IV. Conclusion
Ce mémoire s'appuie sur une problématique
actuelle qui met en avant un phénomène touchant les jeunes
individus sur leur identité et leurs usages des médias sociaux :
Instagram de par le partage de photographies, est un outil de construction
identitaire et social des 18 - 30 ans.
Une première partie, autour de l'évolution des
usages de la photographies, du développement d'internet et des appareils
de représentation nous a permis de comprendre le contexte dans lequel
ont grandi les utilisateurs des réseaux sociaux. Cela nous a
amené à nous demander pourquoi ce désir de s'exposer et de
se mettre en scène de la part d'individus sur un réseau social
autrement professionnel. Afin d'y répondre, nous avons
développé deux parties qui correspondent à nos trois
hypothèses.
La première hypothèse s'appuyait sur le fait
qu'Instagram était un outil de mise en scène et d'exposition de
soi pour la reconnaissance et de construction identitaire. Les individus vont
se montrer sous une mise en scène afin de découvrir leur
identité et d'en construire une sur internet à présenter
à leurs pairs, afin de se sentir reconnu et apprécié. Nous
avons voulu, dans un premier temps, essayer d'écarter l'idée du
besoin de se montrer des jeunes individus pour se construire de celle du
narcissisme. Pour cela, nous avons pris l'exemple du selfie. Rappelons que
Dominique Cardon178 défendait la thèse selon laquelle
les selfies sont des mises en scène de soi, de ses qualités et
compétences pour la reconnaissance de ses singularités ; tandis
qu'André Gunthert179 parlait de trouble de l'image de soi
poussant les individus à exhiber leur corps. L'enquête de terrain
nous a prouvé que cette pratique photographique n'est pas
réellement de l'ordre du narcissisme, mais bien du besoin d'exposer son
image pour se montrer au monde. La présentation est la première
phase avant la reconnaissance car il faut être vu pour être
reconnu. C'est ainsi qu'intervient le besoin de se mettre en scène :
afin de présenter une image améliorée de soi à
autrui et espérer en contrepartie des retours positifs.
Elise180 par exemple, ne retouche que les photographies qu'elle
prend d'elle-même. Nous avons retenu que la majorité des
clichés présentaient les valeurs et les passions des individus,
de leurs compétences. Cette notion de mise en scène est
très importante car elle est l'ultime fil rouge de ce mémoire.
Ervin Goffman181 a développé ce paradigme en comparant
les interactions sociales à des pièces de théâtre
durant lesquelles les individus réalisent des performances. Notre
enquête dévoile une réelle volonté de modifier les
façades que l'on présente à ses pairs, en se montrant sous
des postures particulières, en déguisant son apparence sous
des
178 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de
l'internet. Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148.
179 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014.
180 Entretien Elise,
181 GOFFMAN, Ervin. La mise en scène de la vie quotidienne
1. La présentation de soi. Paris: Les éditions de minuits, 1973,
368 pages
60
apparats. Chacun va exacerber une partie de lui-même
dans le jeu des interactions sociales, en se créant une image davantage
joyeuse, davantage présentable au monde. Il y a également une
mise en avant du décor qui plante l'action dans son contexte et par
lequel on va présenter des paysages exceptionnels. Dans cette recherche
de l'identité, nous avons également abordé le thème
des identités multiples, notamment avec la distinction entre
l'identité numérique et réelle. Dominique
Cardon182 parle de « design de la visibilité »,
c'est-à-dire de la manière dont on se rend visible, paradigme que
nous confirmons. Les interrogés mettent en avant différentes
facettes d'eux-mêmes en fonction du contexte, Agathe parle d'ailleurs de
« soi intime « et de « soi public ». Les personnes ont
conscience de jouer un rôle sur les réseaux sociaux. D'ailleurs,
nous avons analysé une forme d'identité construite sur le web et
développée par Antonio Casilli183 : les pseudonymes.
Il est en effet vrai que les instagrammeurs modifient leurs informations pour
se donner une nouvelle facette d'eux-mêmes : ils tronquent leurs noms,
utilisent des pseudonymes en dehors de leurs données personnelles.
