PREMIERE PARTIE :
GENESE ET FORMATION DE L'ETAT
11
En philosophie comme dans la plupart des sciences humaines,
l'explicitation préalable des notions et des concepts définis
dans le langage scientifique et technique constitue une entrée en
matière non négligeable pour toute étude se voulant
rationnelle et concise. Elle est une véritable propédeutique, car
supposant un déblayage conceptuel dont la vocation est de favoriser un
certain consensus, une certaine entente - même si la philosophie semble
naturellement et essentiellement anticonformiste- et de parer à tout
contresens relatif à l'utilisation des termes mis en oeuvre. C'est dans
une telle optique que nous tentons, au préalable, de procéder
afin d'éviter toute confusion quant à l'utilisation du concept
«genèse».
D'après le Dictionnaire Universel 2010, c'est l' «
Ensemble des processus donnant naissance à quelque chose ».
-génèse, -genèse, -génésie. Elément,
du latin genesis, il signifie : « naissance, formation,
production ». Quant à André Lalande, dans son
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, il le
définira comme suit : « La genèse d'un objet d'étude
(par exemple d'un être, d'une fonction, d'une institution) est la
façon dont il est devenu ce qu'il est au moment considéré,
c'est-à-dire la suite des formes successives qu'il a
présentées, considérées dans leur rapport avec les
circonstances où s'est produit ce développement ».
Au regard de tout cela, il convient de noter que ce terme
renvoie au processus de formation d'un objet, à l'origine au sens
où ce dernier vocable dénoterait l'idée de commencement,
de première apparition, de manifestation. Si, toutefois, l'on en croit
André Lalande, ces deux concepts s'opposent dans certains cas surtout en
tant que la notion de «genèse» supposerait « une
réalité préexistante et un point de départ qui en
est l'origine ». En ce sens elle est plus large. Mais une certaine
synonymie est à opérer entre les deux concepts dés
l'instant qu'ils épousent l'idée de début, de
commencement; et c'est cette dernière acception que nous retenons pour
notre propos qui consiste à expliciter la question sur la naissance de
l'empire et des peuples Mossi.
De cette acception du terme « genèse », nous
considérons, en référence aux travaux de certains
théoriciens occidentaux du droit politique comme Rousseau et ses
contemporains sur la naissance de la société civile, que le
processus d'émergence de l'Etat Mossi, semble, a priori, ne pas
être le produit d'un quelconque contrat ou pacte au sens où
l'entendraient ces auteurs. Comme l'a théorisé Rousseau, par
exemple en partant d'un état de nature qui préexisterait à
l'état civil, les hommes sont arrivés « à ce point
où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans
l'état de nature, l'emportent par leur résistance sur les forces
que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état »
; ce qui fait que « cet état primitif ne peut plus subsister, et le
genre humain périroit s'il ne changeoit sa manière
12
d'être ». Ainsi ils cherchèrent [librement]
une alternative qui consisterait à « trouver une forme
d'association qui défende et protège de toute la force commune la
personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun
s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même
et reste aussi libre qu'auparavant ? »8
Il semble aussi n'être pas, toujours dans cette
même logique principielle rousseauiste, un pacte où « chacun
de nous met [sans pression ni violence] en commun sa personne et toute sa
puissance sous la suprême direction de la volonté
générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie
indivisible du tout ».9 Chez les Mossi, par ailleurs, le
processus d'émergence de l'Etat, tel qu'élaboré à
travers le mythe fondateur, semble manifester, non pas le libre choix des
contractants, mais une sorte de pression et de violence de la part des
édificateurs étatiques sur les peuples autochtones.
Au regard de la compréhension de ces propos qui, du
reste, mettent en branle la théorisation du politique dans le contrat
social de Rousseau, nous serons tentés de faire une lecture comparative
relative à ce que laisse apparaitre ici le texte et
l'interprétation que nous pouvons faire de l'émergence du royaume
et de la vie politique Mossi. Mis à part la place que l'explication
théorique du mythe occupe dans ce processus, nous lisons une certaine
conscience des conquérants Mossi devant l'impossibilité pour un
individu singulier, un clan ou une tribu particulière de survivre au
contact des multiples obstacles quotidiens et de répondre favorablement
aux différentes sollicitations de la nature. Ainsi ces derniers auraient
compris la nécessité de « s'associer » et d'associer
les autres - même par le biais de la violence- pour «
défendre et protéger de toute la force commune la personne et les
biens de chaque associé » dans un espace politique qu'ils
édifieront -un royaume, un empire- et leur éviter de «
périr » tout en sauvegardant leur liberté naturelle.
Dés lors la réalisation d'un tel pari
supposerait donc l'implication, la subordination de chacun envers tous et
vice-versa celle de tous envers chacun, ce qui manifeste une certaine
solidarité de corps laquelle renvoie aux principes fondamentaux
d'assimilation, de solidarité et de conservatisme, notions qui
constituent la colonne vertébrale de l'édification du royaume et
de la société. Ce qu'il faudrait retenir essentiellement ici
c'est que cette lecture en parallèle n'a pas pour objet de
réduire irrémédiablement les propos de Rousseau à
la manière dont le système Mossi serait constitué. Il
s'agit plus d'une tentative de lecture comparative que d'une
8 Rousseau, J.J. Du Contrat Social,
précédé de Discours sur l'économie politique et de
Du Contrat Social, première version. Paris : Editions Gallimara, 1964,
p.182
9 Rousseau, J.J. Idem, p.183
13
réduction irréversible du texte rousseauiste au
processus qui a conduit à la création de l'Etat Mossi. Ceci dans
le but de ne pas trahir sa pensée mais aussi et surtout d'éviter
d'émettre des jugements justificatifs sans objectivité dés
l'instant que nous savons que c'est à partir de la force, non pas
absolue, mais corrélée à la ruse et aux alliances que ce
peuple a dévoilé son avènement, son histoire
institutionnelle. Car comme nous le savons bien il y a une grande
différence à la fois sur la forme et le fond quant à la
nature du pacte et/ou du contrat social chez Rousseau et la manière dont
le « contrat ou le pacte Mossi » s'est élaboré.
Cependant, quelle que soit la tournure et la forme
contractuelles qu'a adopté le contrat rousseauiste en tant que fondement
de la société civile, il n'en demeure pas moins qu'il reste
théoriquement une pure hypothèse de travail ou comme le feront
montrer Maine et Brian, suivant l'analyse d'Abélès et de Jeudy
une « fiction élaborée pour étayer la critique de
l'absolutisme ».10 S'inscrivant dans une perspective
évolutionniste, nos deux auteurs considèrent que toute la
philosophie des Lumières, notamment le second discours de
Rousseau, n'a fait que procéder à une reconstruction abusive de
l'histoire de l'humanité. Cela est d'autant plus vrai que l'auteur,
lui-même, a considéré l'inexistence, chez l'homme, d'un
« état de nature ».
S'inscrivant dans cette lancée, nous pouvons
considérer que l'histoire de l'humanité, de ses institutions et
de sa culture ne saurait se fonder sur des théories purement abstraites,
sur de la pure imagination mettant entre parenthèses l'action
réelle et pratique, les rapports et interactions inter humains. Ceux-ci
ont toujours, et de tout temps, étaient jalonnés de part en part
d'événements historiques marquant ainsi la marche de leur
histoire. C'est d'ailleurs dans cette même optique que s'affirmera Karl
Marx lorsqu'il dira que « l'histoire de toute société
jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de
classes »11. Pour ne pas verser trop dans cette confrontation
entre ces deux tendances, notons ici que l'histoire politique des peuples
mooses ne peut déroger à cette mouvance de construction pratique
de son histoire politique.
A priori, la force, la violence, l'usurpation de la part des
conquérants sur les peuples autochtones ont été
fondamentales dans la fondation de l'Etat. Ces derniers, avant l'arrivée
des guerriers Mossi dans l'espace mooga, étaient des
sociétés de type villageois sans pouvoir central.
10 Abélès, M. Jeudy H. P.
Anthropologie du politique. Paris : Armand colin, 1997, p.6
11 Marx, K. et Engels, F. Manifeste du parti
communiste. Principes du communisme. Moscou : Editions du Progrès,
1977, p.33
14
Les chercheurs utilisaient des termes pour les désigner
: « sociétés sans Etat », « communautés ou
démocraties villageoises », ou même par certains de
sociétés « acéphales, anarchiques ou
paléo-négritiques ». Ils étaient
représentés, soit sous le statut de « civilisation de
village » du fait qu'il revenait au village, en tant qu'unité
lignagère et territoriale, de créer les institutions
démocratiques et de favoriser l'avènement des catégories
socioprofessionnelles issues de la division du travail, soit sous celui de
lignage. Ainsi Savonnet-Guyot les définira comme des: «
sociétés où font défaut les attributs d'un
gouvernement central et où, en l'absence de divisions tranchées
de rangs, de statuts et de richesses, la distribution du pouvoir et de
l'autorité obéit à des critères différents :
l'âge, le sexe, la position de l'individu à l'intérieur des
lignages ».12
A y voir de plus prés, ces sociétés
peuvent, me semble t-il, être réduites à un type
d' « état civil » c'est-à-dire
à un moment où le communautarisme, le clanisme, la vie au niveau
familiale constitueraient des données de base. Ainsi le postulat initial
consisterait à faire de la réalité civile un fondement, un
principe de départ de l'évolution de l'histoire. A cet effet,
voyons ces commentaires d'Abélès et de Jeudy sur le texte de
Maine : « S'il y a bien rupture avec l'idée d'un état de
nature auquel se substituerait l'état politique, par la volonté
des hommes liés ensemble par un contrat, il n'en demeure pas moins une
opposition entre deux « états de société », l'un
primitif dans lequel prévalent les liens de parenté, l'autre
pourvu d'Etat : l'apparition de la propriété et la
prégnance de la territorialité marquent le passage d'un mode
d'organisation à l'autre. »13
Toutefois, toujours est-il qu'en dépit de cette
distinction formelle entre ces deux types de sociétés, ils
recouvrent tous deux une dimension morale et rationnelle quant à leur
objectif d'établir un espace politique, civile régit par des
lois, des normes et des valeurs susceptibles de garantir une vie sociale
commune stable où les libertés naturelles seront
respectées et la survie de tout un chacun assurée: dessein de
toute association humaine. En tout cas c'est ce que présuppose la
lecture des différents mythes relatifs à la naissance et à
l'organisation politique de l'empire. Que cette histoire réelle soit
relatée et sauvegardée aux travers des formes symboliques comme
le mythe, c'est là toute l'intérêt du choix de
l'intitulé : « la réalité du mythe ». Ici le
mythe recouvra, dans une perspective pratique, toute la vérité
réelle de sa définition.
12 Savonnet-Guyot, C. Etat et
sociétés au Burkina. Essai sur le politique africain. Paris
: Editions KARTHALA, 1986, p.25
13 Abélès, M. et Jeudy, H.P. Op. cit.
p.6
15
Chapitre A: La question de l'origine de l'empire et des
peuples Mossi: la réalité du
mythe
Malgré l'intérêt croissant qu'a
suscité l'Afrique depuis des décennies, les chercheurs peinent
toujours à s'instruire rigoureusement des sociétés
traditionnelles jadis très florissantes et très organisées
administrativement à l'image des monarchies du Ghana, du Mali, du
Songhaï, du Mossi, des Haoussa...lesquelles, hormis certaines d'entre
elles, sont tombées sans avoir fait l'objet d'études rationnelles
et approfondies. La recherche allait sans doute être plus aisée et
plus valeureuse si ces derniers, surtout pour ce qui est du Soudan occidental,
n'avaient pas subit au cours de l'histoire des transformations fondamentales au
contact de l'étranger et surtout avaient été
rigoureusement examinées. C'est d'ailleurs ce que Skinner regrette
à travers ces propos introductifs : « Malheureusement, il reste
toujours vrai que pour chaque tonne d'éléments
archéologiques passés au tamis en Egypte et dans certaines
régions du Moyen-Orient, on n'a étudié qu'une
cuillère à café de pièces de ce genre au Soudan
occidental » 14
De nos jours, mis à part les données
archéologiques, les ressources documentaires ne concernent en
général que les documents arabes et parfois les
témoignages locaux, ce qui pose des problèmes de fiabilité
et des risques de falsification quant à la traduction objective des
questions relatives aux origines et aux transformations constantes et
graduelles, spatiales et temporelles de ces sociétés. La
particularité de la société Mossi réside dans le
fait que, malgré les multiples influences externes qui ont masqué
et affecté profondément la plupart des Etats voisins et qui ont
entrainé en même temps leur effondrement, elle constitue la rare
nation à avoir conservé son ancienne structure politique durant
presque toute son histoire.
En effet, la connaissance que nous avons de l'histoire des
origines lointaines comme proches des peuples et de la nation Mossi et
particulièrement du royaume de Ouagadougou repose essentiellement sur
les données historiques émanent des écrits de chercheurs
étrangers ou locaux, des explorateurs ou des colonisateurs et surtout
à travers les mythes et les légendes tels qu'ils sont
rapportés par ces derniers.
14 Skinner, ELLIOT-P. Les Mossi de la Haute-Volta.
Paris : Nouveaux Horizons, 1972, p.21
Ainsi il relève, de ce fait, une difficulté
quant à la saisie objective de la réalité historique et de
la chronologie des événements et ce, aussi, à cause de
l'importance du cynisme occidental, des préjugés racistes et
ethnocentriques, des philosophies nazies dont le souci est de corréler
deux réalités historiques a priori contradictoires: le
schéma social européen et celui du monde noir.
Dés lors une analyse philosophique de l'histoire visant
à appréhender le réel et l'imaginaire
négro-africain à travers l'étude sur l'origine et les
fondements de la réalité politique des Etats africains
traditionnels s'impose. Néanmoins, pour être pertinente, elle
semble ne pas pouvoir faire l'économie des approches de tentative
d'élucidation de la vie à savoir les mythes fondateurs et les
légendes, malgré l'inconstance dans leur élaboration. Car
comme il est montré par les Archives, « Histoire et légende
sont si étroitement liés que, pour comprendre la structure
politique des royaumes mossi et les rapports que les souverains peuvent avoir
les uns avec les autres, il faut s'en rapporter aux mythes fondateurs
».15
En Afrique traditionnelle où les sociétés
sont de tradition orale, le mythe constitue un moyen privilégié,
une voie et même un savoir théorique par excellence d'expression
et de mise en évidence de ce qui est «principium»
terme latin désignant ce qui est premier c'est-à-dire le
commencement, le point de départ, le début. Pour ce qui est de
notre propos et qui concerne la nation mossi, il renverrait ou encore serait le
principe fondamental en tant qu'il est fondement et fondateur de l'Etat et des
peuples mooses. En quoi consiste t-il et que dit-il de ces peuples ? Quels sont
ses enjeux politico-philosophiques, sociologiques et historiques dans ce
rapport théorique ? Tels sont les questions qui sous-tendront
l'élaboration de ce chapitre.
16
15 Archives départementales de l'Aude,
Archives nationales du Burkina Faso. Les chefs au Burkina Faso. La
chefferie traditionnelle des origines à l'indépendance.
Carcassonne, Ouagadougou, 2008, p.14
17
1-La théorie du mythe fondateur
Nombreux sont les chercheurs qui ont recueilli et
rapporté fidèlement le récit de fondation des peuples et
de la nation Mossi comme Maurice Delafosse16, Jean
Ziegler17... et tant d'autres dont on ne saurait pouvoir mettre ici
tous en évidence. Cependant dans la plupart des textes, il souffre
à la fois de descriptions variées et mouvantes à l'image
du Dieu grec Protée, de considérations souvent trop fallacieuses
et incohérentes dont la véracité resterait à
être vérifiée. C'est pourquoi nous jugeons utile et prudent
de procéder à une discrimination des récits afin de saisir
au plus prés le fond de la question. D'ailleurs la singularisation du
terme «théorie» renseignera sur notre volonté à
retenir ici comme source d'inspiration le récit de Salfo-Albert Balima.
Son ouvrage, légendes et histoire des peuples du Burkina Faso,
semble être à même de nous édifier clairement
à cet effet.
