Création de valeur dans l'industrie du
jeu-vidéo: Développement d'activités, convergence de
filières.
Analyse stratégique et opportunités de
développement du business unit Gaming & Network Services de Sony
Inc.
GOUYER Guillaume MORAND
Valentin
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Département LSO Université
Paris-Dauphine
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Table des matières
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Diagnostic stratégique externe
1. Périmètre d'activité de l'industrie
du jeu vidéo 3
2. Analyse de l'offre 4
2.1. Spécificités culturelles et
économiques du secteur 4
2.2. Typologie et cartographie des groupes stratégiques
7
2.3. Modes de production et de distribution 9
3. Analyse de la demande 12
3.1. Structure et segmentation 12
3.2. Caractéristiques économiques et
évolution de la demande 16
4. Facteurs environnementaux et intensité
concurrentielle 19
4.1. Analyse PESTEL 19
4.2. Analyse des forces de Porter 20
Diagnostic stratégique interne
1. Chaîne de valeur de Sony Interactive Entertainment
22
2. Audit des ressources et compétences
stratégiques de SIE 23
2.1. Ressources immatérielles 23
2.2. Ressources physiques 23
2.3. Ressources humaines 23
2.4. Ressources financières 24
2.5. Compétences fondamentales 24
3. Analyse VRIO 25
4. Matrice BCG 26
5. Analyse TOWS 27
Recommandations
1. Consolidation des activités existantes 29
2. Développement de nouvelles activités 37
Introduction
3
Sony Interactive Entertainment (SIE) est la filiale du groupe
Sony et son domaine d'activité «Gaming & Network
Services», spécialisée dans la production et la
commercialisation de jeux-vidéos et de consoles de jeu, le
développement de services multimédia ainsi que la distribution
digitale des produits d'autres sociétés. SIE présente un
positionnement de leader et de price-maker de la filière des consoles
depuis son entrée sur le marché avec la première
itération de PlayStation. La firme définit sa mission comme celle
d'un challenge de créativité avec l'émergence d'un univers
de plaisir et de rêve pour ses clients, en les inspirant et en
satisfaisant leur élan de curiosité. Sa vision est guidée
par la philosophie du Kando, qui ne possède pas de définition
française mais qui correspond à un esprit d'inspiration et de
partage émotionnel. Kazuo Hirai, ancien président historique de
Sony, définissait cette philosophie du Kando(1) par la
création d'une «connexion émotionnelle» avec les
usagers. L'ambition première était de développer des
produits uniques et hautement sophistiqués en fonctionnalités et
en design pour construire ce lien particulier avec les consommateurs de la
marque japonaise. Sony cultive un positionnement haut-de-gamme, correspondant
majoritairement à une sophistication sans surprix sur l'horloge
stratégique Bowman & Faulkner.
Sony Interactive Entertainment Incorporation s'organise
à l'échelle mondiale en filiales réparties par zones
géographiques, avec Sony Interactive Entertainment Japon et Asie, Sony
Interactive Entertainment Europe et Sony Interactive Entertainment
Amérique où le siège des activités de
développement et de design PlayStation HQ est implanté. Les
domaines d'activités stratégiques de Sony sont divers et
complémentaires, mais depuis plusieurs années, celui du
divertissement et du jeu-vidéo a pris le pas financièrement sur
l'ensemble des activités du groupe. SIE a ainsi
généré un chiffre d'affaires de 1943,8 milliards de Yens
(14,7 milliards d'euros) en 2017, avec un résultat d'exploitation de
177,5 milliards de yens (1,35 milliards d'euros).
Si le secteur du jeu vidéo requiert des investissements
en capital technologique importants en raison de la production de biens et
services à forte valeur ajoutée pour les utilisateurs, cette
industrie demeure très concurrentielle et marquée par des cycles
d'innovation courts et par une constante destruction créatrice.
