I.1.2. Les Urgences
Le dictionnaire définit aussi le terme « Urgences
» (au pluriel) désignant le « service hospitalier où
sont dirigés les blessés et les malades dont l'état
nécessite un traitement immédiat ». C'est ce qui correspond
au Service d'Accueil des Urgences (SAU).
I.1.3. Toxicomane
Selon le dictionnaire français Larousse, toxicomane
signifie « qui souffre de la toxicomanie ». La toxicomanie s'analyse,
donc, sous cet angle, comme une habitude de consommer de façon
régulière et importante des substances susceptibles d'engendrer
un état de dépendance psychique et/ou physique.
La dépendance psychique nous intéresse. En
effet, il existe plusieurs façons de décrire les troubles
psychiques, correspondant à différents courants de l'histoire de
la psychiatrie. A l'heure actuelle, deux classifications internationales des
diagnostics psychiatriques sont utilisées :
- Diagnostic Statistical Manual,
cinquième version (DSM-V), développé par l'Association
américaine de psychiatrie.
Elles proposent une description clinique de syndromes
(ensemble de symptômes) mais ne tiennent pas compte de l'origine des
symptômes, ni de la personnalité qui les accompagne.
Pour les troubles anxieux, les principaux syndromes
décrits dans ces classifications sont les suivants : attaque de panique,
trouble panique, trouble anxieux généralisé, troubles
phobiques, trouble obsessionnel compulsif.
I.1.4. Situations vécues
· Situation n°1
Je participe en consultation avec un senior tuteur de stage
pour l'avant-midi d'un week end, au box de consultation.
Alors que l'Interne de garde nous a déjà
transmis, à la salle ou au guichet de l'infirmier de l'accueil et
d'orientation, la situation clinique des patients ayant passé des nuits
d'observation, l'on se met à l'écoute du patient de 16 ans
amené aux urgences par le pompier sur appel de son père.
Dans sa plainte, le jeune homme aurait menacé sa
mère avec un couteau, épisode récurent, objectivement pas
des idées suicidaires, pas de propos incohérents, pas de
dénie. Le jeune homme reconnait le fait et demande de l'aide. En
poussant plus profondément au questionnement, l'on s'aperçoit que
le jeune homme tabagique 1 paquet pour 3 jours et que, par ailleurs, il affirme
être un consommateur occasionnel du cannabis sur un mode à deux ou
personnel. La prise de ce cannabis forme résine remontée à
l'aval de son agression. Il souligne, au demeurant, que le produit venait d'un
autre vendeur inhabituel à ses achats.
. LA CONSULTATION se solde avec accord signé de ses
deux parents étant en situation de divorce.
En l'orientant en zone de soins de son environnement
(secteur) pour être suivi par le psychiatre du réseau, la menace
de sa mère ne se fait qu'à la prise certainement du produit
psychoactif, lequel est coupé d'autres produits de synthèse sans
que le consommateur ne
s'en soit rendu compte. Car les achats sont informels ;
aucune notification claire et nette du produit; de sa composition; ni de la
teneur en THC.
Il s'en dégage, donc, un lien de causalité
entre la crise dite psychiatrique (comorbidité psychiatrique,) et celle
d'une consommation des produits illicites.
Par ailleurs, ainsi que le soulignent Benyamina et alls dans
la revue de praticien, le cannabis est devenu la drogue illicite la plus
utilisée en France. En effet, plus de 50% des jeunes de 18 ans l'ont
essayé.
L'ivresse cannabique apparait dans les minutes qui suivent la
consommation et dure environ 3 à 4heures. Elle se caractérise par
la présence, à la fois, des signes psychologiques et des signes
physiques. Ses effets psychologiques varient d'un individu à l'autre,
voire d'une consommation à l'autre chez le même individu.
L'effet du cannabis dépend, non seulement, de sa
composition, de la dose et du mode de consommation, mais aussi, en grande
partie, de l'humeur du consommateur, de ses attentes et du contexte.
Le tableau clinique est marqué brutalement par un
polymorphisme important où l'on trouve un état délirant de
mécanismes multiples (en général hallucinatoire ou
interprétatif), avec souvent des thèmes mystiques ou
persécutoires. L'humeur est plutôt exaltée et la
présence d'angoisse massive peut faire redouter un passage à
l'acte auto agressif et/ou heteroagressif. Telle a été la
situation du jeune patient évoqué ci-haut.
