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Pouvoir politique et parenté dans le système Mossi.

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par Ndigue Faye
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master II 2011
  

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Chapitre B: Enjeux philosophiques et politiques du rapport parenté/pouvoir

Les différents points que nous venons de faire montre pour analyser les notions de parenté en tant que sphère privée et de pouvoir conçu ici dans sa dimension publique manifestent a priori notre souci de situer et d'appréhender les mis en jeu qui se dissimulent au sein de cette politique de la parenté. Autrement dit, il s'agira de montrer les implications et les effets même de celle-ci dans la gestion du social, du politique et de l'administration du royaume.

A cet effet, le dévoilement de sa structuration interne permettra de jauger un peu plus prés les limites de cet appareil étatique et de sonder plus rigoureusement la réalité du gouvernement monarchique et de ses institutions dans leur rapport avec la masse populaire. Par « limite » nous entendons non pas les manquements ou les faiblesses de l'Etat encore moins les tentatives d'abus dans la gestion des affaires sociales et de confiscation par la force barbare -c'est-à-dire non justifiée et non associée au droit- du pouvoir, même s'ils ne sont pas ignorés ou pas pris en compte, mais les ruses politiques et les implications sociales et philosophiques et leur impact dans la stabilité des corps étatique et politique et de l'harmonie nationale.

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1-De la centralisation du pouvoir: force de l'Etat

Une société pour l'Etat est l'expression utilisée par Michel Izard pour qualifier le système politique des mooses. Dans sa plus rigoureuse acception, l'Etat s'exprime ici, à travers son processus de maturation, dans sa forme concrète, laquelle s'est définie chez les mooses par un système d'ordonnancement des institutions administratives en suivant leur degrés d'importance calqué sur le model de proximité d'avec le Nam et le système de parenté. Il se définit aussi par une élaboration de leurs relations respectives, c'est-à-dire par les rapports de subordination et de dépendance réciproques qui existent entre les différentes entités locales et centrales.

Avec l'Etat, donc, s'affaissent les politiques de gestion lignagère comme fondement des affaires sociales que l'on retrouvait au sein de ce que l'on a appelé dans ce processus de formation les états segmentaires et territoriaux compris ici comme des étapes de cette marche vers l'effectuation du gouvernement central. Comme le montrera romantiquement par ailleurs Adam Heinrich Müller, dans son apologie sur l'Etat, rien, en matière humaine, ne peut être pensé en dehors de l'Etat. De ses propres mots, il dira : « Rien n'existe en dehors de l'Etat, être « complet, total, vivant », qui n'est pas issu d'un contrat, qui ne peut faire comparé « à une simple manufacture, à une société d'assurances, à une compagnie mercantile », mais qui embrasse l'ensemble des activités humaines, et qui ne peut exister sans l'amour, la foi et le sacrifice des citoyens, dont le paiement de l'impôt est le signe de la joyeuse obédience ».78

Ceci laisse entendre que la nature de l'Etat ne saurait se suffire de simples clauses issues d'un engagement mutuel ou procéder de relations mercantilistes mais constitue un cadre unitaire social où l'individu s'affirme pleinement et jouit de toutes ses propriétés matérielles, psychologiques, existentielles. Il est moins un simple agrégat d'humains qu'un ensemble à la fois hétérogène et homogène animé d'un commun désir de vie commune et régis par des normes prescrites; ce qui suppose un mode d'administration et des choix politiques stratégiques et efficaces pour sa gestion. Ce qui se matérialise ici dans la politique Mossi, c'est la mise en branle de la vérité de l'Etat central et de ses institutions, de ses pouvoirs locaux dont la plus petite entité est le village dont Savonnet-Guyot décrit comme le point d'application spatial du naam de son chef.

