TROSIEME PARTIE :
DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI » DE LA GOUVERNANCE
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Chapitre A : De l'effectivité de l'Etat et du
système de dévolution du pouvoir
A priori l'expression « philosophie mossi » de la
gouvernance inciterait à une compréhension partielle de la
vocation de l'intitulé de cette partie. Elle pourrait faire allusion
à un mode d'être ou de pensée spécifique, à
une manière spéciale de réfléchir ou
d'appréhender le concept de «gouvernance» propre aux mossi et
en en faisant un peuple archétypal, une référence dans son
mode d'être politique par rapport à tous les types d'organisation
qu'a connu l'Afrique traditionnelle. Il s'agit plutôt pour nous d'une
tentative de mise en exergue d'un ensemble de structures politiques et
étatiques, d'une déclinaison de son système de gouvernance
et de juridiction, de ses d'institutions établies en vu d'exercer et de
transmettre le pouvoir, de gérer la chose publique comme d'ailleurs cela
a existé chez les autres peuples.
En effet, si gouverner c'est conduire, régir ou diriger
un peuple ou un Etat pour une finalité quelconque, sa pratique ne
saurait être efficace sans instruments politiques rigoureuses, sans
appareils étatiques conséquents susceptibles de rendre manifeste
sa présence dans la sphère publique. Et c'est justement pour cela
que cette partie essaiera de faire apparaitre la manière dont l'Etat
mossi, en tant qu'édifice, est construit et structuré ; entendant
par là son effectivité c'est-à-dire son mode de
fonctionnement à travers ses institutions. Il s'agira également
de voir comment s'effectue le phénomène de
délégation du pouvoir en tant que paramètre dans la
démocratisation d'un système politique ? En quoi consiste t-il et
quels sont les paramètres intervenant dans son opération ?
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1-De l'agencement du corps politique
En son sens étymologique, la politique désigne
une science ou un art de gouverner, de conduire les affaires publiques d'une
cité, d'un Etat. Etat en tant que structure ou corps politique
organisé ou association de peuples dont le chef prend le dessus sur les
groupements familiaux. Ainsi il renverrait à tout mode d'organisation
politique dont la finalité est la sauvegarde et la garantie, par le
biais de lois légales et légitimes, un patrimoine commun.
Dés lors la politique semblerait déterminer le type de
gouvernance ou de régime d'un pays, d'un empire ou, pour ainsi dire, de
toute société.
Cependant aborder le problème de la structuration
politique de l'Etat moose, de son organisation et de son mode de transmission
du pouvoir sans, au préalable, donner un contenu sémantique ou
expliciter ce qui, au fond, constitue son point d'ancrage, serait un travail
sans logique et suivrait un chemin inconsistant. Le « Naam » ou
pouvoir dont il s'agit ici a une double origine : il désigne d'abord ce
pouvoir dont les fondateurs se sont usés pour fonder l'Etat mais aussi
cette force divine qu'incarne le Chef et qui lui permet d'asseoir et d'affirmer
sa domination sur les autres, donc de gouverner. Pour plus
d'éclaircissement à cet effet, lisons ces explications de Michel
Izard :
« Il y a au départ le naam, le «
pouvoir », et un naaba, un « chef ». Le naam,
que les Moose se donne pour vocation de détenir, est l'avatar humain du
wendnaam, pouvoir émanent d'un principe divin de nature
céleste, personnifié sous l'appellation de « Naaba »
Wende : le dieu des Moose est un « chef ». Du « monde »
(dunya) régi par le wendnaam est né le «
monde » (moogo) régi par le naam
».109
En effet l'aspect fondamental qui semble faire
l'unanimité chez les auteurs sur le système politique de
gouvernance moose est cette « distinction qui est faite dans la
société entre les détenteurs de la maitrise de la terre
(têngsobôndo) et ceux du pouvoir (naam) »110
dont hérite le monarque. Cette dichotomie entre le spirituel et le
temporel, entre le monde du de la terre et celui du pouvoir régit a
priori les fondements politiques de l'Etat. Ainsi elle constituera un support
efficient dans l'organisation de l'Etat et de la société.
109 Izard, M. L'odyssée du pouvoir. Op.cit.
p.8
110 Comité scientifique international pour la
rédaction d'une histoire générale de l'Afrique.
HISTOIRE GENERALE DE L'AFRIQUE, tome IV « L'Afrique du
XIIE au XVIE siècle », dirigé par
Djibril Tamsir Niane. Unesco/NEA, 1985, p.256
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Elle se caractérise surtout de cette
interdépendance des deux mondes. Le premier, à savoir celui des
maitres de la terre, les indigènes ou encore les « premier occupant
»,111 leur rôle est fondé ici sur la concession de
droits fonciers et de fonctions religieuses. Ils confèrent au pouvoir
temporel une sacralité. Ses dépositaires, véritables
paysans, lui pourvoient les ressources matérielles et humaines
nécessaires à sa subsistance. Quant au second, résultant
de la conquête, il représente l'instance administrative dés
lors que ses membres incarnent le Naam. Leur titre émane du
droit de conquête.