La littérature nous dit que ces épisodes
psychotiques régressent spontanément en quelques semaines.
Toutefois la persistance d'un vécu délirant fait évoquer
le diagnostic d'une entrée dans la schizophrénie et, donc, dans
la classification des cas, le codage est signé en diagnostic de sortie
d'un trouble schizophrénie.
De nouveau au guichet d'accueil, nous prenons connaissance de
la situation 2 du jour: j'en profite pour assister à l'entretien de
l'infirmier d'accueil et d'orientation sur accord du patient bien entendu en me
présentant sur ma casquette de stagiaire.
Il s'agit d'un patient, âgé d'une trentaine
d'années, de profession moniteur sportif, venant au SAU pour des
hallucinations auditives et sensations de dévalorisation (se
détester). Il est en manque de confiance en soi.
Cette situation s'est installée en lui depuis une
année à la suite (au décours) d'une lecture d'un ouvrage
à la recherche de spiritualité. Il nous dira que cet ouvrage lui
démontrait que lui était rien, tout ce qu'il fait sur terre est
vain et que lui n'était qu'un être zéro.
Dans la quête de solution à sa situation, il
tombera sur un autre ouvrage qui soulagera tant soi peu sa souffrance morale.
Malgré cela, il s'est installé en lui une recrudescence
permanente des idées de se dénigrer. Hormis toutes ces plaintes,
il est tabagique et usager des stupéfiants festifs de type cannabis et,
de fois, cocaïne et/ou héroïne.
Quant à son histoire familiale, il nous renseigne que
ses parents divorcés depuis qu'il était au collège. Il
aurait une grande soeur et un petit frère présents et proches de
lui. Il nous affirma qu'il avait consulté un psychiatre des urgences
sans trouver une solution adéquate à sa situation. Aussi, le
patient nomadise la recherche de soins alors que, dans ces
antécédents, il a eu un suivi auprès d'un psychiatre
libéral et que le rendez-vous projeté dans les deux mois qui
suivront ainsi que le compte-rendu de son passage aux urgences psychiatriques
qui précédait notre consultation, établissait un bilan bio
somatique et ne démontrait aucun problème d'ordre biologique ni
somatique. Au demeurant, je signale que la recherche des toxiques n'a pas
été réalisée sur ce patient.
Avec le senior, ce patient sera orienté au centre de
proximité pour la suite de la prise en charge psychiatrique.
L'accoutrement du coach sportif, ses barbes longues, genre prophétiques,
attirèrent mon attention si bien que je le situai parmi les patients
jouissant d'une comorbidité psychiatrique dont l'origine semble
être la consommation des stupéfiants.
L'entretien avec le patient, ainsi que l'indique MJ
GUEDJ1, est au centre de cette évaluation. En effet, comme
pour tout premier entretien, il est généralement souhaitable de
laisser le patient exprimer librement sa demande (modèle vécu
lors des consultations au CPOA), son contenu et son contexte. Les questions du
genre : « Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ? » doivent être
explicitées.
Aussi, avons-nous remarqué que ce patient serait
passé par une autre consultation dans une autre urgence psychiatrique
à moins de 24heures et s'est présenté à nous pour
solliciter, de nouveau, une autre consultation au CPOA.
1 MJ GUEDJ : « les urgences psychiatriques
», édition 2008, P.38
Sept jours plus tard, de nouveau affecté en stage
dans un autre service des urgences psychiatriques au même poste, au box
de consultation, nous recevons, le senior et moi,
Dans ce cas, nous affirmons avec Mme GUEDJ qu'une erreur
fréquente est d'assimiler le contenu de la demande aux plaintes du
patient et ou de son entourage. Le cas échéant, notre patient est
venu seul à la recherche de solution à son problème de
santé mentale.