78 Müller, A. H. « Eléments de l'art de gouverner » (Elemente der staats kunst), In ENCYCLOPEDIE PHILOSOPHIQUE UNIVERSELLE. LES OEUVRES PHILOSOPHIQUES, tome 1. Paris : Puf, 1992, p.1995

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Ainsi l'on assiste, avec l'Etat, à une véritable dénaturation du principe du système lignager qui ne parvient plus à maîtriser et à harmoniser toute cette horde de chefs et d'autorités nés de la conquête. Ces limites de la politique lignagère dans cette nouvelle donne est analysée pertinemment par Savonnet-Guyot : « sur un territoire saturé de commandements, l'engendrement segmentaire des Naam ne peut plus s'accompagner de l'engendrement segmentaire des commandements, selon le bel ordonnancement du principe lignager...L'histoire territoriale ne peut plus avoir même développement que l'histoire lignagère, le principe lignager ne trouve plus son inscription territoriale ».79

Cette approche de la nouvelle vision du politique par la réalité effective de l'Etat dont Savonnet-Guyot fait montre ici est également partagée par Michel Izard quand, parlant spécifiquement du royaume du Yatenga lequel, comme nous le savons, fut une des principales entités autonomes et centrales du grand Empire mossi, il dira :

« C'est par les ratés de la machine segmentaire que l'Etat manifeste l'imminence de son apparition. L'Etat naît des multiples pliures de la société segmentaire sur elle-même. Il naît d'un procès de sur-saturation d'un espace fini par des couches successives d'hommes qui arrivent à l'histoire et en exigeant réponse à leur attente fondamentale, qui est l'attente du pouvoir, alors même que l'inadéquation première de l'espace historique au temps historique sur-détermine la déception du plus grand nombre au coeur même de cette attente ».80

Ce sera donc autour de cet Etat central et de ses démembrements institutionnels que se manifesteront les enjeux politiques et philosophiques, toute cette instrumentalisation du système parenté/pouvoir, toutes les ruses et les subterfuges idéologiques et étatiques, aussi bien au niveau du gouvernement central qu'au niveau local, que nous essayerons d'analyser et d'interpréter ici. Préalablement à cette analyse du mode de gestion de l'Etat, la première lecture que nous faisons de cette centralisation du pouvoir autour du Mogho Naba et autour des autres Naba des principaux empires, le Yatenga Naba par exemple, concerne la dimension magico-religieuse que revêt la nature de l'empereur, de son statut de noblesse et le caractère divin du pouvoir qu'il détient. Cela sera déterminant d'ailleurs dans le choix des dirigeants des provinces, cantons et villages.

79 Savonnet-Guyot. Op. cit. p.92

80 Izard, Michel. In Archives orales d'un royaume africain. Cité par Savonnet-Guyot. Idem.

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Le détenteur du naam est le premier magistrat de la circonscription qu'il préside. La possession du naam légitime sa souveraineté, exige son respect et sa soumission et fait de lui, aux yeux de toute la communauté, l'être le plus parfait et ayant le plus de force, le père spirituel ; par conséquent il jouit d'une autorité juridique au sein de la société. Cette force et cette « perfection » lui viennent de sa proximité généalogique, en tant que membre du lignage royal, d'avec les ancêtres. Le naam, symbole du pouvoir, garantit la légitimité des chefs et de leur autorité et permet de veiller au bien-être du peuple. Faisant du naam la force permettant de parer à la déperdition des symboles sociales de la culture, Alassane ndaw pose ainsi les raisons qui faisaient qu'il devait être mangé par le roi et les chefs afin de préserver les oeuvres humaines et d'empêcher leur destruction par le désordre.

Il peut se justifier aussi par l'âge lequel n'est pas perçu, me semble t-il, comme physique, ordinaire ou naturel mais comme métaphysique et spirituel, incarné des archipatriarches et qui se mesure par le degré de sagesse qui habite tout chef et qui émanerait des ancêtres. Aussi, la nature d'un Naba relèverait-elle du mérite du Naam et du recouvrement de qualités nécessaires et compatibles à l'exercice des hautes fonctions. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs son choix n'était pas automatique. La dévolution monarchique de père en fils ou la fameuse règle de primogéniture y trouvait sa parade. En ce sens Balima montrera que la règle de dignité consistait à mettre en évidence les conditions d'être-Naba et concernait à la fois le savoir et le pouvoir de mériter le Naam. Ainsi, pour lui, c'était en quelque sorte un correctif à l'application brutale de la règle de primogéniture.

Les qualités que doit recouvrir un roi chez les Mossi concernent entre autres la courtoisie, la patience, le savoir et la capacité de surprendre et d'écouter, la maitrise et la domination de soi, car disent-ils, le commandement des autres suppose au préalable le commandement de soi. Comme à un style étonnamment machiavélien, ils estiment que l'excès de générosité, l'extrême avarice, l'irrespect envers les anciens et les ainés, la négligence des devoirs religieux...sont indignes d'un prince. Pour eux, « le prince, même irréligieux ou areligieux, a toujours intérêt à montrer un dehors religieux parce que le vulgaire, qui partout le prend pour modèle, et qui est partout la majorité, est toujours sincèrement religieux et on ne gagne rien à le choquer ou à le troubler».81

81 Balima. Op.cit. P.87

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A ce stade de la pensée politique moose, nous voyons que le jeu dans le rapport de force tend à se substituer à une relation de sagesse, d'intelligences dont la finalité concerne l'emprise du prince sur le symbolique, le cultuel populaire. Ici le prince se trouve dans l'obligation d'apprendre à reconnaitre et même à incarner ses valeurs cultuelles, bonnes pour le peuple et parfois dommageables pour lui. Le peuple exige de lui qu'il respecte les vertus cardinales de bonté, de pitié, de fidélité, d'intégrité et surtout de ferveur religieuse ; ses repères en matière de valeurs éthiques et sociologiques. Pour cela, il est nécessaire qu'il soit un grand simulateur et dissimulateur en paraissant les avoir. Pour Machiavel « il n'est donc pas nécessaire à un prince d'avoir en fait toutes les qualités susdites, mais il est bien nécessaire de paraitre les avoir... »82

Tout un rituel procédural est donc observé dans le choix des rois. La conduite des affaires sociales, la gestion d'un pouvoir faisant l'objet de maîtrise et de savoir, il est aisé de voir que capacité et expérience, âge et sagesse sont des qualités que doit recouvrir un souverain. En ce sens VAN EETVELDE, citant un proverbe peul qui parlait de l'expérience acquise au cours des événements de l'existence humaine comme condition de mesure de la sagesse: «l'homme âgé n'a pas acheté la sagesse, il a longtemps vécu», affirmera : « l'expérience de l'âge confère des vues plus pénétrantes et plus sages sur les êtres, sur les événements, sur les choses de ce monde et celles du monde invisible...L'âge aide l'homme à s'adapter et à se conformer aux réalités temporelles et spirituelles, à trouver des solutions acceptables, sinon idéales, aux multiples problèmes que pose le groupe familial ».83

Ces différents statuts constituent des paramètres de validation des fonctions et des privilèges dont jouirait l'empereur, dans la légalisation des institutions comme l'Etat et le transfert des pouvoirs. Malheureusement cette sagesse, dont ont de tout temps incarné nos rois, ne semble guère être cultivée par nos chefs d'Etat. Pour eux, être intelligent ou sage revient à abuser du pouvoir en procédant à des calculs politiques qui n'intéressent jamais l'intérêt supérieur des peuples mais l'intérêt partisan, individuel et égoïste. Ils rusent négativement des institutions publiques pour leur propre compte. La plupart de nos chefs d'Etat sont obnubilés par le pouvoir. Ils n'arrivent pas, à cette époque du XXIe siècle, à se hisser au dessus des intérêts privés et à administrer des politiques sociales.

82 Machiavel. Op.cit. p.129

83 Van Eetvelde. Op.cit. p.77

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Il caractérise également une forte légitimation de la force, celle-ci étant à la fois physique et spirituelle, du roi et de sa supériorité naturelle devant le commun mortel parce qu'il est descendant direct de la famille des « élus de la divinité ». En Afrique la force se mesurant à la durée de l'existence de l'individu, nous concevons que la personne ayant le plus longtemps vécu est naturellement plus fort car ayant le plus d'expérience et plus apte à répondre aux multiples sollicitations de son peuple et à faire face aux difficultés du monde extérieur. Cette légitimation de la force et de l'âge coïncide avec cette perception du roi perçu comme le représentant de Dieu sur terre et qui incarne l'Etat ainsi que toutes ses institutions centrales. En ce sens Yves charales Zarka dira qu' « il n'y a d'Etat que lorsque l'usage de la puissance ou de la force est enveloppé dans un procès de légitimation ».84

Dans la plupart des sociétés négro-africaines, le souverain est, à quelques exceptions prés, appréhendé de la même manière. Son autorité est incontestée ; il est le plus puissant et cette force des aïeux qu'il incarne fait surtout qu'il soit responsable non seulement de la stabilité sociale mais aussi de la fécondité des terres ou de leur stérilité. En tant que premier personnage de la nation et de l'Etat, il est soumis à une vie strictement réglementée. Chez les mooses, et si l'on en croit Cheikh Anta Diop, « son emploi du temps est fixé jusque dans ses moindres détails. Le Morho Naba n'a pas le droit de quitter Ouagadougou sa capitale, non pas par orgueil royal, mais parce que les rites le lui imposent ».85 Ceci explique l'aspect irréversible dont se caractérisent les lois rituelles sur leur force et leur supériorité sur n'importe quel citoyen, n'importe quel dirigeant. Ce qui montre une fois de plus l'infaillibilité des lois constitutionnelles établies par la coutume et la non possibilité de soustraction de la part d'une tierce personne quel que soit son statut, sa naissance, sa richesse.

L'autre aspect de cette merveilleuse élaboration du politique concerne la Raison d'Etat. Celle-ci ne constitue pas une manifestation moindre dans cette logique de gouvernance fondée essentiellement, pour ce qui est de la délégation du pouvoir, sur la parenté. Cela ne surprend guère puisque nous nous situons devant un régime monarchique fondé sur une conquête essentiellement menée par une certaine catégorie sociale guerrière, une certaine famille.

84 Zarka, Ives Charles, Hobbes et la pensée politique moderne, coll. « Essai ». Paris : Puf, 1995, p.229

85 Diop, C.A. L'AFRIQUE NOIRE PRECOLONIALE. Etude comparée des systèmes politiques et sociaux de l'Europe et de l'Afrique Noire, de l'Antiquité à la formation des Etats modernes. Seconde édition, revue. Dakar : Présence africaine, 1987, p.66-67

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Cependant, malgré la suprématie de celle-ci dans l'acquisition du pouvoir, son exercice s'établira sur une autre logique de démarche méthodologique plus différente et plus rationnelle car il est une chose d'acquérir un pouvoir et c'en est une autre de savoir l'exercer et de le conserver. Autour de l'administration centrale notamment autour du Mogho Naba, roi/empereur, se constituera un ensemble de mécanismes et de stratégies politiques et idéologiques dans l'exercice libre et sûr des institutions et la gestion autonome des affaires de l'Etat. Ainsi la première attitude que le monarque, de même que tout prince, est obligé d'adopter afin de se garantir toute l'assurance et la sécurité nécessaires devant cette lutte acharnée pour le pouvoir, a consisté à imposer la raison d'Etat. Elle s'explique par cette politique du Mogho Naba qui consiste à ne compter que parmi son entourage des serviteurs, des gens du commun n'ayant aucune ambition politique et entièrement soumis. Ces nouveaux partenaires n'ont aucun lien de sang à proprement parlé avec la famille royale ou celle des prêtres de la terre.

Elle consiste à dire, selon Savonnet-Guyot, « que le roi, se détournant de ses proches devenus trop nombreux, trop turbulents et assoiffés d'apanages, et rapprochant de lui ses sujets les plus lointains, cherche de nouveaux alliés pour le gouvernement de l'Etat ».86 Cette nouvelle approche de la pratique du pouvoir n'est pas une fin en soi. Elle justifierait tout en mettant en lumière ce que c'est que le pouvoir et son exercice, ce qu'est la politique, - conçue comme une certaine forme de guerre, de luttes, de conquêtes- et plus substantiellement ce qu'est le pouvoir politique. Il est, suivant le propos de Massaer Diallo « objet de convoitise, source d'injustice ». Commentant un proverbe peul du Sénégal disant qu' « on ne prête pas la royauté, on ne prête pas une femme, on ne prête pas un fusil », il dira : « le pouvoir incite au refus de tout partage ; » même s'il considère tout de même que « cela débouche sur la tyrannie comme pouvoir sans partage ».87 Cette approche dans l'appréhension de la nature du pouvoir en général et de l'autorité en particulier, fait montre de sa dimension extra-parentale ou familiale.

86 Savonnet-Guyot. Op. cit. p.92

87 Diallo, Massaer. « Éléments démocratiques dans les sagesses du Sénégal » In Philosophie et démocratie en perspective interculturelle, Studies in intercultural philosophy 3, 1997, p.188-189

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Rapportant des proverbes peul et wolof qui font état de l'incompatibilité de la fonction royale par rapport aux liens sociaux d'amitié ou de parenté : « le Roi n'est pas un parent », « n'a pas de parent », « n'est ni un parent ni un ami » dira Kocc Barma Faal, Massaer Diallo dira qu' « en énonçant cette « vérité » le penseur mettait en exergue le fait que le pouvoir politique transcendait les valeurs et considérations humanistes. De ce fait il était source de cynisme et excluait dans son essence toute considération sentimentale ».88 Cela conforte bien notre idée consistant à dire qu'un prince sage et avisé ne doit, pour n'importe quelle raison, associé aux affaires politiques et publiques celles familiales ou privées.

Quelle que soit la perspective dans laquelle Kocc Barma inscrit ses propos, de dénonciation, de défiance ou de méfiance, le pouvoir, par essence, ne peut faire l'objet de partage. Il ne peut être exercé que par un seul surtout à cette époque de l'histoire où il fait l'objet de tensions à la fois interne et externes. Le roi, en tant que institution représentative, n'est, ne doit être ni avoir de parent, d'ami surtout pour sa propre sécurité que pour la stabilité de son territoire. Outre cela, il est la volonté populaire et représente l'Etat, la chose publique et, rien que pour cela, il doit se départir de son appartenance ethnique, parentale, linguistique. La gestion de la res-publica n'est pas assimilable à celle de la famille. Cela se comprend bien puisque le pouvoir qu'il détient n'émane que du consentement du peuple, ensemble hétérogène, pluriethnique et non de sa propre force ou de sa naissance.

Même si nous ne pouvons balayer d'un revers de la main le fait que les conquérants mooses se sont imposés de la force pour changer la vision politique des autochtones en imposant leur nouvelle idéologie, cette puissance a été légitimée par le consentement des peuples vaincus, par l'adoption et la soumission devant les lois et l'acceptation d'intégrer la nouvelle politique. Il s'agirait donc ainsi d'une délégation du pouvoir, d'une aliénation de la liberté par le peuple au profit des nouveaux princes. Et c'est justement cela même qui va sceller le contrat. Il s'agira d'un engagement réciproque dans lequel chacun y trouvera son compte et respectera sa part en matière de devoirs et de droits. Il consistera aussi à parer l'autocratie et la tyrannie.

88 Idem. p.189

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Ainsi il serait donc logique d'affirmer avec Massaer Diallo, dans son commentaire sur une déclaration introductive89 à l'intronisation du Damel du Kajoor au Sénégal, que ce sont les électeurs qui accordent le pouvoir et c'est le peuple qui le légitime par son consentement. Pour ce qui est des Mossi, les électeurs sont les représentants du peuple au sein de la cour royale. Il s'agit donc de ce Grand Collège des ministres ou du Conseil. Cette attitude du prince Mossi consistant donc à écarter du pouvoir central ses frères peut même s'appréhender comme une mise à mort douce et judicieusement calculée, un affaiblissement de tous ses concurrents. Cela justifie mieux si nous comprenons les risques que représente le partage du pouvoir et surtout au niveau des instances supérieures de l'Etat. L'histoire montre bien cette jalousie qui a toujours entouré l'espace des instances suprêmes de l'administration.

Dans la pratique du pouvoir, toutes les normes sécuritaires et préventives sont de mises. Dés lors il est admis que l'autorité du prince, celle du roi qui se confond avec l'Etat, ne doit faire l'objet d'aucun partage ni d'aucune rivalité. Pour cela une nécessité d'élimination politique de tous ceux que l'ont pourrait appeler comme Machiavel d'« ennemis naturels » et de constitution de son entourage comme « milice gouvernementale » sont tout à fait justifiables et justiciables. Elle manifeste également des convictions et des finalités que l'on assigne à l'entreprise politique. Celle-ci étant affaire d'hommes il est aisé de la concevoir a priori et a posteriori comme un rapport continuel de force dont toutes les possibilités, tous les dangers et les risques d'exactions sont, naturellement, à prévenir. Dés lors la concentration autour de soi de toutes les forces et de toutes les assurances possibles devient un besoin vital, une nécessité de survie et de pérennisation de la longévité du pouvoir car il est de mauvaise attitude politique de fonder une telle entreprise sur du sable mouvant, sur de l'incertain.

L'interprétation qu'en a faite d'ailleurs Balima nous éclaire davantage sur cette démarche préventive de la gouvernance de l'Etat. Parlant de l'origine sociale et des fonctions de ces ministres, qui du reste sont pour la plupart issus de familles modestes et parfois sans lien de parenté avec le Mogho Naba, il s'interrogeait sur le fait qu'ils puissent occuper de telles hautes fonctions au détriment des chefs légitimes d'extraction nobles. Comme l'atteste bien d'ailleurs Jean Suret-Canale quand, parlant du statut des ministres dans le système

89 « La préférence que t'accordent aujourd'hui tous les diambours parmi tes égaux t'érige au dessus de nous, d'eux et à plus forte raison des Badolo. Ta position actuelle, témoigne de l'honneur que nous te conférons. Si tu ne dévies pas du chemin normal envers tes sujets, tu nous donneras toute ta vie. Si tu agis en contresens, tu t'attireras le désaccord de tes électeurs et nécessairement la haine de ton peuple »...

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politique dahoméen, il le compare à celui Mossi90. A dire vrai Balima considère qu'il est apparemment choquant et insolite de constater que les décisions étatiques ne puissent venir ni des membres de la classe royale ni du Mogho, lequel est supposé incarné l'Etat et garantir le devenir de la nation, mais de sujets captifs ou de gens extérieurs au groupe proprement dit des Mossi. Pour lui tout repose sur le fait qu'il est souvent dangereux de confier des responsabilités de cette haute facture à ses pairs rivaux. A en croire ses propos « il est de bonne politique ou, du moins c'est une politique avisée pour un chef d'avoir pour ministres des personnages dont l'intérêt est qu'ils soient dévoués et compétents et dont toute l'ambition est de servir fidèlement, des hommes souvent sortis de rien, qui devront tout au maître, des hommes dont le passé et le présent seront garants de l'avenir ».91 Ce que reprend ainsi coup sur coup Suret-Canale en parlant des Mossi : « le souci est visible, comme au Dahomey, d'écarter des hautes fonctions les candidats possibles à la couronne ».92

Notons ici que ces ministres, malgré leur provenance, pour la plupart, modeste, composent le Conseil. Les décisions émanent du Mogho Naba ne sont appliquées qu'après consultation et approbation du Collège des ministres à tel enseigne que l'on est tenté de les comparer aux membres de la Chambre des représentants. Il est donc la Chambre où toutes les composantes de la société pluriethnique, de la nation sont représentées. Les enjeux susceptibles d'être décelés de cette politique sont diverses. Cependant ils sont pour la plupart d'ordre sécuritaire aussi bien pour le roi que pour la stabilité des corps politique et étatique lesquels peuvent être altérés si un sentiment de marginalisation ou d'injustice naissait ou fut soupçonné au sein des couches sociales apparentées et qui concerne la représentativité au niveau des centres de décision. Aussi ne pouvons-nous pas y voir un souci d'organisation nationale dont le but consiste à mieux faire croire que l'on exerce le pouvoir, non pour se servir mais pour être au service de la nation et mieux assurer sa suprématie ?

90 « Entretenus par le Palais, dotés de fiefs, pouvant recevoir du roi des esclaves provenant des prises de guerre, les « princes » étaient exclus de toute charge et de toute fonction politique : ministres et dignitaires de la cour, chefs locaux, et même épouses royales [...] étaient en revanche pris parmi les simples dahoméens, dont les familles acquéraient ainsi une position supérieure et constituaient une sorte de « noblesse d'office »... ». Jean Suret-Canale. Afrique Noire Occidentale et Centrale. Géographie-Civilisations-HISTOIRE. Troisième édition revue et mise à jour. Paris : Editions Sociales, 1973, p.122

91 Balima. Op. cit. p.92

92 Suret-Canale, J. Afrique Noire Occidentale et Centrale. Géographie- Civilisations-Histoire. Troisième édition revue et mise à jour. Paris : Editions Sociales, 1973, p.122

