinée et accessoirement le Maghreb. Elle est consécutive aux
grands travaux et aux projets de développement lancés en
Algérie et en Libye dont la mise en oeuvre nécessite une main
d'oeuvre qui n'est pas disponible localement (Brachet, 2007, p37). Il a donc
dans ce contexte fallu encourager l'arrivée de la main-d'oeuvre
immigrante. Celle-ci s'est amplifiée dans les zones de départ par
les grandes sècheresses de 1969 et 1973 qui ont décimé une
bonne partie du cheptel sahélien. Les nomades nigériens dans ce
contexte ont dû quitter pour le Maghreb afin de servir comme
travailleurs. Le Niger a donc servi à la fois d'espace
d'émigration pour le Maghreb mais aussi de transit pour les autres
Sahéliens voulant se rendre en Afrique du Nord.
La troisième phase commence à la fin des
années 80. Elle fait suite à la découverte de l'uranium
à Arlit à 240 km au Nord d'Agadez. Dans la suite de la mise en
exploitation de ce minerai stratégique le Gouvernement du Niger a
investi 30 milliards de francs CFA pour la construction d'une route dite de
l'uranium permettant de relier Agadez au reste du pays. Cette infrastructure
56
sera suivie quelques années plus tard du bitumage de la
route Zinder-Tanout-Agadez. Le développement du réseau routier a
permis de désenclaver la vaste région désertique et de le
connecter au reste du pays et de la sous-région (Bensaâd, 2002).
Ainsi, Agadez se trouve relié à l'ouest du pays et par
conséquent au Sahel central et au Golfe de Guinée. Au Sud, la
région est connectée aux grandes villes du Nigeria comme Kano,
Lagos et à l'Atlantique. Notons que la mise en place du réseau
routier a permis de détourner les flux et trafic le
Tahoua-Ingall-Tamanrasset au profit du tronçon Agadez-Arlit
Tamanrasset.
La mise en place du réseau routier connectant Agadez
au reste du monde correspond également à une période de
difficultés économiques dans certains pays d'Afrique de l'Ouest.
Les politiques d'ajustement structurel ont eu des effets néfastes sur la
création ou la consolidation de l'emploi dans bon nombre de pays. Dans
ce contexte, les flux de migrants se tournent en direction du Maghreb où
le boom pétrolier continu à attirer les jeunes du continent dans
un contexte marqué aussi par une politique panafricaniste du
Président Kadhafi. Ces flux qui traversent le Niger, ont
participé à consolider Agadez comme espace de transit. La
décennie 80 se distingue par la croissance des passages des
ressortissants africains vers le Maghreb. Dès cette époque le
Niger s'affirme comme espace de transit et d'émigration vers le Maghreb.
La fonction de couloir de transit a connu un nouveau tournant dans les
années 1990 à la suite de l'élargissement des aires de
recrutement à l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du Centre en lien
avec les difficultés économiques nées de l'ajustement
structurel de cette décennie, la dévaluation du franc CFA et des
crises politiques en RCI, en Sierra Léone et au Liberia. Elle s'est
consolidée depuis la chute du régime de Kadhafi et la fermeture
des autres routes migratoires (Mali et Mauritanie) permettant d'accéder
à l'Europe via la Méditerranée occidentale. L'appartenance
du Niger et des pays d'origine des migrants à l'espace CEDEAO a
renforcé le transit dans le pays à cause des facilités de
mobilité en vertu des textes communautaires sur la libre circulation des
personnes et des biens.
À ce jour, la traversée via le Niger pour se
rendre en Europe, en traversant la Méditerranée centrale est
l'une des principales routes migratoires encore active. Chaque année des
milliers de ressortissants de l'Afrique subsaharienne traversent le Niger pour
se rendre au Maghreb et éventuellement en Europe (carte 2)
57
Carte 2: Routes migratoires traversant le Niger Source :
Notre étude
En 2015, l'OIM estime à 100 000 le nombre de migrants
transitant annuellement par Agadez et 333 891 en 2016. Ces chiffres tombent
à 69 637 en 2017 pour descendre à 18 792 en 2018. Ces
données sont collectées dans un contexte de mise en place d'une
politique restrictive des mobilités humaines en direction de l'Afrique
du Nord au Niger sous l'injonction de l'Union européenne qui a pour
autre conséquence l'émergence de nouvelles routes. Elle a rendu
moins visible une migration jadis irrégulière et pourtant
tolérée par tous. Ces chiffres ne reflètent donc que
très partiellement la réalité du terrain. Aujourd'hui dans
la région d'Agadez, les migrants vivent dans une situation de
vulnérabilité liée à la clandestinité. Les
passeurs qui les transportent empruntent des voies non balisées et
exposent par-là même leurs passagers.
Dans ce contexte, il est évoqué de plus en plus
l'irrégularité des flux transitant par Agadez. On parle de
migrants dits irréguliers. La notion d'irrégularité des
migrants se fonde sur la loi 201536 qui dans une de ses dispositions
criminalise la sortie illégale. C'est donc sur cette base que
58
tous les migrants se trouvant à Agadez sont
qualifiés d'irréguliers car n'ayant pas de visa pour se rendre en
Libye ou en Algérie.
Le caractère dit irrégulier de cette migration
de transit a donné lieu au développement de réseaux
transnationaux d'acteurs facilitant cette immigration dans la
sous-région. Au Niger, dans les villes de transit comme Agadez, Dirkou
et Arlit une véritable économie de la migration s'est
installée comprenant le rançonnage, l'accueil,
l'hébergement et le transport de migrants. Elle a aussi donné
lieu à l'installation de plusieurs organisations internationales dans la
commune urbaine d'Agadez qui offrent assistance aux migrants en transit. Les
plus emblématiques d'entre elles sont l'OIM et le HCR. La
première dispose d'un centre d'accueil de migrants souhaitant retourner
dans leur pays. Elle dispose de ce fait d'un dispositif pour acheminer les
migrants vers leur pays d'origine. La seconde a ouvert un bureau dans cette
ville afin d'identifier les potentiels demandeurs d'asile se trouvant dans les
flux migratoires. Une fois identifiés ces derniers sont orientés
vers les structures habilitées à donner l'asile. En attendant la
fin du processus, elle dispose d'un centre d'hébergement humanitaire
pour ces personnes qui relèvent de son mandat.
Au titre des tendances de l'immigration internationale de
transit depuis le début de l'application de la loi 2015-36 qui
réprime la migration dite irrégulière vers l'Afrique du
Nord on observe une baisse des flux sortants de la région d'Agadez en
direction du Maghreb. Inversement, on constate une augmentation des migrants de
retour à la suite des expulsions en Algérie et de la
dégradation de la situation sécuritaire en Libye.