Il justifie en ce sens cette conviction qu'ont tous les
descendants de la lignée royale laquelle consiste à les destiner
à l'exercice d'un pouvoir, à constituer la classe dominante. Ils
paraissent devant la communauté comme des agents qui, par nature, sont
destinés à la gouvernance et développe cette image
dominatrice à travers leurs actes et leur manière de vivre. Ils
se différencient des autres même dans leur physionomie et les
symboles rituels et scarificateurs qui matérialisent leur appartenance
à la famille conquérante ou à l'Etat mossi. Ces pratiques
ont des visées à la fois religieuses, sociales et
politiques.112 Cette philosophie de l'apparaitre n'est pas à
négliger car elle constitue le noeud de l'assujettissement et de la
fondation de l'État mais aussi et surtout constitue l'idéologie
fondatrice qui sert de légitimation de l'acquisition et de la
conservation à vie du pouvoir.
Cependant, au regard de cette position réconfortante et
dominatrice dont jouit cette classe sacerdotale, il ne faudrait pas penser
à une soumission totale de la part des aborigènes. Ces derniers,
comme nous l'avons déjà dit, jouent un rôle central dans la
légitimation de l'autorité gouvernementale. Qu'on se rappelle
tout simplement du processus rituel qui précède l'intronisation
de tout Naba. Avant d'exercer officiellement son pouvoir, tout chef se
doit d'effectuer un périple qui le mènera au niveau des grands
autels des différents prêtres afin de bénéficier du
`tom' - cendre de tige du mil dont on enduit le front du Roi- dans le
but d'acquérir une légitimité et une reconnaissance de son
pouvoir. Ceci est d'autant plus vrai dans la mesure où le royaume mossi
a toujours élaboré une politique d'insertion sociale dans sa
gestion politique de l'Etat.
111 Voir pour cette expression Rousseau dans le Contrat
Social, op.cit. Chap. IX « Du domaine réel », p.187
112 Pour plus de détails sur les significations de ces
cicatrices, cf. Balima, op.cit. p.81-84
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C'est cette politique assimilatrice dont fait usage les `gens
du pouvoir' qui fonde l'hétérogénéité
social, corollaire de la rigueur et du manque d'indulgence des lois à
l'égard des fautifs et devant les erreurs. Chacun de ces deux forces
incarnant une fonction spécifique, la corrélation des deux
régit l'unité nationale. Néanmoins cette puissance de ces
deux classes est loin d'être absolue et arbitraire car elle est sous le
contrôle d'un système politique hiérarchisé et actif
dont les différents dépositaires, les Ministres, jouissent d'une
légalité et d'une légitimité qui leur garantissent
une autonomie dans l'exercice de leur fonction et une influence
considérable dans les prises de décisions qui concernent
l'intérêt social.
Mais avant d'en arriver aux fonctions ministérielles,
jetons un regard d'abord sur les premiers démembrements de
l'articulation politique de l'Etat. Au sommet de la hiérarchie mossi, se
manifeste sous la forme d'un « Dieu » le Moogo Naaba, maitre
de l'univers, chef suprême du monde. Il a, de par sa stature divine et
sacrée, une autorité politico-religieuse. Il incarne la puissance
divine sur terre et en ce sens manifeste une certaine transcendance par rapport
aux Naba, à la masse populaire et légitime du même
coup le rapport de force et de domination qui existe entre l'empereur, entre
tous les Naba et entre les sujets.
Ceci semble n'être guère un attribut que le
souverain imposerait de l'extérieur à la population mais
relèverait d'une quelque appréhension mossi, d'une propre
perception de la nature du chef : il est, selon Balima « un être
hors de l'ordre commun. Le Nâba est Dieu et il est César. Il vit
abrité, non de la vue, mais du regard du vulgaire parce que l'homme
ordinaire, le peuple ne craint, ne respecte et n'obéit que quand il se
sent dominé, surpassé par un être qui le fait frissonner
»113.
Structuré de manière pyramidale donc, le pouvoir
politique présente donc à son sommet des rois ou chefs
appelés Dimdamba c'est-à-dire « des rois à
l'image de Dieu » des quatre principaux royaumes : Tenkodogo au sud,
Ouagadougou au centre, Yatenga au nord et Fada N'gourma
(Boussouma) au nord-est. Ces entités étaient autonomes
néanmoins que leurs chefs aient en commun l'origine, la langue, les us
et coutumes. Ils jouissent d'une autorité et d'une puissance à
l'image du « Maitre du Monde » et cela à cause de leur
position hiérarchique et de leur légitimité.
