2- De la dévolution suivant la nature du pouvoir
et le statut du chef
Ce model de transmission du pouvoir se fonde plus
spécialement sur le principe de la dignité comme principe
présidant au choix des Naba et atténuant la règle de la
primogéniture. Ici tout repose sur le mérite du Naam et le savoir
c'est-à-dire la capacité à satisfaire les attentes de la
fonction et de la nature du pouvoir qu'on brigue. Comme nous le savons bien,
les conquérants édificateurs de l'Etat Mossi se sont
arrivés au pouvoir par la force des armes, la conquête militaire
et par alliance puisque c'est dans le consensus que les autochtones et les
guerriers ont fondé le pouvoir.
Ainsi les quatre chefs des quatre principaux royaumes,
considérés souvent comme des Dimdamba (un roi à
l'image de Dieu) car ne faisant allégeance qu'à Dieu, sont
élus par le Collège électoral établi dans la
capitale avec ses quatre grands dignitaires. Les chefs intermédiaires ou
petits chefs, communément appelés Dimbi sont, par contre
pour la plupart nommés par le l'empereur suivant les règles
établies à cet effet. Ces derniers nomment, suivant les
mêmes principes, les chefs de province qui, à leur tour, ceux des
villages et ainsi de suite. Ce procédé suit la cohérence
ou la logique de l'ordre d'importance des autorités dans l'architecture
politique et étatique de l'administration Mossi.
La nomination d'un chef suppose pour tout chef sans exception
l'incarnation de valeurs humaines inhérentes au corps social. La
courtoisie, la patience, l'auto-domination et l'auto-commandement, le savoir
surprendre, la maitrise de soi, l'écoute et le respect des anciens et de
la tradition... sont autant de qualités que doit recouvrir un
prétendant pour mériter le pouvoir. Elles permettent tout de
même de procurer au chef un respect et une considération de
l'opinion publique. Parlant des qualités d'un roi chez les Mossi et de
la procédure adoptée dans la transmission du pouvoir, Cheikh Anta
Diop dira : « Le conseil qui se réunissait pour investir le roi
(Moro Naba) examinait, en réalité, le degré de
légitimité des différents prétendants : il ne
s'agissait pas d'une élection, ce terme est abusif car on était
obligé, après un examen savant et complet de chaque cas, de
designer, non pas d'après ses préférences, mais en vertu
de la tradition, celui qui réunissait l'ensemble des qualités
requises ».135
135 Diop, C.A. L'Afrique Noire Précoloniale,
op.cit. p.65
107
Néanmoins il faudra ajouter que dans l'imaginaire
politique des peuples moose, même si, le pouvoir se fonde sur la
naissance, il pouvait se perdre ou se transmettre en dehors des circonstances
normales. Aux dires de Savonnet-Guyot « le Naam s'acquiert par naissance
et se perd par accident, parce que le pouvoir a échappé au groupe
de descendance auquel on appartient ou parce que le territoire qu'on commandait
a été absorbé par un royaume voisin plus puissant
».136 Ceci constitue une possibilité concernant une
autre manière, un peu différente des modes habituels, de
transmission ou de perte du pouvoir car pouvant intervenir dans des situations
imprévues.
Un autre fait relatif à l'histoire de la succession des
rois Mossi au trône atteste aussi de cette faillibilité de ce
principe de la dignité et des règles en générale de
la transmission du pouvoir. Ainsi il est arrivé qu'un peul, auparavant
conseiller politique de la cour, un non descendant de la classe noble ait
accédé à la souveraineté en passant par des
subterfuges et stratégies ; ce qu'atteste ici Balima. « A la mort
de Nâba Oubi, dit-il, le conseiller peul, grâce à mille et
une manoeuvres, toutes hautement dolosives, put faire écarter à
l'unanimité tous les candidats, [...], puis à la satisfaction
générale, il fut élu, à l'unanimité,
Moog-Nâba, sous le nom de Nâba Moatiba.»137 Cette
limite du principe de la dignité justifie le fait que le pouvoir, en
tant qu'objet de convoitise, peut échapper parfois au contrôle,
aux règles et normes établies en vue de sa canalisation.
