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Pouvoir politique et parenté dans le système Mossi.

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par Ndigue Faye
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master II 2011
  

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2-De la structuration du corps étatique

Ce que nous entendons ici par structuration du corps politique c'est à la fois l'ensemble des structures administratives, juridiques et militaires dans la gestion du pouvoir. Il s'agit de voir et de réfléchir sur les différentes modalités structurelles et les antagonismes qui régissent les rapports entre les politiques. Autrement dit, il s'agira de voir comment l'administration Mossi, à travers ses systèmes exécutif, judiciaire et militaire, fonctionne et quels en sont ses véritables fondements et finalités.

Dans la plupart des sociétés negro africaines et notamment dans le pays mossi, le chef, en tant qu'instance suprême de l'exécutif, apparait devant le sens commun comme un être supérieur qui incarne la puissance absolue laquelle est une émanation de la volonté des ancêtres. Il est doté de pouvoirs surnaturels- mythiques et mystiques- qui dépassent l'entendement humain et fait qu'il est un homme vénéré à même de garantir la concorde sociale, la paix et la richesse mais aussi d'être la cause des malheurs tels que la sécheresse, la misère, la maladie... A travers cette interprétation de la conception de chef en tant que leader, nous pouvons, sans risque de nous tromper, d'affirmer que la légitimité du dirigeant ou encore du monarque résulte à la fois de ses valeurs morales et de sa puissance, sa force, son courage.

Le bon chef est celui qui, quels que soient les moyens utilisés- guerre, conquête, tuerie, pillage- arrive à fonder un royaume fort susceptible d'assurer un système politique stable où le peuple puisse survivre, s'enrichir et jouir de toute sa propriété tandis que le mauvais est celui qui ne cause que du tort et des souffrances : maladie, famine, pauvreté...De cette conception de la chefferie on voit clairement la cause pour laquelle, dans le système politique africain en général et dans l'empire mossi en particulier, toute la force de l'Etat était déléguée au Mogho Naba qui, en tant que chef suprême et détenteur du pouvoir absolu, partage l'exercice avec le Grand conseil que constituent les Ministres comme nous l'avons vu à travers les pages précédentes. Mais qui est Mogho Naba ?

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Dans son analyse de la société mossi, Delobsom dira que « si MOGHO signifie pays des Mossi, il signifie par extension : Le monde ; le MOGHO-Naba était pour ainsi dire considéré comme le maître du monde »116. Au mossi le Mogho est la force suprême, le gouverneur absolu, le Dieu ayant droit de vie et de mort sur ses sujets ; il représente la Raison d'Etat. Il est l'instance de validation des décisions et garant des libertés individuelles et collectives, gardien de la constitution, protecteur des coutumes...et cela du fait de sa nature et de sa force supranaturelle. Parlant notamment de puissance il faudrait montrer qu'elle constitue le noeud de la conquête du pouvoir, de sa conservation et de sa pérennisation. Dans la genèse même de l'empire mossi et au niveau de sa gestion se trouve matérialisée cette force, cette violence comme le fondement de l'Etat : tout protectorat mossi tombé entre les mains de l'ennemie l'a été du fait de la faiblesse de son administrateur. C'est en effet cette puissance qui constitue la base du mode d'exécution de l'architecture étatique dans son rapport avec le peuple.

Cette place qu'occupe la puissance du Roi suprême et la force de tout dirigeant mossi mais aussi et surtout de la perception du peuple à l'égard de tout chef font qu'en matière d'organisation et de gestion de l'Etat, les mossi délèguent tout leur pouvoir au souverain. En ce sens Skinner soutiendra que : « Les mossi attendaient toujours de leurs dirigeants et tout particulièrement de leurs Morho Nanamsé, des Didamba et des Kombemba, qu'ils prennent des décisions voulues en matière de politique administrative et qu'ils se prononcent sur toutes les questions de leur ressort. [...]. Les Mossi estimaient que les hommes ne peuvent vivre sans chef et ils affirmaient avec insistance que les animaux eux-mêmes ont des chefs. »117 Ceci montre bien la place que le chef occupe dans la hiérarchie sociale et de la nature religieuse de leur fonction, ce qui leur empêchait du même coup, du fait de leur conscience sur l'essence de leur profession, de profiter des failles et faiblesses internes de l'administration.

