La migration est une pratique humaine en pleine expansion
depuis quelques décennies. Le développement des moyens de
transport et de la technologie permet de plus en plus à l'homme de se
déplacer d'une partie du monde à une autre. Le nombre total de
migrants internationaux s'est accru ces dix dernières années,
passant d'environ 150 millions de personnes en 2000 à 280, 6 millions en
2020 dans le monde.8
Cette population de migrants est
hétérogène composée à la fois de personnes
à la recherche d'opportunités économiques, des
étudiants, des femmes et des enfants. À cela s'ajoutent, des
personnes poussées par le désarroi, les persécutions, les
guerres et les conflits car « Si de nombreux individus font le choix
d'émigrer, de nombreux autres n'ont pas le choix. On dénombre en
2019, 70 millions de personnes déplacées de force dans le monde,
parmi lesquelles 26 millions de réfugiés, 3,5 millions de
demandeurs d'asile et plus de 41 millions de personnes déplacées
à l'intérieur de leur propre pays » 9 . Cette situation
dénote une exacerbation des conflits dans plusieurs parties du monde
contraignant des hommes, des femmes et des enfants à se déplacer
pour se mettre à l'abri. L'Afrique et l'Asie se présentent comme
les espaces de départ de ces mouvements forcés de personnes. Le
stock de migrants internationaux en Afrique est de 25,4 millions de personnes
en 202010
Enfin, l'Afrique n'envoie que très marginalement ses
migrants vers d'autres continents notamment l'Europe, l'Asie et
l'Amérique. Quel que soit le motif de la migration, il est
observé qu'en Afrique, la migration internationale s'effectue
très largement à l'intérieur du continent. L'Afrique garde
plus ses migrants qu'elle ne les exporte. Cela s'explique par l'existence de
plusieurs filières migratoires sur le continent dont le premier niveau
de migration est le pays frontalier. C'est donc une migration
transfrontalière à l'image des blanchisseurs maliens au Niger
(Ayouba Tinni, 2015), des Soudanais en Libye (Drozd et Pliez, 2005), des
Zimbabwéens et Mozambicains en Afrique du sud (Crush et Tawodzera 2016)
ou encore des Kenyans en
8
https://migrationdataportal.org/international-data?i=stock_abs_&t=2020
9
https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/migration/index.html
10
https://migrationdataportal.org/data?m=1&rm49=2&i=stock_abs_&t=2020
31
Ouganda (OIM, 2013. La deuxième destination des
migrants en Afrique est l'espace communautaire CEDEAO, CEMAC, SADEC. La
migration africaine a un troisième niveau, qui peut être
inter-régional, c'est-à-dire qui se déroule à
l'intérieur de plusieurs blocs régionaux du continent. Elle
implique une circulation des migrants dans les différents blocs
régionaux du continent. « L'un des aspects les plus frappants des
migrants internationaux en Afrique, c'est que la plupart se déplacent
à l'intérieur de la région. Contrairement à ce
qu'affirment les médias, la majorité des migrants africains ne
quittent pas leur continent. Ils se déplacent surtout vers les pays
voisins. Entre 2015 et 2017, par exemple, le nombre de migrants internationaux
africains au sein de la région est passé de 16 millions à
environ 19 millions. Au cours de la même période, le nombre
d'Africains quittant le continent a connu une augmentation
modérée, puisqu'il est passé d'environ 16 millions
à 17 millions. »11
À l'échelle de l'Afrique de l'ouest par exemple
« 70 % des émigrés ouest-africains restent en Afrique. 61 %
d'entre eux privilégient les pays de la sous-région alors que 15
% seulement se dirigent vers l'Europe et 6 % vers l'Amérique du Nord.
(Beauchemin et Lessault, 2014, P37).
L'analyse de la migration en Afrique de l'Ouest laisse
apparaitre quatre principaux systèmes (Lalou, 1996, P 354) :
· système autour du Sénégal;
· système autour de la Côte d'Ivoire;
· système autour du Golfe de Guinée;
· système sahélien.