Néanmoins, malgré sa place de leader, SIE fait face à deux
autres groupes mondiaux intégrés, Microsoft et Nintendo, avec qui
elle se partage la filière de la production de consoles, tout en
étant en concurrence avec des éditeurs de jeux majeurs tels que
Electronic Arts, Ubisoft, Activision-Blizzard et Take-Two Interactive. Nous
avons ainsi choisi ce sujet en raison de la forte intensité
concurrentielle et des particularités économiques de cette
industrie, actuellement confrontée à l'apparition de nouveaux
acteurs et de nouvelles technologies menaçant les activités de
Sony Interactive Entertainment. Les risques concernent tant la perte de la
position concurrentielle de la société, que la possible
disparition de la filière des consoles face à l'émergence
du cloud gaming. Les enjeux relatifs sont ainsi la consolidation de sa
position, tout en considérant un possible pivot stratégique dans
la transformation de ses produits.
1.
Diagnostic stratégique externe
4
Périmètre d'activité de l'industrie du jeu
vidéo
Avec un chiffre d'affaires de 108,9 milliards de dollars, le
marché du jeu vidéo connaît une forte croissance de plus de
7% par an. Le marché n'est pas sensible à la conjoncture
économique et aux évolutions de l'environnement
macroéconomique. Malgré la baisse des dépenses en loisir
dans les pays développés, le jeu vidéo ne voit pas son
secteur fragilisé compte tenu de l'incertitude des foyers quant à
l'économie mondiale. De cela, le marché est en pleine expansion
et s'étend vers de nouveaux horizons.
On assiste à l'apparition de nouveaux acteurs (GAFA et
sociétés asiatiques) et à une expansion du
périmètre géographique grâce à l'ouverture de
nouveaux marchés, pour des raisons politiques en Chine
développées dans l'analyse PESTEL, ou liées à un
taux d'équipement croissant en Asie du Sud-Est. L'industrie du
jeu-vidéo présente des cycles d'innovation courts et un
renouvellement continu de l'offre, dynamisant en outre la demande, dus à
l'interdépendance avec d'autres secteurs hautement technologiques comme
la smart télévision, les infrastructures internet ultra-haut
débit et le développement de composants graphiques et de
processus.
2. Analyse de l'offre
2.1. Spécificités culturelles et
économiques du secteur
Une industrie historiquement marquée par la destruction
créatrice
À la fin des années 1970, l'industrie de
l'arcade et du jeu-vidéo était une filière
économique déjà importante au Japon. Nintendo était
à l'époque une société spécialisée
dans la vente de jouets ludiques ainsi que la création de machines
d'arcade pour bars et magasins de divertissement, avec des licences telles que
Donkey Kong et Mario (Jumpman). Avec la popularité croissante des
consoles de jeu américaines telles que les Atari 5200 et Mattel
Intellivision, Nintendo a vu l'opportunité de développer ses
propres jeux pour les consoles Atari et ses propres consoles pour le
marché local japonais, en déclinant l'univers de ses jouets sous
licence afin de créer une expérience de jeu nouvelle pour les
joueurs. Il s'agissait de dépasser le simple cadre de l'arcade pour
réaliser des jeux de plateforme et d'aventure, avec une trame et un
storytelling. Si le krach de l'industrie du jeu-vidéo en 1983
(2) a entraîné la chute des acteurs majeurs
transpacifiques et concurrents de Nintendo, la robustesse du marché
japonais par l'attrait important des consommateurs locaux pour ces nouveaux
modes de divertissement a permis à Nintendo de résister à
l'érosion des marchés financiers sur cette classe d'actifs.
Au-delà même, Nintendo a profité du recul des acteurs
américains comme une occasion d'exporter sa console-phare, la Famicom ou
NES (Nintendo Entertainment System) sur le marché international, lui
permettant alors de s'établir comme numéro un de l'industrie
mondiale du jeu-vidéo grâce à une expérience
qualitative pour les joueurs, en rupture avec la bibliothèque de jeux
certes quantitative mais de très faible qualité d'Atari
(3). On retrouve ainsi l'idée de destruction créatrice
dans la redistribution des rôles dans l'industrie mondiale du jeu
vidéo des années 1980.