La philosophie mossie de la chefferie constitue des lors le point focal à partir duquel nous pouvons appréhender la réalité politique et administrative de même que la structuration étatique du pays. Ici tout émane du chef et aboutit à lui. Ce respect et cette reconnaissance de la force légitime montre bien cette soumission de la part du peuple et de l'habilité de tout chef mossi à dire le vrai dans les domaines de la justice, de la défense et de la politique intérieure.

116 DIM DELOBSOM, A. A. L'empire du Mogho-Naba. Coutumes des Mossi de la Haute-Volta. Paris : Les EDITIONS DOMAT-MONCHRESTIEN. F. LOVITON et Cie, 1932, p.46

117 SKINNER, E.P, Op.cit. p. 147

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Les expressions courantes telles que : « vous devez vous adresser au chef » ou encore « c'est à Ouagadougou que se trouve la vérité » relèvent de maximes qui attestent bien de ce constat et de cette idéologie sui generis aux mossis dans leur rapport d'avec leurs administrateurs fondé sur la domination. Cependant il ne s'agit pas si l'on s'en tient à cette aperception d'une relation unilatérale de sujétion entre les deux forces : entre le souverain et le peuple mais d'un rapport de réciprocité, de complémentarité. Tout comme il revient aux dirigeants d'assurer la santé, la prospérité, la sécurité sociales en temps de paix tout comme en temps de guerre, il leur échoit, surtout au pouvoir central, de dire, d'être et d'incarner à travers leurs actes la Vérité en formulant des jugements impartiaux et d'assurer en garantissant l'équilibre de la justice mais aussi et surtout d'encourager le peuple à honorer les ancêtres à travers des cérémonies rituelles.

Quant à la population son rôle est tout d'abord de faire allégeance au suzerain et à l'Etat, autrement dit de lui jurer fidélité et dévouement ; ensuite de lui fournir les biens et services nécessaires pour la bonne administration du pays. Il s'agit donc de compétences partagées lesquelles sont au coeur des politiques administratives, judiciaires et militaires. La vie sociale mossie était régie par l'existence d'un ensemble de règles juridiques qui harmonisaient les rapports entre les citoyens eux-mêmes et entre ses dirigeants. N'étant pas ignorées de la population, ses normes coutumières s'appliquaient à tout fautif après d'intenses procédés de consultation au niveau des chefs officiels ; ce qui autorise Skinner à parler de l'existence d' « un droit réel, mais pas de code écrit »118

Tout comme dans sa politique administrative, l'organisation judiciaire de l'empire était hiérarchisée et se conformait aux exigences de la coutume laquelle se transmettait de génération en génération et des réalités locales allant des chefs de village au Mogho-Naba en passant par les chefs de canton et les ministres. La fonction des premiers en matière de règlements juridiques résidait dans la résolution des affaires minimes tels que les petits vols sans violence, les insultes...Les problèmes de vol, d'adultère, de bastonnade... relevaient de la compétence des chefs de canton assistés par des dignitaires et du Ministre.

118 SKINNER. Idem, p.183.

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Quant au `Maitre du Monde', il ne s'occupe que des questions d'intérêts généraux comme les crimes, les meurtres, les assassinats lesquels pouvaient réduire le royaume dans une insécurité totale ; ce qui fait qu'il est le seul habilité à prononcer la peine de mort sur les Nakomsé tout comme le Kombéré a le droit de vie et de mort sur ses sujets. Dans une telle société où toutes les structures politiques et étatiques étaient impensables en dehors de la religion et de la coutume, la justice sévissait comme une sanction compensatrice rituellement administrée à un contrevenant à l'ordre social selon Cheikh Anta.

C'est d'ailleurs en analysant en ce sens la question de la loi et de la procédure judiciaire dans l'Etat Mossi, que Skinner, après examen et interprétation du droit sur les conflits inter-citoyens et pouvant faire l'objet de jugement au tribunal : héritage, restriction de la liberté d'autrui, vol, meurtre ou homicide volontaire, violation de contrat... fera remarquer qu'elle se fonde sur le principe de la conciliation. De ses propres mots on retiendra : « En nous fondant sur ces deux cas et sur d'autres affaires encore, nous sommes amenés à la conclusion que selon les Mossi, le droit et la procédure judiciaire devaient servir à réconcilier les plaideurs et à maintenir ce que l'on considérait communément comme la justice sociale ».119 Cependant cette apparente réglementation de la vie juridique cache d'importantes réalités non négligeables dans la procédure judiciaire.