Ainsi que le note l'auteur précitée, cette
demande comporte aussi des attentes, souvent utiles dans la
hiérarchisation des troubles comorbides. À ce titre, une des
premières questions posées par le clinicien devrait être :
« qu'attendez-vous de cette consultation ? », ce qui a
été fait par le senior, secondairement, l'entretien est plus
directif et chaque hypothèse diagnostique soulevée par la
situation doit être explorée et, enfin, il faut rechercher
systématiquement les antécédents personnels et familiaux
ainsi que une comorbidité additive.
Dans ce cas clinique vécu, tous les
éléments rentrent en ligne de compte. Cependant, la notion de
consommation des stupéfiants n'y a pas trouvé sa place et n'a pu
être ni traitée ni discuter pour en dégager une
éventuelle orientation addictologique.
Nous faisons, donc, nôtres les affirmations de Mme
GUEDJ sur les conduites à tenir face aux patients poly-consommateurs des
stupéfiants. En effet, lorsque l'on se trouve en présence de ce
genre de patient, il est nécessaire, de prime abord, de tenir compte de
la souffrance et du respect dont le patient se sent l'objet car ils constituent
les socles de l'alliance thérapeutique ultérieure.
Il en découle qu'en premier lieu, l'on devra
évaluer les risques consécutifs à une intoxication, une
overdose et un sevrage et, en second lieu, évaluer la distance d'un
risque immédiat pour une demande de sevrage en urgence ou une demande de
prescription de traitement substitutif.
Par la suite, l'évaluation portera sur le risque de
l'automédication, l'abus, d'intoxication en cas de prescription
médicamenteuse immédiate, la perturbation du parcours de soins et
de la prise en charge actuelle, les possibilités de surveillance
médicale aux urgences et, enfin, il y a lieu de dépister les
troubles en rapport avec la pathologie psychiatrique.
· Situation n°2.
Monsieur x, patient, sans domicile fixe, âgé de
18 ans, amené par les pompiers pour tentative de suicide, certainement,
médicamenteuse.
Il se plaignait, selon ses dires, de douleurs abdominales
depuis plusieurs jours. En effet, alors qu'il venait d'être inscrit dans
un service de soins et d'accompagnement de personnes à usage des
produits illicites et, à peine entré dans le box de consultation,
ce patient, selon toute vraisemblance, sous l'emprise d'un état
alcoolique, insulte toutes les personnes aux alentours : pompiers, aide
soignants, infirmiers...
L'infirmier d'accueil et d'orientation tente, tout de
même, de procéder au recueil de données et lui pose une
série de questions sur les motifs de sa venue par l'intermédiaire
des pompiers aux urgences, ses antécédents et allergies ...
Ce patient, qui, au départ, s'est illustré par
des insultes, se tut et refusa de répondre au questionnement.
L'infirmier diplômé d'Etat lui explique qu'il va devoir prendre
ses constantes. Tremblotant, le patient réclame à manger et dit
qu'il a froid. Effectivement, il frissonne et il a la chair de poule. Il sembla
plus calme et coopératif. L'infirmier, diplômé d'Etat,
s'approcha de lui pour prélever les signes vitaux. Aussitôt, il
s'aperçut que son haleine alcoolique parfume le rayon de prise de signes
vitaux.
Il s'ensuit qu'au vu de ce patient, tous les symptômes
pré delirium tremens saute à mes yeux. A l'examen, le patient
lâchera la vérité en affirmant qu'il aurait consommé
du valium et 2.5 litres de l'alcool et sniffée du crack pour en finir
avec sa vie.
Ce patient, qui se retrouve en urgences psychiatriques, a
bénéficié d'un bilan biologique et somatique si bien que
le dégrisement s'est bien passé. Le delirium tremens est pris en
charge par deux équipes (urgence médicale et urgence
psychiatrique) qui ont la rémission du problème somatique. Une
orientation par l'équipe de psychiatrique tentera une hospitalisation,
sous contrainte, dans un centre médico-psychiatrique de proximité
de son secteur.
Pendant que l'équipe médicale s'occupait de
dégrisement, on nous apporta une jeune fille 19 ans, étudiante en
arts, dont les parents sont divorcés et résident à Lyon.
Elle est amenée aussi par les pompiers suite à un appel de la
gouvernante de la résidence estudiante, car elle est partie la voir pour
lui dire qu'elle n'allait pas bien sans pourtant autant lui signifier qu'elle
venait de consommer du cannabis et qu'aussitôt, elle a eu une crise
d'angoisse, une crise de panique.