Aussi faudrait-il noter dans cette même lancée
que, malgré toutes les mesures existantes, non seulement pour la
stabilité sociale mais aussi et surtout pour la réglementation du
processus « électoral » -supposant ici l'avant, pendant et
l'après-, des perturbations à l'ordre public pouvaient se
manifester notamment durant la période de transition, plus
précisément avant que le nouveau élu ne soit totalement
intronisé. Ainsi le pays sombre dans l'anarchie, le temps de
rétablir l'ordre lequel coïncide avec l'installation du Roi ; ce
que fait savoir d'ailleurs Delafosse : « pendant tout le temps que durait
l'interrègne, le pays était plongé dans la plus
complète anarchie : chacun avait le droit de tuer, de piller et de voler
à sa guise; [...]. A partir du moment de la proclamation du nouvel
empereur, les troubles de l'interrègne prenaient fin
»138.
136 Savonnet-Guyot, op.cit. p.96-97
137 Balima, op.cit. p.87
138 Delafosse, M. op.cit. p.133-134
108
En effet, il me semble qu'on ne saurait parler de ces mesures
principales et de ses limites sans évoquer, toutefois, la pertinente
question de la destitution. Est-il possible de révoquer un roi dans le
système de gouvernance moose ? Comment s'y prendre et quelles mesures
sont-elles envisagées devant une telle entreprise ? Dans quelles
conditions et suivant quels cas une telle procédure est-elle
légale et légitime ?
Fondamentalement la conception que les Mossi se font de leurs
chefs, la place qu'ils occupent dans la hiérarchie sociale, la
soumission et le respect qu'ils leur vouent est inconcevable avec l'idée
de destitution ou de résiliation du contrat qui leur lie à leurs
souverains. Dans la mentalité moose, la fonction du roi est
sacrée parce qu'il émane de Dieu. Même mauvais ou
chassé du pouvoir par une force étrangère plus puissante
ou une révolte populaire, tant qu'il est en vie, le chef reste et
demeure chef. « Nés pour le pouvoir, ils [les rois mooses] n'y
renoncent, dira un proverbe mooga, que sept jours après leur mort.
» Il est donc clair qu'en théorie cette question ne se pose pas car
à en croire Balima : « lors de son intronisation, on l'a
douché avec la Naam koom ou l'eau de la royauté qui est
un liquide sacré, une mixture dont tous les éléments ne
sont pas connus du commun, conservée depuis des siècles, et dont
le contact est censé transformer l'être »139.
Cependant cette révocabilité quasi impossible en
principe peut s'avérer possible dans les faits et en rapport avec
certaines circonstances. Au moment où il est constaté et
prouvé que le chef ne parvient plus à remplir normalement sa
fonction à cause de défauts physiques ou mentales, il est
procédé au meurtre rituel et à la nomination d'un prince
potentiel. L'autre cas pose la question du caractère moral de la
personnalité du chef. S'il est avéré qu'il commet des
actes indignes et des forfaitures, soit en asservissant les hommes libres ou
nobles, en s'adonnant à des pratiques malsaines comme entretenir des
relations sexuelles extra conjugales, soit en ne respectant pas la tradition,
la coutume exige qu'il soit démis de ses fonctions. Là, le
Collège se réunit discrètement et surement pour designer
un nouveau chef et préparer des stratégies permettant de le
bouter hors du royaume.
139 Balima, op.cit. p.88
109
L'ensemble de ces mesures stratégiques, me semble-t-il,
ne sont justifiables et compréhensibles que dans le contexte et le
milieu dans lesquels ils se sont rendus opératoires. L'exclusion des
femmes et le système de primogéniture, appréhendés
dans nos sociétés actuelles, surtout avec les principes
d'égalité de droit, de parité, certains aspects de la
question de la destitution..., risquent d'être inopérants et
caduques. Par contre le principe de dignité, et certains points sur les
principes de dévolution du pouvoir, avec toutes les valeurs humaines,
éthiques et morales qui tournent autour, méritent
réflexion pour être au coeur des règles qui
président à la sélection des candidatures de nos chefs
d'Etat et tenter de résoudre, à bien des égards, les
conflits postélectoraux qui minent le champ politique de nos Etats
modernes et surtout en Afrique.
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