Néanmoins, il subsiste une migration ouest africaine
vers les autres continents notamment l'Europe. Elle remonte à la
période coloniale et s'est consolidée après les
indépendances avec la signature des accords de coopération entre
l'Europe et certains pays africains sur les migrations et le
développement. Les accords sur les migrations visent « à
réguler le déplacement, l'entrée et la sortie des
personnes sur leurs territoires : politiques d'émigration
vis-à-vis de leurs ressortissants, politiques d'immigration vis
à-vis des étrangers, politiques envers les migrants en «
transit » » (Lestage, 2010, P3 ).
Ceux sur le développement prônent le
11
https://fr.weforum.org/agenda/2018/06/migrations-africaines-ce-que-disent-vraiment-les-chiffres-5696dc52-268d-43dd-8b43-12dc19bb5840/
32
développement des jeunes États. Autour des
années 1970, à la suite de la crise économique et devant
la menace que constituent les flux des migrants africains sur la
préservation de ses acquis sociaux, l'Europe change de stratégie
en matière de gestion des migrations. Désormais, elle
intègre la gestion des migrations dans la coopération au
développement avec les pays africains. Ce modus vivendi est à la
base de la première reconfiguration forte des liens migratoires entre
l'Europe et l'Afrique du nord et de l'ouest. Il va se consolider dans la
décennie 90 dans un contexte ouest africain marqué par une
croissance démographique forte, une flambée des prix des
denrées alimentaires de base, une crise des services sociaux de base
(santé, éducation, logement ) en milieu urbain, une hausse du
chômage, des crises politiques dans certains pays, une récurrence
des sécheresses et crises alimentaires (CILSS,
2007).
Ce changement s'est traduit en acte avec la signature de
l'accord de Cotonou en 2000. La jonction entre politique migratoire et
développement reflète surtout l'échec des premières
politiques migratoires européennes qui ont eu pour conséquence
l'essor de la migration clandestine. En effet, « l'augmentation des
flux informels de migrants, par rapport à ceux formels, peut être
considérée comme le principal résultat des politiques
d'immigration européenne ». (Gabrieli, 2007, P5
).
Dans cette situation de pauvreté, l'émigration
apparait comme l'ultime solution pour des milliers de jeunes africains. Parmi
eux certains choisissent d'aller en Europe. Or, avec la fermeture de
frontières née de la restriction d'octroi de visa pour l'Europe,
la migration légale est devenue quasi impossible pour de nombreux
Africains. Pour contourner cet obstacle de visa, les migrants empruntent la
Méditerranée pour se rendre en Europe sur des bateaux de toutes
tailles et très marginalement en pirogue.
Cette traversée de la Méditerranée est
en plein essor au regard de l'importance numérique des candidats
à ce voyage qui arrivent sur les côtes européennes. C'est
dans cette situation que le Conseil européen a adopté en 2005 une
nouvelle politique migratoire dite « politique de l'approche globale
»12 .
Selon Kabbanji (2011) l'approche globale se focalise sur la
promotion de la migration légale, la lutte contre l'immigration
irrégulière et la promotion du lien entre migration et
12 17 décembre Conseil européens-Bruxelles 15
&16 décembre 2005 conclusions de la présidence
33
développement. La mise en oeuvre de l'approche globale
s'effectue dans un contexte d'établissement d'un programme de travail en
2006 entre l'UE et l'Afrique sur la gestion des migrations. C'est dans cette
logique que s'est tenue une première conférence
intergouvernementale euro-africaine à Rabat en juillet 2006, à
l'initiative de l'Espagne et en étroite collaboration avec le Maroc et
la France. Toujours en 2006, une autre conférence
ministérielle euro-africaine entre l'Union Européenne et l'Union
africaine (UA) sur la migration et le développement, s'est tenue
à Tripoli les 22 et 23 novembre 2006. Une deuxième
conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le
développement est organisée à Paris le 25 novembre 2008,
qui a abouti à l'adoption d'un programme de coopération triennal
de 2008 à 2011.
