CONCLUSION
Tout au long de cette étude, il a été
question pour nous d'analyser le rapport parenté/pouvoir dans
l'organisation politico-sociale et administrative de la société
traditionnelle Mossi et de traiter des enjeux philosophiques et des
stratégies qui en résultent. Notre prétention a
consisté de même à voir l'impact politique que ce rapport
pouvait favoriser dans la fondation de l'Etat, la gestion du pouvoir,
l'harmonisation de la vie commune à travers un respect et une soumission
totales de tout le peuple et de tous les mandatés du pouvoir devant les
lois établies fondées sur la coutume et dont le principal garant
est le Mogho Naba, chef de l'univers.
Cette corrélation parenté/ pouvoir ne
relève point d'une subordination unilatérale de l'un par rapport
à l'autre et vice versa ni d'un rapport de domination absolu et
désuet mais d'un rapport de force justifié et fondé sur
une politique de légitimation et de légalisation dont la
finalité fondamentale semble être la fondation d'un Etat fort, un
« Etat de droit » susceptible de garantir la vie commune d'un peuple
foncièrement hétérogène, son bien être, sa
sécurité et sa survie ; et cela, même en dépit de
l'absence de code écrit matérialisant la constitution.
Cela n'exclut en rien le fait que cette gestion du pouvoir,
qui du reste a toujours été fréquent dans les
sociétés négro-africaines, présente des
insuffisances, des ruses et des intentions toujours inavouées comme
d'ailleurs dans toute entreprise politique et exercice d'un pouvoir. Ce qu'il
importe vraiment de retenir à cet effet, c'est que quels que soient les
méthodes et les moyens dont use un souverain pour conserver un pouvoir
ou gouverner une société, son objectif final, semble t-il, est de
parvenir à la réalisation d'un cadre de vie harmonieux de respect
des libertés citoyennes, de sa propre sécurité et de celle
de son peuple. Quelle que soit sa coloration religieuse et son statut divin, un
monarque ne peut avoir d'intérêts particuliers contraires à
ceux de sa société, de son terroir, bref de l'ensemble dont il
fait partie ; il est par nature un « animal politique » dans son
acception la plus générale chez Aristote. Il s'agit donc pour
nous de dire que les notions de complémentarité,
d'interdépendance et de réciprocité régissent tout
système politique, tout rapport de force entre chefs et peuples, entre
gouvernants et gouvernés, entre bien et mal, entre maitres et
esclaves...
111
Ce travail, loin de se soumettre à une description des
modes de gestion politique ou à une étude historique du
passé des peuples du royaume burkinabé ou à une critique
subjective, obéit, nous semble t-il, à une analyse philosophique
consistant à déceler dans cet univers politique en apparence
chaotique l'ensemble des modalités de l'exercice traditionnel d'un
pouvoir fondé, non pas sur un contrat imaginaire, mais sur la
conquête, la violence et des enjeux susceptibles d'y être
décelés. Il s'agit donc à la fois d'un réexamen en
détails et d'une évaluation analytique de l'ensemble des
procédés de gestion du pouvoir et de la structuration politique,
sociale et administrative de l'Etat dans le but de lever toute
ambigüité ou confusion, tout malentendu ou tout
préjugé négateur de la capacité des peuples
africains traditionnels à assumer leur destin, à s'organiser
politiquement. Il consiste aussi à mettre à jour, comme l'ont
déjà fait bon nombre d'intellectuels africains depuis les
débuts de la période post coloniale, un éveil
philosophique pour l'accaparement par les peuples africains de leurs
patrimoines ancestraux et de l'adapter aux réalités
socio-économiques et politiques au lieu de se morfondre dans
l'imitation, la copie et la dépendance sur tous les plans.
Les problèmes actuels de l'Afrique reposent sur la
difficulté à fonder et à solidifier un Etat-Nation digne
de ce nom, un Etat suffisamment autonome et fort pour venir à bout des
guerres ethniques, tribales et interreligieux du fait de l'absence de
politiques susceptibles de réduire
l'hétérogénéité de sa population, d'assurer
l'unité et l'intégrité territoriales ; question qui,
pourtant, s'est posée dans la vie politique de nos anciens royaumes et
résolue, me semble t-il, à bien des égards. Leurs
institutions, comme nous l'avons vu avec le royaume du Mogho Naba, quoique
traditionnelles et à ce stade reculé de l'histoire de la
pensée humaine - l'époque féodale- se sont
manifestées avec éclat par leur capacité à remplir
entièrement leur fonction policière et à garantir l'ordre,
la justice et la paix civile.
De nos jours les questions africaines suscitent un
intérêt et des interrogations non négligeables dans la
géopolitique mondiale. Il se pose dans la plupart des Etats africains
modernes, les problèmes liés à la puissance de l'Etat
c'est-à-dire à sa difficulté à coordonner les
différentes formations sociales préexistantes et
l'incapacité de socialiser l'ensemble multiforme de sa population, du
développement, du politique et de la justice surtout dans cette
période de néocolonialisme.