2. GUEDJ, op.cit, P.39
Après l'avoir questionnée, je lui ai fait. Elle
ne voulait pas raconter son expérience de consommation du cannabis mais
commença par parler du décès d'un proche car elle est
issue d'une fratrie de deux enfants dans une famille en éclosion. Elle
me raconta que son frère ainé est mort au cours d'un accident de
trafic routier, que ses parents étaient en processus de divorce et que
chacun vit chez lui. Elle jugeait bon de quitter sa province natale pour venir
effectuer ses études des arts de scènes sur Paris.
La crise d'angoisse pour laquelle elle est admise aux urgences
psychiatriques surgit à sa seconde consommation du cannabis dans un seul
but de palier sinon d'oublier le quotidien de sa vie et, surtout, d'effacer
l'image de décès de son unique frère, mort il y a à
peine une année.
Après le bilan somatique standard et correction
hydrique parentérale, il s'avéra qu'elle n'avait aucune personne
de proximité à interpeller, les parents résidant à
Lyon. Ne pouvant faire déplacer les parents de Lyon à Paris, nous
tentâmes de leur téléphoner pour prendre une
décision finale d'orientation de soins mais les contacts
téléphoniques des deux parents étaient improductifs.
Face à cette situation, le médecin senior
décida de l'orienter vers le médecin scolaire pour le suivi.
Choix des situations.
J'ai choisi ces deux groupes de situations car on y retrouve
des éléments assez significatifs de consommation des produits
psychoactifs et que l' on rencontre fréquemment dans les services
d'Urgences psychiatriques et /ou les services urgences
médico-chirurgicales.
Dans la situation n°1, l'on y aperçoit un aspect
très récurent des services d'urgences : La moindre
méconnaissance des patients au profil des usagers des produits
psychoactifs fait qu'on rate la prise en charge de ces patients si on ne
cherche pas les toxiques urinaires. Une simple bandelette orientera à
moitié l'examinateur dans la prise de décisions, ce qui constitue
une approche nette psychiatrique et addicte.
Au demeurant, en raison de leur prévalence, la
dépendance et l'abus de cannabis doivent être recherchés
systématiquement, affirme Mme GUEDJ2 et plus
particulièrement chez les adolescents car, chez, les jeunes adultes se
pose le problème diagnostic différentiel entre le syndrome
dépressif et le syndrome amotivationnel.
Ce dernier comporte un déclin scolaire, une aboulie et
une anhedonie dont l'intensité peut en imposer pour une authentique
dépression si bien qu'en l'absence de demande explicite du patient, il
faut saisir l'opportunité offerte par la consultation d'urgence pour
dépister une dépendance ou un abus de cannabis. L'instauration
d'une dimension médicale dénuée de jugement moral permet
parfois d'ébaucher une alliance thérapeutique. Enfin si le
diagnostic différentiel est prioritaire, il ne faut pas négliger
le diagnostic comorbidité d'un trouble de l'humeur évoluant pour
son propre compte.
Dans la situation n°2, l'on rencontre un cas où la
communication entre le soignant et le soigné semble impossible au
départ, car le patient, en état d'ébriété,
n'est pas en mesure de comprendre la teneur du message envoyé par l'IDE.
Mais il finit par coopérer pour bénéficier des soins.
Il s'ensuit, donc, à notre avis, que la
précipitation de diagnostiquer conduit très souvent à des
erreurs de décision de prise en charge. Cependant, le calme ainsi que le
temps accordé et engagé pour chaque patient peut entrainer la
prise de bonnes décisions en faveur de ce dernier. D'où, il en
découlera une prise en charge complète et authentique.
Aussi, paraît-il intéressant qu'en tant que futur
prestataire des urgences
psychiatriques, il est impérieux de comprendre plus
précisément les causes de la crise psychiatrique fréquente
au SAU.
Voilà la manière que peut impacter la relation
soignante et soigné en psychiatrie en vue d'adapter la prise en charge
de ce dernier.