La mise en oeuvre de l'approche globale s'effectue aussi avec
un fort activisme diplomatique de l'Union Européenne. Elle se manifeste
par la volonté de l'UE d'exporter sa vision des migrations dans les pays
de départ et de transit des migrants. C'est dans ce contexte que la
CEDEAO adopte en 2008 une approche commune de la migration. Celle-ci introduit
deux logiques sous-tendant la politique externe européenne en
matière d'immigration identifiées par Boswell cité par
Kabbanji (2011): d'un côté, on y trouve majoritairement des
mesures sécuritaires axées sur la coopération
transfrontalière en matière de lutte contre l'immigration
illégale ; de l'autre, la promotion du lien entre migration et
développement est mise en avant principalement pour limiter
l'émigration et la promotion de la migration légale.
Dans la mise en oeuvre de l'approche globale, les pays de
départ et de transit des migrants occupent une place de choix dans les
interventions de l'UE et de ses partenaires. Pays sahélo-saharien
situé à la charnière entre l'Afrique du Nord et l'Afrique
de l'Ouest, le Niger a une longue histoire de migrations. En effet, depuis le
début du 20ième siècle, les populations
nigériennes ont participé aux mouvements migratoires notamment en
direction des pôles économiques de l'Afrique occidentale. Les
migrants ont d'abord suivi les routes ouvertes tout au long du
19ème siècle par les commerçants, puis
progressivement des filières migratoires se sont construites s'arrimant
à des diasporas situées dans les pôles urbains
côtiers. Ces migrations se dirigeaient surtout vers le Ghana, le
Nigéria, le Togo, le Benin et la Côte d'Ivoire (Yonlihinza, 2011).
La période postcoloniale a vu le renforcement de cette tendance. En
effet, le cycle de sécheresses des années 1970-1980 et de la
crise économique qui a suivi les plans d'ajustement structurel et la
dévaluation du francs CFA dans les années 1980-1990 ont
accentué le départ en migration d'une partie de la population.
Ainsi, les départs de certaines régions du Niger comme Tahoua,
Agadez et Zinder se sont intensifiées et les destinations se sont
34
diversifiées, les migrants s'orientant aussi vers les
pôles économiques d'Algérie et de Libye. L'analyse de
l'espace migratoire nigérien fait ressortir deux constats majeurs.
Au plan national, le Niger reste principalement un pays de
départ. L'analyse des pratiques migratoires montre la persistance des
migrations circulaires qui selon Boyer (2013) sont des déplacements
temporaires qui se répètent pendant une période de la vie
de l'individu. Cette forme de déplacement est profondément
ancrée dans les modes de vie des populations (Mounkaila et al.,
2009).
Depuis les années 2000 et les crises politiques qui
ont émaillé les pays d'Afrique de l'Ouest, on note aussi une
accentuation des retours forcés au Niger de nombreux migrants
jusque-là présents en Côte d'Ivoire, au Mali, en Libye, au
Nigeria notamment. Il faut donc de plus en plus tenir compte de la migration de
retour contrainte dans l'analyse des faits migratoires au Niger.
À l'échelle de la sous-région, le Niger
est un pays de transit pour de nombreux ressortissants de l'Afrique de l'ouest
et du centre voulant se rendre au Maghreb depuis les années 70. Ce
rôle s'est consolidé et renforcé au fil des
décennies du fait des opportunités de travail et du contexte
socio-politique et économique qu'offraient alors en particulier
l'Algérie et la Libye. La politique panafricaniste du président
Kadhafi, le développement de l'économie pétrolière
dans ces deux pays y ont largement contribué (Bensaâd 2002,
Bredeloup et al, 2005, Brachet et al 2011). A cela s'ajoute un
élément majeur du contexte international qui est la restriction
des visas d'entrée en Europe. En effet, le durcissement des conditions
d'accès aux pays d'Europe est à la base de la création de
filières clandestines de migration de nombreux ressortissants des pays
d'Afrique subsaharienne vers l'Europe via la Libye en particulier.
C'est ainsi que le Niger est devenu l'espace de transit
privilégié pour de nombreux migrants en provenance du Nigeria, du
Ghana, du Mali, du Bénin, du Burkina Faso, du Togo, de la Gambie, du
Sénégal, de la Côte d'Ivoire ou du Cameroun. Comme le
souligne Mounkaila (201) « Dans ces circulations migratoires, le Niger
occupe une position stratégique en étant à la fois un pays
pourvoyeur des migrants et un espace de transit privilégié pour
les migrants d'autres pays d'Afrique subsaharienne ».
