Chapitre B : Des principes de désignation des
Naba
De toutes les sociétés et à travers les
époques, il est d'usage que chaque groupe social se définisse par
un système spécifique dans son mode d'organisation social et
politique, culturel et religieux surtout en rapport avec la brulante question
du pouvoir politique. Le pouvoir, en tant qu'objet de convoitise et
étant au coeur des relations humaines, sous-tend des
intérêts majeurs et des enjeux divers à tel point que son
exercice et son mode de dévolution puisse manifester des
différences suivant les périodes, le temps et les milieux. Ce
phénomène de délégation varie fréquemment
d'une culture à une autre, d'une époque à une autre
même si parfois des similitudes peuvent s'opérer suivant les types
de sociétés et les régimes en place.
Le savoir transmettre le pouvoir et dans des conditions
acceptables ou légales relève d'un certain esprit de maturation
et de constitutionnalité d'un Etat. Il est comme le clame-t-on dans le
langage politique moderne un instrument de mesure du niveau de
démocratie d'un régime politique, religieux et même
coutumier. Il est, pour ainsi dire, fondamentale dans la vie d'un Etat car
garantissant sa continuité et celle de ses institutions tout en donnant
au peuple, en tant que seul souverain, de manifester périodiquement ses
désirs de changement ou de conservation d'un régime, de prendre
part comme acteur à l'administration de son Etat.
Cependant, chez les Mossi, le phénomène de
dévolution du pouvoir est assez complexe car il suppose un ensemble de
règles et de particularités normatives qui régissent la
dimension du pouvoir. Il reste en partie lié aussi à la nature du
pouvoir, entendant par là le religieux et le politique, mais aussi et
surtout à la pléthorique de ses chefs et de leurs statuts,
à l'histoire et à la structuration des corps étatique et
politique. Dés qu'on considère l'aspect
hétérogène de sa société et sa configuration
politique, on comprend aisément qu'une étude consacrée
à son mode de transmission du pouvoir ne peut faire apparaitre que
différents formes de procédés. Mais pour ne pas rendre
encore la tâche plus complexe, nous essaierons de s'appesantir sur les
procédures les plus en vues et les plus usitées
c'est-à-dire ceux dont les moose ont fait recours dans la plupart du
temps.
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1-De la transmission selon les règles
coutumières
Dans toute société organisée,
l'entreprise de transfert de compétences ou de transmission du pouvoir
plus particulièrement observe toujours un ensemble de règles et
de principes qui la régissent. Dans nos systèmes de
législation ancienne, ces règles, quoique traditionnelles,
définissent les prés requis relatifs à la candidature et
aux caractères présidant au choix du futur chef dans le but de
statuer sur leurs qualités morales et physiques. Ainsi elles
permettaient, dans l'esprit du processus électoral, de reconnaitre aux
postulants leur droit de candidature telle que stipulait par la loi pour qu'en
fin, après désignation, personne ne puisse souffrir d'injustice
parce qu'ayant tous subit la même rude et intransigeante épreuve
de la sélection et que la vie de l'Etat puisse continuer sans conflits
post électoraux et d'avoir un « bon dirigeant ». Aussi
garantissaient-elles à l'élu une notoriété devant
le peuple, légitimaient son statut de roi et favorisaient sa
suprématie et sa souveraineté à l'intérieur comme
à l'extérieur de l'Etat.
Cette procédure n'épargne guère le
système Mossi dans son phénomène de dévolution du
pouvoir. Ici, le fait que l'ordre de succession,
quoiqu'héréditaire, ne se fasse pas automatiquement131
s'explique par l'existence d'une classe représentative incarnant les
règles relatives au fonctionnement du corps politique et de son
administration à savoir le Grand Conseil composé de ministres
surtout pour la nomination des Dimdamba comme nous le verrons un peu
après. Ces derniers sont conseillers et assistants auprès de
l'empereur, servent d'intermédiaires entre le pouvoir central et les
pouvoirs locaux et exécutent les décisions. Ce sont eux qui sont
chargés des consultations, sélectionnent les candidats et en
élisent le plus méritant. Ces principes de désignation du
Naba sont communs aux deux familles et font office parmi tant d'autres, de lois
constitutionnelles.
Toutefois il faudrait noter au préalable que le titre
de Naba est attribué à tout chef administrant une entité
politique bien déterminée. Ainsi tout dirigeant, que ça
soit un ministre ou un administrateur d'une quelconque circonscription, est,
chez les Mossi, appelé Naba et ce terme succède toujours le nom
du fief qu'il dirige ; on parlera dés lors de Gambag-Naba pour
designer le titre du roi de Gambaga, de Wid-Naba pour le ministre de
la cavalerie que l'on traduira littéralement par le « Naba des
chevaux » etc.