Il découle de ces deux cas cliniques (situations
vécues) en comparaison à la littérature scientifique et en
se fondant sur les cours dispensés par Dr DERVAUX, qu'il y a lieu de
retenir les leçons suivantes :
- Les troubles de la personnalité
arrivent assez fréquemment chez les patients avec addictions +++
Epidemiologic Catchment Area Study (ECA) en population
générale américaine
- 14% des sujets alcoolodépendants
- 15% des sujets dépendants au cannabis -
37% des sujets dépendants aux opiaçés -
43% des cocaïnomanes
Contre 3% en population générale
américaine [Regier et al 1990] et 0,7% dans une étude
européenne [Torgersen et al 2001].
A cet égard, Madame Guedj3 précise,
en revanche, que l'association d'un trouble de personnalité à un
autre trouble psychiatrique justifiant la consultation constitue l'une des
situations les plus fréquemment rencontrées en termes de
comorbidité.
Il s'ensuit que, quand le diagnostic d'un trouble de
personnalité est évoqué en urgence, il est pertinent de
privilégier le diagnostic comorbide par rapport au diagnostic
différentiel pour éviter de scotomise, un pan important de la
psychopathologie. Ce principe est d'ailleurs implicite dans les classifications
internationales où il est proposé de répertorier les
troubles de personnalité sur un axe indépendant.
CHAPITRE 2 : LA PROBLEMATIQUE DE LA TOXICOMANIE 2.1. La
toxicomanie.
La toxicomanie est un phénomène
multidimensionnel de nature biopsychosociale4. Cette
problématique a tellement des conséquences pour le sujet
lui-même, entre autres, pour sa santé et pour ses proches, qu'on
pense aux difficultés conjugales. Ses conséquences se font
également sentir à l'égard de l'ensemble de la
société, notamment, par les comportements à risque, tels
que la conduite en état d'ébriété.
La consommation des substances psychoactives peut varier au
cours de la vie d'un sujet depuis l'abstinence à la dépendance,
en passant par divers modes de consommation socialement acceptés ou
abusifs.
Pour être considérée comme un trouble
mental, la consommation doit se manifester en un mode de consommation
pathologique répondant à certains critères.
Les critères de l'OMS (1992)5 et de l'APA
(1994)6 pour déterminer la présence d'un trouble
lié à une substance psychoactive se regroupent autour des
dimensions suivantes :
- importance de plus en plus marquée de la consommation
dans la vie du sujet; sentiment subjectif de perte de contrôle de la
consommation; apparition et maintien de comportements inadaptés ou
dangereux; abandon ou négligence d'activités sociales,
professionnelles ou récréatives dus à la consommation;
apparition d'indices de tolérance aux effets du produit ou de
symptômes de sevrage lors de périodes d'arrêt de la
consommation.
L'APA reconnaît deux types de troubles liés aux
substances psychoactives, à savoir les troubles d'abus ou de
dépendance. Ces troubles, répertoriés à l'axe I du
DSM-IV, sont décrits selon une classification par prototype.
Les troubles de la personnalité ont une
prévalence marquée dans la population
3. GUEDJ, op.cit, P.40
4. CORMIER, 1984
5. OMS, , 6 APA,
toxicomane.
Ainsi, comme l'indique le tableau 2, lorsque les
critères diagnostiques du DSM-III sont utilisés, la proportion de
sujets présentant au moins un trouble de la personnalité varie de
53% à 100% dans des échantillons présentant un trouble
lié aux substances psychoactives (Calsyn et Saxon, 1990; Craig, 1988;
Craig et Olson, 1990; Dougherty et Lesswing, 1989; Khantzian et Treece, 1985;
Koenigsberg, Kaplan, Gilmore et Cooper, 1985; Marsh, Stile, Stoughton et
Trout-Landen, 1988; Weiss, Mirin, Michael et Sollogub, 1986).
Les critères de l'OMS sont plus stricts que ceux de
l'APA et identifient moins fréquemment des troubles de la
personnalité (Hesselbrock, Stabenau, Hesselbrock, Mirkin et Meyer,
1982).
En utilisant ces critères, Glass et Jackson (1988)
soulignent que seulement 24% (en 1970-72) et 12% (en 1979-81) des patients d'un
hôpital de Londres présentaient une comorbidité
«alcoolisme»/troubles de la personnalité. Par contre, ces
sujets constituaient la plus grande proportion des patients présentant
un diagnostic double, soit 55% (en 1970-72) et 32% (en 1979-81).