113 Balima. Op.cit. p.95.
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C'est justement cette conception de la
supériorité qui, fondamentalement, semble justifier la quasi
impossibilité de la démission ou de la destitution du chef : tout
Naba l'est à vie même après la perte d'une
principauté. En tant que «père du peuple» et justicier,
il régit les institutions : sa famille, sa cour, ses fonctionnaires sont
sous ses ordres et constituent les agents de l'Etat ; il détient le
pouvoir central. Il s'agit alors d'une soumission sous l'angle d'une
reconnaissance à une puissance comme instance de validation et de
détermination des décisions. On pourrait de ce fait parler de
monarchie constitutionnelle.
A l'intérieur de la cour royale se trouve une horde de
personnalités qui composent le Conseil. En effet, ce collège des
fonctionnaires, suivant leur ordre d'importance dans la hiérarchie
gouvernementale, constitue le Grand Conseil sur lequel s'appuie le suzerain
pour gouverner. Il s'agit du Premier ministre Togo Naba ou Ouidi
Naba suivant les auteurs. Si on se réfère à Cheikh
Anta, il sort d'une famille ordinaire et représente la population-
l'ensemble des citoyens- au niveau de la cour royale. C'est à travers
lui, selon Pathé Diagne, que le système moose se voit comme une
oligarchie monarchique. De ses propres mots il dira : «c'est le Ouidi
Naba en tant que premier oligarque qui propose à l'investiture le
candidat au trône, de concert avec le Larhalle Naba, autre
élément de sa lignée... ».114
Il y a ensuite le rassam Naba ou larhalle
Naba, gardien des sépultures et chef des esclaves de la couronne
qui dirige le Ministère des finances. Il est chargé aussi, selon
les Archives, du protocole d'Etat. Etant d'origine esclave, il est, selon
Cheikh Anta, celui qui exécute les hautes oeuvres et procède
à la mise à mort des condamnés. Aussi règne t-il
sur les hommes de condition libre et administre des citoyens de plein droit. Le
baloum naba ou intendant en chef de la maison royale, quant à
lui, est chargé d'introduire les ambassadeurs et visiteurs importants ;
il est aussi appelé maire du palais et chef des pages. Enfin on retrouve
dans cette architecture politique le kidiranga naba qui dirige la
cavalerie. Ces grands dignitaires ou ministres représentent
symboliquement « les forces des quatre éléments : la terre,
l'eau, l'air et le feu. Ils veillent sur les quatre grandes portes par
lesquelles le Moro Naba entre en relation avec les forces tutélaires. En
vertu des forces qu'ils représentent et qui sont appelées «
forces-mères », ils ont le droit de décider, en
réunion secrète, qui sera le Moro Naba suivant
».115
114 Diagne, Pathé. Pouvoir politique traditionnel en
Afrique traditionnelle. Essais sur les Institutions politiques
précoloniales. Paris : Présence africaine, 1967, p.229
115 Bâ, A. H. Oui mon commandant! Paris : Actes
Sud, 1994, p.162-163
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Au dessous des ministres on retrouve la classe des serviteurs
et celle des catégories socioprofessionnelles composée du
samande Naba, général de l'infanterie, du kom
Naba, chef des soldats esclaves, du tom Naba chef du « sable
d'investiture »... Ce qu'il convient de soulever à ce stade de
l'analyse c'est la perception que l'on se fait du Ministre et de son rôle
dans l'administration. Fondamentalement les Mossi conçoivent le Ministre
comme celui qui est au service du peuple auprès de l'empereur. Il est la
servante du Roi et ne dispose pas d'une quelconque subdivision territoriale
déterminée. Sa fonction essentielle est d'être toujours
à l'écoute du monde afin de mieux tenir au courant le Naba des
événements internes et externes de la cour et pour cela il
dispose d'une multitude d'agents secrets pour la transmission des nouvelles.
Malgré le fait qu'ils soient membres de ce grand
conseil et étant de grands personnages, les ministres ont aussi pour
tâche de servir d'intermédiaires entre non seulement le Mogho Naba
et son peuple mais également entre lui et les Kombeemba ou
chefs de province ou de canton. Enfin l'on retiendra dans la suite de cette
présentation et par ordre les provinces, les cantons, les villages, les
quartiers, les lignages... avec un model d'organisation presque calqué
de l'administration centrale et par rapport au degré de pouvoir et des
prérogatives attribués à leurs chefs.
Cette subordination de l'ensemble des représentants
à la personne du souverain illustre bien cette idée de
centralisation du pouvoir absolu et global qui se manifeste à travers
toutes les actions et décisions posées relatives aux
problèmes inhérents à la société. C'est
justement à cette question de l'autocentrement, c'est-à-dire de
cette attitude du roi consistant à se poser comme instance suprême
a partir duquel l'Etat, seule force légale et légitime, peut se
concevoir en tant que tel, qu'essaiera de traiter ce second chapitre. Il
s'agira donc d'analyser les différentes composantes du corps
étatique et montrer leur impact et leur mode d'exécution à
l'intérieur du système politique.
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