Enfin, la notion d'espace public et d'espace privé nous affirme
également que les individus veulent contrôler leur image pour axer
leur identité. Serge Tisseron184 et l'exhibitionnisme de soi
montrent que les individus vont s'exposer pour se trouver à travers le
regard de leurs pairs. L'intimité et l'extimité permet sur les
réseaux sociaux de choisir ce que l'on décide de montrer ou non.
Notre analyse de terrain met en avant le fait que l'intégralité
des les profils interrogés ne veulent montrer uniquement ce qu'ils
veulent que l'on voie d'eux. L'analyse montre que certaines personnes sont plus
enclines à s'exposer sur internet, à dévoiler leur
physique mais sans jamais aller dans l'intime. Il y a un contrôle
évident de son image qui prouve que chaque exhibition et chaque
exposition est le fruit d'une mise en scène pour modeler la
représentation de soi aux autres. Notre enquête terrain confirme
qu'il y a bien dans la façon de s'exposer des individus une recherche
identitaire, de par la mise en scène et la pluralité des facettes
dont ils ne savent pas laquelle utiliser face à leurs pairs. Ils se
créent différentes images, entre la réalité et le
virtuel afin de se forger une identité idéale à
présenter à autrui.
Notre deuxième hypothèse est : Instagram comme
outil de reconnaissance sociale. Nous voulions montrer que les individus
s'exposent afin de créer des relations avec les autres, afin de se
sentir reconnus par eux. Car sans reconnaissance, les personnes ne peuvent se
sentir incluent dans la société. Dominique Cardon (2011) nous
parle de la recherche d'interactions avec les groupes que l'on peut affilier
à un besoin de reconnaissance de la part de ses amis dans l'entretien
des liens. En effet, notre enquête prouve que nombreux interrogés
continuent d'échanger avec leurs amis sur internet après
s'être quittés. Il y a un besoin d'être présents et
prêts à échanger, ce que l'on fait via les
182 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de
l'internet. Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148.
183 CASILLI, Antonio. Être présent en ligne :
culture et structure des réseaux sociaux d'Internet. Idées
économiques et sociales, vol. 169, no. 3, 2012, pp. 16-29.
184 TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux sociaux sur
internet. Psychotropes, vol. 17, no. 2, 2011, pp. 99-118.
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photographies, usages qu'André Gunthert (2014) appelle
« image conversationnelle ». Serge Tisseron (2011) affirme que les
individus se redents visibles pour se raconter, affirmer leur existence. En
effet, les utilisateurs d'Instagram revendiquent leurs goûts, leurs
passions, défendent des valeurs, imposent leur personnalité,
tentent d'impressionner leurs pairs. L'analyse terrain nous
révèle qu'effectivement, les personnes veulent publier des
contenus esthétiques, qui sortent de l'ordinaire, ce qui est une
volonté d'interpeller le spectateur. Axel Honneth185 accorde
le besoin de reconnaissance à la peur de l'invisibilité, ce qui
est confirmé par le fait que les utilisateurs des réseaux sociaux
attendent des retours positifs des autres, ce qui leur donne l'impression
d'exister et d'être légitime à publier du contenu. Ils font
également attention à leur image sur internet afin d'avoir bonne
réputation et être reconnus. Serge Tisseron (2011) affirme cette
hypothèse en liant la reconnaissance à l'estime sociale et
l'estime de soi. Leur volonté d'impressionner autrui, de leur plaire
voire « de les émerveiller »186 est le
résultat du besoin d'obtention de retours positifs de la part de la
communauté pour le sentiment de reconnaissance. Sans ces
appréciations, ces « expressions collectives » (Tisseron,
2011), les individus vont jusqu'à se remettre en question et douter
d'eux. Pour toujours présenter une image d'eux positive et se mettre en
avant, nous remarquons que les personnes vont avoir recours à des
techniques de marketing tels que le Personal branding
développé par Brodin et Magnier187 ou encore
l'egocasting. Les comptes étudiés nous montrent qu'ils
représentent comme une sorte d'album de compétences des
individus. Nous pouvons parler de la notion d'Ethos de Ruth
Amossy188. L'image est en un sens un élément de
dialogue pour se donner une certaine contenance auprès de la
communauté, ce qui est confirmé par la volonté des
interrogés de vouloir plaire à leurs pairs. Pour instaurer cette
image d'eux améliorée, ils vont retoucher leurs photographies
avec des filtres ou logiciels.