En effet, l'absence de lois codées n'exclut en rien les faiblesses, les limites du royaume dans son exercice du pouvoir ; d'où la portée de cette critique d'Eugene Mangin : « Bien entendu, il n'existait pas de code écrit, aucune échelle des peines officielles. Tout dépendait de la coutume et du caprice du juge. C'est ainsi que les riches pouvaient obtenir des décisions en leur faveur en payant les juges, et les voleurs pouvaient éviter d'être punis en partageant leur butin avec le Naba ».120Cette corruption des juges est une réalité dans la sphère politique et constitue, parmi tant d'autres comme la peine de mort parfois injustifiée, des caractéristiques de l'injustice, de l'inégalité sociale et de l'impunité à l'égard des nantis à tel point qu'on pourrait parler de justice pour les faibles, pour les pauvres. En ce sens Le Dim, comme pour atténuer la portée de la critique, dira que « la justice était gratuite ; aucune taxe n'était prévue, ni perçue : néanmoins, le plaignant faisait présent au Naba d'un coq blanc ou

119 Id. p.196

120 Mangin, E. Les Mossi. Paris : Editions géographiques, maritimes et coloniales, 1921, p.25.

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bengré (gris clair) qu'accompagnait toujours la traditionnelle sacoche de cauris (200 à 1.000 cauris) ».121

Peuple très guerrier et habile dans l'art de la guerre, la défense du terroir incombe à tout citoyen mossi. Il s'agit d'une protection collective des intérêts généraux du royaume tels que les institutions, les biens et services de la communauté et des traditions. La distinction entre civile et militaire telle qu'elle existe dans les sociétés modernes était quasi absente dans la structuration politique du pays. En cas de guerre montre Le Dim le Tansoba ou Tampsoba (ministre de la guerre) prévenait les chefs de canton qui accouraient avec tous les hommes valides et le plus de cavaliers possible. Cela est également confirmé par Cheikh Anta Diop lorsqu'il affirme que « Les Mossi pratiquaient la levée de masse. Le danger passé, chaque citoyen retournait dans son foyer, son village ; l'armée était en quelque sorte dissoute, à l'exception de quelques corps de sécurité »122.

Cette démarche dans leur conception de la défense publique semble, bien à des égards, refléter la théorie machiavélienne de la composition d'une armée nationale volontariste et patriote, dévouée pour la sécurité de sa république. A travers son personnage, Fabrizio Colonna, interrogé par Cosimo Rucellai sur l'entourage d'un roi, il répondit : « les rois, jaloux de leur sécurité, (et il me semble ce fut le cas chez les Mossi) doivent donc composer leur infanterie d'hommes qui, au moment de la guerre, se consacrent volontiers, par amour pour eux, au service des armées, mais qui à la paix s'en retournent plus volontiers encore dans leurs foyers. Il faut, pour cet effet, qu'ils emploient des hommes qui puissent vivre d'un autre métier que de celui des armes ».123

Dans la même lancée et sur la question du choix des soldats, il précise que le service militaire ne requerrait guère, dans le choix de ses hommes, le recru de soldats s'adonnant aux « métiers infâmes ou à des arts de luxe », mais plutôt du service qu'il pourrait rendre. Ainsi dit-il : « il serait ensuite très utile d'avoir un grand nombre de forgerons, de charpentiers, de maréchaux et de tailleurs de pierre. On a besoin de leur métier dans une foule de circonstances, et il n'y a rien de plus avantageux que d'avoir des soldats dont on tire un double service ».124

121 DELOBSOM, L'Empire du Mogho-Naba. Coutumes des Mossi de la Haute-Volta. Paris : Les Editions Domat-Montchrestien, 1932, p.56.

122 Diop, C.A. Op.cit. p.111.

123 Machiavel, N. L'Art de la guerre. Traduction par Toussaint Guiraudet. Paris : GF Flammarion, 1991, p.72

124 Machiavel. Idem, p.83

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Cette tactique Mossi dans la protection citoyenne commune de l'Etat est un fait qui semble s'observer également, à quelques variances prés, dans les cités grecques à l'époque ancienne: VIIe siècle plus probablement, avec surtout la naissance de la phalange et des hoplites. Dans leurs analyses successives de l'évolution de l'armement de la Grèce antique, Marcel Detienne et Claude Mossé font référence à cette nouvelle stratégie d'engagement de la masse dans l'entreprise de la guerre.