L'intérêt de l'Union européenne pour le
Niger commence au début des années 2000 via des relations
bilatérales de l'Espagne et de l'Italie à travers la mise en
oeuvre de projets, comme « Across Sahara », centrés sur le
contrôle des frontières. En juin 2006, l'ouverture d'une
représentation de l'OIM au Niger marque un tournant décisif pour
l'intervention étrangère dans
la gestion des migrations. En effet, les statistiques que
publie cette institution sur la migration de transit révèlent la
place du pays dans l'essor de la migration dite clandestine vers l'Europe
à travers le Sahara et contribuent à le construire comme un
espace d'enjeux majeurs.
Dès lors, le Niger longtemps resté à la
marge des politiques migratoires européennes se retrouve au coeur de
l'agenda politique européen en particulier lors du Sommet de La Valette
en novembre 2015. L'UE déploie d'importants efforts pour une
coopération avec le Niger dans la gestion des migrations comme le
souligne le chef de mission de l'OIM au Niger lors de la visite de la
chancelière allemande Angela Merkel en 2016 :»13.
Adossée sur le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union
européenne pour l'Afrique, dont le Niger est le principal
bénéficiaire en Afrique de l'Ouest, cette collaboration
s'articule sur deux volets. Le premier, d'orientation sécuritaire, prend
la forme d'appui institutionnel, d'actions de formation des agents de police,
de construction de nouveaux postes-frontières et de l'application d'une
loi qui pénalise le « transport et l'hébergement de migrants
illicites ». Le second volet est axé sur des actions de
développement dans les zones de départ en vue de fixer les
éventuels candidats à la migration, le refoulement des migrants
illégaux, un programme de « retour volontaire » et le
financement des projets des ONGs intervenant sur les questions de migration.
Cette intervention forte de l'UE entre en contradiction avec
le protocole de la CEDEAO, dont le Niger est membre, en matière de libre
circulation des personnes et des biens. En fait, « la libre circulation
n'apparaît jamais dans le Discours International sur la Migration, ni
comme une politique migratoire possible, ni comme un idéal de long
terme. On comprend certes qu'il puisse être délicat, pour des
instances intergouvernementales, de soulever un point aussi controversé
» (Pécoud, 2015, p 5) ; l'Union européenne, en accord avec
l'État, passe outre la libre circulation dans l'espace CEDEAO par ses
actions envers les migrants ouest-africains présents sur le territoire
nigérien. Or, en tant que pays de transit, plus rarement de destination,
le Niger accueille de nombreux ressortissants ouest-africains sur son
territoire (Maga, 2011). Avec la montée en puissance de
l'interventionnisme de l'Union Européenne au Niger, c'est
désormais toute cette mobilité historique (y compris les
migrations nigériennes) construite depuis des décennies qui est
fragilisée. Ainsi, depuis le début des années 2000, des
changements majeurs sont apparus dans l'agenda politique du Niger avec la place
de plus en plus importante
35
13 Souley Moutari(onep) 11 octobre 2016
http://lesahel.org/
36
qu'occupe la migration. Il s'avère donc
nécessaire, après près de 10 ans de mise en oeuvre de
l'approche globale de l'Union européenne d'étudier ses
répercussions au Niger. Pour y parvenir, il est important d'analyser les
dynamiques récentes des migrations et de la gestion de celles-ci dans un
contexte d'externalisation des politiques migratoires européennes au
Niger.
D'où ces questions,
· Comment l'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger reconfigure-t-elle l'approche des migrations non
seulement de la part des acteurs nationaux et internationaux, mais aussi les
parcours des migrants eux-mêmes ?
· Quels sont les effets de l'externalisation des
politiques migratoires européennes sur les modalités de gestion
de la migration au Niger ?
· L'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger ne perturbe-t-elle pas les systèmes
migratoires nigériens et ouest-africains notamment vers l'Afrique du
Nord (Libye et l'Algérie) avec l'accentuation des retours et une
possible réorganisation des filières et des trajectoires
migratoires ?
· Quels sont les impacts de cette externalisation sur
les lieux de transit comme Agadez, espace témoin de la mise en oeuvre
des nouvelles politiques en cours dans le domaine de la migration? .