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En tout cas tout semble porter à le croire puisque les différentes fonctions stratégiques sont attribuées à ses serviteurs, ses ministres. Ceux-ci ont par ailleurs pour rôle d'informer et de constituer les intermédiaires entre les Kombeemba ou gouverneurs des provinces et cantons et le Mogho Naba. En fait ils sont formés au droit coutumier à servir, dans les faits de manière courtoise et polie, en l'informant car comme le dit l'adage si gouverner c'est prévoir, il est impératif pour pouvoir prévenir de s'informer. Ici l'information recouvre une dimension fondamentale et stratégique car relevant moins d'une simple action de faire connaitre d'un fait que d'une obligation pour le roi d'être en permanence à l'écoute de son peuple pour des raisons sécuritaires et politiques. Aussi faudrait-il admettre qu'elle revêtirait une certaine politique rusant dont la finalité serait « de sonder l'opinion publique à des fins personnelles : pour garder le pouvoir et prévenir les révolutions de palais dans ce climat de rivalité dynastique ».93 Ainsi tel pouvait se comprendre cet habitude du Morho Naba qui, se déguisant la nuit, parcourait le quartier populaire de sa capitale dans l'anonymat absolu, écoutant les conversations des gens.

Mais en réalité si l'on s'accorde sur les impacts sur l'Etat des différentes fonctions qu'ils occupent et des prérogatives dont ils jouissent surtout à ce stade de l'évolution de l'esprit dans la gestion du pouvoir, l'on peut bien dire avec Balima qu'en tant que hauts personnages chargés de la préparation et de l'exécution des décisions, ils exerçaient la réalité du pouvoir. Ce qui semble retenir notre attention ici c'est qu'il s'agit moins d'une gestion absolue, arbitraire et dictatoriale du pouvoir comme l'on a toujours peint les régimes monarchiques traditionnels lesquels l'on a taxé souvent de royautés bestiales et barbares sans organisation ni système politique cohérent que d'une politique dont les modalités et la finalité ont pour objet de garantir la cohésion et l'unité nationales. Vu le caractère cosmopolitique de la société moose, nous estimons que ces procédures sont en vue d'un souci d'intégration et de nationalisation de tous et celle-ci semble être déterminé par des politiques permettant d'assurer la force et la violence légitimes dont doit recouvrir l'Etat.

93 Diop, C. A. L'Afrique noire précoloniale, op.cit, p.67

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En marge de ces stratégies visant à prévenir ou à parer les risques de tyrannie ou d'absolutisme susceptibles de découler de cette centralisation du pouvoir, des pensées, des procédés gnoséologiques et pédagogiques régissaient les sagesses populaires, les contes, les proverbes. Ainsi les ruses des moins forts, les soulèvements populaires telles que véhiculées par la tradition orale, la désobéissance civile, les élections basées sur les critères de sélection constituaient des manifestations, des mécanismes de parade à tout abus d'autorité de pouvoir et d'injustice, comme moyens de dissuasion de toute force se voulant autocratique.

Cette force de la masse populaire constitue un poids non négligeable pour le prince dans son exercice du pouvoir. Cela se manifeste bien dans son rôle dans la procédure successorale. Pour cela lisons ces propos de Skinner qui nous relate ici cette procédure. Apres que les prétendants se soient manifestés, le Ouidi Naba réunissait discrètement le Conseil et leur récitait cette formule : « Le pays n'a pas de chef et il lui en faut un. Parmi tous ceux qui souhaitaient être élus (di nam, « à manger le nam »), c'est à vous qu'il incombe de choisir le meilleur ». A ces propos, les conseillers répondaient : « Naba ! Vous êtes notre supérieur et c'est à vous seul que revient le droit de faire ce choix. » Ainsi se voyant attribuer la liberté de choisir, il déclarait au Tansoba, avant de faire connaitre son choix : « Mon coeur est lourd, car je crains que ceux dont les espoirs n'ont pas été exaucés ne recourent à la violence pour obtenir ce qu'ils souhaitent. » A cela ce dernier répondait : « Cela irait à l'encontre de la tradition et de la justice... ». Ayant reçu l'appui de tous, il pouvait maintenant faire savoir l'heureux élu ; à ses conseillers de dire donc et en même temps : « Naba ! Vous avez exprimé votre volonté et celle de tout le peuple. »94

A la suite de tout cela, le Ouidi, faisant convoquer le nouveau prince, il continua sur la procédure d'installation. Ce que nous pouvons retenir à ce stade de la cérémonie d'investiture, c'est que la volonté populaire se manifeste et que la dévolution arbitrale automatique y est absente. E n s'adressant au prince élu, il met en avant les exigences rituelles et coutumières de la population et le respect des prescriptions politiques. En ces termes voici ce que nous en rapporte Skinner : « Avant que votre père [ou votre frère] ne meure, vous a-t-il désigné comme successeur ? » A cela il répond par « Non sire ! Mon père vous a laissé toute liberté pour choisir l'homme qui vous plairait, qu'il soit aveugle ou lépreux ! ».