Cette nouvelle appréhension de l'art militaire favorisera la naissance du citoyen-soldat, du soldat-paysan et même en le comparant au monde chinois du soldat-fantassin. De ses propres mots, Detienne dira : « ...la fonction guerrière passe des mains des « chevaliers », des Hippeis, dans celles des non-nobles, des paysans petits propriétaires ; [...] ; l'exercice du pouvoir politique est dés lors assuré par un plus grand nombre. Déclin de l'aristocratie, avènement du citoyen-soldat, formation de la cité des hoplites, ... », 125c'est-à-dire de l'ensemble des citoyens en arme. Plus loin il dira dans cette même lancée que : « la nouvelle technique militaire a des conséquences importantes sur le plan social et politique : les paysans sont promus au rang de combattants. [...] ; le privilège de la guerre est enlevé aux nobles qui, seuls, possédaient chars et chevaux, seuls, connaissaient le métier des armes ; ...C'est sur le soldat-paysan que se fonde la nouvelle puissance politique »126.

De son coté, Claude Mossé manifestera la même appréhension de cette nouvelle technique de guerre et des conséquences qui en découlent. A cet effet il dira : « Mais dans le monde grec à partir du VIIe siècle, en liaison évidente avec le développement de la tactique d'hoplite, mais aussi dans un contexte économico-social particulier, s'opère une profonde révolution dont devait sortir la cité grecque. [...] : désormais le citoyen et le soldat ne font qu'un et le citoyen-soldat exerce sa souveraineté aussi bien au sein de l'Assemblée des citoyens en temps de paix, qu'à l'intérieur du camp en temps de guerre »127.

125 Detienne, M. « La phalange : problèmes et controverses ». In Vernant, J.P. Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, op.cit, p.158

126 Detienne, M. Idem, p.176

127 Mossé, C. « Le rôle politique des armées dans le monde grec à l'époque classique ». In Vernant, J.P. Idem, p.292

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D'ailleurs, c'est dans cette même perspective que semble inscrire ici Lefort cette analyse machiavélienne de la disposition des cantons suisses : « De la description de l'ordonnance des cantons suisses, dira t-il, il tire le modèle d'une république vertueuse, sachant allier le sens de l'indépendance à celui de l'égalité, invincible sur son territoire, redoutable à l'étranger parce qu'elle envoie ses propres citoyens au combat ».128

Cette pratique fait quelque part la force du peuple en tant que seul véritable souverain. Armer le peuple ou l'initier à l'art militaire reviendrait à fortifier l'Etat et, mieux, de permettre à la population de porter le fardeau de la sécurité civile et aussi de se responsabiliser devant toute violation des principes du contrat social comme l'abus du pouvoir, la dictature, le non respect des principes démocratiques et de la constitution... Ainsi partout où il sentira sa vie ou ses intérêts menacés, il pourra se révolter et même à en arriver à la désobéissance civile pour ensuite rétablir l'ordre. Parlant des hoplites d'ailleurs, Mossé fera remarquer dans son article « le rôle de l'armée dans la Révolution de 411 à Athènes129 » comment ces derniers justifiaient leur participation: « ...c'était à eux de se plaindre de la cité qui abrogeait les lois de la patrie, tandis qu'eux-mêmes les maintenaient et s'efforçaient de les rétablir ».130

Cette stratégie adoptée pour la défense du terroir et de ses institutions est inscrite dans la conscience publique et constitue un vecteur mobilisateur devant les situations dramatiques qui risquent de porter atteinte à la stabilité du corps politique, à la quiétude et à l'harmonie sociales mais aussi et surtout à la sauvegarde du patrimoine culturel et religieux, du bien commun. Elle favorise aussi la stabilisation des valeurs sociales telles que les droits et les devoirs et par lesquels chaque citoyen tente de se définir à l'intérieur de l'Etat.

128 Lefort, C. Le travail de l'oeuvre Machiavel, Op.cit. p.321

129 Dans cette guerre l'armée de Samos et les hoplites ont réussi à préserver la constitution athénienne en en chassant les oligarques en l'occurrence Phrynichos et ses amis qui en violaient la charte.

130 Mossé. Op.cit. p.293

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci