Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrantspar Bachirou AYOUBA TINNI Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat 2021 |
Introduction généraleDepuis plus de dix ans, la migration s'est imposée comme sujet d'actualité sur la scène internationale en raison de sa forte médiatisation. Ainsi, elle a occupé une bonne place dans l'agenda de la diplomatie internationale. En effet, de plus en plus pour rejoindre l'Europe, certains migrants empruntent l'une des côtes de la Méditerranée (orientale, centrale et occidentale). Qu'ils partent de l'Afrique ou du Moyen Orient ces personnes tentent de contourner les restrictions sur la délivrance de visa Schengen. D'autres fuient la précarité économique, les conflits et les persécutions. C'est le cas des Syriens, Afghans ou Yéménites qui empruntent la Méditerranée orientale pour se rendre en Europe par voie maritime. Les départs à partir de l'Afrique passent par le Sénégal, le Mauritanie, le Maroc et les Iles Canaries puis la Méditerranée occidentale pour rejoindre les côtes espagnoles. Une seconde voie passe par le Niger ensuite l'Algérie ou la Libye et enfin la Méditerranée pour atteindre les côtes italiennes. Ces départs en partance de l'Afrique ont pris une ampleur sans précédent depuis la chute de M. El Kadhafi. On estime qu'entre 2014 et 2017 167 072 personnes sont arrivées en Europe via la Méditerranée (tableau 1) ci-dessous Tableau 1: Arrivées par la mer en Italie, en Grèce et en Espagne
Source : OIM, 2018 L'analyse du tableau indique que l'année 2015 se distingue avec un total de 1 012 801 personnes arrivées sur les côtes européennes. Le bilan humain est lourd comme l'atteste le tableau (2) 25 Tableau 2 : Nombre de décès de migrants dans la Méditerranée
Là, c'est l'année 2016 qui se distingue avec 5 143 décès enregistrés en mer. En Europe, en lien avec cet essor de la migration dite irrégulière en direction du vieux continent plusieurs initiatives sont développées pour trouver une solution à ce qui est désormais appelé « crise migratoire ». Ces actions sont portées par l'Union Européenne (UE) et/ou ses États membres en particulier ceux qui sont voisins de la Méditerranée notamment l'Italie, la France, l'Allemagne et l'Espagne très touchés par les arrivées. Dans cette dynamique, les pays de départ et de transit sont ciblés surtout sur le continent africain comme partie intégrante de la recherche de solution. C'est ainsi que l'EU et ses États membres ont conduit plusieurs actions en direction de l'Afrique pour réduire voire arrêter les flux en partance de ce continent. Ces actions prennent la forme de dialogues avec les États concernés, la mise en place de financement, le développement des zones de départ, la délocalisation de l'asile et la coopération policière. Le milieu académique et les activistes qualifient cette approche de l'UE d'externalisation du contrôle des frontières (Alaux J-P, 2006, p 6 ; Rodier C, 2008, p108 ; Ciré, 2019). Le Niger à cheval entre l'Afrique subsaharienne et l'Afrique arabo berbère a été ciblé par les actions de l'externalisation. Le pays est un espace de transit vers la Libye et l'Algérie et éventuellement la Méditerranée centrale (Brachet J, 2009, p30 ; Hamadou A, 2018, p 5 ; Boyer F, 2019, ; Mounkaila H, 2020). Plusieurs milliers de personnes arrivées en Italie via la Méditerranée centrale affirment avoir transité par le Niger. Pour réduire ces flux, des officiels européens se sont mobilisés pour chercher la collaboration du Niger sur ce dossier. Ainsi, entre 2015 et 2020, le pays a accueilli deux présidents français1, la chancelière allemande une fois2 26 et le président du conseil italien3. Lors de toutes ces visites la lutte contre la migration irrégulière et le terrorisme occupe une place de choix dans les échanges. Ces visites sont précédées de celles de plusieurs ministres dont ceux en charge de l'intérieur de l'Italie, de l'Espagne et de la France qui ont animé une table ronde sur la migration4. La diplomatie est aussi mise à contribution. Ainsi, les