Dans l'ensemble de la documentation, les troubles les plus
souvent identifiés en parallèle à la toxicomanie sont les
troubles de la personnalité antisociale, limite, narcissique et
dépendante. Toutefois, l'ensemble des troubles se retrouvent dans cette
population.
Il s'ensuit qu'on peut donc affirmer avec certitude que les
troubles de la personnalité apparaissent de façon commune et
diversifiée dans le tableau clinique des troubles liés aux
substances psychoactives.
Par ailleurs, le trouble de la personnalité antisociale
a reçu une attention particulière puisqu'il constitue le trouble
dont la prévalence est la plus élevée et qu'il est le seul
trouble de la personnalité évalué à l'aide du
Diagnostic Interview Schedule (DIS, Robins, Helzer, Croughan et Ratcliff,
1981)7, une entrevue semi-structurée utilisée dans de
nombreuses études.
Comme l'indique le tableau 3, les taux de prévalence du
trouble de la personnalité antisociale, évalués selon les
critères du DSM-III ou du DSM-III-R dans des échantillons ou
sous-échantillons de sujets traités pour trouble lié
à l'alcool, varient de 10 % à 53 % (Dawes, Frank et Rost,1993;
Helzer et Pryzbeck, 1988, Hesselbrock, Meyer et Keener,1985; Ross, Glaser et
Stiasny, 1988).
Pour sa part, Craig (1988) cite sept études qui
indiquent un taux variant de 22 % à 50% lorsque le MMPI est
utilisé.
Dans la population générale, les données
de l'enquête épidémiologique multisite du Epidemiological
Catchment Area (Myers et coll., 1984) utilisant le DIS indiquent que 14 % des
personnes ayant un trouble lié à l'alcool ont aussi un trouble de
la personnalité antisociale de même que 18 % des personnes ayant
un trouble lié aux drogues illicites. La probabilité de
présenter un diagnostic de trouble de la personnalité antisociale
est multipliée par quatre chez les hommes et par douze chez les femmes
si un diagnostic de trouble lié à l'alcool est présent
(Helzer et Pryzbeck, 1988).
2.2. La survenue de la toxicomanie.
A cet égard, il importe de mentionner qu'un trouble de la
personnalité se développe
7 DIS, Robins, Helzer, Croughan et Ratcliff, 1981
dans l'enfance ou l'adolescence et se maintient dans la vie
adulte alors que la toxicomanie apparaît souvent à l'âge
adulte.
En examinant l'histoire de vie d'un sujet, il est possible de
déterminer l'antériorité d'un trouble par rapport à
l'autre, c'est-à-dire, d'identifier quel trouble est apparu le premier.
Schuckit (1979)8 rappelle que, dans les cas de comorbidité,
il est important, pour l'élaboration du plan de traitement et pour
l'intervention, elle-même, d'identifier quel trouble est apparu en
premier. En d'autres termes, il faut identifier le trouble primaire.
Il importe de savoir, qu'un trouble de la personnalité
peut être primaire par rapport à une toxicomanie; une toxicomanie
peut être primaire par rapport au développement d'une
désorganisation de la personnalité imitant un trouble de la
personnalité ou les deux troubles peuvent apparaître de
façon simultanée dans le développement du sujet.
En effet, s'il s'avère que les signes de troubles de la
personnalité apparaissent présents avant la toxicomanie, l'on
doit examiner la manière dont la dépendance s'inscrit à
l'intérieur des manifestations du trouble de la personnalité. Une
hypothèse serait alors que la toxicomanie est un symptôme du
trouble de la personnalité.
Si tel est le cas, on peut s'attendre à une série
de rechutes tant que le trouble de la personnalité, qui est à
l'origine de la toxicomanie, ne sera pas traité (Brown,
1992)9.
En revanche, si la toxicomanie est apparue avant les premiers
signes de désorganisation de la personnalité, une
hypothèse serait alors que cette désorganisation est une
conséquence du développement d'un mode de consommation
pathologique.
Si tel est le cas, il est probable que les signes de
désorganisation disparaîtront ou diminueront de façon
significative avec l'arrêt de la consommation (Penick et coll.,1990).
Toutefois, il faut se rappeler que l'arrêt de
consommation n'est pas synonyme d'intégration sociale (Luthar, Glick,
Zigler et Rounsaville, 1993). C'est dans cette optique que l'axe V fut
intégré à l'évaluation multiaxiale du DSM-III et de
ces successeurs.
Le niveau de fonctionnement optimal manifesté par un
sujet avant l'apparition d'un trouble lié à une substance
psychoactive indique le niveau de fonctionnement auquel on peut s'attendre
suite à l'arrêt de la consommation.
Si le sujet présentait un fonctionnement carencé
avant le développement du trouble, alors une intervention axée
spécifiquement sur ces carences devra être envisagée.
Monti, Abrams, Kadden et Cooney (1988) ont
développé un programme d'apprentissage des habiletés
sociales spécifiquement conçu pour les besoins des sujets
présentant un trouble lié à une substance psychoactive.
De ce programme, il apparait que, si le trouble de la
personnalité et la toxicomanie furent tous deux partie intégrante
du développement du sujet, il sera alors d'autant plus difficile de
départager ce qui est une conséquence ou une manifestation de
l'un ou de l'autre dans les difficultés que présente le sujet.
L'intervention devra tenir compte de l'interaction quasi inextricable de ces
deux troubles.
La recherche d'une cause commune dans la socialisation ou dans
les caractéristiques psychologiques du sujet sera alors l'avenue
d'exploration vraisemblablement la plus profitable.
Une difficulté dans la régulation de l'humeur,
une identification à des normes sociales
8 Schuckit,....., 1979, P....
9 Brown,...., 1992, P....
déviantes ou même une vulnérabilité
biologique rendant un sujet particulièrement sensible au stress sont les
causes communes les plus souvent citées comme pouvant entraîner le
développement parallèle d'un t
A la seconde question ayant pour objet la fonction de la
consommation dans la vie du sujet, il faut rappeler qu'un grand nombre de
sujets ont recours à des substances psycho-actives afin de
«régler des problèmes».
Dans l'étude de cas de Southwick et Satel (1990)
précédemment mentionnée, le sujet C. consommait de
l'alcool ou de l'héroïne parce que cette consommation avait sur lui
un effet sédatif qui lui permettait d'éviter de réagir de
façon violente lorsqu'il était contrarié. C.
présentait un diagnostic de troubles de la personnalité
limite.
Dans le cas de Danny décrit par O'Malley, Kosten et
Renner (1990), la consommation de cocaïne lui permettait d'avoir
l'énergie et la confiance en lui, nécessaires à la
réalisation des objectifs exigeants qu'il s'était fixés.
Danny présentait un diagnostic de trouble de la personnalité
narcissique.
Dans ces deux cas, l'identification de la fonction de la
consommation a donné un point de départ à l'intervention
ainsi que des indices quant à la nature de l'interaction entre le
trouble de la personnalité sous-jacent et le trouble lié à
une substance psychoactive.
Par ailleurs, de nombreuses grilles d'auto-observation de la
consommation permettent aux cliniciens d'identifier la fonction de la
consommation chez un sujet (Sanchez-Craig, 1984, Marlatt et Gordon, 1985).
S'agissant de la troisième question qui explore les
pressions du milieu d'identification du sujet face à la consommation et
à l'abstinence, il faut garder en mémoire que si la toxicomanie
peut trouver sa source dans la vie intra-personnelle d'un sujet, celle-ci peut
également être renforcée par le milieu rouble de la
personnalité et de la toxicomanie (Sher et Trull, 1994), le social dans
lequel ce sujet est ancré.
En effet, dans certains milieux, la prise d'alcool ou de
produits illicites est un facteur d'identification et de statut.
Il en découle que, pour un sujet provenant d'un tel
milieu, prôner les vertus de l'abstinence peut entraîner une
confrontation du sujet avec ses pairs au sujet de la consommation.
Il devient alors important d'explorer les implications de la
consommation et de l'abstinence en relation à l'identité sociale
du sujet. Une référence à des groupes de soutien, tels les
Alcooliques anonymes ou autres, permettra aux sujets de tisser un nouveau
réseau social où la consommation ne sera pas un facteur
d'acceptation (Nace, 1990).