112
Il devient alors urgent pour les africains et les
organisations internationales de revisiter et de repenser les valeurs
traditionnelles afin de réduire la distance entre la campagne et la
ville à travers une politique de décentralisation des
compétences, d'encourager l'intégration sous régionale et
régionale vers un processus de réconciliation de l'Afrique avec
elle-même et pour cela se soustraire des intérêts
particuliers, privés et égocentriques qui gangrènent
l'Unité africaine. Aussi les Etats africains doivent-ils poser le
débat sur le concept « Etat-Nation » et de se soustraire de
toute pression ou orientation étrangère comme l'a bien
posé d'ailleurs Claudette Savonnet-Guyot :
« A l'heure aussi où la crise de l'Etat africain
suscite plus de totalitarismes que d'élans vers la
démocratisation, sans doute est-il opportun de se souvenir de ces
sociétés qui ont été des sociétés
politiques, maîtresses de leur destin parce qu'elles avaient le
contrôle de leur production économique et des règles
institutionnelles qui assuraient leur production sociale. Aujourd'hui,
privées en quelque sorte de leurs droits politiques, elles se voient
imposer un ordre juridique, économique et social qui réduit comme
peau de chagrin leurs possibilités d'initiative et leur domaine
d'intervention ».140 Ce qu'elle entend ici c'est la
nécessité pour les Etats africains de jeter un regard sur les
traditions politiques afin d'en tirer quelques enseignements utiles pour sa
survie.
En définitive, ce qui importe ici c'est l'invention par
les sociétés traditionnelles africaines en particulier chez les
Mossi d'une manière propre de faire la politique et de l'adapter
à un environnement pas totalement maitrisé et où les
risques de troubles et de soulèvements sont inscrits au coeur du
vécu quotidien. Elle constitue une réponse par rapport aux
différentes et multiples difficultés que posent les
réalités naturelles. Ainsi il reviendrait à nos Etats
modernes en général d'inventer ou de réinventer l'art
politique en tirant de la tradition des valeurs universalistes non mimiques et
à nos intellectuels, de même qu'à tout africain, «
d'avoir la patience de reprendre l'ouvrage ; la force de refaire ce qui a
été défait ; la force d'inventer au lieu de suivre ; la
force d'imaginer notre route et de la débarrasser des formes toutes
faites, des formes pétrifiées qui l'obstruent
».141
140 SAVONNET-GUYOT, Claudette. ETAT ET SOCIETES AU
BURKINA, Essai sur le politique africain. Paris : Editions
KARTHALA, 1986, p.13.
141 Ziegler, J. Le pouvoir africain .Éléments
d'une sociologie politique de l'Afrique noire et de sa diaspora aux
Amériques. Paris : Editions du Seuil, 1971, p.215
113
Cela, me semble t-il, ne pourra passer forcément que
par l'intégration des peuples, l'unité des Etats dans la lutte
contre le néocolonialisme, la culture de la force économique et
de la puissance politique, le risque dans la prise de nouvelles voies, de
nouvelles techniques, de nouvelles formes d'organisation adaptées
à la civilisation africaine, le refus du mimétisme, du dictat
extérieur, le rejet de l'état de survie et de la
dépendance. Aussi devrons-nous libérer et faire participer les
campagnes dans les politiques de développement, ouvrir les esprits
à la responsabilité collective, briser et reconstruire
l'administration, revaloriser l'esprit armé-nation comme dans un style
sankarien à coloration Mossi : « plonger notre armée dans le
peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation
patriotique, un militaire n'est qu'un criminel en puissance...
».142
Il s'agit donc d'une invention d'une nouvelle culture
africaine libératrice et progressiste, déterminante pour le
progrès social et culturel, économique et politique du continent
et cela passe surtout par la révolte, le refus car comme l'a
définit Heidegger : « la culture d'un peuple, c'est d'abord cela :
le refus du néant, la révolte devant l'inadmissible scandale de
la mort. La revendication obstinée, inutile, de l'éternité
»143. Ainsi une véritable entreprise de
réécriture de l'histoire digne de l'Afrique et par les Africains
eux-mêmes s'imposerait et constituerait, de ce fait, le leitmotiv dans la
réhabilitation d'une vie digne et la source d'inspiration à
partir de laquelle ses fils devront et pourront puiser des richesses
spirituelles et des motifs d'existence.
142 Ce dernier paragraphe est inspiré du Discours de
Thomas Sankara tenu le 04 Octobre 1984 à New York lors de la
39e Assemblée Générale de l'ONU.
143 Heidegger, M. Chemins qui mènent nulle part.
Traduit par Wolfgang Brokmeier, édité par François
Fédier. Paris : Gallimard, 1962, p. 32-33. Repris par Ziegler, La
victoire des vaincus, op.cit. p.31
114
|