94 Skinner. Op.cit. p.97-98

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Cette question posée trois fois, il répond aussi par trois fois et le Ouidi Naba peut désormais le consacrer en déclarant : « je vous remets le nam de votre père et de vos grands pères. Vous devez essayer de vous comporter comme ils le firent lorsqu'ils possédaient le nam ».95 Notons ici en passant que les questions sur la diversité ethnique, linguistique et culturelle posent énormément de soucis à nos Etats contemporains. Ils sont à l'origine des guerres ethniques et claniques, religieuses et politiques qui entrainent l'insécurité, l'absence de stabilité territoriale, la précarité, l'exploitation injuste des mineurs que l'on appelle communément « enfants-soldats », et démesurée des forets et des richesses, la pauvreté des terres cultivables due aux produits chimiques et nucléaires, les maladies, la fuite des populations et des cerveaux... .

Lors du 55e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO) avait publié, à la suite d'une série de conférences-débat, un document intitulé L'Afrique de l'Ouest face au défi de la sécurité humaine. Dans cet ouvrage, le Général Mamadou Seck, montrait dans son propos que l'Afrique fut depuis 1970 le théâtre de plus de trente guerres meurtrières et durables ayant pour origine des conflits internes qui annihilent tous les efforts de développement socio-économiques. Cette situation étant due, dit-il, « à des facteurs à la fois endogènes et exogènes d'ordre politico-ethnique, mais également d'ordre économique, avec pour corollaire le déficit ou l'absence de démocratie ».96

Tout ceci est le résultat de mauvaises politiques de la part de nos chefs d'Etat qui privilégient plus l'intérêt personnel, partisane, clanique ou ethnique au détriment de l'intérêt populaire, public, supérieur de la nation. Il faudrait donc des politiques sociales d'intégration des peuples, faire tout pour parer au favoritisme, de ne concevoir le chef d'Etat que comme personne publique sans appartenance religieuse, ethnique, partisane. Il est la volonté populaire et doit agir en tant que telle. Les moyens de l'Etat n'appartenant pas à sa famille ni à son parti, il ne doit les utiliser que pour la cause nationale.

95 Idem. p.100

96 Général Mamadou Seck. «Plus de 30 guerres en 34ans » In L'Afrique de l'Ouest face au défi de la sécurité humaine. Dakar : EDITION RADDHO, juin 2005, p.72

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Nos Etats modernes ont l'obligation de se départir du joug occidental, du mimétisme pour penser et agir de façon autonome et souveraine. Pour cela la constitution d'une nation homogène et harmonieuse, la fondation d'un Etat aux institutions fortes et équilibrées, la légalisation de politiques d'intégration des peuples, de partage des pouvoirs et des richesses constitueront des bases sur lesquelles s'établira la cohésion sociale, territoriale et nationale gage de progrès et de puissance. Tout cela autour d'hommes d'Etat et de citoyens au sens propre du terme, des républicains vertueux n'ayant à coeur que la patrie et la sauvegarde des valeurs sociaux culturelles, de la protection civile et de la conservation du patrimoine populaire.

Tout ceci ne peut être effectif sans la mise en application de mécanismes politiques et étatiques rigoureuses de gestion des affaires sociales comme semblent l'avoir fait les mooses. Ils ont très tôt, comme dans beaucoup de sociétés traditionnelles africaines senti la nécessité de gérer le social et de parer aux risques des révoltes populaires ou de désobéissance civile en prenant dés le début du processus de socialisation et d'intégration de toute cette masse aux diverses visions et coutumes, des stratégies de gouvernance en favorisant des politiques idéologiques permettant de faire respirer l'Etat et de responsabiliser tous devant le patrimoine commun. Ainsi une très nette décentralisation accompagnée d'une autonomisation des pouvoirs, une démocratisation dans la gestion des affaires publiques, la soumission devant toutes les institutions, le respect mutuel, le partage des pouvoirs, la délimitation des champs d'action aussi bien pour le temporel que pour le spirituel,...seront les fondements de la stabilité et de la superpuissance de l'Etat et des peuples mooses.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon