2.2.2 La photographie numérique
En 2005 va apparaître la photographie numérique
qui va ouvrir de nouvelles possibilités aux photographes amateurs.
Chaque image devient désormais un fichier numérique, modifiable,
reproductible à l'infini et que l'on peut regarder sur différents
supports. Et surtout, les possibilités de stockage permettent de garder
les clichés pris, ce qui va entraîner les individus dans une
surconsommation de l'image. En effet, cette capacité de mémoire
va entraîner la « banalisation du partage des images via internet
»58. Car plus l'on peut capturer d'images, plus l'on va les
conserver, et ainsi il n'existe plus le besoin le faire le choix de ce que l'on
va sauvegarder et diffuser. Un autre avantage est que les photographes peuvent
désormais donner des effets à leurs clichés et choisir de
les modifier, changer la luminosité de l'appareil, photographier en noir
et blanc ou en couleur, chacun est indépendant dans son utilisation. Les
appareils possèdent maintenant une grande autonomie. Pour Jacques
Hémon (2010), ce n'est plus un appareil familial mais personnel
désormais. Les ordinateurs comprennent des logiciels gratuits de
création et de modification d'images vont également leur
permettre de pouvoir façonner leurs photographies. Le fait de pouvoir
les modifier montre qu'il y a une volonté d'arranger son quotidien. De
plus, la possibilité d'améliorer l'apparence des photographies
les confortent dans leur idée de recherche d'une image parfaite à
présenter aux autres. Cette idée amène ce questionnement
identitaire qui fait que, pourquoi choisir cette photo et pas une autre,
pourquoi la modifier ? Il y a une réflexion sur son identité, son
image que l'on expose, que l'on montre à autrui, ce qui
problématise ce mémoire. Les technologies participent à la
remise en question de soi de par les outils qu'elles proposent.
56 Photographie de jambes pliées pour montrer qu'on est en
train de bronzer
57 BERTHOMIEN Sandy. Les selfies : expression contemporaine
de soi. Les mondes sociaux. Société. 2017.
58 HÉMON Jacques. Les réseaux sociaux et le
marché de la photographie. In: Cahier Louis-Lumière
n°7, 2010. Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels.
pp. 18-26.
22
2.2.3 La photographie sur les réseaux sociaux
Un nouveau rituel va se créer autour des
clichés, celui du partage avec autrui. D'abord par mail, puis via les
téléphones mobiles et smartphones à travers les MMS
(Multimedia Messaging Service), puis sur les « premiers
réseaux communautaires »59. Enfin, les réseaux
sociaux vont de nouveaux faire évoluer les échanges avec ses
pairs. Anthony Mahé (Mahé dans Hémon, 2010) nous dit
qu'avec l'arrivée de Facebook en 2005, l'appareil photo devient
rapidement « un outil de partage de soi et de son intimité ».
Stéphane Hugon (Hugon dans Mahé, 2010) appui ses propos en
déclarant que « l'appareil n'est plus seulement un outil de
loisirs, il est une fonction relationnelle, comme une dimension
d'opérateur de socialité, peut-être une véritable
extension de la personne ». André Gunthert (2014)60
pense que c'est l'arrivée du haut-débit couplé avec la
possibilité d'éditer des images sur des sites de partage qui
conduit les photographes lambda à vouloir toujours diffuser des
clichés, notamment pour « la satisfaction narcissique et
l'efficacité sociale »61. Cette rapidité de
partage illimité de l'image va créer un nouvel usage de la
photographie que l'auteur qualifie de « conversationnelle
»62. Les images ont peu à peu remplacé les mots,
par des photos, des émoticônes, des GIFs. Il est plus simple et
plus démonstratif de directement utiliser une image pour se faire
comprendre. Valérie Bauhain63 parle de de « Pic
speech » pour qualifier ces échanges. Les réseaux
sociaux vont s'adapter à cette société du visuel et
devenir « les plus grandes banques d'images de la planète
»64. La photographie ne réside plus dans la
technicité et l'objectivité mais dans son caractère
diffusable et sociable. Patrice Flichy65 soutient que « si
la photographie a toujours été liée aux souvenirs
personnels et aux moments forts de la vie, elle est aujourd'hui de plus en plus
associée aux activités quotidiennes ».66
Pour résumer, les médias visuels ont fait évoluer nos
usages, d'abord avec le cinéma et la télévision qui
prenaient une place importante parmi les loisirs du quotidien, puis avec
l'image conversationnelle qui prit le dessus sur la consommation de visuels. La
photographie précédemment familiale, va aller vers le domaine
public avec les réseaux sociaux. La possibilité de les partager
de façon instantanée à toute une communauté
enlève le caractère intime de la photographie pour la rendre
sociale. C'est pour cela que les individus sur Instagram postent des
59 HÉMON Jacques. Les réseaux sociaux et le
marché de la photographie. In: Cahier Louis-Lumière n°7,
2010. Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels. pp.
18-26.
60 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014.
61 HÉMON Jacques. Les réseaux sociaux et le
marché de la photographie. In: Cahier Louis-Lumière n°7,
2010. Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels. pp.
18-26.
62 PAILLARD Julie. La »photo ordinaire» :
récit des banalités quotidiennes sur les réseaux sociaux
en ligne. Analyse des usages photographiques sur Instagram. Sciences de
l'information et de la communication. 2014.
63 BAUHAIN Valérie. Réseaux sociaux : ce que
révèlent nos photos de profils. Psychologies.
64 BAUHAIN Valérie. Réseaux sociaux : ce que
révèlent nos photos de profils. Psychologies.
65 PAILLARD Julie. La »photo ordinaire» :
récit des banalités quotidiennes sur les réseaux sociaux
en ligne. Analyse des usages photographiques sur Instagram. Sciences de
l'information et de la communication. 2014. >
23
images, qui parfois semblent anodines, mais qui
révèlent une volonté de communiquer avec les autres, de se
présenter à eux. Nous analyserons ces affirmations dans les
chapitres suivants. Les réseaux sociaux vont banaliser les images car
elles finissent par se perdre dans la masse. Nous faisons évoluer la
photographie situationnelle, mais toujours en montrant les moments forts de la
vie, comme si notre quotidien se retrouvait exceptionnel. C'est un moyen de
communiquer sur nous, et avec les autres, ce qui participe à nous
construire identitairement. Les usages de la photographie sur les
réseaux sociaux créent une présentation de
nous-même. C'est ainsi qu'il implique le rapport à l'image de soi
et à la reconnaissance de ses pairs.
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