131 Cf. Cheikh Anta Diop dans L'Afrique Noire
Précoloniale, op.cit. p.50 : « La monarchie Mossi est
constitutionnelle. L'empereur, le Moro Naba, sort héréditairement
de la famille du Moro Naba défunt (XIe siècle
probablement), mais sa désignation n'est pas automatique ».
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Les règles donc ou principes préalables relatifs
au système de nomination Mossi sont absolument restrictives et
très sélectives car discriminatoires. Le principe inaugural dans
la procédure de transmission du pouvoir est le sang. « En
règle générale, attestent les Archives, dans les
sociétés centralisées, le pouvoir est une affaire de
famille et se transmet en ligne masculine. Nul ne peut accéder aux
charges de gestionnaire du pouvoir s'il n'est établi son appartenance
légitime à la famille régnante.»132 Ainsi
l'appartenance à une famille dirigeante constitue a priori une dimension
opératoire dans le phénomène de délégation
du pouvoir. Mais il n'en constitue pas pour autant un critère
exclusif.
D'autres procédés sont mis en place et de
celles-ci l'on retiendra d'abord celle qui fait référence
à la primogéniture en tant qu'elle favorise la naissance et plus
particulièrement l'aîné. En principe, elle consiste
à dire, chez eux, que l'ainé d'un Naba succède à
son père après sa mort ou lui ouvre les portes du pouvoir.
Cependant cette règle ne s'applique pas obligatoirement et de
façon unilatérale car suivant un certain nombre de mesures
avant-gardistes qui la limitent et la régulent comme la proscription de
la représentation, la malédiction, la jeunesse. Celles-ci sont
surtout justifiées et soutenues par la coutume.
Le refus de la représentation s'explique par cette
impossibilité pour un prince de la famille royale, qui, n'ayant pas
encore régné venait à mourir avant son père (qui
exerce ou a exercé effectivement les fonctions de roi), de permettre
à ses descendants de postuler à la magistrature. En ce sens
Balima note : « Donc, si un Nabikiinga venait à mourir avant son
père, ses droits à être chef disparaitrait aussitôt ;
ses fils ne sauraient par conséquent, à la mort de leur
grand-père, prétendre représenter leur père et
devenir chefs. Ils seraient écartés au profit de leur oncle le
plus proche »133. Cela se justifie bien chez eux car dans
l'appréhension Mossi de la succession la possibilité pour un
prince d'être chef suppose déjà le fait qu'il faut
être fils d'un père qui a effectivement régné. De
leurs propres adages ils disaient que « pour être « bonnet
rouge », il fallait être fils de « bonnet rouge ».
132 Archives, op.cit. p.165
133 Balima, op.cit. p.85
L'autre idée justificatrice de cette règle
concerne la malédiction. Elle s'appuie sur cette perception de la
tradition qui considère que la mort prématurée d'un prince
héritier destiné à régner est due à une
absence de protection divine. Par conséquent il est à supposer
qu'une certaine malédiction a pesé sur lui et peut affecter ses
descendants. Aussi faudrait-il ajouter à cette idée celle qui
fait référence à la jeunesse. Dans la coutume Mossi l'on
considère les jeunes comme incapables de tenir les rênes d'un
pouvoir à cause de leur inexpérience. Pour eux le pouvoir se
confie à des mains expertes, à des majeurs qui ont fait
l'expérience de la vie.
Le troisième aspect régissant les principes de
nomination des Naba concerne la règle de masculinité. Ici il
s'agit d'une politique de discrimination fondée sur cette conception
faisant des femmes, hormis quelques exceptions, des êtres faibles
physiquement mais aussi du fait qu'elle ne puisse avoir plusieurs maris. Cela
semble bien se comprendre puisque chez eux le pouvoir s'est acquis et se fonde
sur la force, la puissance. L'autre justificatif semble se fonder sur le fait
que les Mossi donnent beaucoup d'importance à la polygamie. Un Naba,
estiment-ils, doit avoir plusieurs femmes en vue d'avoir beaucoup de
descendants et, à partir des unions qui pourraient se sceller
ultérieurement entre parents, se procurer des alliées politiques
gage de sécurité et de protection future.
L'autre exigence coutumière est la soumission de la
part des chefs, une fois élus, devant les lois ancestrales et de
procéder au ringu, sorte de rituel, un pèlerinage dans
les différents sanctuaires du royaume en quête de
légitimité. Pour Savonnet-Guyot, le ringu est «
tout à la fois voyage d'initiation et quête de
légitimité. Pour qu'un naaba puisse un jour transmettre le naam
à ses descendants, il doit entreprendre, après son
élection, un pèlerinage qui le conduira d'ouest en est sur tous
les lieux historiques [...] et tous les lieux saints [...] qui relèvent
de son commandement ».134
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134 Savonnet-Guyot. Etat et Sociétés au
Burkina, op.cit. p.227
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