Finalement, un grand nombre de chercheurs s'entendent sur la
nécessité d'intervenir spécifiquement en regard du trouble
lié à une substance psychoactive dès que celui-ci est
identifié (Blume, 1989; Nace, 1990; O'Malley, Kosten et Renner, 1990;
Southwick et Satel, 1990), y compris les auteurs qui perçoivent la
toxicomanie comme le symptôme d'une carence sous-jacente de la
personnalité (Brown, 1992).
Un trouble lié à une substance psychoactive est,
en effet, un facteur qui complique le traitement des troubles concomitants
(O'Malley, Kosten et Renner, 1990).
D'ailleurs, certains auteurs considèrent qu'un
traitement axé sur la toxicomanie constitue une bonne préparation
au traitement d'un trouble de la personnalité.
Un trouble de la personnalité étant
égo-syntonique, en accord avec la personnalité, les sujets sont
souvent peu enclins ou trouvent difficile d'aborder la question de leur
personnalité puisque celle-ci ne leur apparaît pas comme
problématique.
Southwick et Satel (1990) estiment qu'aborder la consommation et
les problèmes qu'elle entraîne constitue un bon moyen d'avoir
accès au vécu émotionnel de ces sujets. Ces auteurs
ajoutent de plus que travailler un comportement que les sujets reconnaissent
eux-mêmes comme problématique permet de créer un lien
thérapeutique. Nace (1990), quant à lui, rappelle que certaines
caractéristiques de la plupart des programmes de traitement de la
toxicomanie correspondent aux premières étapes d'un traitement
pour trouble de la personnalité. Celui-ci mentionne la structure de
l'environnement de traitement, l'accent sur l'expression des émotions
plutôt que sur leur évitement de même que l'examen du mode
d'interaction interpersonnel.
Au surplus, si un traitement de la toxicomanie ne peut
être suffisant pour éliminer la présence d'un trouble de la
personnalité concomitant, l'inverse est également vrai. En effet,
un traitement pour trouble de la personnalité ne peut être
suffisant pour éliminer la présence d'une toxicomanie.
Afin de pallier cet état de fait, une meilleure
coordination des programmes axés vers le traitement de l'un ou de
l'autre de ces troubles ne peut être qu'encouragée.
Il en découle, donc, que la problématique de la
comorbidité trouble de la personnalité/toxicomanie comporte un
intérêt particulier.
En effet, les troubles de la personnalité sont
présents de façon fréquente et diversifiée dans le
profil de sujets ayant également un trouble lié à une
substance psychoactive.
Les positions suggérées au sujet du lien
unissant les troubles de l'axe I aux troubles de l'axe II s'appliquent
également au lien trouble de la personnalité/toxicomanie. L'une
ou l'autre de ces positions sont appropriées dans certains cas, alors
qu'elles ne le sont pas dans d'autres.
Toutefois, certaines questions peuvent aider les
évaluateurs ou les cliniciens dans l'identification du lien à
l'oeuvre chez un sujet cible : A titre illustratif, Quand la toxicomanie
est-elle apparue dans le développement du sujet? Quelle est la fonction
de la consommation dans la vie du sujet? Est-ce que la consommation s'inscrit
à l'intérieur des normes sociales du milieu d'identification de
l'individu? L'examen de ces questions permet aux chercheurs comme aux
intervenants de se situer quant à l'importance relative de la
toxicomanie et du trouble de la personnalité.
Par ailleurs, plusieurs auteurs recommandent une intervention
spécifique axée sur la toxicomanie dès qu'un tel trouble
est identifié. En effet, la toxicomanie complique le traitement des
troubles concomitants et une telle intervention constitue la première
étape du traitement d'un trouble de la personnalité.
De plus, il peut y avoir une contradiction dans les termes. La
crise semble parfois même être un mode de gestion. Ainsi, peut-on
lire dans un rapport français de 2006 que:
L'on peut, donc, en définitive, affirmer que
l'optimisation de l'efficacité des interventions auprès des
sujets présentant une comorbidité trouble de la
personnalité/toxicomanie dépend de la coordination des programmes
offrant des services spécifiques pour ces problématiques.
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