Ce serait donc, suivant Balima tout comme pour la plupart des
chercheurs, dans le nord du Ghana, à Gambaga notamment, que le royaume
mossi avec à sa tête le roi Nedega, aurait posé les
premiers jalons de son organisation politique tel qu'il est connu durant toute
son existence: « Nos ancêtres, disent les historiens traditionnels,
venaient des pays du soleil levant. Ils étaient originaires du royaume
de Gambaga, leur dernière étape avant le Mögo, qu'ils ont
aussi conquis ».18 Mais qu'en est-il de la véritable
origine des peuples mooses ? D'où seraient-ils venus avant
l'installation au Ghana et l'occupation du Mögo ?
Suivant les récits oraux tels que rapportés dans
les archives, mis à part l'origine orientale- ils se seraient
signalés en Egypte, en Ethiopie, au Soudan, au Tchad comme l'attestait
d'ailleurs Boubé Gado. Il affirmait que tant par leurs vêtements
que par leurs sépultures en forme de pyramide, les Mossi se
rattacheraient aux Coptes d'avant l'Islam et du Pharaon. Partant de là,
nous pouvons suggérer l'analyse de l'histoire généalogique
du peuple à travers trois périodes. La phase ancienne est
marquée essentiellement par une vie clanique autour du désert.
16 Cf. son ouvrage intitulé :
Haut-Sénégal-Niger, tome 1 « Le Pays, les Peuples,
les Langues », Paris : G.-P. Maisonneuve et Larose, 1972, p.302-319
17 Cf. son ouvrage intitulé: La victoire
des vaincus. Oppression et résistance culturelle. Paris : Editions
du Seuil, Janvier 1988, p.167-180. Ces pages renseignent aussi clairement sur
l'origine des peuples et de l'Etat Mossi mais également sur son mode
d'administration social et politique.
18 Balima, Salfo-Albert. Légendes et
Histoire des Peuples du Burkina Faso. Paris : J. A. Conseil, 1996, p.62
18
En effet les «Proto-Moose» vécurent d'abord
dans le Sahara et furent ici désignés sous le terme arabe
«zanudj» signifiant « sauvage » avant de se manifester dans
le Bornou ; ce qu'attestent éloquemment ces propos du Capitaine Lambert,
Officier des conquêtes de l'Afrique et Commandant du Cercle de
Ouagadougou de 1905 à 1907 dans son Bulletin de la
Société de Géographie de l'AOF, no7, dont Balima
rapporte:
« Il existe encore au Sud du Bornou, dit-il, dans le
Cameroun allemand, une race qui porte le nom de Mossah et aurait
été autrefois, selon la tradition locale, maîtresse du pays
entier. Elle se trouve actuellement confinée en une portion de
territoire assez restreinte (vallée du Logone-Cameroun).
« Ses représentants actuels offrent avec les Mossi
des ressemblances physiques tellement frappantes qu'il est impossible d'avoir
vécu parmi eux sans les reconnaitre dans ces derniers: le tatouage est
identique sauf en ce qui concerne l'accent circonflexe, d'acquisition
récente. La similitude est presque complète et d'autre part,
l'organisation sociale des Mossi, avec toute sa hiérarchie si
caractéristique, se retrouve chez les Mossahs. »19
Poursuivant ainsi il précisera que l'identité
d'origine des deux groupes ne faisait pas de doute et qu'ils pouvaient affirmer
l'existence des Mossahs dans une partie du Bornou car la suprématie que
la tradition leur attribuait dans le pays à une époque
reculée fixait d'une façon certaine, l'habitat où a
dû croître et se former la race qui les occupait. C'est donc
après ce passage dans le Bornou que les Mooses migrèrent vers
Gambaga en passant par le Niger où ils firent d'abord escale dans la
région de Zamfara puis sur la rive gauche du fleuve, dans le Dallol
Bosso, et y créèrent le royaume de Rozi. Ici ils furent
désignés avec les Gourma sous le nom de « Ganji-bi »
c'est-à-dire des « génies noires » et « leur
histoire commence à s'affirmer »20. Ils
cohabitèrent avec les peuls avant d'envahir la boucle du Niger où
ils se heurtèrent aux haussa et aux Berbères mais aussi «
à une épidémie meurtrière » qui les obligea
à rejoindre les régions sans doute voisines de Tenkodogo au nord
des frontières actuelles du Ghana, du Togo et du Dahomey comme le
témoignait Ould Aoudar.
19 Idem. p.62
20 Archives. Op.cit. p.140
19
Ainsi prend fin cette phase obscure et débute la
deuxième, celle de la « réorganisation dans le Gambaga
» entre le XIIIe et le XIVe siècle. A ce
stade de l'évolution on assiste à la naissance de la fusion des
survivants Mooses avec d'autres ethnies et à la reconstitution des
peuples et de ses «Héros.' Gambaga représentera dés
lors le point de départ d'une histoire politique qui transcendera le
temps avec la légendaire Gnelenga. Quelles sont ses origines et que
représente-elle pour l'histoire Mossi ?
Tout commencerait, selon la légende, d'un prince
originaire de Zanfara à l'Est du lac Tchad et que l'on nommait Toja
Jié c'est-à-dire le « chasseur rouge ». Chassé
du pays à cause de ses prétentions politiques, il erra dans la
brousse et, un jour, assoiffé, le hasard l'entraina prés d'une
case habitée par une vieille dame à qui il demanda à boire
et celle-ci rétorqua: « Hélas, nous n'avons plus d'eau.
L'étang du hameau où tous nous allions nous abreuver et puiser
l'eau est toujours rempli d'eau, mais un immonde buffle sauvage l'a
occupé, qui nous en défend l'abord. Bientôt tous, mon fils,
nous mourrons de soif ».21
Renseigné de l'endroit où se trouvait
l'étang, le chasseur s'y rend et à la grande surprise se met face
à la bête qu'il tua d'une flèche empoisonnée. Vite
conduit auprès du roi, chef du pays du Mali, le sauveur, après
avoir été nommé général en chef des
armées et avoir assuré de nombreuses victoires, reçut en
guise de reconnaissance et sous son propre choix la jeune et belle princesse
boiteuse Pog- Wagba qu'il maria. Ils vécurent en brousse dans une
caverne et avant de mourir laissèrent leur unique descendant. Entre
temps le père de Pog-Wagba mourra et laissa à la tête de
l'Etat un jeune prince. L'histoire se répéta et ce dernier,
étant entré en conflit avec ses voisins, demanda les services du
fils de Toja-Jié. Vaillant chasseur comme son père, ce dernier
arriva à bout des ennemies en tuant d'une flèche le
général.
Après cette rapide et éclatante victoire et
refusant toutes les récompenses de son cousin, il rentra en brousse
où il rencontra un jour lors de ses pérégrinations, une
jeune princesse gourmantché nommée Sissabighi. Sous la
complicité de celle-ci, Kpuganumbu, nom qu'il vient d'acquérir
suite à la rencontre avec les parents de la jeune fille qui en
l'apercevant s'écrièrent: « A kpugi numbu na ! » Ce qui
signifie selon Balima, tu nous as ramené un valeureux compagnon,
assassina son gendre et devint roi.
21 Balima. Op.cit. p.63
20
Avant de mourir cette dernière lui laissa des jumeaux
qui ne se manifesteront guère dans l'histoire. C'est ainsi que ce
dernier épousa Soyini, une autre princesse gourmantché,
mère du prince Gbewa. Ce dernier, à la mort de son père,
hérita du trône d'un grand pays dont la capitale fut Pousga, eut
une forte descendance et fonda les dynasties royales des Mampursi, des Mossi,
des Gourma et des Kussassi, des Dagamba... ; étant ainsi, selon la
légende, l'ancêtre « éponyme » des «
Mooréphones » c'est-à-dire de l'ensemble, selon Balima, des
peuples et des Etats Mossi. C'est donc de cette famille, plus
précisément par une ramification féminine avec la
princesse Gnelenga, que procéderait le Roi de Gambaga, fondateur de ce
puissant royaume de Ouagadougou, objet de notre étude. Mais que dit-on
de l'histoire réelle de cet illustre chef d'Etat, redouté et
respecté de tous ?