ministres français et allemands des affaires étrangères ont plusieurs foulé le sol nigérien donnant lieu à une « diplomatie de la migration ». Le commissaire européen en charge de la migration5 ainsi que le Président de la commission ont séjourné au Niger avec pour objectif de renforcer la collaboration avec ce pays stratégique dans la gestion des flux irréguliers en direction de l'Europe. Notons également l'engagement officieux des organisations internationales aux cotés de l' UE et de ses États membres dans la gestion de la crise migratoire. Présents au Niger depuis quelques années le HCR et l'OIM constituent les bras armés de la politique d'externalisation (CIMADE 2017)6. Le premier a développé un programme d'évacuation d'urgence des migrants à partir de la Libye au Niger pour bénéficier ensuite de la réinstallation. Lancé en novembre 2017, le programme ETM a permis d'évacuer 3361 demandeurs d'asile au Niger dont 3059, réinstallés en France, Belgique, Allemagne, Italie, Norvège, Suisse, Finlande au 1er juin 20217. Le HCR a par ailleurs ouvert de concert avec le gouvernement nigérien la protection internationale dans le contexte des mouvements mixtes (Boyer et Chappart, 2018). À ce titre, un bureau est ouvert à Agadez en vue de fournir la protection internationale aux personnes pouvant relever de son mandat. L'OIM dispose quant à elle, de centres de transit à Agadez, Arlit, Dirkou, Niamey et fait de la mobilisation communautaire pour identifier les candidats au retour migratoire. Entre 2016 et le 31 mai 2021 l'organisation affirme avoir facilité le retour volontaire à 54 156 migrants dans humaine-du-phenomene/ 5 https://www.facebook.com/UENiger/photos/visite-au-niger-du-commissaire-europ%C3%A9en- charg%C3%A9-de-la-migration-m-dimitris-avramo/2065922467066801/ 6 https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2018/02/CR-Journ%C3%A9e-D%C3%A9cryptage- Coop%C3%A9ration-2017.pdf 7 https://data2.unhcr.org/fr/documents/details/87332 27 leur pays d'origine. La collusion entre l'UE et ces deux organisations peut s'apprécier à travers les sources de financement. L'UE est le principal bailleur des programmes ETM, asile à Agadez et aide au retour volontaire à travers le Fonds fiduciaire d'urgence (FFU) et d'autres canaux. Au retour, ces organisations assument la responsabilité de leurs actions auprès de l'État. Le HCR discute avec le gouvernement du Niger sur l'asile, négocie les places de réinstallation avec les pays européens. Nulle part l'EU n'intervient directement. Dans la même logique, l'OIM pilote le programme d'aide au retour volontaire assisté sans intervention de l'UE. Outre ces deux organisations, l'UE a financé via le FFU plusieurs projets axés sur le développement, la sécurité et la protection au Niger dans le but de réduire les flux migratoires sur ces côtes. Par-delà, l'État nigérien a aussi bénéficié des financements de l'UE. Il s'agit d'équiper et de former les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) pour mieux lutter contre la migration dite irrégulière. La sécurité devient donc un secteur de coopération entre l'UE et le Niger. Dans le même temps des projets de développements sont lancés dans les zones de départ à la fois pour réduire les départs et diminuer l'impact de ces politiques sur l'économie des zones de transit. La présente thèse analyse le champ de collaboration du Niger et de l'UE dans le domaine de la migration. Elle permet de comprendre à l'échelle nationale, le développement (institutionnel, politique, juridique et administratif ) en cours au Niger en lien avec cette thématique dans un contexte de relation avec l'UE. A l'échelle locale, elle se focalise sur la région d'Agadez, espace de transit des flux en direction de l'Algérie et la Libye et << laboratoire>> de mise en oeuvre des nouvelles politiques. Il sera donc mis en relief à partir du cas témoin d'Agadez les reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants. Le document comprend trois parties :
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