Enfin, notre dernière hypothèse est Instagram
comme outil de sentiment d'appartenance. Nous avions voulu démontrer ce
que les individus publient sur Instagram participe à montrer leurs
goûts et valeurs, afin de se sentir inclue dans une communauté
partageant les mêmes qu'eux, ce qui est le sentiment d'appartenance. Pour
se sentir intégré, les individus vont partager les mêmes
codes sur les réseaux sociaux, ce que Gunthert (2014) appelle « des
formes sociales visuelles utilisées pour codifier les échanges
». Nous pouvons dire que les personnes utilisent en effet des codes
communs sur Instagram tels que les filtres,
185 BERTEN André. Axel Honneth, La lutte pour la
reconnaissance. Traduit de l'allemand par Pierre Rusch. In : Revue
Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 99, n°1,
2001. pp. 135-139
186 Entretien Christophe, le
187 BRODIN, Oliviane, et MAGNIER Lise. Le
développement d'un index d'exposition de soi dans les médias
sociaux : phase exploratoire d'identification des indicateurs
constitutifs. Management & Avenir, vol. 58, no. 8, 2012, pp.
144-168
188 AMOSSY, Ruth. L'éthos et ses doubles
contemporains. Perspectives disciplinaires. Langage et
société, vol. 149, no. 3, 2014, pp. 13-30
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Gabrielle Devosse189 parle d'un univers dans lequel
on s'identifie et se ressemble. En effet, les hashtags, qui permettent de
rassembler les individus autour de valeurs et de goûts communs pour
créer des communautés autour des loisirs, des marques, etc. Les
photographies révèlent des signes récurrents au niveau des
postures (mains dans les cheveux, dos aux paysages), les mêmes
expressions (joie, bonheur), une omniprésence de l'esthétisme au
niveau du décor et des techniques photographiques (filtres,
luminosité, flous, etc.) Nous remarquons lors de notre enquête
qu'Instagram a même crée son propre langage avec les hashtags
(instamoment, instagood) pour que les utilisateurs se sentent
intégrés dans une même communauté. Une autre preuve
que les individus désirent être reconnus et
intégrés, est leur besoin de s'inspirer des autres et de se
comparer. Parfois, en voulant absolument ne pas se sentir en isolé des
autres, les personnes se retrouvent confrontées à l'image
d'eux-mêmes. Agathe Mayer190 a émis le paradigme de la
personnalité des autres comme moteur, que l'on s'inspire des autres.
Parfois ces inspirations peuvent être positives comme nous l'avons vu,
mais souvent, le réseau social est un moyen de pression sociale : la
représentation de notre corps face aux normes de beauté de la
société, la nécessité d'être présent
sur les réseaux sociaux pour ne pas passer à côté
d'événements et se sentir isolés et bien d'autres.
Les réponses à nos hypothèses
révèlent bien que le réseau social Instagram est un outil
de construction identitaire et sociale pour les jeunes individus, malgré
que certaines questions restent en suspens. En effet, nous recommandons de
poursuivre ce sujet d'étude intéressant mais biaisé,
notamment entre les résultats des entretiens et de l'analyse de contenu
qui montraient des disparités au niveau de l'analyse. Certains freins ne
nous ont pas permis de pouvoir développer le sujet à notre
convenance. Mais il serait intéressant d'analyser le sujet afin de
confirmées certaines questions auxquelles nous n'avons pas pu
répondre. Afin d'obtenir des résultats plus concrets, il serait
judicieux de réaliser une enquête plus large au niveau du secteur
géographique et plus diversifiée, avec un échantillonnage
plus important.
189 DEVOSSE, Gabrielle. Instagram uniformise-t-il nos
goûts. Psychologies, 6 novembre 2017
190 MAYER, Agathe. Complexes : Attention aux réseaux
sociaux. Top Santé, 08 mars 2018
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