Suivant la légende, Naba Nedga, descendant direct de la
cour royal de Naba Gbewa, régnait sur les peuples sur de nombreuses
tribus conquises en plus des Dagamba et des Mampursi. Satisfait en politique,
il ne l'était guère en vie conjugale car n'arrivant pas
jusqu'à un âge si avancé à avoir d'héritier
malgré les multiples sacrifices- parfois humains- faits aux
divinités. Il voulait d'un « fils, pour assurer et assumer
l'héritage, un fils pour guider son peuple qui l'aimait et qu'il aimait,
« un fils qui empêcherait sa maison de s'écrouler, un fils
qui éviterait au royaume la déshérence, source de graves
troubles intérieurs et extérieurs ». 22
Or, un jour, le destin se manifesta. L'une des femmes mit au
monde une jeune fille qu'il nomma Poko c'est-à-dire «la femelle' et
la voua au célibat à mesure qu'elle grandissait. On
l'affranchissait de la faiblesse féminine en l'habituant aux jeux
masculins, à la dure réalité sociopolitique: monter
à cheval, courir, tirer à l'arc, grimper aux arbres, lutter aves
les hommes et aller à la chasse, bref toutes les prédispositions
relatives au combat, à la guerre ont été acquis. On le
surnomma ainsi Gnélenga ou Yenenga à cause de sa minceur, de sa
brillance et de sa taille élancée. En bonne guerrière elle
avait l'habitude, en l'absence de son père, de diriger les
opérations militaires lorsque la paix sociale était
extérieurement menacée.
Un jour, lors d'une razzia, elle s'échappa
discrètement le soir avec un officier avec qui il chevauchait côte
à côte à chaque fois et se livre à lui en pleine
brousse. Des semaines passèrent et sous la pression quotidienne de sa
mère, elle confesse son aventure et fait connaitre le nom de son
séducteur. Prévenu, ce dernier, sous le poids de la frayeur et de
son incapacité à supporter l'irritation du roi, disparut en haute
brousse.
22 Idem, p.67
Troublée à son tour car ne sachant comment
justifier sa trahison, Gnélenga, enceinte, prend un matin la fuite
accompagnée par quelques soldats dans le nord de Gambaga,
espérant ainsi retrouver son amant. C'est alors que les
évadés déchus se trouveront dans cette vaste forêt
aux alentours du village de Bittu d'où la princesse avortera de son
premier enfant et fera la connaissance d'un Bussanga issu probablement du
Mandingue qui le soigna avec les plantes médicinales. Ce dernier se
présenta sous le nom de Diyaré alias Raogo signifiant «le
mâle». Ainsi « le mâle » et « la femelle »
se lièrent et eurent un seul enfant qui, d'après Balima, fut
nommé Massom. Ce dernier eut beaucoup de femmes et son premier enfant
fut nommé Wed Raogo ou Ouedraogo- cheval mâle- alias Zungrana,
« créateur de l'Empire et de la race des Mossi, premier souverain
du premier royaume- celui de Tenkodogo- berceau du Mögo, des Mossé
et du Moré ».23
Il connut une fin tragique mais glorieuse car étant
à l'origine de la constitution dite « Constitution de Naba
Zoungrana » relative aux questions de la langue nationale- le
moré-, du système politique hiérarchisé, au respect
des langues des Etats ou idiomes, de la citoyenneté, de la justice entre
autres. C'est ici que nous saisissons de plus prés la troisième
phase de l'histoire tournant autour de l'institution, par ce dernier, d'un Etat
constitutionnel Mossi et de la naissance des principaux royaumes. Ubri ou
Oubri, père de la dynastie royale de Ouagadougou, la plus puissante, fut
donc un descendant direct de Naba Zungrana.
En grand guerrier, ce prince se lancera dans la conquête
de nouvelles espaces et édifiera les premiers commandements de l'empire
mooga. Ce phénomène se répétera et les
générations futures l'imiteront dans la quête de multiples
et nouvelles territoires où ils créeront des dynasties royales et
y installeront leurs fils et leurs compagnons d'armes. C'est donc dans cette
logique de conquête que tous les Etats Mossi vont être
fondés dont les principales sont: le royaume de Tenkodogo, le premier
où régna Zoungrana, celui du Yatenga, celui de Ouagadougou et
celui de Fada N'gourma.
21
23 Ibid p.76-77
22
|
|