5
Entre la fin des années 1980 et le début des
années 1990, la concurrence des sociétés
américaines éditrices de jeux était alors relativement
faible, dès lors que Nintendo avait procédé à la
mise en place de droits d'accès et d'exploitation aux prix prohibitifs
pour les éditeurs, avec en outre des normes techniques visant à
protéger son système propriétaire et son monopole
nouvellement acquis. À cela s'est joint une stratégie agressive
sur le plan juridique, Nintendo attaquant Atari pour atteinte à la
propriété intellectuelle, en réponse à des
poursuites venant d'Atari aux États-Unis sur les pratiques
anti-compétitives de Nintendo, dans le cadre de la législation
anti-trust. (4)
«Flipping back to the time when the NES is being
developed, President Yamauchi studies the video game crash of 1983-84 and
realizes that a big problem was the flooding of the market with inferior
product by numerous companies little concerned for quality. To avoid this,
Nintendo instigates a strict (some might say, draconian) third-party licensee
program, allowing only select developers make games for the NES. When you sign
up for this program, you play by Nintendo's rules. The company demands a 20
percent royalty on game sales, as well as a manufacturing fee of $14 per
cartridge, which Nintendo then farms out at a cost to them of $7 per
cartridge.»
Des nouvelles sociétés comme Sega et Sony se
sont développées en s'inspirant de l'écosystème et
des standards techniques de développement de Nintendo. Lorsque Sega
décidait de produire des nouvelles consoles comme la MegaDrive, Sony
s'alliait à Nintendo en développant des contenus additionnels
comme le système de son 8 canaux Sony Dolby pour la NES. Sony
était déjà une entreprise majeure dans le
développement de CD-Roms et de produits multimédia quand Nintendo
s'est rapproché de la société une nouvelle fois, pour
créer un système de lecture de CD-Roms pour sa console NES, et
développer les capacités en stockage mémoire
au-delà de celles particulièrement restrictives des
cartes-mémoire alors utilisées à l'époque, tout en
profitant du coût de production largement plus faible des CD-Roms par
rapport à celles-ci. Après un revirement de Nintendo en raison
d'éléments contractuels à son désavantage et
non-relevés en première instance lors de la signature, la rupture
de contrat a permis à Sony de capitaliser sur l'expertise technique
acquise lors de sa collaboration avec Nintendo en travaillant directement sur
les consoles NES, pour développer sa propre console de jeu PlayStation
en exploitant le succès grandissant de la 3D dans l'industrie du
jeu-vidéo(5).
Si Sony ne possédait pas les ressources et les
compétences pour développer ses propres jeux, l'entreprise a
décidé d'opter pour une stratégie d'alliance additive et
exclusive avec des acteurs japonais majeurs de l'industrie du jeu-vidéo
à l'instar de Namco, tout en bénéficiant de
l'attractivité liée aux possibilités étendues de
création de jeux-vidéos sur CD-Rom pour les éditeurs
mondiaux avec des coûts liés aux droits d'exploitation plus
faibles, tranchant avec les pratiques de prix prohibitifs de Nintendo. En
imposant un nouveau standard, Sony s'est ainsi constitué un avantage
concurrentiel temporaire mais suffisamment important pour
bénéficier d'un taux de pénétration de
marché spectaculaire et mettre fin au duopole Sega-Nintendo. Face aux
stratégies isolationnistes de Nintendo et de Sega qui
privilégiaient un développement interne de leurs propres jeux
sous licence et considéraient les éditeurs tiers comme des
clients particulièrement rémunérateurs, Sony a
préféré prendre le contre-pied de cette stratégie.
L'un des facteurs-clé de succès du développement de
l'activité de Sony dans la production et la vente de consoles a ainsi
été la constitution d'un écosystème ouvert et
durable d'éditeurs tiers de jeux.
Avec sa seconde itération de consoles
dénommée PlayStation 2, Sony a continué d'exploiter les
synergies liées à ses autres domaines d'activité
multimédia, mais également sa maîtrise des
stratégies de commercialisation en milieu hyper-compétitif.
