DEUXIEME PARTIE :
DES RAPPORTS ENTRE PARENTE ET POUVOIR
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Chapitre A: La question de la parenté dans le
système politique Mossi
Une réflexion philosophique sur des questions relatives
à la politique en Afrique traditionnelle en générale et
chez les Mossi en particulier, pour être judicieuse, rationnelle et
appropriée, ne peut faire l'économie des structures
socioculturelles et cultuelles qui, non seulement y apparaissent et
régissent les rapports entre pouvoir et parenté au sens
générique du terme mais aussi et surtout des enjeux
politico-philosophiques et sociaux qui en découlent. En effet, la
société africaine traditionnelle a été
essentiellement régie sur des mécanismes sociopolitiques
édifiants au coeur desquels la systématisation du
phénomène parental occupait une place de choix à
l'intérieur de la structuration et de l'organisation de la vie sociale
et politique.
La tradition culturelle Mossi s'est
caractérisée, comme nous le verrons dans les détails, par
un système de valeurs et de règles autour de la
légitimation et de la légalisation de la structure parentale
aussi bien dans les rapports interindividuels que dans ceux avec les instances
administratives. A cet effet, la parenté recouvre une dimension
autoritaire -relatif à l'autorité- et est élevé au
rang de pouvoir, de responsabilité, de puissance. Dés lors le
père et/ou la mère n'est plus perçu uniquement comme un
géniteur naturel mais comme une entité juridique fondant la
structuration sociopolitique et étatique. Il est l'incarnation de
l'autorité juridique qui régit l'ensemble des rapports entre les
individus descendants de la même lignée biologique, le patriarche
et entre les apparentés comme il est le cas ici chez les Mossi. C'est
pourquoi, dans la plupart des sociétés traditionnelles
africaines, les rapports politiques et sociaux entre les individus sont
régis en générale par les systèmes de patrilignage
ou de matrilignage, parfois même les deux à la fois.
Il sera donc question dans cette deuxième partie de
procéder à une analyse des concepts pouvoir et parenté, de
leurs implications et corrélations dans le système politique
Mossi et des enjeux sociologiques et philosophico-politiques qui en
découlent ou susceptibles de s'en dégager. Ceci permettra, nous
semble t-il de stabiliser fondamentalement la question du fondement politique
de l'Etat moose et de son système de gouvernance.
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1-Approche définitionnelle
La parenté a fait l'objet de multiples études et
publications dont il ne saurait être question, pour nous, d'en analyser
l'ensemble ni encore moins d'en délimiter toute l'exégèse
interne et externe qui y est faite. Il s'agit ici d'un travail discriminatoire
consistant à saisir, non pas l'ensemble conceptuel de la notion mais,
les définitions susceptibles de mettre en exergue les enjeux
philosophiques de cette «politique de la parenté», en tant que
mode de gestion et de transmission du pouvoir chez les Mossi que nous essayons
d'examiner dans ce chapitre.
Mais avant, prenons déjà pour acquis que le
concept «parenté' peut recouvrir à la fois une dimension
privée ne reflétant que les relations familiales où les
sentiments, les affects, à l'intérieur desquels les
intérêts privés sont très souvent
prédominants. Elles sont étroites dans une société
occidentale -ne concernant que les rapports père, mère, enfants-
et élargies dans une société africaine dans laquelle les
rapports sont plus complexes car se référant à la famille
élargie. Néanmoins, et c'est là que nous insisterons, elle
peut surtout relever d'une instance publique, d'un champ de rapports
réglementés, d'un système opératoire transcendant
toutes les manifestations passionnelles, affectifs, égoïstes,
individualistes ou partisanes. En ce sens il constituait un modèle de
gestion du social et du politique pour les sociétés
traditionnelles. Et c'est justement de cette dernière dimension dont il
est question ici. Il s'agira donc, pour notre sujet, de le confronter à
un autre concept, celui d'Etat, lui-même, notion publique et instrument
dans l'exercice du pouvoir et la réglementation des affaires
sociales.
En tant qu'ossature essentielle dans les
sociétés africaines traditionnelles, la parenté constitue
un réseau de rapports sociaux et de représentations collectives,
un champ sociopolitique dans lequel l'individu ou la personne se définit
et se réalise concrètement : « l'homme, c'est sa
parenté. » dira un proverbe sérère ; « le
remède de l'homme, c'est l'homme. » diront les wolofs. En tant que
système, Elle est définie sociologiquement par le
Dictionnaire Universel 2010, comme l'ensemble des relations qui, dans
toute société, définissent un certain nombre de groupes et
de sous-groupes, et déterminent les obligations et les interdictions
auxquelles doivent se soumettre leurs membres.
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En ce sens le terme parenté dépasse l'aspect
passionnel, l'affect parental- père/mère- à l'égard
de la progéniture en se consacrant dans une dimension plus
étendue, celle régissant les interactions de la vie sociale et,
par extension, de l'Etat comme nous aurons à le constater dans le
système Mossi. Elle cadre tout en immobilisant l'individu, en tant
qu'unité sociale, dans une organisation sociopolitique régie par
des normes et garante de sa liberté, de sa conservation tout en
l'attribuant des charges dont il a le devoir et l'obligation de s'acquitter
pleinement. La parenté figure, par conséquent, parmi ce que
Alassane Ndaw nomme comme les « différents réseaux de
rapports sociaux qui enserrent l'individu, déterminent son statut et le
constituent essentiellement en élément n'existant que « par
» et « pour » les autres ».64
Son élaboration en tant que système de gestion
et de garanti de l'existence matérielle-en assurant les problèmes
relatifs à la nourriture, à la reproduction, à
l'éducation, à la protection contre les potentielles puissances
maléfiques et les ennemis- métaphysique- arriver à se
concilier, par un ensemble d'acquis culturels et cultuels, avec les
divinités et autres forces invisibles- et politique -favoriser une
meilleure gestion de l'affectation des fonctions administratives- constitue une
réponse face aux contraintes naturelles et une tension à
satisfaire son instinct de sociabilité. N'étant pas seulement mu
par ses instincts naturels, l'homme s'est toujours trouvé dans
l'obligation de s'affirmer pleinement et pour cela à s'affranchir de la
pesanteur de la nature par la création de conditions d'existence.
A cet effet, les peuples négro-africains, comme le dira
Van EEtvelde, ont « trouvé des manières qui leur sont
propres de vivre les dépendances inhérentes à la condition
humaine. Les structures participatives que forment les groupes de
parenté constituent des cadres de vie qui permettent aux individus de
résoudre leurs problèmes fondamentaux ».65 Ces
problèmes dont fait montre Van EEtvelde sont relatifs aux
mystères de l'existence et leur solution vise le maintien et la
pérennisation de la vie sociétale. Comme cadre de vie, la
parenté est fondée sur les principes et les exigences de
solidarité et de respect mutuels. Elle peut, dans cette perspective,
faire allusion, non seulement à un groupe réduit formé par
le père, la mère, les enfants, les frères et soeurs, mais
aussi et surtout, dans la dimension que nous l'envisageons ici, à un
système plus élargi pouvant comprendre tous les descendants d'un
ancêtre commun qui, en tant que patriarche fondateur, se conçoit
comme la sève nourricière du groupe et de ses traditions multi
générationnelles.
64 Ndaw, A. Op.cit.p.174
65 Van EEtvelde. Op Cit. p.36
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Suivant les formes et les cultures coutumières, trop
souvent différentes, l'organisation au sein du groupe parental repose
sur la satisfaction des besoins vitaux de ses membres et de favoriser
l'harmonie et la paix sociale, sa conservation en assurant sa force et sa
sécurité. En effet, c'est par le terme lignage que la
parenté est exprimée le plus souvent. Le fondant sur une relation
génétique et sur un concept social, Van EEtvelde montrera qu'il
est organisé et possède un chef ou un aîné. Ainsi,
chaque membre en dépend et se rattache, par là, à une
ethnie et à une culture déterminés avec des traditions
ancestrales.
En ce sens la parenté répondrait donc à
un idéal social, le bien commun. L'idée principale ici est que ce
but recouvre une dimension morale car se dérogeant à la
règle de l'existence subjective, égoïste et individualiste
exagérée afin de coïncider avec l'idéal de vie
commune. Elle constitue de ce fait une entité sociopolitique, comme nous
le constaterons dans la vie gouvernementale Mossi, plus psychologique, sociale
et religieuse que biologique car comme le montrera Van EEtvelde, parlant de la
superstructure idéologique des peuples africains, l'individuel n'a pas
une emprise sur le collectif et la coutume car la vie humaine étant
régit de part en part par le social et le religieux.
Ce que l'on peut retenir ici c'est que la personne humaine ne
peut être saisie ni appréhendée en dehors de l'armature
sociale et des relations interindividuelles qui lui assurent existence et
responsabilité, l'assignent des droits et des devoirs. Elle est un
être humain structuré socialement ou comme le dirait Aristote un
animal politique. Cette perception de la notion de personne dans les
civilisations négro-africaines est le corrélat direct de la
conception traditionnelle de la vie reposant sur la culture du social, du
groupe et de la communauté. Cette conviction quant à la
réduction irrémédiable de l'existence de l'homme à
la sociabilité procède, non plus d'une dimension
singulière exacerbée mais, d'une philosophie plus socialisant
qu'individualisant. Celle-ci considère l'autre comme une entité
inhérente et nécessaire non seulement à la
réalisation et au déploiement du Moi mais, dans une dimension
pratique, à l'accomplissement des activités quotidiennes. Comme
le dit le proverbe sérère : « tout seul, Ngor ne saurait
jamais soulever sa case ».
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Ce recours à l'autre manifeste clairement
l'incapacité de et pour l'être humain en tant que microcosme de
s'auto-suffire essentiellement et de se déployer surement au travers des
rouages de la vie et à l'intérieur d'un univers macrocosmique.
L'autre n'est plus conçu ici comme un obstacle à l'existence du
Moi, encore moins comme un « enfer » pour l'individu mais apparait
comme un frère, un parent ou un proche avec qui le Moi partage
l'humanité et entretient des rapports sociaux moraux ou conflictuels. A
cet effet, Alassane Ndaw dira que : « le projet du « moi » n'est
donc pas de se poser comme entité rigidement structurée, se
distinguant totalement d'autrui et s'opposant à lui par essence, mais de
se saisir et de se définir par rapport à lui ».66
Comme pour reprendre ce propos d'Alassane Ndaw, Jean Paul Sartre, posant le
problème de « l'existence d'autrui » montrera
l'inséparabilité du moi et de l'autre et affirmera leur
nécessaire interdépendance si l'on se réfère
à ces propos : « j'ai besoin d'autrui pour saisir à plein
toutes les structures de mon être, le pour-soi renvoie au pour-autrui
».67
Ces deux concepts apparaissent dans l'imaginaire culturelle et
dans la réalité sociale négro-africaine comme deux
entités distinctes mais inséparables à l'intérieur
d'un même tout, d'une seule unité ontologique dont ils
procèdent à savoir la cité. Cette dimension unificatrice
est, comme nous l'avons dit, fondée sur des bases et des superstructures
idéologiques à l'image du système de parenté. Le
parent, en Afrique traditionnelle, suppose un bon nombre de significations. Il
concerne dans un premier temps l'aspect biologique mettant en évidence
le père et la mère pour ensuite épouser une perspective
plus élargie en allant jusqu'à toucher l'entourage -ceux avec qui
on a établit des alliances à travers le mariage, l'adoption- et
la descendance par rapport à un ancêtre commun c'est-à-dire
ceux avec qui l'on partage la consanguinité- tribu, caste, ethnie
etc.
Ce phénomène de la consanguinité sera une
dimension non négligeable pour la compréhension de la
parenté chez les Mossi et de son impact dans la gestion souveraine du
pouvoir. Ici l'on insistera sur la notion de Père, en tant que concept
et dérivé de parent, et de sa perception politique dans la
société africaine. Mais avant d'en arriver à cette
fonction du Père, posons les fonctionnalités de la parenté
dans les fondements des systèmes politiques.
66 Ndaw, Alassane. Op.cit. p.136
67 Sartre, Jean Paul. L'être et le
néant. Essai d'ontologie phénoménologique. Edition
corrigée avec index par ARLETTE ELKAÏM-SARTRE. Paris : Gallimard,
1943, p.260-261
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Traditionnellement la plupart des Etats dits
centralisés procèdent le plus souvent, comme c'est le cas pour
les Mossi, d'un rapprochement de deux groupes : l'un guerrier et
étranger et l'autre autochtone lesquels se contractent et forment une
entité politique. Ainsi tout semble être fondé sur le
prestige et la vertu. Doté de ces qualités un chef de groupe peut
s'imposer, soumettre les autres et édifier un Etat centré autour
de son ethnie. Les différentes ramifications étatiques sont
dés lors affectées aux membres de la famille ; ce qui
constituerait un système de gestion oligarchique du pouvoir. La
descendance dynastique et la naissance deviennent les paramètres de
hiérarchisation et d'affectation des fonctions. Dans ces types de
système centraliste, l'organisation administrative et sociale se fonde
sur une gestion lignagère et parentale aussi bien au niveau du temporel
qu'à celui du spirituel. Il s'agirait donc, comme le montre Alassane
Ndaw, de sociétés qui tendraient à reproduire le model
politique et économique des sociétés occidentales
modernes.
Ici l'instauration de lois et de règles
constitutionnelles qui garantissent les rapports ont pour fonction de faire
prévaloir l'ordre et l'unité sociale. Ce qui semble se rechercher
à travers cet établissement de normes c'est la primauté de
la volonté générale et de l'intérêt
général sur les volontés particulières et
individualistes. L'égalité et la justice se justifient au moment
où l'intérêt privé est relégué au
second rang au profit de la vie publique et l'individualisme passible de
sanctions juridiques. Ainsi l'on est parti de la vie familiale pour
épouser la vie tribale et clanique avant de se fondre dans l'Etat comme
résultat de la fédération des ethnies.
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