Conclusion
Pour conclure, reprenons nos hypothèses de
départ ainsi que nos problématiques afin de montrer en quoi notre
réflexion, ainsi que nos résultats d'enquête nous ont
permis de répondre à ces interrogations liminaires.
Il s'est avéré que la multiplicité des
productions culturelles médiévalisantes dans le paysage
audiovisuel de ces dernières années témoignent d'un
engouement spectaculaire pour cette époque. Nous avons vu que ce
phénomène était étroitement lié au
médiévalisme, une réception bien particulière par
les contemporains de l'époque médiévale, au point de faire
naître un intérêt commun partagé par de nombreuses
communautés, dont la communauté de Kaamelott est un
exemple révélateur. Ainsi, bien que les versions du mythe
original soient multiples, et surtout aient été reprises par
diverses disciplines à diverses époques, en particulier du XIXe
siècle à nos jours, un processus d'intériorisation a
permis au fil du temps de figer une légende immuable dans l'imaginaire
collectif, avec des noms de personnages, de lieux et d'évènements
relativement fixes, mais toujours transformés et
réappropriés par les créateurs au fil des
réécritures en tout genre. Ainsi, la transmission du mythe
arthurien du XIIe siècle à nos jours témoigne de la
capacité du mythe à s'actualiser, ses enjeux universels
répondant toujours d'une manière ou d'une autre aux
problématiques actuelles : nous avons notamment vu que Kaamelott
met en scène des situations et défend des valeurs qui
permettent au spectateur une lecture comparée et même
croisée entre époque médiévale et époque
contemporaine. A titre d'exemple, nous avons analysé le fait que la
narratologie de Kaamelott reprend à la fois des symboles
visuels, musicaux et langagiers de l'époque médiévale,
savamment mêlés au langage contemporain, ce qui interpelle et fait
sourire le téléspectateur complice.
Dans une certaine mesure, après avoir comparé
Kaamelott à d'autres séries
médiévalisantes comme Vikings ou Game of
Thrones, nous nous sommes aperçus que le médiévalisme
permettait de pousser l'imagination d'autant plus loin que la
réalité du Moyen Age est davantage fantasmée que connue
dans certaines séries. Cela permettait donc une sorte de catharsis
du spectateur, qui passe par la mise en scène de la violence et de
la sexualité aux limites de la morale. Cela contribue au
caractère attractif de ce type de série, bien qu'il ne s'agisse
pas d'un élément indispensable, en témoigne le
succès de Kaamelott qui a pourtant fait l'impasse sur cette
dimension « trash » au profit d'autres
éléments qui plaisent tout autant. Parmi ces
éléments, citons le véritable travail de création
d'un monde imaginaire de la part du réalisateur, qui passe par une
esthétique bien définie, un savant mélange de
références à la pop
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culture qui font écho à la culture du
téléspectateur, ainsi qu'une nécessaire appropriation du
mythe connu, pour donner à cet énième
réécriture un caractère inédit. Nous avons
également pu constater au cours de notre étude que l'engouement
pour Kaamelott repose sur une narration particulière,
fondée sur un format accrocheur, d'abord court, de 3 minutes 30, puis
qui évolue vers des épisodes de plus en plus longs jusqu'au long
métrage sous forme d'une trilogie. Or, nous avons pu constater,
contrairement à notre hypothèse de départ, que ce
changement de format à davantage eu pour effet de lasser le
téléspectateur, les résultats de l'étude de terrain
ayant prouvé que le format court et porté par l'humour
était celui qui rencontrait le plus de succès.
D'autre part, en termes d'analyse de l'outil «
série médiévalisante » comme medium de la
transmission des connaissances, nous pouvons en effet conclure que ce type de
série permet au spectateur de s'instruire sur les mythes
médiévaux, et le pousse même à s'y intéresser
de lui-même à fortiori, en témoigne notre étude de
terrain qui est même allée jusqu'à montrer qu'une partie
des téléspectateurs s'est intéressée aux ouvrages
spécialisés des universitaires, en histoire ou en
littérature médiévale, qui leur ont donné des
clés de compréhension pour regarder de nouveau la série
à la lumière de l'histoire médiévale et des textes
originaux de la légende arthurienne. Ainsi, nous pouvons en conclure que
s'instruire par le divertissement est pertinent, dans la mesure où le
téléspectateur sait néanmoins distinguer ce qui
relève de l'histoire réelle, de ce qui est empreint de
médiévalisme et qui est donc sensiblement modifié et enfin
ce qui relève exclusivement du merveilleux. Les séries sont donc
un outil pédagogique ludique, efficace et accessible puisqu'elles
s'adressent à un public populaire, mais connaissent certaines limites :
les séries médiévalisantes mettent en scène, plus
ou moins fidèlement, l'époque médiévale, dû
à des contraintes d'esthétisme, scénaristique ou de
production. Il s'agit donc d'opérer une distinction entre le savoir
encyclopédique que le public tire du visionnage et les connaissances
populaires des codes de représentation médiévale, qui
constituent néanmoins une forme de savoir, à laquelle, par
ailleurs, les historiens médiévistes s'intéressent de plus
en plus.
Au-delà de l'aspect pédagogique, l'une de nos
problématiques questionnait le caractère fédérateur
des séries d'un point de vue social. En effet, c'est une
communauté large, hétéroclite et pourtant très
soudée et complice que notre étude a mise en lumière,
d'une part liée par un intérêt commun pour le Moyen Age,
d'autre part pour les séries à caractère
médiéval, ou plus précisément encore par admiration
pour Alexandre Astier, un créateur bien souvent
vénéré par
ses fans qui le qualifient de génie215. Pour
aller plus loin sur la question des communautés, ici en l'occurrence
réunies en groupes très actifs sur les réseaux sociaux,
leur analyse nous a permis de mettre en évidence un véritable
phénomène de société quant à la
sociabilisation à travers le numérique. En revanche,
contrairement à notre présupposé de départ, cette
socialisation est plutôt tacite, dans la mesure où les contenus
partagés touchent tous les abonnés qui apposent des « likes
», mais notre étude a montré que très peu entrent
réellement en communication via des conversations appelées «
messages privés ». La sociabilisation est donc plutôt
indirecte et davantage basée sur un sentiment général
d'appartenance à une communauté plus que l'établissement
de véritables liens qui passent par une communication
concrète.
Pour aller plus loin sur le sujet et explorer davantage nos
pistes de recherche, nous pourrions développer une étude
comparative entre l'activité de la communauté Kaamelott
et celle d'une autre série télévisée
française très fédératrice mais dans un tout autre
cadre, comme Plus Belle La Vie, ayant été un support
affectif important dans la vie de certains fans, tout comme l'est
Kaamelott. Cela permettrait notamment d'établir dans quelle
mesure l'aspect fédérateur de l'imaginaire médiéval
et mythique rentre ou non en compte dans l'affection pour une série. De
même nous pourrions lancer une étude comparative, pour rester dans
le champ d'étude de la réception d'une période historique
par l'imaginaire collectif contemporain, entre l'imagerie de Kaamelott
des premières saisons et celle de la saison VI, portant sur
l'Antiquité. Pourrions-nous parler, au même titre que du
médiévalisme, d'une forme « d'Antiquisme », dans les
séries péplum comme Rome (2005), Spartacus
(2010) ou encore Britannia (2018), et ainsi ouvrir une
étude dans un champ disciplinaire encore inédit à l'heure
actuelle ?
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215 Pour approfondir, voir les quelques chiffres
mentionnés dans la partie « autres annexes ».
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