L'entreprise a poursuivi sa stratégie de différenciation, en
s'ouvrant à des segments de consommateur à la fois plus jeunes
mais
6
également plus vieux, par une segmentation mass-market
face à la stratégie ciblée autour des 17-20 ans de
Nintendo, en proposant un catalogue de jeux variés grâce à
sa proximité avec les éditeurs de jeux. Avec cette nouvelle
console, la plus vendue à ce jour dans le monde, Sony a su
s'établir en tant que leader mondial de la filière de production
de consoles de jeu. En réponse, Nintendo a lancé une nouvelle
console Gamecube destinée aux cibles les plus jeunes, en se concentrant
sur son premier facteur-clé de succès, à savoir ses
licences internes au sein d'un univers ludique, avec un franc succès en
terme de contenu, mais derrière Sony tant dans les
caractéristiques techniques de son produit, dans l'attractivité
des éditeurs tiers que dans les parts de marché relatives
à l'international. La concurrence entre ces deux groupes s'est
également portée sur la filière des consoles portables,
historiquement monopolisée par Nintendo, mais bouleversée par
Sony lors de la commercialisation de la PSP (PlayStation Portable) et de la
PlayStation Vita, profitant de son expertise dans la création de
baladeurs Walkman pour dépasser l'univers du jeu-vidéo et
proposer un produit multimédia.
Convergence de filières industrielles et formation de
clusters
Dans l'autre zone géographique majeure de l'industrie
du jeu-vidéo, en Amérique du Nord, de nombreux éditeurs
avaient décidé de se focaliser sur les jeux-vidéos
destinés aux ordinateurs et macintosh du fait des pratiques abusives de
Nintendo, leader pendant plus d'une décennie entre 1984 et 1995. Si
certains ont également développé leur activité sur
console avec la sortie de la PlayStation et l'ouverture à des standards
techniques proches de la filière PC (CD-Rom, programmation en langage
C#), la majorité des activités restait concentrée sur les
jeux en ligne sur ordinateurs, alors que les consoles ne permettaient pas
encore un accès à internet. Si Microsoft a timidement
tenté une entrée sur le marché avec une console Xbox
première génération, la firme américaine n'a connu
le succès qu'avec l'entrée de sa seconde
génération, la Xbox 360, proche de la nouvelle Sony PlayStation 3
dans ses caractéristiques (accès à internet, moteur
graphique complexe et plateforme multimédia intégrée).
Avec cette quatrième phase dans la filière des consoles, on
assiste alors à un rapprochement des industries de production
d'ordinateurs, de consoles mais également des éditeurs de jeux
qui étaient relativement cloisonnés entre les univers consoles et
PC. Plus récemment, les consoles de dernière
génération lancées en 2013 correspondent à la
poursuite de cette convergence entre les PC et les consoles, avec des produits
de plus en plus développés technologiquement, et une ouverture
toujours plus forte vers les services multimédia annexes comme la
musique et les films, souvent en alliance supplémentaire avec d'autres
sociétés (comme Sony et Spotify sur la PlayStation 4, ou
Microsoft et Pandora sur la Xbox One).
À travers cet historique, on comprend les raisons de
l'émergence et de l'existence actuelle de deux zones
géographiques distinctes, correspondant à des places fortes de
l'industrie du jeu-vidéo, au Japon (avec Sony à Tokyo, Nintendo
à Kyoto), et en Amérique du Nord, avec Microsoft et de nombreux
éditeurs en Californie (Silicon Valley), mais également à
Montréal au Canada. Plus récemment, on note la naissance
d'acteurs de l'édition de jeux mobiles en Asie du Sud-Est (Chine,
Ta ·wan) avec Tencent et NetEase parmi les premiers éditeurs
mondiaux en chiffre d'affaires. Ces particularités industrielles ont
ainsi conduit à une convergence des filières de l'industrie du
jeu-vidéo dans un modèle de clusters industriels, défini
comme «la concentration géographique d'entreprises
interdépendantes, distributeurs spécialisés, prestataires
de services numériques, entreprises de support et universités
liées autour de technologies communes ou d'un produit final dans une
région donnée». (Porter, 1998) Néanmoins, avec les
générations de consoles les plus récentes, hautement
développées sur le plan technologique et la convergence des
filières PC et consoles, ces différences culturelles
disparaissent progressivement. Ce phénomène est aussi lié
à la mise en oeuvre d'une stratégie de développement
globalisé, que l'on retrouve dans la standardisation de la production et
de la commercialisation des consoles.
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